Des traces d'éléments métalliques se rencontrent dans toutes les eaux à l'état naturel (figure 1). Si ces matières sont pour une part indispensables à la vie humaine, il n'en est pas moins nécessaire, à de trop grandes concentrations, de les séparer de l'eau potable par un traitement adéquat.
Les micro ou oligo-éléments sont des substances indispensables à de nombreux organismes vivants pour permettre la synthèse de leur structure cellulaire : par exemple le bore, le cobalt, le cuivre, le manganèse, le molybdène, le nickel, le silicium, le vanadium et le zinc. Si la consommation de l'un ou de l'autre de ces éléments est une nécessité vitale, ils peuvent souvent, en revanche, présenter quelque danger à forte concentration.
À côté de ces oligo-éléments nécessaires à la vie humaine, il existe toute une série d’ions métalliques qui peuvent se mélanger à l'eau par voie géologique ou du fait de l'activité des hommes et qui, à d’assez fortes teneurs dans l'eau potable, peuvent avoir une influence nocive, tels que par exemple l'arsenic, le plomb, le cadmium, le fer, le manganèse, le mercure, le sélénium, l'argent et l'étain. C'est pourquoi le législateur a fixé des taux limites de ces matières dans l'eau potable, ce qui impose souvent des mesures spéciales permettant d’en réduire la concentration. C’est justement ce qui a lieu par le traitement de l'eau potable.
Valeurs limites et indicatives concernant les traces de substances anorganiques dans l’eau potable
Qu’il s'agisse de conditions locales particulières, d'insuffisance de connaissances appropriées ou de moyens techniques nécessaires, ou encore de divergences dans les points de vue scientifiques, le fait est que les valeurs limites ou indicatives conseillées varient souvent d'un État à l'autre. À l'appui des normes édictées par l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) et des prescriptions de la Communauté Économique Européenne (C.E.E.), on s’efforce maintenant de fixer une base internationale des normes relatives à l'eau potable.
Ces valeurs sont compilées dans le tableau 1 conformément aux prescriptions de l'O.M.S., de la C.E.E., de la Suisse, de la France, des États-Unis et de la République fédérale d’Allemagne. (O.M.S. = W.H.O.)
TABLEAU 1
Valeurs limites des oligo-éléments et d'autres ions contenus dans l'eau potable
(μg/m³) | WHO | CEE | SUISSE | FRANCE | USA | RFA |
---|---|---|---|---|---|---|
Aluminium (Al) | 50 | 500 | 200 | |||
Arsenic (As) | 50 | 50 | 50 | 50 | 40 | |
Baryum (Ba) | 100 | 1000 | ||||
Plomb (Pb) | 100 | 50 | 50 | 50 | 50 | 40 |
Cadmium (Cd) | 10 | 5 | 10 | 5 | 10 | 5 |
Chrome (Cr) | 50 | 50 | 50 | 50 | 50 | |
Fer (Fe) | 100/1000* | 300 | 100 | 100 | 50–300 | 200 |
Fluorures (F) | 600/1700* | 700–1500 | 1500 | 1500 | 1400–2400 | 1500 |
Cuivre (Cu) | 50/1500* | 50 | 1500 | 50 | 1000 | |
Manganèse (Mn) | 50/500* | 50 | 50 | 50 | 10–50 | 100 |
Nitrates (NO₃) | – | 50 | 40 | 50/100 | 45 | 50–90 |
Nitrites (NO₂) | 1 | |||||
Mercure (Hg) | 1 | 1 | 3 | 1 | 2 | 4 |
Sélénium (Se) | 10 | 10 | 10 | 10 | 8 | |
Argent (Ag) | 10 | 200 | 50 | 100 | ||
Zinc (Zn) | 5000/100–1500* | 5000 | 1000/2000 | 75000* | 2000 |
* maximum souhaité / maximum autorisé
Élimination du fer et du manganèse
Les eaux de source et des nappes phréatiques contiennent souvent du fer (II) en solution. Celui-ci est fréquemment accompagné de manganèse (II), le plus souvent en bien moindre concentration. Dans les eaux marécageuses ou dans les marais des tropiques, le fer forme des combinaisons organométalliques ou des corps complexes. Le risque d’empoisonnement par les ions de fer ou de manganèse dissous dans l’eau est très faible aussi est-ce plutôt pour des raisons techniques et d’hygiène qu’il est nécessaire de séparer ces éléments.
Aux fins d’élimination aussi complète que possible du fer et du manganèse dans la préparation de l'eau potable, ces ions sont tout d’abord oxydés, puis séparés par décantation ou filtration sous forme de dépôts de fer (III) et de manganèse (IV). L'emploi d’agents oxydants puissants, tels que par exemple l’ozone ou le permanganate de potasse, permet une oxydation rapide du fer (II) et du manganèse (II).
L'oxygène dissous dans l’eau oxyde également les ions bivalents de fer et de manganèse, encore que la transformation du manganèse (II) en manganèse (IV) au même pH se produise bien plus lentement. La rapidité d’oxydation dépend donc avant tout du pH, mais aussi de la teneur de l'eau en oxygène. C’est pour cette raison qu'on emploie aujourd’hui, pour saturer en oxygène l'eau d'une nappe souterraine, un système d’aération de haute capacité, disposé dans le puits de captage et muni d’éléments mélangeurs statiques. Contrairement à l’ancienne méthode d’aération avec répartition par bougies, ce procédé empêche le dépôt de tuf dans le puits, avec obstruction du dispositif d’aération, et assure la répartition de l’air dans des conditions techniquement et économiquement les meilleures.
[Figure : Fig. 2 – Oxydation du manganèse (II) par l’oxygène de l’air. Oxydation directe en phase homogène en présence d’ions hydroxyles. Catalyse hétérogène. Temps de réaction (mn).] [Figure : Fig. 3 – Oxydation du fer bivalent par l’oxygène de l’air en solution aqueuse. Temps de réaction (mn).]La figure 2 fait ressortir, pour différentes valeurs du pH, une modification typique de la concentration du manganèse bivalent dissous dans l’eau sous l'effet oxydant de l'oxygène, qui le transforme en manganèse (IV). En séparant de l'eau le sédiment de ce dernier par filtration, on obtient au-dessus du lit filtrant une couche d’oxyde qui agit en catalyseur sur l’oxydation du manganèse (II). Cette figure fait donc ressortir aussi bien l’effet catalysant par phénomène homogène des ions d’hydroxyde que l’accélération du processus d’oxydation grâce au dioxyde de manganèse déposé sur le lit filtrant, c’est-à-dire par effet de catalyse hétérogène. Le processus de l’oxydation du fer bivalent en solution aqueuse, opération exécutée au moyen de l'oxygène de l’air atmosphérique, est représenté par la figure 3.
La figure 4 montre le schéma du procédé de traitement réalisé dans la station du Service des Eaux de Kehl-Sud (R.F.A.). L’élimination du fer et du manganèse a lieu ici, jusqu’à une concentration résiduelle inférieure à 0,05 mg/l, par apport continu d’oxygène de l’air, complété périodiquement par addition temporaire de permanganate de potasse, puis par filtration.
Dans le traitement de l'eau pour l'aéroport de Murtala Muhammed, à Lagos (Nigeria), on procède à l’élimination du fer et du manganèse par emploi de l’aération avec élévation du pH du puits par filtration consécutive (figure 5).
Si le fer en solution dans l'eau s’y trouve en combinaison avec des
[Figure : Fig. 4 – Élimination du fer et du manganèse dans la station de traitement d'eau de Kehl-Sud (RFA). 1 Tunnel de captage du puits 2 Aération sous pression 3 Production de l'air comprimé 4 Filtres sous pression en béton 5 Réservoir de l'eau traitée 6 Station de pompage de l'eau traitée 7 Pompes de lavage 8 Soufflante pour air de nettoyage 9 Dosage du permanganate de potasse 10 Dosage du dioxyde de chlore]matières humiques, il pourra en être éliminé en même temps que ces substances organiques par filtration après floculation. La figure 6 représente, sous forme simplifiée, le schéma de la technique de traitement appliquée dans la station de préparation d'eau potable à Cayenne (Guyane française) pour l'épuration de l'eau de la rivière La Comté (figure 1). Afin d’assurer l’efficacité du processus de filtration avec floculation, cette dernière opération se fait avec un apport d’énergie de Gt = 10 000 et un pH d’environ 5,5. Le tableau 2 donne les propriétés principales de l'eau à l’état brut et après traitement. On y constate la relation, dans les valeurs données par l’analyse, entre la coloration et la teneur en fer ainsi que l’affinité à l’oxydation fortement réduite par la floculation et la filtration.
Ca(OH)₂
Ca(OCl)₂
TABLEAU 2
Préparation d'eau potable de la rivière La Comté
Analyse | Eau brute | Arrivée au filtre | Sortie du filtre | Neutralisation et chloration |
---|---|---|---|---|
pH (–) | 6,28 | 5,56 | 5,55 | 9 |
Coloration (PtCo) | 80 | |||
Turbidité | 9,5 | 0,05 | 0,05 | |
Al (g/m³) | 0,55 | 0,07 | 0,07 | |
Fe (g/m³) | 0,58 | 0,58 | 0,02 | 0,02 |
NH₄-N (g/m³) | 0,38 | 0,38 | 0,06 | 0,06 |
Consommation de | ||||
KMnO₄ (g/m³) | 3,5 | 8,9 | ||
Cl total (g/m³) | 5 | 2 |
Ca(OH)₂ Al(SO₄)₃
Élimination d’autres ions métalliques
Les paragraphes qui suivent donnent en résumé les résultats obtenus dans l’élimination des éléments divers tels qu’argent, arsenic (V), baryum, cadmium, chrome (III), chrome (VI), cuivre, mercure, sélénium (IV), nickel, plomb et zinc.
Le tableau 3 donne les valeurs limites des concentrations d’ions métalliques, telles qu’elles ont été mesurées dans les eaux brutes qui ont fait l'objet de cette étude.
TABLEAU 3
Concentration des ions métalliques dans l'eau brute
min. (g/m³) | max. (g/m³) | |
---|---|---|
Arsenic (V) | 0,1 | 0,4 |
Baryum | 0,4 | 4 |
Cadmium | 0,01 | 0,04 |
Chrome (III) | 0,1 | 0,2 |
Chrome (VI) | 0,1 | 0,4 |
Cuivre | 0,1 | 4 |
Mercure | 0,01 | 0,04 |
Sélénium (IV) | 0,01 | 0,06 |
Nickel | 0,1 | 4 |
Plomb | 0,1 | 4 |
Zinc | 1 | 4 |
On verra par la suite combien les traces de ces éléments diffèrent les unes des autres par leur comportement dans la préparation de l'eau potable. Les paramètres essentiels influant sur leur élimination sont le
pH de l'eau, la valence des ions métalliques, la quantité et le genre du floculant, ainsi que la concentration initiale des ions métalliques. L'élimination de ces derniers peut aussi être influencée par le degré de turbidité de l'eau, comme on a pu le constater avec les ions de mercure par floculation-sédimentation. En effet, le traitement est d'autant plus efficace que le degré de turbidité de l'eau est plus élevé.
Élimination des ions métalliques par floculation-sédimentation à un pH de 6,5 à 7,0
Par floculation-sédimentation avec un pH variant de 6,7 à 7,0 et un apport de floculant de 5 g/m² de fer (III), le résultat a été l'élimination à raison de 90 % ou plus de l'arsenic (V), du chrome (III) et du plomb, tandis que les concentrations de baryum et de chrome (VI) n'ont été que très peu modifiées (figure 7). Les autres ions métalliques mesurés ont été éliminés dans une proportion variant entre 24 et 78 %.
Élimination d'ions métalliques par floculation-sédimentation à un pH de 7,5 à 8,5
La figure 8 montre les résultats de l'élimination des ions métalliques après apport d'une quantité de 5 g/m² de fer (III). En comparaison avec la méthode d'élimination précédente, cette augmentation du pH procure une amélioration dans la séparation de l'argent, du cadmium et du mercure. En revanche, son effet est inverse, donc négatif, dans le cas du sélénium (IV). Quant au baryum et au chrome (VI), il n'est presque pas possible de les séparer à cette valeur du pH ; toutefois à cette valeur, le chrome (VI) peut être aisément éliminé grâce à l'application des propriétés chimiques réductrices du sulfate ferreux : il suffit de l'addition de 5 g/m² de fer (II) pour provoquer un degré de séparation du chrome (VI) de plus de 95 %. Dans cette opération, il ne faut élever le pH à 8,0 ou 8,5 que 5 à 10 minutes après l'adjonction du fer (II), de façon que la réduction du chrome (VI) en chrome (III) avec le sulfate ferreux ait eu le temps de se réaliser.
Élimination des ions métalliques par séparation avec floculation-sédimentation à un pH de 10,0 à 10,5
La figure 9 indique les taux d'élimination des ions métalliques par le moyen de la décarbonatation avec l'addition de 5 g/m² de fer (III) suivi de floculation-sédimentation dans un décanteur oblique.
met d’obtenir une bonne séparation de la plupart des ions métalliques, y compris le baryum ; c'est sur le chrome (VI) et le sélénium (IV) que le procédé s’est révélé le moins efficace.
La figure 10 montre une installation de séparation avec floculation préliminaire et décanteur lamellaire pour le traitement d'eau de rivière à Ispahan, en Iran. Dans les installations de ce genre, le floculateur préliminaire contient jusqu’à 12 kg/m³ de flocons de fer ainsi que d'autres matières en suspension apportées par recirculation, tandis que l'eau traitée après les lamelles est tout à fait claire.
Élimination de quelques ions métalliques par floculation et filtration.
Toutes les mesures mentionnées jusqu'ici ont été effectuées en cours de traitement d'eau de rivière ou de nappes souterraines. D’autre part, les taux d’élimination indiqués dans ce qui suit (figure 11) ont été obtenus par la filtration d'une eau résiduaire après floculation par l'addition de polychlorure basique d'aluminium et épuration préliminaire.
C’est sur le nickel que le traitement d’élimination est le moins efficace, tandis que le taux de séparation a dépassé 70 % pour le plomb, le cadmium et le cuivre et que le degré de réduction de la concentration initiale du zinc a été quelque peu inférieur à 60 %.
Réduction de très minimes concentrations d’ions métalliques par floculation-sédimentation, puis filtration
La figure 12 représente une installation de préparation d’eau à usages industriels, servant au traitement par floculation-sédimentation, puis filtration d’eau prise dans le Rhône avant son embouchure dans le lac Léman. Le tableau 4 indique les concentrations des éléments contenus en traces dans l'eau brute et dans l'eau traitée. Les concentrations mesurées dans l'eau brute étaient moindres que les valeurs autorisées pour une eau potable. Même si les concentrations demeurèrent très faibles, il a cependant été possible d’en éliminer jusqu’à 50 % pour quelques sortes d’ions métalliques. En revanche, on n’a pu déceler aucune diminution dans les concentrations de nickel et de mercure.
TABLEAU 4 — Traitement de l'eau du Rhône
Eau brute (mg/l) / Eau traitée (mg/l) |
---|
Argent : 7 / 5 |
Cadmium : 2 / 1 |
Cuivre : 4 / 2 |
Fer : 2 / 4 |
Mercure : 0 / 0 |
Nickel : 4 / 4 |
Plomb : 3 / 3 |
Zinc : 12 / 5 |
pH : 7,6
Addition de fer (III) : 3 mg/l Fe(III)
Floculation-sédimentation à diverses valeurs du pH
La figure 13 fait ressortir l'influence inverse d'un cas à l'autre, exercée par une modification du pH de l’eau dans l’élimination du sélénium (IV) et du cadmium. Alors qu’une élévation du pH favorise la séparation du cadmium, la même mesure abaisse la capacité d’élimination du sélénium (IV).
Filtres à alumine et charbon actifs
L'alumine et le charbon actifs peuvent trouver emploi pour l’élimination de certains ions métalliques contenus dans l’eau.
L'alumine activée, une matière moins connue dans la préparation de l'eau potable que le charbon activé, se présente comme une forme poreuse de l’oxyde d’aluminium, avec une surface spécifique de 150 jusqu’à 400 m²/g. Son poids spécifique se situe autour de 3,3 g/m³. L'alumine activée, qui s’obtient dans le commerce en différents degrés de granulation, est utilisable pour l’élimination des ions de sélénium et d’arsenic, de même que pour la séparation des ions de fluor.
Dans l’élimination du sélénium et de l’arsenic, la plus forte efficacité de l'alumine activée est atteinte à une valeur pH de 5,0 à 5,5. Dans le cas du sélénium (IV), la colonne d’alumine activée est en mesure de traiter une quantité d'eau atteignant 1000 fois le volume du lit actif avant qu'il soit nécessaire de la régénérer (au moyen d'une solution de soude caustique à 0,5 jusqu’à 1,0 %). Dans cette opération, la charge spécifique est d’environ 50 à 70 mg/dm³, tandis que pour l’arsenic, la capacité d’absorption est moindre, et l'on compte, dans ce cas, une charge spécifique d’arsenic (V) de 10 à 15 mg/dm³. Pour le processus de désorption de l'arsenic, lors de la régénération de l'alumine activée, il est avantageux d’employer une solution de soude caustique plus concentrée que pour le sélénium, mais il faut tenir compte alors du risque d’appauvrissement de l’alumine activée.
Afin d'appliquer ce traitement particulier, on a proposé des installations compactes dans lesquelles l'eau, avant le processus d’adsorption, passe au préalable dans un système de sédimentation avec préfloculateur et récipient de décantation à lamelles, puis par une filtration au sable. Ce système permet d’allonger les périodes de service des filtres à adsorption, procurant ainsi une économie de temps et de solution de soude.
Les filtres à charbon actif assurent une séparation efficace du mercure anorganique aussi bien qu’organique. Il a suffi d'un temps de contact de 4 à 6 minutes dans un filtre de ce genre pour éliminer jusqu’à 200 mg de la combinaison organométallique dans un décimètre cube de charbon actif.
La figure 14 donne une représentation graphique de la capacité d’absorption d'un filtre à charbon actif lors de l’élimination du mercure aussi bien anorganique qu'organique. On y constate que la capacité de rétention du charbon actif est plus faible dans la séparation du mercure anorganique.