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Epuration biologique par boues activées à gradient de charge massique

29 mai 1981 Paru dans le N°55 à la page 35 ( mots)
Rédigé par : Francis GALLION

, Ingénieur-Conseil, Chargé de cours à l’I.S.T. Poitiers (Écologie appliquée)

INTRODUCTION

Depuis les premières publications d'ARDEN et LOCKETT, en 1914, sur le traitement des eaux usées par boues activées, les développements de ce procédé se sont surtout faits par approches technologiques successives, plutôt que par une recherche de la compréhension des processus biologiques mis en œuvre. Ce n'est guère que depuis une petite décennie que l’on se préoccupe de l'écologie des boues activées. Actuellement, les problèmes de péréquation énergétique rencontrés par nos sociétés font que, dans bien des domaines, la voie biologique devient la voie royale, et l'on assiste à une spectaculaire éclosion du phénomène « biomasse ».

En matière d'épuration des eaux usées à caractère bio-organique dominant (collectivités locales, I.A.A...), le traitement biologique est, pratiquement, la seule solution envisageable.

La boue activée est un milieu vivant. C'est un écosystème complexe régi, comme tout écosystème, par les relations trophiques de sa biocénose.

Les deux conditions nécessaires pour assurer la dynamique de la biomasse sont, d'une part, l'apport au milieu de l'oxygène dont il a besoin (épuration aérobie), d’autre part, la mise en contact, aux différents niveaux trophiques, de la nourriture et des consommateurs.

Si ces deux conditions sont impérativement nécessaires, elles ne sont cependant pas suffisantes à la gestion de l'épuration. Il faut, en effet, séparer la biomasse du liquide épuré, afin de réutiliser ses possibilités de biodégradation et ce, d'une manière économique ; ce sont les opérations de décantation et de recyclage. Or, la décantation n'est possible que si la « boue activée » est floculée, c'est-à-dire si la biomasse est, non pas dispersée en particules élémentaires, mais réunie en « grains » de plus ou moins grandes dimensions : le floc.

Or la forme et la cohésion du floc sont déterminées par l'activité du niveau trophique prédateur de bactéries.

L'originalité de ce procédé est de s'appuyer sur la séquence des relations trophiques et non pas, comme la plupart des procédés classiques, sur le résultat global moyen de ces séquences. En fait, du point de vue biologique, on peut comparer ce procédé à l'autoépuration qui se produit dans un cours d'eau pollué ponctuellement, et on assiste alors à une succession imperceptible mais continue de phénomènes biologiques qui tendent à ramener la rivière à son état d’équilibre.

L'originalité du procédé réside dans l'application, à la station d’épuration, du principe biocénotique de Thienemann, qui est l'expression de cette recherche d’équilibre.

[Figure : Figure 1]

PRINCIPE DU PROCÉDÉ BRUCKER

Le principe de base consiste à avoir, non pas un état homogène moyen du bassin d'activation (schéma des procédés classiques), mais un état hétérogène de l'amont vers l'aval, selon la succession des séquences trophiques.

Ainsi l'on a, de l’amont vers l'aval, un gradient dégressif de charge massique ou, si l'on préfère, un gradient positif de stabilisation. Le bassin est biologiquement et hydrauliquement orienté.

Tandis que le schéma classique de l'épuration biologique nécessite trois phases (figure 2) :

  • — 1° phase : mise en contact du substrat (pollution et son vecteur « eau ») avec la biomasse en présence d'oxygène dans un bassin d'activation.
  • — 2° phase : séparation de la biomasse et de l'eau dans un décanteur « secondaire » ; rejet de l'effluent.
  • — 3° phase : recyclage de la biomasse vers le bassin d'activation, et retrait du système de l'excès de biomasse (extraction).

Par contre, avec le procédé BRUCKER, l'ensemble des opérations ci-dessus est réalisé dans un bassin unique (figure 3) contenant l'ensemble de la biomasse : la partie amont du bassin travaille en activation, la partie aval en clarification à flux horizontal. L'organe vital de la station d'épuration, l'aérateur, est solidaire d'un pont mobile qui parcourt longitudinalement le bassin. Cet aérateur assume les trois fonctions fondamentales :

  • — aération : projection du mélange eau-boue en gerbe dans l'air,
  • — recyclage : pompage du mélange,
  • — brassage : les mouvements dus à l'aspiration, laminaires à proximité du radier, et aux remous provoqués par la gerbe à l'amont, assurent le brassage du mélange.

DESCRIPTION DE L'INSTALLATION

1. — Le bassin unique est de forme parallélépipédique très allongée, à radier entièrement plat (figure 4).

2. — La partie amont du bassin est équipée d'une cloison siphonide très plongeante, qui oblige l'influent à percoler totalement la biomasse présente dans cette partie du bassin, qui fonctionne, du point de vue biologique, en forte charge. Ce « compartiment amont » se comporte aussi à la manière d'un décanteur primaire dont les boues fraîches sont stabilisées en aérobiose ; l'abattement de DBO dans cette partie du bassin est très important (de 25 à 35 %).

3. — La fonction « aération » est effectuée préférentiellement sur la biomasse sédimentée. L’aérateur, dont il sera question plus loin, aspire les boues décantées sur le radier et les projette en pluie (aération/brassage) au-dessus de l'endroit où elles ont été prélevées (recyclage). Cet aérateur est monté sur un pont mobile qui balaye la totalité du bassin, selon un programme préétabli (et modifiable) de façon à ne laisser aucune zone morte ou non remaniée.

Les mouvements relatifs de cet aérateur permettent de porter la totalité du potentiel d'aération sur les organismes de la biomasse. Ainsi, la biomasse est sans cesse aérée et « remontée » vers l'amont du bassin, qui travaille en forte charge, alors que l'aval du bassin travaille en très faible charge. Des racleurs amont et aval, solidaires du pont mobile, raclent la totalité du radier plat, y compris le compartiment amont.

4. — La partie aval du bassin se comporte comme un décanteur à flux horizontal laminaire.

5. — La reprise des eaux épurées s'effectue à l'aide d'une goulotte protégée par un ensemble de cloisons situées sous le plan d'eau, inclinées à 60°, destiné à éviter les fuites de « fines ».

[Photo : PROCÉDÉS TRADITIONNELS – Figure 2.]
[Photo : PROCÉDÉ BRUCKER – Figure 3.]
[Photo : Figure 4. Éclaté d'une station d'épuration selon le Procédé BRUCKER]

6. — Enfin, le soutirage des boues en excès s'effectue dans cette partie aval du bassin, à l'aide d'une petite électropompe, ou d'un hydro-éjecteur.

L'un des intérêts majeurs de ce procédé réside dans le fait qu'un seul organe électromécanique, l'aérateur, gère la totalité de la biomasse en assurant les trois fonctions fondamentales d'aération, de recyclage et de brassage.

La demande en oxygène étant de plus en plus faible de l'amont vers l'aval, les déplacements de l'aérateur sont programmés pour répondre aux besoins en oxygène à l'heure et à l'endroit désirés.

REALISATION

La station d'épuration elle-même est constituée par un bassin unique, de forme parallélépipédique très allongée, à radier entièrement plat. Cette forme, extrêmement simple, présente d'immenses avantages d'implantation et de réalisation pour les raisons suivantes :

  1. 1. — Le calcul, le ferraillage et la coulée du béton du radier plan et des parois, ne présentent aucune difficulté puisqu'il n'y a aucun point singulier.
  2. 2. — La charge au sol est constante sur toute la surface du bassin, puisque la hauteur d'eau est constante : on évite ainsi les tassements différentiels.
  3. 3. — Cette hauteur d'eau peut être choisie en fonction de la portance du sol, ce qui est unique et très important car, dans la plupart des cas, les terrains réservés à l'implantation des stations d'épuration sont les plus mauvais.

Il a été ainsi réalisé un ouvrage selon ce procédé, sur un terrain dont la résistance moyenne n'était que de 200 à 250 g/cm².

Par ailleurs, les petites capacités de station d'épuration, jusqu'à 350 habitants-équivalents, peuvent être réalisées en modules autoportants de polyesters armés de fibre de verre, ce qui assure une très grande rapidité d'exécution de l'ouvrage.

PERFORMANCES

Avec des eaux usées de collectivités locales ou d'industries agro-alimentaires, on observe d'une manière générale :

  • — un floc très petit, cohérent, dense qui décante rapidement, dans un liquide interstitiel clair (en aval du bassin).
  • — des indices de Mohlmann exceptionnellement faibles : de l'ordre de 25 cm³/g en eaux usées domestiques, de 40 à 80 cm³/g en rejet pur de laiterie.
  • — une absence de bulking, même en laiterie.
  • — des boues soutirées très minéralisées, donc bien stabilisées (60 % de matières minérales/40 % de matières organiques), qui sèchent facilement sur lit, même pendant la saison froide, d'où une élimination des servitudes inhérentes au poste « boues ».
  • — un effluent bien épuré (le niveau VI est atteint fréquemment sur tous les paramètres).
  • — une élimination partielle (études encore en cours) de l'azote, par combinaison de réactions successives de nitrification et de dénitrification dans lesquelles le compartiment amont semble jouer un rôle déterminant.

AÉRATEUR IMMERGÉ BRUCKER

Cet aérateur est de conception totalement originale. Il se présente sous l’aspect d'un double cône, muni à sa partie inférieure d'une hélice couplée en direct à un moteur. L’ensemble n'émerge du plan d'eau que de quelques centimètres. Le mélange d'eau et de boues activées est rejeté en pluie au-dessus du plan d'eau, un chapeau assurant la dislocation de la gerbe et fournissant l’angle d'éjection de celle-ci.

Pour assurer une bonne aération, une gerbe dispersant les gouttes en pluie de très faible hauteur est suffisante : en effet, l'interface eau/air est saturée de manière presque immédiate.

Or, à une si faible hauteur, les rendements hydrauliques des pompes sont très mauvais.

L'idée est donc la suivante : le fluide mis en mouvement par un groupe immergé constitué par un moteur et son hélice entraîne un courant secondaire.

Puisqu’à la poussée principale s’additionne un flux secondaire :

  1. 1° La pompe travaille à son rendement le meilleur.
  2. 2° La hauteur de la gerbe au-dessus du plan d'eau est très faible.
  3. 3° Le débit du fluide à aérer est le plus important que l'on puisse obtenir pour une consommation énergétique donnée (la relation W/m³ aéré est la meilleure).
[Photo : Coupe de l'aérateur BRUCKER.]
  1. 1. Tout le potentiel d'aération est porté sur les boues → donc sur les micro-organismes.
  2. 2. Pointeau → donc réglage de la dispersion de la gerbe.
  3. 3. Ballastée → donc flottaison du système au meilleur niveau et stabilité incomparable.
  4. 4. Longueur du tube → donc adaptation à la hauteur du bassin. Grande distance entre aspiration et refoulement → donc diminution du « bouclage » entraînant une meilleure aération et la reprise du fluide aéré.
  5. 5. Courant secondaire → donc augmentation du rendement.
  6. 6. Redresseur.
  7. 7. Hélice → donc meilleur rendement hydraulique.
  8. 8. Arbre ultra-court → donc fiabilité mécanique. Pas de réducteur → donc économie d'énergie.
  9. 9. Moteur immergé → donc aucun bruit mécanique.
  10. 10. Aspiration des boues dans leur maximum de concentration à partir de la zone la moins oxygénée du bassin.
  11. 11. Radier.

Il importe d'aspirer en vue de l'aérer la couche de fluide se trouvant dans la zone la plus basse possible du bassin pour plusieurs raisons :

  1. 1° En favorisant l'intensité des courants de fond, empêcher la formation de dépôts anarchiques de boues sédimentées sur le radier.

  2. 2° Aspirer ces boues en vue de leur aération, c'est porter tout le potentiel d'oxygène sur les micro-organismes dans leur maximum de concentration (l'eau est mauvaise conductrice de l'oxygène).

  3. 3° Les aérateurs de surface conventionnels présentent l'inconvénient de devoir impérativement satisfaire une « faculté de mélange », de façon à remonter les formations parasites de boues sur le radier de leurs bassins ; ceci est, d'une part, contraignant quant au dessin du couple « aérateur-bassin », et, d'autre part, consommateur d’énergie.

    Plus grave est le cas où la station est sous-alimentée en matière organique : lorsqu'il convient de « mélanger », dans le même temps, on ne peut faire autrement que d'introduire une trop grande quantité d'oxygène, créant ainsi un phénomène de nitrification inopportun puisqu'entraînant par la suite une difficulté de décantation, d'où perte de biomasse et pollution du cours récepteur. Par contre, notre aérateur, du fait de sa conception provoquant un mouvement rationnel de remaniement par aspiration des couches sédimentées, peut être asservi à la demande exacte d’oxygène sans tenir compte de la « faculté de mélange ».

    Le mouvement que nous provoquons à partir des couches les plus basses, c’est-à-dire les moins oxygénées du bassin, doit avoir une action favorable à la diminution de la DCO.

  4. 4° La gerbe d'eau diffusée dans l'air parvient, après sa retombée sur le plan d'eau, à une valeur approchant la saturation en oxygène (au moins au niveau des interfaces eau-air), et ceci quelle que soit la teneur en oxygène dissous à l’amont de la gerbe. L'intérêt, en ce qui concerne le rendement de l'aération, est donc de partir d'une valeur aussi basse que possible, le mieux étant évidemment zéro ; c’est-à-dire que pour une même dépense énergétique, on obtient ainsi le meilleur rendement d’aération.

CONCLUSION

L'installation et la mise en œuvre de l'aérateur immergé BRUCKER sont simplifiées, par rapport aux systèmes traditionnels, pour de nombreuses raisons :

  • — Aucun travail de génie civil à réaliser pour supporter l'aérateur ;
  • — Étant donné la forme compacte de l’aérateur, son transport et sa manipulation sont aisés pour l'amener à proximité de la paroi du bassin ;
  • — L'aérateur peut être renversé ou roulé sans inconvénient ;
  • — L'aérateur peut supporter sans inconvénient les variations de niveau du plan d'eau ;
  • — Dans certains cas, l’importance du lestage, donc l’immersion, peut être rendue variable « à la demande » ;
  • — Le centre de gravité est très bas, le centre de poussée est haut ; l'effet de « toupie » est d’autant diminué ;
  • — L'aérateur peut être rendu mobile dans un bassin ou une lagune par fixation des élingues sur un pivot central et par occultation d'une partie segmentaire du diffuseur (la réaction ainsi produite propulse l'aérateur en lui imprimant une trajectoire circulaire) ;
[Photo : Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime) : 2 000 habitants. Vue vers l’aval, au premier plan, l’aérateur.]
[Photo : Vue vers l’amont. On distingue très nettement le translateur séparant deux zones : — une zone agitée en son amont ; — une zone calme en son aval.]
[Photo: Bourdonné SIVOM de Gambais (Yvelines) : 2 000 habitants. Vue aval du translittérateur en fin de montage.]
[Photo: Moment émouvant : le prototype de l'aérateur BRUCKER à l’instant de sa première mise à l'eau.]
  • — Puisque la longueur de la tuyère de cet aérateur peut être réalisée « à la demande », la distance existant entre le radier et le plan d'eau est indifférente ; le constructeur de la station peut réaliser l'enceinte d’activation qui lui coûte le moins cher ; le génie civil n'est plus tributaire des caractéristiques de l'aérateur de surface.
  • — Si les produits d’addition (qu'ils soient liquides, solides ou gazeux) sont corrosifs ou érosifs, ils peuvent néanmoins être mélangés dans le fluide principal en réalisant leur introduction dans le courant secondaire de façon à éviter tout contact avec les parties mécaniques.
  • — Une cloche peut couvrir hermétiquement la gerbe de façon à augmenter le barbotage (exemple introduction de chlore ou d’oxygène) : du fait que toute la partie électromécanique est immergée, les risques d’explosion sont limités.
  • — Étant donné la modulation possible de la distance et de l'« angle de tir », la gerbe de diffusion la mieux adaptée aux circonstances est réalisable. Il est à noter que l'on peut espérer, pour des raisons hydrauliques inhérentes au système, que les boues les plus denses seront les mieux aérées puisqu’ayant la trajectoire la plus longue.
  • — Pas de réducteur (l'hélice est attaquée directement par le moteur).
  • — Arbre de transmission ultra-court.
  • — Moteur IP 68 et paliers protégés puisque situés dans la même chambre remplie d'huile ; ces deux paliers renforcés maintiennent l'arbre de transmission.
  • — Garniture d’étanchéité mécanique à face de friction en carbure de tungstène.
  • — Strictement aucun bruit mécanique (la seule nuisance sonore est celle de la gerbe tombant en cascade ; un carter périphérique formant écran peut supprimer tous bruits).
  • — Le groupe moto-pompe est protégé des écarts thermiques.
  • — Esthétique : rien n'est visible, rien n'est souillé.

L'ensemble de ces procédés est actuellement très apprécié par les ingénieurs étrangers.

Une commercialisation très intense va s'ensuivre aussi bien en Amérique du Nord et cinq pays d’Amérique du Sud qu’en Australie et dans différents pays asiatiques dont le Japon et Taiwan, cette promotion étant assurée par un très important groupe américain.

Selon des techniques différentes et très originales d'épuration et d'humigénèse, quatre nouveaux brevets seront prochainement déposés.

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