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Embarquons pour les Hortillonnages d’Amiens

26 mai 2023 Paru dans le N°462 à la page 85 ( mots)

Alors que la 14ème édition du Festival international de jardins - Hortillonnages Amiens présente les œuvres paysagères d’architectes, paysagistes et plasticiens du 27 mai au 14 octobre, partons à la découverte de ces lopins de terres entourés d’eau, à la confluence de la Somme et de l’Avre. Des sortes de jardins flottants auxquels on n’accède qu’en barque à fond plat.

Nul ne sait vraiment quand ni comment sont apparus les hortillonnages. Une chose est sûre: ils doivent leur existence aux rapports très intimes que la ville a toujours entretenue avec les multiples bras de la Somme et de l’Avre qui se dispersent en de nombreux méandres dans un dédale de canaux et d’étangs. Dès l’époque Gallo-Romaine, Amiens se développe au cœur de l’eau. 

Au 19ème siècle, plus d’un millier d’hortillons alimentent jusqu’aux halles de Paris. Véritable ventre nourricier de la ville, les hortillonnages s’étendent à l’est au-delà même des fortifications

Les marais, qui s’étendent alors tout autour de la ville, sont peu à peu aménagés par les Romains. L’exploitation de la tourbe, combustible très prisé une fois séché, laisse souvent place à de nombreux plans d’eau parfois profonds de plusieurs mètres. A côté de ces extractions se développent des activités maraichères. C’est que le soussol argileux, recouvert d’un mélange de limons et de tourbe déposés par les divagations de la Somme, donne une terre riche et fertile permettant plusieurs récoltes par an. Des aires, sortes d’ilots entourés de canaux, sont créées en remontant les alluvions des rieux sur les parcelles relevées et drainées. Régulièrement curés et entretenus pour éviter l’envasement des canaux qui les entourent, elles sont naturellement fertilisées par l’apport de cette boue organique naturelle. Les berges sont ensuite consolidées en plans inclinés lisses ou plus verticalement à l’aide de rondins de bois et de planches maintenues par des pieux enfoncés dans les berges. Très vite, en tout cas dès le moyen-âge, les hortillonnages sont formés d’une multitude d’iles alluvionnaires entourées de fossés et de «rieux» qui s’étendent sur une surface de près de 10.000 hectares. Ils sont exploités par les «hortillons», terme utilisé pour désigner ceux qui vivent de la culture des fruits, des fleurs et des légumes. 

Les hortillonnages sont formés d’une multitude d’îles alluvionnaires appelées «aires», entourées de 65 kilomètres de fossés et canaux alimentés par les eaux de la Somme.

La vie de l’hortillon s’ordonnance autour de l’exploitation de la tourbe et surtout de la culture de radis, choux-fleurs, navets, laitues, poireaux, artichauts qu’il va vendre trois fois par semaine au grand marché d’Amiens, sur le quai de la Place Parmentier au pied de la Cathédrale. Mais il doit également entretenir sa parcelle, désherber les berges, les renforcer pour éviter qu’elles ne s’affaissent ou encore draguer les rieux pour enlever la vase et maintenir la libre circulation des eaux. L’activité maraîchère devient prépondérante. Au 19ème siècle, on compte jusqu’à un millier d’hortillons qui alimentent jusqu’aux halles de Paris. Les hortillonnages, véritable ventre nourricier de la ville s’étendent à l’est, au-delà même des fortifications.

Les productions maraîchères des hortillonnages sont réputées pour leur qualité et leur fraîcheur. La fertilité exceptionnelle des aires permet plusieurs récoltes par an.

Mais avec le 19ème siècle arrive le déclin des hortillonnages. La canalisation de la Somme et un peu plus tard la construction du chemin de fer réduisent considérablement les surfaces dédiées à la culture maraîchère. L’urbanisation progressive de l’agglomération amiénoise exerce également une pression de plus en plus forte sur les jardins d’eau. En 1930, le déclin s’accélère et les hortillonnages tendent à devenir un espace récréatif. Guinguettes, piscines et restaurants se multiplient pour faire de ce poumon vert un espace de détente et de fêtes. Peu à peu la ville enserre les hortillonnages qui deviennent directement menacés. En 1950, seule une dizaine de maraîchers exploitent encore un espace de 25 hectares. Le reste est transformé pour partie en terrains de loisirs et résidences secondaires. Des centaines d’autres hectares de terres sont progressivement laissées à l’abandon et redeviennent des habitats primitifs, des vasières, roselières ou boisements sauvages où la faune et la flore prospèrent sans entrave. 

UN MILIEU SENSIBLE AU SENS ÉCOLOGIQUE DU TERME

En 1975, alors que la construction d’une rocade menace les hortillonnages de disparition pure et simple, plus de 600 espèces de plantes et 101 espèces d’oiseaux y sont recensées dont Le Héron cendré, le mâle du Canard Colvert, La Poule d’eau, Le Grèbe huppé et La Foulque macroule figurent parmi les plus fréquentes. Une politique de protection efficace va finalement être mise en place pour préserver le cadre exceptionnel des hortillonnages. Le maraîchage regagne progressivement un peu de terrain: onze maraîchers occupent alors 26 hectares de parcelles sur les 300 que comptent encore les hortillonnages. 

Une fois la saison touristique terminée, la remise en état des barques (du contrôle par une personne agréé, à la peinture intérieure extérieure) dure environ 3 semaines par barque.

Aménagés et valorisés par l’association de Protection et de Sauvegarde des Hortillonnages, reconnue en 1991 d’utilité publique par l’Unesco, ce joyau connait en 2001 une importante inondation qui fait que par endroits, le site ressemble à un véritable lac. La remontée des nappes phréatiques et l’inondation qui en a résulté ont asphyxié les racines de nombreuses espèces non adaptées à ces conditions. Si elles étaient capables, pour la plupart, de résister à des remontées d’eau temporaires, elles n’ont pu le faire pour une crue qui a duré plus de deux mois. Au niveau de la strate herbacée, les espèces les plus fréquentes sont la cousoude, le lythrum salicaire, l’eupatoire chanvrine, le lycope, la spirée et l’iris, et, dans les zones les plus humides, les joncs, les carex (cpendula, en particulier, qui a la forme des touradons). Beaucoup d’efforts ont été nécessaires pour redonner au site son vrai visage après cette épreuve. Actuellement, 40 Ha sont cultivés par les 7 hortillons qui exploitent chacun entre 4 et 7 Ha. Ce sont des exploitations familiales qui, pour la plupart, ont été transmises de générations en générations. Les conditions du milieu permettent trois récoltes/an quand les conditions climatiques sont favorables. La terre des Hortillonnages, par sa richesse en matière organique, par sa structure légère liée à la présence de tourbe permet un enracinement rapide et donc une reprise des plantes et un développement du végétal également en un temps record. Parcontre, ce sol est extrêmement perméable et malgré la présence à proximité de grandes quantités d’eau au niveau des rieux, il y a nécessité d’arrosages fréquents. L’outil premier de l’hortillon est la barque, qui lui permet de transporter sur ses aires le «petit» matériel qu’il utilise pour travailler la terre: motoculteurs, bineuses, pulvérisateurs autoportés et microtracteurs, sans oublier les pompes permettant l’irrigation, l’arrosage. Il y a très peu de serres mais 70% des parcelles sont équipées de voiles de forçages. La production est écoulée sur le marché sur l’eau du samedi matin et sur de petits marchés locaux pour 10%. La création du festival des hortillonnages, sous l’impulsion de la maison de la culture d’Amiens, représente l’occasion de découvrir les hortillonnages sous un autre jour : celui de la création artistique au service de la sauvegarde d’un site naturel. A vous de découvrir les hortillonnages en barque pour une expérience insolite et originale.

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