L'usine CAPPA (Composants Alimentaires pour Panification et Production Associées) est implantée en bordure du canal de l'Escaut, sur le site de Prouvy, entre Valenciennes et Denain. Sa production de levure destinée au marché français est d’environ 22 000 t/an, ce qui correspond approximativement au tiers de la consommation métropolitaine.
L'industrie de la levure peut être classée comme des plus polluantes parmi celles qui détériorent la qualité des cours d'eau ; c'est ainsi que cette usine, dont nous examinerons le cas, développe à elle seule une pollution de 250 000 équivalents-habitants, dont 80 %, fort heureusement, et comme nous le verrons ci-dessous, peut maintenant être traitée par évaporation en donnant des produits servant à l'alimentation du bétail. Les 20 % restants étaient jusqu’à présent rejetés à l'égout et de là dans le canal de l'Escaut. Ces résidus vont désormais, grâce à une aide importante de l'Agence de l'Eau Artois-Picardie, être traités par voie biologique : c'est l'objet du présent article.
La politique antipollution
La levure est produite à partir de mélasse de betterave. Il en résulte une pollution résiduelle brute d’environ 200 kg de DCO par tonne de mélasse traitée.
Avant le 1ᵉʳ janvier 1977, tous ces déchets étaient rejetés dans l'Escaut.
Un contrat de branche passé en 1975 avec l'Agence de l'Eau a défini :
- — les limites maximales de pollution,
- — deux dates de mise en application des traitements à réaliser avec les objectifs ci-après :
MES | DBO | DCO | Date | |
---|---|---|---|---|
----- | ----- | ----- | ------ | |
Phase A | 4,5 | 30 | 45 | 1ᵉʳ janvier 1977 |
Phase B | 3,5 | 10 | 15 | 1ᵉʳ janvier 1984 |
Une troisième phase de nitrification-dénitrification est programmée pour 1986.
Les objectifs de la phase A ont été atteints grâce à la mise en service d'un dispositif d'évaporation des effluents concentrés provenant du premier séparateur qui extrait les levures à partir du moût de fermentation.
L'opération d'évaporation produit :
- — de la vinasse à 70 % MS,
- — des extraits potassiques,
- — des distillats (encore polluants).
La phase A élimine ainsi 80 % de la pollution, le traitement du reste (phase B) s'effectuant par la méthode des lits fluidisés.
La figure 1 schématise l'ensemble des productions de l'usine et du dispositif de traitement de ses eaux résiduaires.
Les lits fluidisés
Les réacteurs conventionnels à lit de boue présentent de nombreux inconvénients :
- — pour réaliser une rétention effective de la biomasse par sédimentation des boues floconneuses, la vitesse linéaire du liquide dans le décanteur ne doit pas dépasser 0,5 m par heure. On doit donc construire de grands décanteurs qui occupent beaucoup de place et qui posent des problèmes techniques difficiles à résoudre à cause des mauvaises odeurs et de la nécessité de rester en phase anaérobie ;
- — la concentration de biomasse que l'on peut atteindre dans un réacteur avec décantation est limitée à 5 ou 10 g/MS par litre ;
- — les eaux résiduaires chargées de matières organiques en suspension donnent lieu à des accumulations dans le réacteur ; la biomasse active représente alors seulement une petite fraction de la matière sèche totale du fermenteur.
Ces inconvénients s’additionnent pour augmenter le temps de séjour qui devient alors relativement grand. On peut les éliminer en grande partie en utilisant la technologie de biomasse fixée sur supports lourds. Ce réacteur est dénommé « lit fluidisé biologique ».
Les avantages de ce procédé sont les suivants :
- — la vitesse du liquide est élevée : 5 à 10 m/h ; les réacteurs seront donc de diamètre réduit et aussi hauts que possible ;
- — la concentration en biomasse est importante : de 30 à 40 g MS/l ;
- — la vitesse linéaire du liquide étant élevée, il n’y a pas d’accumulation de matières inertes (provenant des eaux résiduaires) dans le réacteur : pas de boue « primaire » ;
- — le temps de séjour est très court.
Comme support lourd, on utilise du sable de granulométrie comprise entre 0,1 à 0,3 mm.
La température est maintenue à 35 °C. Le pH est de 7.
La biomasse sur le sable s’agglutine avec une épaisseur de 30 à 70 microns.
Un litre de sable « cultivé » peut contenir jusqu’à 50 g de MS/l. Sa vitesse de sédimentation est de l'ordre de 50 m/h.
Les bases du système Gist-Brocades mis en application à Prouvy sont les suivantes (figure 2) :
- — le liquide circule de bas en haut dans une colonne verticale ;
- — un séparateur gaz-liquide-solide est placé en haut de la colonne ;
- — un recyclage partiel du liquide traité est réalisé pour maintenir la vitesse de fluidisation constante en cas de variation du débit d’alimentation.
Ce système fonctionne suivant le principe donné par la formule T < 1/µmax dans laquelle T est le temps de passage dans le réacteur, V son volume, G son débit avec :
T = V/G et µmax = 1/T.
En clair, le temps de séjour du liquide dans le réacteur doit être inférieur à l'inverse du taux de croissance.
Si, pour chaque type de biomasse présentant un intérêt pour le traitement de l’eau résiduaire, ce principe est confirmé, le succès est assuré.
Aussi bien à l’échelle du laboratoire (en colonnes de 2 litres et 25 litres) que du pilote (en colonnes de 300, 500 ou 3 500 litres), nous avons utilisé ce principe.
On constate que seuls les micro-organismes qui ont la possibilité de se fixer sur une surface inerte peuvent rester dans le réacteur et s’y multiplier, le substrat à dégrader étant utilisé pour leur régénération et leur croissance. Tous les autres sont entraînés avec le liquide et n’ont pas le temps de se multiplier. C’est donc une sélection naturelle.
Ce principe est applicable aux opérations :
- — d’acidification,
- — de méthanisation,
- — de dénitrification,
- — de nitrification (avec l'oxygène),
- — d’oxydation aérobie.
La majorité des expérimentations (au stade du laboratoire ou du pilote) est effectuée à Delft à partir d’eau.
de lavage de levure provenant du deuxième séparateur de l’usine.
Ces effluents ont la composition suivante :
DCO 3 000 – 5 000 mg/l COT 1 500 – 2 500 mg/l N kjeldahl 200 – 500 mg/l SO₄ 400 – 800 mg/l MES 100 – 500 mg/l
Les expériences sont en cours depuis trois ans ; une colonne de méthanisation est utilisée pour en tester les effets à long terme. Elles ont montré que la stabilité est exceptionnelle :
— pas de perte de boue active,
— pas de problèmes dus aux variations de DCO et aux surcharges.
D’autres expériences concernant les méthodes optimales de démarrage, influence de l’ensemencement, variation des paramètres de contrôle (pH — T°…) sont menées avec succès.
Caractéristiques du procédé
Il est important de noter que Gist-Brocades a aussi étudié et expérimenté le procédé des lits fluidisés avec un réacteur ascendant (up-flow à boues granuleuses). Parallèlement, une étude de l’I.N.R.A. mettant en œuvre les techniques du réacteur à lit de boue et du filtre anaérobie a été réalisée au laboratoire de Villeneuve-d’Arcy sur des effluents de la levurerie de Prouvy.
Lits fluidisés
Caractéristiques | Colonne d’acidification | Colonne de méthanisation | Réacteur ascendant Up-flow | Réacteur à lit de boue (INRA) | Filtre anaérobie (INRA) |
---|---|---|---|---|---|
Volume utile (m³) | 3,5 | 300 | 20 | 0,0265 | 0,014 |
Diamètre (m) | 0,50 | 0,25 | 2,50 | 0,18 | 0,21 |
Hauteur (m) | 18 | 6 | 4 | 1,30 | 0,50 |
Surface spécifique (m²/m³) | 3 600 | 3 600 | – | – | 2 500 |
Temps de séjour (h) | 1,2 à 2 | 1 à 3 | 15-20 | 24-36 | 14 |
Volume de biogaz obtenu (m³/m³/j) | 2 à 3,5 | 20 à 35 | 1,5 à 2,5 | 1,6 | 2,9 |
Concentration de boues (kg MVES/m³) | 20 à 30 | 25 à 40 | 10 à 12 | 7,2 | 9,5 |
Charge volumique (kg DCO/m³/j) | 40 à 60 | 60 à 100 | 4 à 7 | 4,6 | 7,05 |
Vitesse superficielle (m/h) | 10 à 15 | 8 à 12 | 0,35 | – | – |
Ratio circulation/alimentation | 0,5 | 0,2 à 1 | 0,5 | – | 0,9 |
Conversion en acides gras volatils | – | > 95 % | – | > 95 % | ≥ 95 % |
Élimination (kg DCO/m³/j) | 5 à 10 | 40 à 60 | 3 à 5 | 2,9 | 5,3 |
Fig. 3. — Expérimentation du procédé des lits fluidisés. Caractéristiques et résultats comparés.
La figure 3 montre les caractéristiques les plus importantes de l’équipement utilisé et les résultats spécifiques obtenus.
En fait, les deux systèmes donnent des résultats pratiquement identiques des points de vue du rendement et de la production du biogaz, mais avec l’avantage, dans le cas du lit fluidisé, de temps de séjour très courts — 2 à 3 heures (pourcentage de DBO éliminé et acides gras). La réduction de DBO est de l'ordre de 80 %.
La figure 4 définit le processus que nous avons adopté ; c'est sur ce principe que sera exécutée la première réalisation industrielle à l'usine de Prouvy. Il comprend un traitement spécial anaérobie en deux phases séparées : acidification – méthanisation.
Troisième phase
La troisième phase des travaux, qui sera réalisée pendant la période de 1984 à 1986, devra conduire à la réduction de taux de pollution azotée (kjeldahl). À cet effet des essais sont en cours à Delft sur des colonnes à lits fluidisés.
On y applique un procédé breveté dans lequel le liquide traité en phase anaérobie passe successivement dans une colonne de dénitrification et une colonne de nitrification, avec recyclage interne (figure 5).
Ses avantages sont les suivants :
- le contrôle du pH est plus facile (il n’est même plus nécessaire après la période de démarrage),
- l'activité de la biomasse dans le réacteur de méthanisation est plus élevée que dans un système unique,
- le système en deux phases est plus stable vis-à-vis des variations de flux et de composition de l'effluent à traiter.
Cette réalisation permettra de traiter environ 50 m³/h d'eau résiduaire à faible concentration provenant de la levurerie et ce, dans deux colonnes cylindriques de 11 m de hauteur, 3 m de diamètre et d’un volume de 80 m³.
Le biogaz est recueilli en tête de colonnes à la pression de 0,5 bar, celle-ci étant réglée par une vanne (PIC) choisie en fonction du type de chaudière. On peut ainsi éliminer les surpresseurs de biogaz qui donnent toujours lieu à des problèmes techniques (corrosion – odeurs, le biogaz contenant 1 à 2 % de H₂S). Les travaux seront terminés à la fin de 1983.
Les avantages de ce procédé se sont révélés rapidement :
-
les sulfures sont oxydés par réduction des nitrates :
S⁻ + NO₃ → SO₄²⁻ + N₂ (gaz)
- le processus de nitrification (qui est relativement sensible vis-à-vis de la toxicité des sulfures) est préservé ;
- la qualité de l'eau traitée après la quatrième colonne est très bonne (contenant de l’oxygène — pas de sulfures mais des sulfates).
Les expériences ont montré que dans les deux réacteurs mentionnés plus haut, on peut travailler en présence de boues très actives, avec un temps de rétention limité à deux ou trois heures.
Il reste encore quelques problèmes à traiter dans le processus de nitrification mais il y a tout lieu de penser que nous les résoudrons sans trop de difficultés.