Le développement, l’intensification et la concentration des industries agro-alimentaires, ainsi que le renforcement de la réglementation sur les rejets en milieu naturel, sont à l’origine de nouveaux besoins en matière d’épuration d’effluents industriels. Beaucoup d’installations de stockage et d’épuration classiques (lagunage) s’avèrent désormais insuffisantes, leur mise à niveau étant souvent coûteuse et techniquement délicate (méthaniseurs, turbines d’aération). L’épandage agricole, dès qu’il met en jeu des surfaces importantes (fréquemment de l’ordre de 3 000 à 5 000 ha), implique des problèmes de logistique et de sécurité, que compliquent les dernières réglementations européennes. Et enfin, les stations d’épuration à boues activées sont, quant à elles, mal adaptées aux importantes variations saisonnières de rythme des activités agro-alimentaires. Il fallait donc innover.
Le filtre ventilé mis au point à cet effet est conçu pour épurer des effluents à forte charge organique dissoute. C’est une solution d’autant plus intéressante qu’elle permet un rejet continu des eaux résiduaires, tant en campagne qu’en intercampagne. En effet, cela permet de diminuer, en général, d’au moins 25 % les volumes à stocker en intercampagne, et de limiter l’impact sur les milieux récepteurs dont les objectifs de qualité ne cessent de se renforcer. Un gain important est ainsi réalisable sur les dispositifs de stockage nécessaires, et sur les taxes perçues au titre des rejets polluants.
Le principe du procédé
Le procédé utilise le pouvoir épurateur des sables dont il accroît la capacité d’oxydation par ventilation. Situé à mi-chemin entre le principe du lit bactérien – par les fortes charges en effluents et en pollution qui y sont admises – et le principe de l’épandage agricole – par la nature des aménagements – il en allie les principaux avantages :
• grande robustesse des installations,
• grande simplicité d’exploitation,
• très faible consommation énergétique,
• surveillance et maintenance réduits,
• extrême souplesse de fonctionnement.
Un filtre ventilé (figure 1) comporte essentiellement un massif filtrant constitué de couches successives de granulats calibrés (sable, gravier) dont l’épaisseur peut s’étager, selon les besoins, de 1 à 2 m et qui est alimenté en effluents par aspersion; les eaux filtrées et épurées sont recueillies au pied du filtre par des drains posés sur une membrane étanche. La ventilation du filtre, système breveté, s’effectue au moyen d’un aspirateur de débit approprié. L’installation complète d’un filtre ventilé comporte, en outre, généralement :
• certains pré-traitements (décantation, neutralisation, dilution, etc.),
• un bassin d’homogénéisation à la sortie du filtre,
• un équipement de scarification (microtracteur + outil),
• un laboratoire de campagne (DCO – MES – pH – humidité – température) associé à une petite station agro-climatique (T., P., ETP).
Les risques de colmatage de ce type de filtre sont exclusivement d’origine minérale (colloïde) ou chimique (entartrage). Dans tous les cas, un
*EPI : procédé breveté par Burgéap, mis au point avec l’aide de G.T.S., Anvar et l’Agence de l’Eau Seine-Normandie.
*Qui pourra être remplacée en France par un simple Minitel.
[Schéma : Schéma de principe d'un aménagement d'épuration EPI ventilé.]
Le prétraitement approprié de l’effluent (floculation, décantation et/ou acidification) permet de s’affranchir de tout risque.
Un exemple représentatif : la sucrerie de Bray-sur-Seine
Historique
Cette sucrerie possède un schéma des eaux classique formé de bassins à terre et de bassins de lagunage. Les eaux issues de ces bassins sont recyclées en campagne, l’excédent d’eaux résiduaires étant jusqu'à présent stocké et rejeté en septembre. Après les phases d'études préliminaires (laboratoire, puis pilote expérimental sur site), un prototype industriel de 2 000 m² de surface filtrante a été réalisé en 1988. Au vu des résultats satisfaisants obtenus, la sucrerie a fait construire en 1990-1991 les deux dernières tranches prévues, se dotant ainsi d’un filtre de 7 500 m² de surface totale.
Les effluents
[Photo : Filtre ventilé installé à l'usine de Bray-sur-Seine.]
Les filtres ventilés construits à Bray-sur-Seine (voir photo) sont alimentés, en campagne sucrière, par un mélange d’eau recyclée des bassins et d’excès d’eau condensée. En intercampagne, ils traitent directement les eaux décantées stockées (figure 2). L’exploitation, en campagne, a montré que la teneur maximale en DCO de l'eau qui peut être passée sur le filtre est située entre 3 500 et 4 500 mg/l. Une bonne décantation préalable permet de ne pas dépasser 100 mg/l de matières en suspension.
Le filtre
La granulométrie du matériau filtrant doit permettre d’atteindre les objectifs de débit, de rendement ainsi que de coût minimum. Cela a conduit à un compromis : un sable fin dans le massif filtrant, qui permet de mieux retenir l'eau et donc de l'épurer, un sable plus gros en surface (pour un ressuyage plus rapide et, par conséquent, une meilleure portance pour l’équipement de scarification).
La technique de gestion
Chaque filtre ventilé est alimenté en effluent pendant six jours sur sept. Le septième jour (le vendredi à la sucrerie de Bray-sur-Seine), l’épandage est arrêté, et un travail de sol est effectué à la fin de chaque période de repos au moyen d’une bêche mécanique tirée par un mini-tracteur (figure 3). Pendant la période de marche, chaque filtre ventilé est soumis automatiquement à des aspersions rythmées. C'est la durée d’aspersion qui détermine le débit d’alimentation du filtre en effluent (figure 4).
Le contrôle du fonctionnement
Les tâches de contrôle du fonctionnement comportent, outre la surveillance du matériel, le contrôle du remplissage des bassins en aval et en
[Photo : légende : Fig. 2 – Schéma du circuit des eaux de lavage de la sucrerie de Bray-sur-Seine.]
[Photo : légende : Fig. 3 – Planning de marche hebdomadaire d’un filtre ventilé.]
[Photo : légende : Fig. 4 – Planning d’aspersion du filtre ventilé.]
[Photo : légende : Fig. 5 – Épuration obtenue sur filtre ventilé (1 000 m²).]
[Photo : légende : Fig. 6 – Énergie consommée (pour 1 000 m²).]
En amont, le travail du sol et les analyses de laboratoire courantes suivantes :
- de façon régulière, la DCO des eaux à l’entrée et à la sortie du dispositif, le pH, la conductivité ;
- de façon plus ponctuelle, les matières en suspension des eaux, l’humidité des sables, etc.
Les capteurs mesurent les températures, les débits et la dépression de l’air. Ainsi, pour 10 000 m² de filtre (400 000 m³ d’effluent par an), une seule personne occupée à temps partiel suffit à gérer le dispositif :
- fonctionnement : 2 heures/jour × 6 jours/semaine = 12 h ;
- travail du sol : 1 jour/semaine = 8 h.
Le dispositif peut fonctionner 46 semaines par an (congés, intempéries = 6 semaines) et nécessite 920 heures de travail annuel, soit au maximum 1 heure pour 400 m³ d’eau traitée, ou encore 1 heure par an pour 10 m² de filtre ventilé.
Les résultats
Les mesures sont ramenées à 1 000 m² de surface du filtre. Le dispositif et la gestion sus-décrites adoptés à la sucrerie permettent l’infiltration d’une lame d’eau annuelle de 40 m sans colmatage (soit 40 000 m³ pour 1 000 m² de filtre ventilé). La période la plus favorable à l’épuration en climat continental tempéré s’étend d’avril à octobre (mois « chauds » et moindre pluviométrie). La figure 5 permet de comparer l’efficacité de l’épuration sur la DCO aux débits mensuels infiltrés. Les rendements varient entre 74 % et 97 %, les plus faibles correspondant aux mois d’été, ce qui est dû à l’augmentation sensible
des débits, pendant cette période, et surtout parce qu’il se forme, dans les bassins de stockage, des composés chlorophylliens difficiles à dégrader (eau épurée de couleur jaune-verdâtre). L’objectif de qualité du rejet est cependant largement assuré, les meilleurs rendements coïncidant avec la période de campagne, durant laquelle la DCO en entrée est la plus élevée. Des analyses ont montré que le filtre ventilé épurait régulièrement 60 à 80 % de l’azote entré (les rendements les plus faibles sont observés en hiver), l’azote résiduel étant totalement nitrifié.
Les coûts
Investissement
Les coûts de réalisation d’un filtre ventilé à la sucrerie de Bray-sur-Seine ont varié entre 1 000 et 1 200 F le m² de surface filtrante, la fourchette dépendant de l’origine des sables approvisionnés. Ce prix peut varier en fonction des qualités de matériaux et de la distance d’approvisionnement au site d’implantation.
Énergie et autres coûts d’exploitation
Les consommations d’énergie électrique les plus faibles correspondent aux périodes d’arrêt partiel de l’installation (figure 6).
Sur cette consommation, l’énergie de pompage représente 70 % de la consommation globale. La puissance installée dans sa version finale est de 10 kW pour le pompage et de 12 kW pour l’aération. À cela il faut ajouter le fonctionnement du mini-tracteur : une journée par semaine et les 920 h annuelles de travail du technicien chargé de la station. Le coût d’exploitation global annuel se situe ainsi aux environs de 1,50 F par m³ d’eau résiduaire traitée.
Conclusion
Technique robuste, aisée à mettre en œuvre, mais aussi technique d’avenir de par ses performances et sa fiabilité, le filtre ventilé a fait ses preuves industrielles. Épuration d’effluents fortement chargés en pollution organique dissoute, diminution des volumes d’effluent à stocker, économies sur les taxes « rejets polluants », faible coût d’exploitation global : les filtres ventilés donnent pleine satisfaction à leurs utilisateurs.
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