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Émissions d'oxyde nitreux lors du traitement de l'azote en station d'épuration Cas de l'agglomération parisienne

30 mai 2007 Paru dans le N°302 à la page 71 ( mots)
Rédigé par : Gaëlle TALLEC et Josette GARNIER

Il est désormais admis que l'oxyde nitreux (N2O), un gaz à effet de serre puissant, qui induit aussi la destruction de la couche d'ozone stratosphérique, pourrait être émis de façon significative dans l'atmosphère, pendant le traitement biologique de l'azote en station d'épuration (STEP). Cet article présente les quantités de N2O émises selon la charge en azote traitée et le traitement utilisé en STEP. Une évaluation des émissions de N2O pour l'ensemble des principales STEPs de l'agglomération parisienne, est présentée pour les traitements actuels mais aussi futurs; de nouveaux traitements étant actuellement programmés en 2006-2008 ainsi qu'en 2012-2015. Quelques recommandations sont également fournies pour que l'exploitant puisse limiter les niveaux d'émission.

La gouvernance internationale sur le climat repose sur deux traités internationaux fondamentaux : la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC), entrée en vigueur le 21 mars 1994, et le protocole de Kyoto (février 2005), appliqué par le décret n° 2005-295 du 22 mars 2005 en France. Tous les pays membres de la convention « climat » ont pour objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêcherait toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Ces pays ont l'obligation de publier des inventaires de leurs émissions de gaz à effet de serre, d'établir, de mettre en œuvre et de publier des programmes nationaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques. Le protocole de Kyoto vise la réduction des émissions des six gaz à effet de serre principalement à l’origine du réchauffement climatique (tableau 1).

L'effet de serre est un phénomène naturel lié à l'absorption des rayonnements infra-rouge (IR) de grande longueur d'onde. Ces rayonnements, naturellement renvoyés par la surface terrestre, peuvent être absorbés par des composés présents dans l'atmosphère : ce sont les gaz à effets de serre (GES). La partie de l’énergie IR qui n’est pas renvoyée vers l'espace est absorbée et transformée en chaleur (figure 1). Le potentiel de réchauffement global d’un gaz (PRG) dépend de sa capacité d’absorption et de réémission du rayonnement ainsi que de la durée de l'effet. Treize pour cent du potentiel de réchauffement global en France

Tableau 1 : Principaux gaz à effet de serre

Dioxyde de carbone (CO₂)PRG : 1Durée de vie : 200 ans
Méthane (CH₄)PRG : 22Durée de vie : 12 ans
Oxyde nitreux (N₂O)PRG : 310Durée de vie : 120 ans
Dichlorodifluorométhane (CCl₂F₂)PRG : 6 200Durée de vie : 102 ans
Chlorodifluorométhane (CHClF₂)PRG : 1 600Durée de vie : 11 ans
Tétrafluorure de carbone (CF₄)PRG : 6 500Durée de vie : 50 000 ans
Hexafluorure de soufre (SF₆)PRG : 23 900Durée de vie : 3 200 ans

La totalité des émissions de gaz à effet de serre de la France métropolitaine serait due au N₂O (C.I.T.E.P.A., 2003). Si la plupart de ces composés sont présents à l'état naturel, ce qui a permis le développement et le maintien de la vie sur Terre, leurs concentrations sont en constante augmentation depuis l’ère industrielle. La valeur pré-industrielle du N₂O était de 285 ppb (parties par billion), alors qu’elle est actuellement de 310 ppb, ce qui représente une augmentation de plus de 15 %, soit 0,3 % par an (figure 2). Pour stabiliser la concentration de N₂O au niveau actuel de 310 ppb, il faudrait une réduction des émissions anthropogéniques de plus de 50 %.

En plus de sa contribution à l'effet de serre, le N₂O, lorsqu’il est rejeté dans l’atmosphère, finit par se convertir en oxyde nitrique (NO), un gaz destructeur de la couche d’ozone (O₃). Au total, les effets polluants de l'oxyde nitreux se situent à une échelle globale, dans le temps et l'espace.

Le N₂O est produit par les bactéries impliquées dans les processus de nitrification et de dénitrification (Poth & Focht, 1985 ; Knowles, 1982). Comme le traitement de l’azote des eaux usées se fait le plus souvent par traitement biologique, des bactéries nitrifiantes et dénitrifiantes sont cultivées, en culture libre (boues activées) ou culture fixée, pour permettre l’oxydation de l’ammonium en nitrate (la nitrification) et la réduction du nitrate en diazote gazeux inerte (N₂), émis dans l'atmosphère (la dénitrification). On a toutefois montré que du N₂O, produit intermédiaire des processus microbiologiques, pourrait être produit de manière significative et émis dans l'atmosphère durant le traitement biologique de l’azote en station d’épuration (STEP).

La Seine, un des fleuves les plus anthropisés d'Europe, reçoit les rejets des eaux usées de près de quinze millions d’habitants, soit le quart de la population française, dont dix millions sont concentrés dans l'agglomération parisienne. Son bassin, devenu zone sensible par le décret 94-469 du 3 juin 1994, est soumis à la directive européenne 91/271 imposant pour 2005 la mise en place d'un traitement secondaire par les agglomérations de plus de 2 000 Équivalents-Habitants et, d'ici 2012, l’élimination de la pollution azotée et phosphorée.

Dans cette perspective, la station d'épuration Seine Aval (Achères) du SIAAP (Syndicat d’Assainissement de l’Agglomération Parisienne), qui reçoit les deux tiers des eaux usées de l'agglomération parisienne, traitera en 2007 environ 80 % des rejets azotés en nitrification et 33 % en dénitrification (70 % en 2015). Des modifications sont aussi prévues sur les autres stations d'épuration traitant le tiers restant des effluents. De plus, la construction de deux nouvelles usines, comportant un traitement de l'azote, achèvera la modernisation de l'ensemble des installations traitant les rejets de l'agglomération parisienne.

Alors que la nitrification et la dénitrification des eaux usées, y compris les émissions d'oxyde nitreux, se produisaient essentiellement dans la Seine (Garnier et al., 2006), ces processus sont de plus en plus pris en charge, de manière accélérée et contrôlée, au niveau des stations d'épuration. L'oxyde nitreux (N₂O) est un gaz à effet de serre ayant un impact important sur l'environnement et sa production, par l'intensification des traitements de l'azote des eaux domestiques usées, est indésirable.

Les émissions de N₂O en stations d'épuration lors du traitement de l'azote

Les stations d'épuration de l'agglomération parisienne présentent deux systèmes de traitement de l'azote différents : un système de traitement sur boues activées secondaires, avec une dénitrification en tête sans apport exogène de carbone organique, et un système de traitement sur cultures fixes en biofiltres immergés, avec une dénitrification en fin de parcours et un apport extérieur de carbone organique sous forme de méthanol (figure 3).

Les émissions de N₂O, en fonction des différents paramètres liés à l'exploitation de la station, aux conditions qui s'y sont rencontrées et aux facteurs influençant la production d'oxyde nitreux, ont pu être estimées pour chacun de ces traitements (figure 3). Au total, il apparaît que les taux d'émissions de N₂O, en boues activées secondaires et en cultures fixes lors du traitement tertiaire, sont comparables entre eux et se situent [...]

[Photo : Effet de serre]
[Photo : Teneur volumique de N₂O depuis l’ère pré-industrielle à nos jours]

entre 0,1 et 0,8 % de la charge en azote traitée, tant en nitrification qu'en dénitrification (Tallec et al., 2007).

Compte tenu des charges en azote traitées via la nitrification et la dénitrification et des systèmes de traitement différents utilisés dans les stations de l’agglomération parisienne, les émissions de N₂O représenteraient actuellement de l’ordre de 60-120 kg N-N₂O j⁻¹. Ces émissions vont sensiblement augmenter, en raison des nouveaux traitements de la pollution azotée mis en place – dans les années à venir, à Seine Aval (Achères), notamment. Les émissions d’oxyde nitreux ont été estimées pour l'horizon 2005-2008, à 320-480 kg N j⁻¹ et pour l’horizon 2012-2015, 370-750 kg N j⁻¹ (tableau 2).

Grâce à une démarche expérimentale, les différents processus responsables des émissions d’oxyde nitreux en stations d’épuration ont été identifiés.

Au sein des biofilms, boues activées ou cultures fixées, les communautés bactériennes hétérotrophes et autotrophes coexistent. Celles-ci sont plus ou moins actives, plus ou moins dominantes, suivant les conditions d’oxygénation ou la disponibilité du carbone, favorisant l'un ou l'autre processus.

Le processus responsable majoritairement des fortes émissions de N₂O, observées lorsque l’oxygénation est inférieure à 2 mg O₂ L⁻¹, est la nitrification-dénitrifiante, réalisée par les bactéries autotrophes nitrifiantes ; elles sont capables, lorsque l’oxygène devient limitant, d’utiliser le nitrite comme accepteur d’électrons final à la place de l’oxygène, formant ainsi de l’oxyde nitreux et de l'azote moléculaire comme produits finaux. Cette production est stimulée de façon importante par des ajouts de nitrite. Ceci conduit à penser que lors d'une mise en route de conditions anaérobies en station d’épuration, les pics de nitrite observés pourraient accroître les émissions de N₂O.

Un autre processus majeur, producteur d’oxyde nitreux, est la dénitrification hétérotrophe ; cette production peut être due, i) à des communautés ayant comme seul produit final le N₂O (Greenberg & Becker, 1977 ; Brettar & Höfle, 1993), ii) à la présence d’oxygène en faible quantité, qui inhibe l’enzyme permettant la réduction du N₂O en N₂ (Bonin et al., 2002), ou encore iii) à des apports en carbone organique limitant (Itokawa et al., 2001).

Ces émissions de N₂O ont typiquement lieu en conditions de micro-aérobie, que ce soit lors de la nitrification ou de la dénitrification en station d'épuration. En dehors de ces conditions particulières (micro-aérobie ou faibles apports en carbone organique), les émissions de N₂O sont relativement faibles. Ce bruit de fond peut être attribué à une décomposition chimique de certains intermédiaires de la nitrification et/ou à la production de communautés bactériennes dénitrifiantes particulières qui ne produisent que du N₂O comme produit final.

Comment agir pour limiter les émissions de N₂O en STEP

Il apparaît au total que plusieurs facteurs peuvent intervenir sur la production d’oxyde

[Photo : Figure 3 : Flux de N₂O émis lors de la nitrification et de la dénitrification, en station d’épuration urbaine, sur boues activées secondaires (A) et cultures fixées en traitement tertiaire (B). * Suivant l’oxygénation, les flux de NO les plus importants sont observés pour une oxygénation autour de 0,3 mg O₂ L⁻¹ ; * Suivant l’oxygénation, les flux de N₂O les plus importants sont observés pour une oxygénation autour de 1 mg O₂ L⁻¹ ; * Suivant l’oxygénation, les flux de N₂O sont corrélés à l’oxygénation (R² = 0,90) ; * Suivant les quantités de méthanol ajoutées, les flux de N₂O les plus importants sont observés autour d'un ajout de méthanol permettant 60 % de la réduction totale des nitrates.]
[Encart : Tableau 2 – Répartition des émissions estimées de N₂O dans le bassin de la Seine, actuelles et prévues aux horizons 2006-2008 et 2012-2015 (d’après Garnier et al., 2006) Flux de N₂O (kg N j⁻¹) Actuel 2006-2008 2012-2015 STEPs SIAAP 60-120 320-480 370-650 Basse Seine 90-200 Brut de fond Brut de fond Réseau hydrographique de la Seine 370-880 280-480 280-480 Bassin Amont Agricole 4 100-8 200 4 100-8 200 4 100-8 200]

nitreux. Les plus importants sont, outre les charges azotées, les concentrations en oxygène dissous et les charges en carbone organique.

L’oxygénation des bassins en boues activées secondaires (e.g., Seine Amont, Valenton, à l’Est de Paris) présente une large variabilité. Elle se situe entre 2 et 8 mg O₂ L⁻¹ durant la nitrification et entre 0 et 2 mg O₂ L⁻¹ lors de la dénitrification. Sur cultures fixées en biofiltres immergés, l’oxygénation peut également présenter une certaine variabilité due principalement au cheminement irrégulier du flux d’air injecté.

Pour ce qui concerne la charge carbonée, les ajouts de méthanol, lors de la dénitrification en traitement tertiaire, sont principalement fonction des objectifs de traitement décidés par l’exploitant de la station, des débits et du rapport DCO/N (demande chimique en oxygène/azote total) de l’eau à traiter. Dans une perspective des futurs traitements en cours de réalisation à Seine Aval (Achères, à l’Ouest de Paris) qui, à l’horizon 2006-2008, permettront le traitement de 33 % de la pollution nitratée, il pourra être choisi d’éliminer une partie du nitrate grâce à l’ajout partiel de méthanol ou de ne traiter qu’une partie du débit de l’effluent.

Afin de limiter les émissions de N₂O en STEP, il apparaît important de maintenir une bonne oxygénation lors de la nitrification (supérieure à 2 mg O₂ L⁻¹) et d’atteindre l’anoxie totale lors de la dénitrification. De même, il est préférable d’ajouter des quantités de méthanol permettant une réduction totale des nitrates. Il serait donc souhaitable de ne traiter qu’une partie du débit, en visant un rendement d’élimination de nitrate de 100 % plutôt que de chercher à traiter la totalité du débit avec un rendement épuratoire moindre et le risque d’accroître les émissions de N₂O.

Bilan global des émissions de N₂O et leur évolution

Dans la Seine, les émissions de N₂O sont estimées entre 90 et 200 kg N j⁻¹ pour la période de 1997 à 2003 dans le secteur fortement concerné par la nitrification de l’ammonium, de l’amont de Paris à l’estuaire (Garnier et al., 2006). L’ammonium est notamment issu des effluents des stations d’épuration de la région parisienne, alors marginalement traitées pour la pollution azotée.

On peut donc penser qu’une partie des émissions de N₂O de la basse Seine serait déplacée vers les stations d’épuration de l’agglomération parisienne lorsqu’elles élimineront la pollution azotée avant le rejet des effluents. Il s’agit donc de savoir si le traitement de l’azote en station sera accompagné de changements notables des émissions totales de N₂O (accroissement ou réduction).

En 2015, les stations de l’agglomération parisienne – la station Seine Aval (Achères) y compris – auront pris en charge le traitement de toute la pollution azotée rejetée auparavant en Seine. Cette pollution azotée qui était nitrifiée et en partie dénitrifiée dans le milieu récepteur au niveau de l’estuaire de la Seine surtout, sera désormais éliminée au niveau des stations d’épuration. Toutefois, les émissions en basse Seine (90-200 kg N j⁻¹), liées essentiellement aux apports de la station Seine Aval, sont plus faibles que celles estimées sur cette même station pour 2012-2015, soit 180-220 kg N j⁻¹. Cette possible augmentation des émissions de N₂O lorsque la nitrification et la dénitrification seront réalisées en station d’épuration et non plus dans le milieu naturel, pourrait en partie s’expliquer par l’intervention de communautés bactériennes différentes (Cébron et al., 2005), les contraintes environnementales (oxygénation, charge en carbone, etc.) étant par ailleurs d’autres facteurs de contrôle importants.

Toutefois, si les émissions de N₂O provenant des stations d’épuration de l’agglomération parisienne (de 60 à 750 kg N-N₂O j⁻¹) peuvent constituer une part importante des émissions de l’ensemble du système hydrographique de la Seine (de l’ordre de 20 à 100 %), elles ne représenteraient que 1 à 10 % des émissions provenant des sols agricoles (tableau 2).

Conclusions

Afin de compléter les bilans d’émissions de N₂O à l’échelle du bassin de la Seine, des études se poursuivent actuellement, notamment avec l’estimation des émissions de N₂O dans le réseau hydrographique amont et dans les bassins agricoles en fonction des pratiques (programme PIREN-Seine, http://www.sisyphe.jussieu.fr/internet/piren/). Pour contrôler les émissions gazeuses et réduire ainsi leur impact sur l’environnement, il est important d’étudier d’autres facteurs pouvant influencer ces émissions (e.g. la température, facteur important pour l’activité bactérienne, la structure des communautés bactériennes…), tant lors des traitements en STEP qu’en fonction de l’occupation des sols.

Dans le domaine de l’épuration (STEPs), une estimation des émissions de N₂O doit être poursuivie sur d’autres types de traitement intensifs et extensifs ; il s’agit des traitements par infiltration, des traitements secondaires sur culture fixée ou d’autres en développement actuellement qui utilisent la nitrification-dénitrification simultanées pouvant être une source importante de N₂O selon le couplage des processus.

Enfin, d’autres gaz nuisibles appartenant au cycle de l’azote devraient être également étudiés, tels que l’oxyde nitrique ou les NOX. Les STEPs sont par ailleurs susceptibles d’émettre lors des différentes étapes de traitements d’autres gaz à effet de serre tout aussi puissants, tels que le dioxyde de carbone et le méthane.

Références bibliographiques

  1. 1 Poth & Focht, 1985. Appl. Environ. Microbiol. 49 : 1134-1141.
  2. 2 Knowles, 1982. Microbiol. Reviews. 46 : 43 - 70.
  3. 3 Garnier et al., 2006. Biogeochemistry. 77 : 305 - 326.
  4. 4 Tallec et al., Revue des Sciences de l’Eau. 20 : 149-161.
  5. 5 Greenberg & Becker, 1977. Can. J. Microbiol. 23 : 903-907.
  6. 6 Brettar & Höfle, 1993. Mar. Ecol. Prog. Ser. 94 : 253-265.
  7. 7 Bonin et al., 2002. Water Res. 36 : 722-732.
  8. 8 Itokawa et al., 2001. Water Res. 35 : 657-664.
  9. 9 Cébron et al., 2005. Aquat. Microb. Ecol. 44 : 25-38.
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