L’application des techniques membranaires d’ultra et de microfiltration à la potabilisation des eaux s’est développée au cours de ces dernières années. Dans ce domaine, et à l’heure actuelle, la technique n’est autorisée que pour les eaux brutes de catégorie A1 (selon la classification de la directive du Conseil des Communautés Européennes). Ces eaux correspondent en général à des eaux souterraines qui se troublent épisodiquement et qui relèvent d’un simple traitement physique (filtration rapide) et d'une désinfection. D’après les premiers résultats, la filtration sur membranes des eaux chargées en particules minérales donne des résultats satisfaisants au niveau de la turbidité.
L’utilisation de ces techniques pour d’autres types d’eaux comme les eaux riches en matières organiques va devenir rapidement d’actualité. À une époque où l’on cherche à optimiser et améliorer les filières habituelles de traitements, il est donc important de connaître les possibilités des membranes dans différents cas de figure. Les deux exemples décrits dans cet article montrent les possibilités de l’ultrafiltration seule, sur des eaux à forte teneur en carbone organique total (COT) : une eau souterraine et une eau superficielle.
Les techniques de filtration sur membrane
La taille des pores de la membrane détermine trois catégories correspondant à trois procédés différents : osmose inverse, ultrafiltration et microfiltration. Le tableau I donne les valeurs correspondantes, habituellement rencontrées dans la littérature.
Le tableau II donne pour différentes tailles de pores les domaines possibles d’application.
Les membranes sont également différenciées par divers facteurs :
- Leur nature chimique, soit minérale : composites à base de céramique (alumine) ou de carbone et d’oxydes métalliques (zirconium, titane), soit organique : polymères d’acétate de cellulose, polysulfone, polyamides, polyacrylonitrile… En général, la membrane est composée d’un support grossier macroporeux et asymétrique recouvert d’une mince pellicule microporeuse ;
- Leur perméabilité : c’est le débit d’eau ultrapure traversant 1 m² de membrane sous une pression de un bar ; elle dépend de la taille et du nombre de pores de la membrane. Ce facteur détermine la surface à utiliser.
Tableau I
Procédés | - Osmose inverse *- Ultrafiltration- Microfiltration |
---|---|
Masse molaire retenue | < 500 | 500 à 500 000 | > 500 000 |
Taille des pores | 99 Å | 2 000 – 10 000 Å | 0,1 à 10 µm |
* L’osmose inverse, citée pour mémoire, est déjà utilisée pour dessaler les eaux de mer ou saumâtres.
mettre en œuvre pour traiter au débit recherché ; - leur forme : plane, spiralée, tubulaire ou en fibres creuses (capillaires associés en gerbe). Mise en œuvre La filtration peut s’effectuer directement par passage sous pression du liquide, les particules étant retenues en surface : c’est la filtration frontale. Pour éviter une accumulation de particules et une réduction rapide du débit traversé, sans augmenter la pression, il faut faire circuler le flux à grande vitesse et parallèlement à la membrane, de façon à créer une turbulence et un balayage permanent des dépôts : c’est la filtration tangentielle. Les matières à retenir s’accumulent dans la boucle de recirculation, et il faut purger régulièrement le système pour maintenir le débit souhaité, et des concentrations raisonnables ; malgré cela, il y a colmatage et il est nécessaire de nettoyer périodiquement les membranes. Ces nettoyages peuvent être soit fréquents et rapides : nettoyages par retour d’eau ou d’air à travers les membranes, soit plus rares et plus énergiques : ce sont des lavages chimiques, qui doivent permettre de restaurer les qualités initiales de la membrane. Les lavages sont des opérations primordiales pour la micro ou ultrafiltration. Le colmatage irréversible des pores ou du support de la membrane constitue en effet le risque majeur de ces techniques, colmatage qui entraîne une baisse du débit spécifique et donc de l’efficacité de l’installation de traitement. Mise en œuvre du procédé pour le traitement de l’eau potable La potabilisation des eaux concernant d’importants volumes à traiter, il faut donc disposer de grandes surfaces développées ; de plus, les eaux brutes sont des fluides relativement peu chargés. Ces deux facteurs font que les membranes sont à l’heure actuelle utilisées sous forme de fibres creuses, ce qui permet de placer de grandes surfaces de filtration dans des volumes restreints sans crainte d’obturation des fibres par des particules de forte taille. Les fibres creuses sont associées en gerbes et constituent des modules tubulaires que l’on raccorde hydrauliquement en série et en parallèle selon les résultats recherchés. Les usines existantes de potabilisation sur membranes (une dizaine environ en France) utilisent soit la microfiltration, soit l’ultrafiltration. On associe généralement la microfiltration aux membranes minérales, qui sont plus chères et plus sensibles aux problèmes de colmatage, mais qui présentent un meilleur flux spécifique et une plus grande stabilité dans le temps. L’ultrafiltration est souvent associée aux membranes organiques, lesquelles sont moins chères, mais qui présentent en contrepartie des flux spécifiques plus faibles et une durée de vie plus courte. Le choix d’une technique par rapport à l’autre pour le traitement des eaux d’origine karstique ne peut se faire de manière fiable que par des essais sur pilotes ou en laboratoire. Ces essais permettent essentiellement de déterminer la plus ou moins grande porosité des membranes, laquelle peut entraîner des risques de colmatage importants.suivantes : aire totale de filtration : 12,5 m² ; longueur de la cartouche : 1 092 mm ; diamètre : 125 mm ; nombre de fibres creuses : 7 200.
Conditions de fonctionnement du pilote
Elles sont représentées sur la figure 1 et sont détaillées comme suit :
• débit d’alimentation du module : 605 l/h soit 48,4 m³/m² × h,
• débit de rejet de concentrat (purge de la boucle de recirculation) : 55 l/h,
• débit de recirculation : 0 à 1 000 l/h (débit de perméat = débit d’alimentation — débit de rejet de concentrat),
• nettoyage à contre-courant (par retour d’eau) toutes les quatre heures (pas de nettoyage chimique).
Tableau II
Taille des pores (Å) — | Domaine d’application |
---|---|
1,5 — | ions et atomes |
2,5 — | molécules organiques simples |
15 — | hormones, vitamines, molécules organiques complexes |
80 — | macromolécules synthétiques et naturelles, virus communs sphériques |
2 000 — | virus organisés en sous-unités |
5 000 — | suspensions et émulsions |
10 000 (1 micron) — | Escherichia coli, bactéries bacilles et organismes unicellulaires |
Qualité de l’eau traitée
Les résultats obtenus sur l’oxydabilité sont plutôt décevants, comme le montre la figure 2.
Le tableau III donne les résultats obtenus sur les autres paramètres. La filtration sur membrane n’agit pas sur les éléments en solution (NO₃⁻, Mn²⁺…), ni sur l’équilibre calco-carbonique. L’action limitée sur la matière organique permet cependant d’obtenir une diminution significative du potentiel de THM et du goût, après chloration au taux habituel sur la station.
Comportement de la membrane
La pression transmembranaire (pression en amont et en aval de la membrane) a très peu augmenté durant les essais (0,3 bar après 50 h, alors que la membrane peut supporter 2,5 bars), ce qui est caractéristique d’une faible rétention de la membrane et doit être associé aux faibles rendements obtenus.
En conclusion, l’ultrafiltration sur membrane à faible porosité n’a pas permis d’améliorer de manière significative la qualité de l’eau du forage de Barneville-Carteret. On constate, cependant, une faible diminution du potentiel de formation de THM et des goûts après chloration.
Essais effectués à l’usine de Guermondrie sur la Sienne (50)
L’usine de Guermondrie traite les eaux de la Sienne, située à 5 km en aval de la retenue du Gast, laquelle sert à régulariser son débit d’étiage. La filière de traitement comporte les options suivantes :
• préozonation,
• coagulation-floculation au sulfate d’alumine avec injection de lait de chaux,
• décantation,
• filtration sur sable à 5 m/h,
• post-ozonation,
• reminéralisation (CO₂ + chaux),
• désinfection au Cl₂ gazeux.
Les performances de la filtration sur membrane ont été comparées à celles de la filière existante. À cet effet deux modules d’ultrafiltration Romicon ont été essayés :
• le module PM 10 (déjà testé à Barneville-Carteret),
• le module PM 50 (seuil de coupure pour les substances de poids moléculaire supérieures à 50 000).
Conditions de fonctionnement du pilote
Elles sont représentées sur la figure 1 :
• débit d’alimentation en eau brute : PM 10 : 300 l/h — PM 50 : 500 l/h,
• débit de recirculation : 2 000 l/h,
• débit de rejet du concentrat (purge de la boucle de recirculation) : PM 10 : 25 l/h — PM 50 : 50 l/h,
• nettoyage à contre-courant par retour d’eau toutes les deux heures (pas de nettoyage chimique).
Qualité de l’eau ultrafiltrée
Les essais effectués montrent un abattement appréciable (environ 50 %) de la matière oxydable au KMnO₄ (figure 3, obtenu avec la PM 10) ; l’oxydabilité résiduelle au KMnO₄ est cependant encore importante (3 à 4 mg/l d’O₂).
Tableau III
Paramètres — | Eau brute — | Eau traitée |
---|---|---|
Turbidité (NTU) — | 0,68 — | 0,47 |
Équilibre calco-carbonique — | eau à l’équilibre — | pas de changement |
Fer, NO₃⁻, NH₄⁺ — | 0 — | 0 |
Mn²⁺ (mg/l) — | 0,05 — | 0,05 |
NO₃⁻ (mg/l) — | 20 — | 20 |
Oxydabilité H⁺ (mgO₂/l) — | 2,67 — | 2,36 (12 %) |
Précurseurs THM | ||
CHCl₃ (µg/l) — | 162 — | 63 (61 %) |
CHBrCl₂ (µg/l) — | 87 — | 75 (14 %) |
CHBr₂Cl (µg/l) — | 116 — | 66 (43 %) |
Goût après chloration — | marqué — | moindre |
Tableau IV
Ultrafiltration des eaux de la Sienne
Paramètres — | Eau brute — | Eau ultrafiltrée sur membrane PM 10 — | Eau ultrafiltrée sur membrane PM 50 |
---|---|---|---|
Équilibre calco-carbonique — | inchangé — | inchangé | |
Fer (mg/l) — | 1,0 — | 0,02 — | 0,02 |
NH₄ (mg/l) — | 0,33 — | 0,18 — | 0,12 |
Couleur (mg/l Pt/Co) — | 90 — | 10 — | 10 |
Turbidité (NTU) — | 40 — | < 0,3 — | < 0,3 |
Oxydabilité (mgO₂/l) — | 3,9 — | 3,6 — | |
COT (mgO₂/l) — | 5,58 — | 3,45 — | |
Précurseurs (THM*) | |||
CHCl₃ (µg/l) — | 195 — | 175 — | 160 |
CHBrCl₂ (µg/l) — | 129 — | 23 — | |
CHBr₂Cl (µg/l) — | 26 — | 33 — | 35 |
* Une seule détermination.
Le tableau IV reprend les résultats obtenus sur les autres paramètres ; on y voit notamment que les deux types de membranes donnent des résultats très proches. L’abattement est très bon sur la turbidité et le fer. Celui-ci est complexé avec des molécules organiques de forte taille. La chute de couleur est importante, mais il reste une teinte résiduelle notable (10 mg/l Pt-Co).
L’ammoniaque est en partie éliminée (50 %). Les précurseurs de THM ne sont pratiquement pas touchés par l’ultrafiltration, quelle que soit la taille de la membrane.
Comportement des membranes
Les variations des conditions d’utilisation des membranes (débit d’alimentation, de recirculation, fréquence de rétrolavage) n’ont pas permis d’améliorer sensiblement la qualité de l’eau ultrafiltrée. La pression transmembranaire a peu augmenté au cours des essais (pression maximum 0,6 bar).
L’ultrafiltration des eaux de la Sienne permet d’obtenir une eau traitée de qualité moyenne très inférieure à celle fournie par la filière classique lorsque les réglages sont optimaux : couleur < 5 mg Pt/Co, oxydabilité 1,9 mg/l, élimination de l’ammonium.
Conclusion
À moins de descendre excessivement dans la taille de pores, et donc au détriment du flux spécifique, la filtration sur membrane, et particulièrement l’ultrafiltration, permettra difficilement à elle seule de remplacer une filière classique de traitement par coagulation-décantation-filtration sur des eaux riches en matières organiques.
Le comportement d’une eau brute vis-à-vis de la filtration sur membrane est très dépendant de la taille et de la nature des molécules qu’elle contient en solution (vraie ou sous forme colloïdale). Seuls des essais permettent de déterminer les performances à attendre de cette technique et les caractéristiques de la membrane donnant les meilleurs résultats. Ces essais peuvent être effectués sur site à l’aide de pilotes de faisabilité ou en laboratoire sur des cellules spécialisées.
Si les membranes s’intègrent dans les chaînes de potabilisation d’eaux brutes autres que celles du type A1, elles doivent obligatoirement être associées à des opérations complémentaires plus ou moins poussées selon leurs performances vis-à-vis de l’eau à traiter.
À titre indicatif, ces associations peuvent être des types :
- charbon actif en poudre + filtration sur membrane,
- filtration sur membrane + ozone + charbon actif en grains,
- coagulation aux sels de fer ou d’aluminium + filtration sur membrane et, le cas échéant, charbon actif en grains, précédé ou non d’une oxydation selon le type de carbone organique dissous à éliminer.
Si l’on prend l’exemple de la coagulation avant membrane, les premiers résultats obtenus sont assez encourageants, mais l’intérêt du système est limité pour des membranes à fort pouvoir de coupure où le débit spécifique est faible.
Pour utiliser valablement cette technique, il faudra donc faire un compromis entre le flux spécifique que l’on voudra le plus fort possible et les risques de colmatage irréversible qui devront être minimes.
Ce raisonnement sera d’ailleurs valable pour tous les couplages possibles entre les membranes et autres procédés.