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Elimination simultanée de l'azote et du phosphore par voie biologique dans le traitement des eaux usées

30 mars 1984 Paru dans le N°81 à la page 25 ( mots)
Rédigé par : Michel FLORENTZ et Marie-claude HASCOET

Afin de contrôler le phénomène d’eutrophisation des lacs et des rivières, les industriels du traitement des eaux se sont attachés, au cours des dernières années, à développer des procédés permettant de réduire l'abondance excessive des éléments nutritifs qui provoquent une croissance exagérée d’algues et de plantes aquatiques dans les eaux de surface.

Il est communément admis qu’azote et phosphore sont les principaux polluants responsables de cet état de fait. Si le problème de l'azote est en voie d’être réglé, celui du phosphore ne l’est que partiellement ; en effet, à l’heure actuelle les seuls procédés industriels d’élimination du phosphore consistent en une précipitation chimique des phosphates et leur élimination sous forme de boues. Depuis peu, une nouvelle filière de déphosphatation se met en place ; cette filière consiste en un traitement biologique et fait l'objet de nombreuses recherches. Il ressort des différentes études effectuées (1, 2, 3) que l'une des conditions primordiales pour obtenir une surconsommation biologique de phosphore est que les micro-organismes épurateurs soient soumis à un choc anaérobie.

Au cours de la période non aérée, les cellules relâchent le phosphore dans le milieu extérieur pour l’accumuler à l'intérieur de leur cytoplasme (sous forme de granules de polyphosphate) lors du passage en phase aérobie. Soumises à cette alternance de phases, les boues adaptées parviennent à piéger des quantités importantes de phosphore.

Pour notre part, après avoir effectué différentes études sur pilote de laboratoire dont le seul but était l'élimination des pollutions carbonées et phosphorées, nous avons voulu étudier la faisabilité de l’élimination simultanée du carbone, de l’azote et du phosphore dans une eau usée mixte. Nous avons utilisé pour cela un pilote semi-industriel de type piston à alternance de zones aérobies et anaérobies. Ce procédé (brevet OTV) conçu pour la nitrification-dénitrification de l’effluent est adaptable pour la déphosphatation biologique en aménageant une zone anaérobie en tête de traitement

[Photo : Schéma du procédé O.T.V. pour l’élimination de l’azote]

Ce schéma permet d’obtenir pour l’élimination de l’azote des résultats équivalant au système à deux cuves. Ainsi l'utilisation de l’oxygène des nitrates par les bactéries dénitrifiantes pour éliminer une partie de la pollution carbonée permet un gain d’énergie appréciable et allège la charge appliquée dans la zone aérobie située en aval. En plus, il présente un certain nombre d’avantages :

  • il ne nécessite pas un taux élevé de recirculation des boues, la nitrification-dénitrification se faisant progressivement dans le bassin,
  • du fait de l'alimentation étagée, la concentration moyenne des boues dans le bassin est supérieure à celle qui entre dans le décanteur. À charge massique égale, une cuve à mélange intégral nécessiterait un volume d’ouvrage plus important.

Une précédente étude de nitrification-dénitrification d’eau usée urbaine réalisée à l’échelle industrielle sur le site de Fougères (4), a

Tableau 1

Résultats de l'étude pilote semi-industriel sur le site de Fougères

Paramètres Entrée Sortie
DCO mg/l 650-750 50-60
N-NH₄⁺ mg/l 85-140 1-3
N-NO₃ mg/l 65-115 1-3
N-NO₂ mg/l 0 6-10
[Photo : Fig. 2. - Principe de fonctionnement du pilote multi-cuve.]
[Photo : Fig. 3. - Vue d’ensemble du pilote.]

donné les résultats figurant au tableau I qui montre l'efficacité du procédé pour éliminer l'azote. Par ailleurs, des mesures du phosphore ont montré la possibilité d'une déphosphatation simultanée.

DESCRIPTION DU PILOTE

Le pilote utilisé est composé d'un système de 8 cuves à écoulement gravitaire, d'une capacité biologique totale de 60 l, suivi d'un décanteur secondaire de 34 l.

L'admission de l'eau décantée primaire, prélevée sur la station d’épuration de Mantes (Yvelines), est du type à alimentation échelonnée. L'eau à traiter est introduite dans les zones non aérées par l'intermédiaire d’électrovannes commandées par minuterie. Après décantation, les boues sont recyclées dans la première zone.

Tableau II : Temps de séjour hydraulique (TSH) et de la biomasse (TSB) du système

CUVES ZONE
TEMPS DE SÉJOUR 12345678 NON AÉRÉEAÉRÉE
(heures)
A TSB0,840,480,390,390,360,360,360,351,591,95
A TSH2,521,430,860,860,710,710,710,734,104,40
B TSB1,110,730,730,630,630,630,630,632,373,35
B TSH2,801,191,191,191,191,191,191,195,166,75
C TSB1,360,770,770,640,640,640,590,592,593,41
C TSH4,282,422,421,451,451,451,211,216,948,95
D TSB0,971,361,360,750,750,750,550,552,274,77
D TSH1,872,552,551,411,411,341,061,064,348,98

Cette installation pilote permet de faire varier les paramètres suivants :

  • — débit d’alimentation,
  • — répartition du débit d’alimentation,
  • — nombre de zones aérées et non aérées,
  • — débit de recirculation.

Il est aussi possible de déterminer les conditions optimales de fonctionnement : charge à appliquer, temps de séjour dans les zones non aérées, profil hydraulique et de définir les rendements d’épuration ainsi que la qualité de l'eau traitée. Pour suivre le fonctionnement et apprécier l'efficacité du traitement, les paramètres suivants ont été mesurés selon les normes AFNOR : DCO, MES, pH, NTK, NO₃⁻, NH₄⁺, PO₄³⁻, P_total.

RESULTATS

Temps de séjour

Les quatre schémas de fonctionnement testés au cours de cette étude sont représentés sur la figure 4. Le volume de bassin non aéré est de 43 % du volume total.

[Photo : Fig. 4. - Schémas de fonctionnement du pilote.]

et les temps de séjour pour chaque configuration sont notés dans le tableau II.

Efficacité du traitement biologique

Les résultats obtenus au cours de ces essais correspondent à des fonctionnements en régime établi. Les chiffres donnés dans le tableau III sont des moyennes sur une dizaine de valeurs.

Tableau III : Bilan de fonctionnement du pilote

Configuration A
Débit (l/j) : 220 ± 25Charge appliquée (kg DCO/kg MES) : 0,44
Décantation primaire – DCO : 310 mg/l
Eau effluent – DCO : 28 mg/lRendement : 91 %
P-PO₄ : 0,058 mg/lA-PO₄ : 0,035 mg/l
N-NH₄ : 0,169 mg/lA-S-NTK : 0,165 mg/l
Teneur en MES : 32 mg/l
Configuration B
Débit (l/j) : 137 ± 07Charge appliquée (kg DCO/kg MES) : 0,31
Décantation primaire – DCO : 418 mg/l
Eau effluent – DCO : 45 mg/lRendement : 89 %
P-PO₄ : 0,033 mg/lA-PO₄ : 0,028 mg/l
N-NH₄ : 0,169 mg/lA-S-NTK : 0,145 mg/l
Teneur en MES : 45 mg/l
Configuration C
Débit (l/j) : 134 ± 20Charge appliquée (kg DCO/kg MES) : 0,44
Décantation primaire – DCO : 447 mg/l
Eau effluent – DCO : 47 mg/lRendement : 90 %
P-PO₄ : 0,011 mg/lA-PO₄ : 0,015 mg/l
N-NH₄ : 0,125 mg/lA-S-NTK : 0,125 mg/l
Teneur en MES : 33 mg/l
Configuration D
Débit (l/j) : 154 ± 28Charge appliquée (kg DCO/kg MES) : 0,39
Décantation primaire – DCO : 365 mg/l
Eau effluent – DCO : 39 mg/lRendement : 89 %
P-PO₄ : 0,018 mg/lA-PO₄ : 0,035 mg/l
N-NH₄ : 0,134 mg/lA-S-NTK : 0,122 mg/l
Teneur en MES : 27 mg/l

Quelques résultats annexes ne figurent pas au tableau : – la concentration en oxygène dissous, nulle dans les cuves anaérobies (absence de nitrates) ou anoxiques (présence de nitrates), est maintenue entre 3 et 4 mg/l dans les cuves aérées ; – le pH des effluents se situe entre 7,5 et 8.

Teneur en phosphore de la biomasse

Étant donné l’accumulation intracellulaire de phosphore par la biomasse subissant l’alternance de phases, celui-ci ne peut être éliminé du système que lors de l’extraction des boues en excès. Le tableau IV nous donne les différentes valeurs de phosphore éliminé dans les boues.

Nous constatons sur ce tableau que l’élimination du phosphore est liée essentiellement à sa teneur dans les boues et, pour une moindre part, à la production de biomasse.

DISCUSSION

Élimination de la pollution carbonée

Les valeurs notées dans le tableau III montrent que le rendement d’élimination de la pollution carbonée atteint 90 % sur l’ensemble de l’étude. La DCO est piégée de façon efficace et l’effluent atteint une qualité de rejet élevée.

Élimination de l’azote

— Période hors nitrification (configuration A)

Pendant cette période destinée seulement à tester l’élimination du phosphore, le temps de séjour était maintenu volontairement à des valeurs faibles (tableau III) pour éviter l’installation des espèces autotrophes dans le système. On observe malgré cela un rendement d’élimination de l’azote Kjeldahl de 47 % (tableau III), ce qui correspond à un rapport ANTK/ADCO de 6,3 %. Les résultats obtenus à Fougères sont similaires (ANTK/ADCO = 5,6 %). Ces chiffres sont nettement plus élevés que la valeur théorique des besoins nécessaires à la croissance et à la multiplication cellulaire. Il est généralement admis que cette valeur correspond à 2 % de la DCO éliminée. Il semblerait donc que l’azote éliminé soit la somme de l’azote utilisé pour la synthèse bactérienne et de l’azote éliminé par simple adsorption physique dans le floc.

— Période de nitrification-dénitrification (configurations B, C et D)

Lors du fonctionnement du pilote selon la configuration B, l’élimination de l’azote atteint 86 % aux dépens d’une concentration élevée en nitrates dans l’effluent, due à l’absence de zone anoxique en fin de traitement. Par contre, les configurations C et D permettent de réduire la concentration de nitrates en sortie.

Élimination du phosphore

— Influence du relargage sur l’assimilation du phosphore

Suivant la configuration utilisée, le rendement de l’élimination du phosphore varie entre 32 et 89 %.

Nous pouvons d’autre part observer que la quantité de phosphore assimilée est dépendante de la quantité relarguée dans le milieu extérieur au cours de la phase d’anaérobiose qui s’installe dans la première cuve (tableau V). Les valeurs indiquées dans ce tableau correspondent à des mesures instantanées de la concentration en phosphore ; un calcul du flux de phosphore nous montre l’absence de relargage dans les autres cuves non aérées due à la présence de nitrates.

  • - Effet des nitrates

La littérature (1, 3, 6) mentionne l’effet inhibiteur des nitrates dans le procédé de déphosphatation biologique par perturbation de la zone anaérobie. Cependant, des travaux récents (7) ont montré que cet effet peut être modulé par le flux polluant carboné ; en effet, plus celui-ci est important, plus la dénitrification est rapide et, par là-même, plus le temps de séjour de la biomasse en état d’anaérobiose stricte sera long et donc la quantité de phosphore relarguée dans le milieu extérieur élevée. Ceci explique les différences observées entre la configuration B et la configuration C.

  • - Influence du rapport NTK/DCO de l’effluent d’entrée

Le rapport azote/carbone de l’effluent à traiter est considéré par Siebritz et coll. (5) comme un paramètre important pour le choix d’un procédé destiné à éliminer le phosphore. Ces auteurs ont montré qu’il existe, pour un procédé donné, une limite supérieure du rapport NTK/DCO de l’effluent d’entrée, pour obtenir une dénitrification complète. Cet argument est une condition essentielle pour les procédés proposés par la littérature sud-africaine nécessitant une recirculation interne de la liqueur mixte chargée en nitrates. Cette limite se situe vers 0,09 mg N/mg DCO pour le procédé Bardenpho, 0,11 mg N/mg DCO pour le procédé UCT (Université de Cape Town) et 0,14 mg N/mg DCO pour le procédé UCT modifié.

Le procédé décrit dans la présente étude est conçu pour supprimer la recirculation interne de la biomasse, le stade nitrification-dénitrification se faisant progressivement dans les bassins. Ainsi, donc, le rapport NTK/DCO montre une influence moindre sur l’efficacité de l’élimination du phosphore. Cependant, il est indispensable d’apporter suffisamment de pollution carbonée en tête de traitement afin d’éliminer rapidement les nitrates recyclés dans les boues retour pour permettre l’installation d’une zone anaérobie nécessaire à la déphosphatation biologique.

Lors de nos essais, la valeur moyenne du rapport NTK/DCO était élevée (0,15 mg N/mg DCO) mais, malgré cela, le rendement d’élimination du phosphore a atteint 81 %.

CONCLUSION

En comparant les quatre configurations testées, il ressort que la configuration D donne les meilleurs résultats, avec des rendements d’élimination de 89 % sur la pollution carbonée, de 81 % sur l’azote Kjeldahl et de 81 % sur les orthophosphates.

Cette étude nous a donc permis de mettre en place un schéma original qui consiste en une répartition étagée de la liqueur mixte après contact entre les boues retour et la pollution à traiter. Ainsi, avec un tel schéma, les rendements d’élimination de l’azote Kjeldahl et des orthophosphates sont élevés malgré les rapports P-PO₄/DCO et NTK/DCO de l’effluent d’entrée très défavorables pour un traitement simultané de l’azote et du phosphore (P-PO₄/DCO = 0,038 ; NTK/DCO = 0,134). Les valeurs limites du rapport NTK/DCO, compatibles avec une déphosphatation biologique, indiquées par Siebritz (5) sont largement dépassées.

Outre sa simplicité de mise en œuvre, le principal avantage de ce procédé, qui garantit une qualité meilleure ou tout au moins identique aux procédés à trois ou cinq cuves, est de supprimer la recirculation interne de la liqueur mixte et d’utiliser au mieux l’oxygène provenant de la nitrification.

Cette étude confirme la possibilité d’éliminer simultanément azote, phosphore et matières organiques à l’aide d’une biomasse unique sans apport d’aucun additif chimique et laisse entrevoir des perspectives nouvelles dans les filières de traitement biologique des eaux usées.

BIBLIOGRAPHIE

1. Barnard (J.L.). – Biological nutrient removal without the addition of chemicals, Water Res., 1975, 9, 485-490.

2. Rensink (J.H.). – Biologische defosfatring en procesbepalende faktoren. NVA Symposium, 1981, Wageningen, Hollande.

3. Osborn (D.W.), Nicholls (M.A.). – Optimization of the activated sludge process for the biological removal of phosphorus. Prog. Wat. Techn., 1978, 10, 1-2, 261-277.

4. Gilles (P.). – Élimination simultanée de l’azote et du phosphore dans une cuve unique à alternance de zones aérobies et anaérobies. Courbevoie, O.T.V., 1982, 52 p. (Rapport interne).

5. Siebritz (T.P.), Ekama (G.A.), Marais (G.V.R.). – A parametric model for biological excess phosphorus. Water Sci. Technol., 15, n° 3/4, 1983, 127-152.

6. Davelaar (D.), Davies (T.R.), Wiechers (S.G.). – The significance of an anaerobic zone for biological removal of phosphate from wastewaters. Water SA, 1978, 4, 54-60.

7. Hascoët (M.C.), Florentz (M.). – Influence of nitrates on phosphorus removal. Water SA, 1984 (à paraître).

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