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Epuration des eaux boueuses dans l'industrie sucrière: le cas de la sucrerie de Tadla (Maroc)

29 janvier 1999 Paru dans le N°218 à la page 47 ( mots)
Rédigé par : El-kbir LHADI, Mohammed-el KRATI et Nawal-el FAKIHI

Des essais d'épuration des eaux boueuses, par lagunage naturel sont effectués durant deux campagnes sucrières. L'objectif principal de cette étude est d'évaluer la faisabilité de l'auto-épuration par lagunage naturel et l'effet du dosage de l'Aluminium, du Fer et de la Chaux sur la qualité des eaux épurées. Ces essais ont été effectués avec trois temps de séjour (9, 16 et 22 jours). Les résultats obtenus permettent de constater que l'abattement de la pollution, dans la station d'épuration, est important et augmente avec le temps de séjour. Le temps de séjour de 16 jours est le mieux indiqué pour concilier la durée de la campagne sucrière et la réduction de la charge polluante. Le séjour des eaux dans les lagunes d'épuration pendant plusieurs jours permet la transformation d'une grande partie de la pollution soluble en pollution particulaire, facile à éliminer par la chaux. En effet, les essais de coagulation-floculation ont montré que le chaulage des eaux, à la sortie de la station, donne des rendements d'épuration importants de la matière organique, de la turbidité et du phosphore, à pH = 11 environ. Par ailleurs, le chaulage à ce même pH permet de bénéficier du pouvoir désinfectant de la chaux et d'obtenir un effluent épuré très clair et apte au recyclage dans le circuit de transport - lavage des betteraves, à l'intérieur de l'usine.

Au Maroc, pays à climat aride, le développement industriel s’accompagne d'une grande consommation d'eau et de rejets d’eaux usées importants. Les industries sucrières qui sont à la fois de grosses consommatrices et productrices d'eau sont aussi de grandes dispensatrices d'eaux de rejet (Franchet, 1983). Dans la plupart des cas, les eaux résiduaires engendrées par les sucreries marocaines, riches en matières organiques, sont rejetées dans le milieu récepteur, sans le moindre traitement, ce qui engendre des nuisances potentielles pour l'environnement et pour l'homme (pollution des cours d'eau, contamination de la nappe par les nitrates, risques épidémiologiques, mauvaises odeurs, etc.).

Dès lors, la maîtrise et la gestion rationnelle des consommations d'eau et des rejets sucriers s'imposent par un maximum de recyclage, épuration et réutilisation des eaux épurées. La réutilisation des eaux usées, qui constituent une composante essentielle de nos ressources, revêt un triple intérêt (Cadillon et Tremea, 1989 ; Ajdour, 1991) :

  • - constitution d'une ressource supplémentaire en eau ;
  • - suppression au moins partielle des rejets polluants ;

Mots clés : Épuration, coagulation, eaux usées, boue, lagunage naturel, betterave à sucre, environnement

[Photo : Station pilote d’épuration des eaux boueuses de la SU.TA]
  • intensification de la production agricole par apport d'eau et de fertilisants organiques et minéraux, en cas de réutilisation en agriculture.

En France, 85 % des industries sucrières ont réduit les flux de pollution de leurs rejets grâce à des procédés d'épuration classiques tels que le lagunage et l'épandage (Lescure, 1983 et McNeil, 1984). Ce qui n'est pas le cas pour les sucreries marocaines qui rejettent leurs eaux usées dans le milieu récepteur sans traitement.

Le lagunage naturel est un système d'épuration d'eaux usées souvent utilisé dans les régions arides et semi-arides, où les conditions climatiques sont favorables, et offre des avantages tels que le coût, la simplicité de fonctionnement, l'efficacité et la possibilité de réutiliser l'eau épurée (Guen et Cheikh, 1991 ; Legeas et coll. 1992).

La sucrerie de Tadla est l'une des sucreries les plus anciennes au Maroc (depuis 1966) et traite environ 4000 tonnes de betteraves à sucre par jour. La conception ancienne de l'usine ne prévoyait ni l'économie de l'eau ni la réduction de la pollution. Cependant, durant ces dernières années cette usine a beaucoup investi dans la recherche des moyens pour réduire la consommation d'eau et la pollution qui résulte des rejets.

Cette sucrerie possède trois rejets principaux (El Krati, 1995) qui proviennent essentiellement des lavages des machines, des condensats barométriques et du lavage des betteraves.

Le transport et le lavage des betteraves se font dans un circuit semi-ouvert (schéma 1). Les eaux de lavage se chargent progressivement en terre et débris végétaux et passent dans un décanteur radial pour subir une clarification. Le surnageant est recyclé dans le circuit de transport des betteraves et les boues ainsi décantées (eaux boueuses) sont soutirées par des pompes et évacuées vers des bassins d'épandage, entraînant des quantités importantes de terre (310 tonnes par jour), avec un débit très élevé (environ 5520 m³/j) pour être perdues par évaporation et infiltration. Le flux journalier de pollution rejetée par ces eaux est d'environ 43400 kg de DCO, 16700 kg de DBO et 550 kg d'azote (El Krati, 1995). C'est une charge polluante très élevée qui doit être réduite avant rejet.

Dans le cadre du programme d’économie d'eau dans la sucrerie raffinerie de Tadla, nous avons effectué durant deux campagnes sucrières des essais d'épuration des eaux boueuses par lagunage naturel avec des temps de séjour de 9, 16 et 22 jours. Le but de ces essais est de comparer les performances du lagunage aux différents temps de rétention. L’épuration des eaux par lagunage naturel a été complétée par un traitement par coagulation-floculation en vue de réutiliser les eaux traitées dans le circuit de lavage à l'intérieur de l’usine.

L'épuration de ces eaux, très chargées en matières en suspension et organiques, présente un double avantage (Cadillon et Trema, 1989 et Lahmouri, 1991) :

  • l'eau épurée constitue une ressource supplémentaire pouvant être recyclée vers le circuit de lavage ou utilisée en irrigation ;
  • réduction substantielle de la pollution pour protéger l'environnement.

Méthodologie et description de la filière de traitement

La station pilote d'épuration des eaux boueuses par bassins de stabilisation a été aménagée dans l'enceinte même de l'usine à proximité du décanteur d'eau de lavage des betteraves. Elle est constituée d'un bassin de décantation suivi de trois bassins de stabilisation (schéma 2). À l’entrée du deuxième bassin (A), nous avons creusé une fosse (F) de 1 mètre de profondeur afin de récupérer les matières en suspension n’ayant pas décanté dans le premier bassin (schéma 2). Les profondeurs des bassins A, B et C sont respectivement de 1,5 mètre, 1 mètre et 0,5 mètre.

[Photo : Circuit des eaux de lavage et de transport des betteraves de la SU.TA]

Tableau 1 : Charges organiques solubles à l’entrée des bassins durant les essais de lagunage (ha : hectare)

Temps de séjour DCO (kg/m² j) DCO (kg/ha j) DBO5 (kg/m² j) DBO5 (kg/ha j)
min max min max min max min max
22 j 0,09 0,18 527 1 078 0,07 0,14 408 849
16 j 0,09 0,21 633 1 066 0,06 0,09 771 945
9 j 0,12 0,24 1 320 1 525 0,10 0,11 1 100 1 215

faite à partir d'une canalisation piquée sur la conduite de pompage des eaux boueuses du décanteur radial de l'usine. Afin de minimiser les pertes d’eau par infiltration, tous les bassins ont été plastifiés après entassement du sol. Le choix des temps de séjour courts dans les lagunes est basé sur le fait que la campagne sucrière est courte (de 2 à 3 mois) et que les eaux épurées doivent être réutilisées durant cette période après un traitement complémentaire par coagulation-floculation. La qualité des eaux à l'entrée et à la sortie de ces lagunes, au bout de chaque temps de séjour, est déterminée par prélèvements et analyses, toutes les 4 heures, pendant plusieurs cycles de 24 heures.

Le traitement par coagulation-floculation-clarification est réalisé dans un banc de Jar-test. Les essais sont effectués aussitôt après prélèvement à 25 °C ± 1. L’ajustement du pH a été effectué par ajout d'acide sulfurique ou d'hydroxyde de sodium. La coagulation est réalisée sous agitation rapide à 240 tours/min pendant 3 minutes. L’introduction du coagulant s’effectue pendant cette étape par injection, à l'aide d'une pipette, d'une solution de sulfate d'alumine à 2 % ou de sulfate ferrique à 1 % à la dose voulue. Ensuite, l'étape d'agitation lente (floculation) est effectuée à 30 tours/min pendant 12 minutes. La décantation se fait dans le même bécher de floculation pendant 30 minutes, puis le surnageant est siphonné pour analyses ultérieures. L'essai de chaulage se fait dans le même appareil en ajoutant aux échantillons des doses croissantes de lait de chaux à 2 % de CaO.

Les paramètres physico-chimiques [pH, Conductivité, Matières en suspension (MES), Demande chimique en oxygène (DCO), Demande biochimique en oxygène (DBO5), Azote total Kjeldahl (NTK), Ammonium (NH4+), Phosphore total et Orthophosphates (PO4)] ont été déterminés, pour chaque échantillon prélevé, selon les normes AFNOR en vigueur.

Résultats et discussion

Les étapes essentielles du procédé de fabrication du sucre à partir de la betterave sont :

- préparation de la betterave (transport-lavage et découpage en cossettes) ;

- extraction puis épuration (calco-carbonique) du jus sucré ;

- évaporation du jus puis cristallisation.

Dans toutes les sucreries, le lavage et le transport des betteraves sont deux étapes préliminaires et importantes dans le schéma de fabrication. Le transport et le lavage des betteraves sont les postes qui consomment le plus d'eau. Cette eau entraîne pratiquement toute la terre adhérente aux betteraves, d'où le double problème : se débarrasser de la terre et de l'eau polluée (Devillers, 1967).

Épuration des eaux boueuses par lagunage naturel

Les bassins de stabilisation et les procédés par lagunage sont les méthodes de traitement les plus communes lorsqu'on dispose de grandes surfaces de terrain (Eckenfelder, 1982). Les avantages de cette technique, comparée aux systèmes intensifs d’épuration, peuvent être résumés en sa simplicité et son faible coût d'investissement et de fonctionnement.

Le suivi temporel de l'oxygène dissous dans tous les bassins, aux différents temps de séjour, montre que le caractère d'épuration de ces lagunes est anaérobie. Les teneurs nulles d’oxygène sont dues à la forte activité biologique et surtout à la charge organique élevée appliquée aux lagunes (Ringulet et al., 1973). En effet, le tableau 1 montre que les charges minimales et maximales en matière organique qui entrent dans les bassins, pour les trois essais de temps de séjour, sont assez élevées et favorisent des phénomènes de fermentation anaérobie.

À partir des résultats de ce tableau, le rapport DCO/DBO5 des eaux boueuses à l'entrée des bassins varie de 1,5 à 2, caractéristique d'une charge organique biodégradable, facile à éliminer par des procédés d’épuration biologiques. Les faibles valeurs de ce rapport sont dues à la présence de teneurs élevées en matières organiques solubles et biodégradables telles que les sucres.

Tableau 2 : Moyennes des réductions de la pollution dans les lagunes d’épuration

Paramètre Temps de séjour Entrée (g/j) Sortie (g/j) Réduction (%)
DCO 9 j 20 270 9 612 52,6
16 j 16 242 3 960 75,6
22 j 15 330 2 710 82,3
DBO5 9 j 12 850 2 478 80,7
16 j 9 463 2 478 74,0
22 j 6 600 733 88,9
NTK 9 j 678 41 93,9
16 j 430 92 78,6
22 j 300 33 89,0
NH4+ 9 j 165 18 89,1
16 j 81 12 85,2
22 j 82 19 76,8
P total 9 j 30 3 90,0
16 j 28 5 82,1
22 j 23 5 78,3
MES 9 j 301 600 145 998 51,6
16 j 72 000 8 119 88,7
22 j 13 819 940 93,2
[Photo : Figure 1 : Élimination de la DCO par action du fer dans les eaux épurées par lagunage]
[Photo : Figure 2 : Élimination de la DCO par action de l'aluminium dans les eaux épurées par lagunage naturel]

que les sucres dissous lors du transport et lavage des betteraves.

Les différents essais que nous avons menés nous ont permis d'évaluer les performances du lagunage naturel dans l'épuration des eaux boueuses de la sucrerie. En considérant les débits à l'entrée et à la sortie du système, nous avons évalué le rendement de l'épuration durant les trois temps de séjours choisis. Le tableau 2 résume les différents abattements, en pourcentages, de la pollution. Ces résultats montrent que l'élimination des MES est quasi-totale (99 %) et que la réduction de la matière organique et des nutriments (N et P) est aussi importante (de 62 % à 83 % pour le phosphore et de 55,7 % à 78,4 % pour l'azote total). La matière organique est éliminée avec un rendement qui augmente de 52,6 % pour un temps de séjour de 9 jours à 82,3 % pour un temps de séjour de 22 jours. La réduction de cette charge polluante dans les bassins s'explique par une décantation et une minéralisation bactérienne qui augmente avec le temps de séjour. Il est à noter que les conditions d'ensoleillement dans la région et la nature biodégradable de la matière organique de ces eaux favorisent davantage les phénomènes d'auto-épuration par lagunage naturel.

Cependant, malgré ces abattements non négligeables de la pollution, l'effluent à la sortie des lagunes est turbide, légèrement coloré en « noir-verdâtre », présente des mauvaises odeurs et contient encore une charge polluante résiduelle. Il est intéressant de constater aussi qu'une partie de la pollution qui était soluble est devenue particulaire, facile à éliminer par un traitement physico-chimique. En effet, la turbidité et la charge organique qui se trouvent dans l'effluent épuré par lagunage naturel sont essentiellement formées de :

  • micro-algues photosynthétisées et substances humiques provenant des sols, dont une partie est responsable de la coloration (Edwards et coll., 1985 et Mazet et coll., 1990) ;
  • matières organiques colloïdales et dissoutes provenant des sols et des betteraves (sucres, amides, matières phosphorées et azotées, acides carboxyliques et aminés...) ;
  • produits de relargage au fond du bassin par fermentation (Comeau a et b, 1990).

Le recyclage des eaux épurées simplement par lagunage naturel à l'intérieur de l'usine n'est, a priori, pas possible compte tenu de sa qualité physico-chimique. Ainsi, dans le but de valoriser ces eaux, nous avons essayé de compléter leur épuration par un traitement physico-chimique, en utilisant le Sulfate de Fer, le Sulfate d'Aluminium et la chaux comme coagulants.

Ces essais ont pour objectif de savoir dans quelle mesure l'effluent épuré par lagunage naturel pourrait subir un traitement complémentaire de façon à améliorer sa qualité pour une réutilisation valorisante dans le circuit de lavage des betteraves.

Coagulation-floculation par le Sulfate d'Aluminium et le Sulfate Ferrique

Optimisation du pH de coagulation et élimination de la matière organique :

Plusieurs études ont montré que le pH de la solution joue un rôle important dans l'effica-

[Photo : Épandage des eaux boueuses à proximité de la sucrerie]

Tableau 3 : Valeurs des rapports DCOe/DCOi correspondant aux différentes doses du Fer et d’Aluminium ajoutées

ts : temps de séjour DCOe : demande chimique en oxygène de l’effluent épuré par lagunage suivi d’une coagulation-floculation. DCOi : demande chimique en oxygène de l’effluent épuré uniquement par lagunage.

Certains auteurs montrent que la capacité d’élimination de la pollution organique et que les rendements d’élimination sont améliorés par optimisation du pH de coagulation (Dentel et Gossett, 1988 ; Mazet et coll., 1990 et Vanbenschoten et Edzwald, 1990). Dans nos essais, le pH des eaux à la sortie des lagunes varie de 6,5 à 7. Les pH optimums obtenus sont de 6,7 pour la coagulation par le sulfate d’Aluminium et de 5,4 pour la coagulation par le sulfate ferrique.

Afin d’estimer la quantité du coagulant suffisante pour compléter l’épuration des eaux boueuses par lagunage nous avons suivi l’évolution de la matière organique, mesurée par la DCO, en fonction des différentes doses injectées dans un litre d’eau épurée à des temps de séjour de 9 et 16 jours. Les résultats montrent que lorsqu’on ajoute des doses croissantes du coagulant, la DCO diminue significativement jusqu’à une valeur résiduelle qui reste constante, quel que soit la dose ajoutée de coagulant (figures 1 et 2). A priori, on peut dire que cette charge organique résiduelle est sous forme soluble, difficile à éliminer par un procédé physico-chimique. Les figures 1 et 2 montrent aussi que la DCO résiduelle, après coagulation-floculation, est plus faible dans le cas de l’épuration par lagunage avec un temps de séjour de 16 jours qu’avec un temps de 9 jours.

Calcul de la dose optimale du coagulant à ajouter et relation de stœchiométrie :

Plusieurs manipulations ont été conduites avec différentes doses de coagulant comprises entre 0 et 296 mg de Fer et entre 0 et 48 mg d’Aluminium, injectées par litre d’échantillon aux pH optimums. La dose optimale du coagulant peut être déterminée si les résultats sont exprimés sous la forme du rapport DCOe/DCOi : matière organique après floculation sur matière organique avant floculation (Lefebvre et Legube, 1990). Le tableau 3 résume les valeurs de ces rapports.

La dose optimale du coagulant est obtenue lorsque le rapport DCOe/DCOi devient à peu près constant. Par exemple, si on choisit un temps de séjour de 16 jours les doses optimales sont d’environ 25 mg Al et 185 mg Fe pour traiter un litre d’effluent. Ce sont des quantités très élevées, qu’on retrouve dans les boues décantées et qui causent des problèmes au niveau du coût d’exploitation et de réutilisation de l’eau traitée et de la boue. Plusieurs auteurs ont établi des corrélations entre le pourcentage de la matière organique éliminée et la dose du coagulant à appliquer au meilleur pH de coagulation (Lefebvre et Legube, 1990). Ces relations de stœchiométrie, exprimées par le rapport massique (dose de coagulant/DCO éliminée), permettent de donner une idée sur l’efficacité et la quantité du coagulant utilisé pour éliminer un certain taux de matière organique. Dans notre cas, pour le temps de séjour 16 jours ce rapport massique, correspondant à l’optimum d’élimination de DCO, est d’environ 0,05 mg/mg pour l’aluminium et 0,39 mg/mg pour le Fer. Ce résultat montre que l’aluminium est plus efficace en coagulation-floculation de ces eaux que le Fer.

Épuration par la chaux (chaulage ou défécation)

Grâce à ses propriétés excellentes de neu-

[Photo : Figure 3 – Élimination de la DCO et de la matière sèche par la chaux dans les eaux épurées par lagunage naturel]
[Photo : Figure 4 – Évolution de la turbidité en fonction du pH de chaulage des eaux épurées par lagunage naturel]
[Photo : Variation de la salinité des eaux à la sortie des lagunes en fonction de la dose de chaux ajoutée]
[Photo : Abattement du phosphore des eaux épurées par lagunage, par la chaux]

Neutralisation, coagulation et hydrolyse, la chaux a eu un intérêt croissant pour son utilisation dans le domaine de l'environnement (Bengtsson et coll., 1980 et Futaedani et coll., 1993). L'épuration par la chaux s'avère être un moyen économique pour la clarification des effluents tels que les eaux boueuses chargées en M.E.S. et en particules colloïdales. Dans les sucreries, la chaux est utilisée dans les eaux de lavage des betteraves pour augmenter le pH et dans un procédé calco-carbonique pour épurer le jus. Elle conduit à une élimination importante des impuretés minérales et organiques, appelées non sucres, du jus. L'abondance et la disponibilité de la chaux au Maroc et son utilisation dans la sucrerie nous ont encouragés à l'essayer dans le traitement physico-chimique de l'effluent pour améliorer l'épuration par lagunage naturel. Au cours de ces essais nous avons évalué l'efficacité de la chaux dans l'élimination de la DCO, la turbidité, les phosphates et les sels.

Matières organiques, matières sèches et turbidité

À la sortie des bassins de lagunage, la coagulation-floculation de l'effluent conduit, après décantation, à une diminution de la DCO des eaux et une amélioration de leur qualité. Les figures 3 et 4 montrent que la DCO, la matière sèche et la turbidité des eaux diminuent en fonction du pH de chaulage. Lorsque le pH devient basique (pH > 9) on constate une élimination importante des différents paramètres analysés. Cette diminution se fait par floculation, précipitation et adsorption des particules en suspension et dissoutes aux différents flocs et solides formés (Wongchaisuwan, 1982 et Panswad et Wongchaisuwan, 1986).

Par ailleurs, la figure 3 révèle que la réduction des matières sèches (constituées essentiellement de sels, matières en suspension et matières organiques) se fait d’une façon plus rapide que celle de la DCO. Le traitement de l'effluent est optimal à pH = 11, au-delà duquel les teneurs des eaux traitées en turbidité, en matière sèche et en DCO sont minimales et peu variables.

Élimination des sels et du phosphore par la chaux

La figure 5 révèle que le chaulage des eaux boueuses, à la sortie des bassins, entraîne une diminution nette de la conductivité électrique (CE) en fonction du pH. Les valeurs minimales de C.E. sont observées aux environs de pH = 11. Ce phénomène peut être expliqué par une précipitation des sels à des pH basiques. L'augmentation de la conductivité à des pH très basiques (pH > 11) est due d'une part à un excès de chaux ajoutée et d'autre part à une reminéralisation et dissociation des sels et des hydroxydes déjà précipités.

La déphosphatation des eaux par la chaux se fait avec des abattements importants. En effet, dans les eaux boueuses épurées par lagunage, la réduction des phosphates par action de la chaux est remarquable (figure 6) ; le phosphore résiduel accuse des valeurs très faibles dans ces eaux lorsque leur pH devient basique (pH > 11). Ces abattements sont dus à l'action simultanée du calcium et des hydroxydes, apportés par la chaux, qui provoque une précipitation importante des phosphates (Skoubani, 1984 ; Shaikh et Dixit, 1992 et Klaas et coll., 1992). Cette technique de chaulage est très utilisée pour la déphosphatation des eaux.

Tableau 4 : Avantages et inconvénients d’utilisation des différents coagulants testés

Coagulant : Aluminium – Prix : cher – Manipulation : difficile – Gestion des boues : difficile – Suppression d’odeur : partielle – Couleur après traitement : absente – Autres : ajustement du pH
Coagulant : Fer – Prix : cher – Manipulation : difficile – Gestion des boues : difficile – Suppression d’odeur : partielle – Couleur après traitement : faible – Autres : ajustement du pH
Coagulant : Chaux – Prix : — – Manipulation : facile – Gestion des boues : facile – Suppression d’odeur : totale – Couleur après traitement : — – Autres : pouvoir désinfectant

rejetées dans des cours d'eau en vue de limiter les phénomènes d'eutrophisation.

L'ensemble de ces résultats montre que le chaulage de ces eaux doit se faire impérativement à des pH compris entre 10 et 11 afin d'obtenir un effluent traité de bonne qualité.

Choix du coagulant approprié pour le traitement de ces eaux

Le choix d'un produit chimique en épuration dépend de son coût, de son efficacité, de sa facilité de manipulation, et de la gestion des boues qui résultent de son utilisation. À la lumière des résultats ci-dessus et en choisissant un pH = 11 pour une bonne épuration par la chaux, nous avons essayé de comparer l'efficacité des coagulants utilisés. Le tableau 4 résume les avantages et inconvénients de l'utilisation de tels produits en épuration physico-chimique à la sortie des bassins de stabilisation.

Ce tableau montre que le choix de la chaux, pour le traitement complémentaire de ces eaux, est le mieux indiqué. La technique de chaulage est relativement simple, le coût du réactif (chaux) est faible, le contrôle du pH est facile, la solubilité des différents hydroxydes de métaux est réduite au minimum à pH = 11 environ, celui des eaux de lavage des betteraves en sucreries, et les boues qui en résultent sont facilement déshydratables.

Conclusion

Cette étude a permis d'évaluer les performances du lagunage naturel dans l'épuration des eaux boueuses et l'efficacité des coagulants minéraux dans la réduction de la charge polluante des eaux épurées. Les résultats obtenus montrent que l'élimination des MES, de la matière organique et des nutriments (N et P) est importante dans les bassins d'épuration. Aussi le taux d'abattement de la charge organique par lagunage naturel est influencé par le temps de séjour. Cependant, l'effluent obtenu à la sortie des lagunes reste très turbide et chargé en matière organique. Le temps de séjour de 16 jours est le mieux indiqué pour concilier la durée de la campagne sucrière et la réduction de la charge polluante.

Le traitement physico-chimique des eaux épurées par lagunage naturel, en utilisant le sulfate d'aluminium, de fer et la chaux, est très efficace dans la clarification de ces eaux et l'élimination de la matière organique. L'emploi du sulfate de fer ou d'alumine dans la coagulation-floculation de telles eaux est très coûteux et génère des boues dont la gestion est difficile. Par contre, le chaulage des eaux épurées par lagunage est moins coûteux et donne un effluent non turbide, très clair, de pH élevé et apte au recyclage à l'intérieur de l'usine pour le lavage des betteraves.

Le chaulage à pH = 11 permet également de bénéficier du pouvoir désinfectant de la chaux et de se passer de la chloration des eaux de lavage. Par ailleurs, la chaux est disponible au Maroc et très utilisée dans les sucreries pour l'épuration du jus et pour stopper la fermentation de la matière organique dans le circuit de lavage des betteraves.

L'épuration des eaux boueuses de la SUTA par une filière intégrée « lagunage naturel – chaulage – réutilisation » permettra de gagner une ressource supplémentaire en eau et de supprimer les nuisances engendrées par le rejet des eaux boueuses dans l'environnement.

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