Le manganèse est souvent présent dans les eaux souterraines, sous forme réduite divalente. On le trouve soit sous forme ionisée (Mn²? ou MnOH?), soit sous forme de complexes minéraux (silicates par exemple) et surtout organiques (acides humiques).
Lorsque l'eau est destinée à la consommation humaine, le manganèse est indésirable car son oxydation sous forme MnO₂ insoluble peut provoquer des dépôts que l’on risque de retrouver chez le consommateur (eaux « brunes », taches sur le linge) ; c’est pourquoi la législation impose une concentration maximale admissible en France de 0,05 mg/l.
Le principe de l’élimination du manganèse, comme celle du fer, repose sur son oxydation et la rétention des oxydes insolubles (MnO₂, Mn₃O₄) sur des filtres. Pour les pH habituels des eaux destinées à la consommation, et compte tenu des temps de séjour usuels dans les installations de traitement, une oxydation à l’oxygène n’est pas envisageable. L’adjonction d’oxydants forts est donc nécessaire, de sorte que l’on atteigne des potentiels suffisants (voir diagramme potentiel-pH du manganèse, figure 1).
L’oxydant le plus couramment utilisé est le permanganate et l’on écrit la réaction d’oxydation de la façon suivante :
3 Mn²⁺ + 2 MnO₄⁻ + 2 H₂O → 5 MnO₂ + 4 H⁺
Une oxydation catalytique, sur du sable enrobé de MnO₂, est également utilisée : le manganèse, adsorbé rapidement sur MnO₂, serait ensuite oxydé lentement par l’oxygène :
rapide Mn²⁺ + MnO₂ → MnO₂ Mn²⁺ lent O₂ + MnO₂ Mn²⁺ → 2 MnO₂
L’oxydation du manganèse par voie biologique est également possible et son utilisation pour le traitement des eaux souterraines a été envisagée parallèlement à l’essor important de la déferrisation biologique. Les genres bactériens aptes à oxyder le manganèse sont nombreux, et les mécanismes mis en jeu diffèrent avec les espèces : certains peuvent oxyder le manganèse par voie enzymatique, intra ou extracellulaire. D’autres, par leur croissance, modifient le pH et le Eh à leur proximité et participent ainsi indirectement à une oxydation par voie chimique.
Les conditions d’établissement de ces bactéries autorisent leur développement dans la plupart des eaux utilisables pour la consommation, après une aération adéquate et dans les limites ci-après : pH compris entre 5,5 et 8,0 — Eh > 200 mV — T° comprise entre 10 et 44 °C — (O₂) > 3-5 mg/l (Schweisfurth et al., 1978).
Le diagramme d’existence de ces bactéries en fonction des pH et Eh montre qu’il n’y aura pas compétition entre l’oxydation biologique et chimique dans les zones Eh-pH atteintes sur une eau naturelle aérée (figure 2).
Si la déferrisation biologique est actuellement bien maîtrisée, les données technologiques sur la démanganisation biologique sont moins nombreuses. Il nous a donc paru intéressant, dans le cadre d’une étude de faisabilité sur une eau contenant fer et manganèse, d’approfondir nos connaissances du procédé en ce qui concerne :
- le fonctionnement du filtre pour l'eau considérée et sa limite en capacité de rétention ;
- le comportement du système sur une eau à concentration croissante en manganèse, la gamme testée allant de 0,5 à 2,2 mg/l ;
- l’influence du pH sur les performances du système dans une gamme de 6,5 à 7,5.
Matériel et méthode utilisés
Contexte de l’étude
Le site retenu pour cette étude est la station de traitement d’eau de Châtillon-le-Duc, qui traite l’eau provenant du champ captant de Geneuille, et approvisionne en eau potable 11 communes situées au Nord-Ouest de Besançon. Le champ captant dispose de cinq puits dont deux sont abandonnés. L’eau contient du fer et du manganèse, actuellement éliminés sur la station par un traitement physico-chimique. L’étude-pilote de faisabilité d’un traitement biologique a été effectuée sur l’eau provenant du puits n° 4.
Qualité de l’eau brute
Il s’agit d’une eau moyennement minéralisée principalement bicarbonatée calcique, dont les seuls éléments indésirables sont le fer (2,5 mg/l) et le manganèse (0,7 mg/l). On note également la concentration en ammoniaque de 0,35 mg/l qui, bien qu’inférieure à la concentration maximale admissible, n’est pas négligeable. Les caractéristiques de l’eau sont regroupées dans le tableau I.
Tableau I Qualité moyenne de l’eau brute
Éléments | Valeurs |
---|---|
pH | 7,10 |
t° | 15 °C |
TAC | 15° F |
HCO₃ | 183 mg l⁻¹ |
TH | 18,1° F |
NH₄⁺ | 0,35 mg l⁻¹ |
Fe²⁺ | 2,4 mg l⁻¹ |
Mn²⁺ | 0,7 mg l⁻¹ |
Ca²⁺ | 60 mg l⁻¹ |
Protocole expérimental
Installation pilote (cliché 1)
L’unité-pilote schématisée sur la figure 3 se compose de deux colonnes de filtration et d’une colonne d’aération placées en série. Les deux filtres à sable fonctionnent sous pression, laquelle est contrôlée en permanence grâce au manomètre installé sur le premier filtre. La teneur en oxygène dissous de l’eau brute étant nulle, on utilise un compresseur à sec permettant d’oxygéner l’eau brute et l’eau déferrisée, ceci grâce à deux piquages, l’un sur la canalisation d’eau brute et l’autre sur la canalisation d’eau déferrisée au niveau de la colonne d’aération.
Les injections d’air se font après un rotamètre et une vanne de réglage de façon à totalement maîtriser le taux d’oxygène dissous. Lors du passage de l’eau brute aérée sur le premier filtre, le fer est oxydé et retenu par les ferrobactéries. L’eau déferrisée est alors oxygénée de façon à obtenir la saturation à la sortie du second filtre. L’oxydation et la rétention du manganèse ont lieu en majeure partie dans le second filtre. Une partie de l’eau traitée est stockée pour procéder aux lavages. Afin de réaliser des profils de concentration en fer et en manganèse, sur toute la hauteur de la masse filtrante, des buselures ont été installées, pour échantillonnages, tous les 20 cm.
Le lavage séquentiel de chaque filtre s’effectue par un détassage à l’air (50 N m³/m²/h) pendant 60 secondes suivi d’un rinçage à l’eau à contrecourant pendant quelques minutes.
[Figure : Fig. 2. Domaines probables d’oxydation microbienne du manganèse d’après les auteurs ci-dessous et états chimiques théoriques d’après Recoles (1984) T = 25 °C ; Mn = 0,1 mg l⁻¹ ; P = 1 atm ; carbonates = 100 mg/l.]Déroulement de l’étude
Sur une durée totale de six mois, quatre phases principales sont à considérer :
• optimisation de l’étape de déferrisation, ensemencement du filtre de démanganisation jusqu’à obtention d’une eau exempte de fer et de manganèse ;
• étude de la démanganisation : profils d’activité et capacité de rétention maximale du filtre ;
• détermination des vitesses de passage compatibles avec la démanganisation pour des concentrations croissantes en manganèse. La concentration en manganèse de l’eau déferrisée est ajustée par l’ajout de chlorure manganeux en fonction de la concentration souhaitée ;
• essais de fonctionnement à différents pH, ajustés à la valeur souhaitée par ajout de soude ou d’acide sulfurique sur l’eau déferrisée.
Les détails du suivi et les résultats obtenus pour chacune de ces phases sont présentés ci-après.
Tableau II
Performances globales du filtre pour différentes concentrations en manganèse
V moyenne (m/h) | 21 | 17,8 | 22 | 22,7 | 24,6 | 21 | 16 |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Concentrations moyennes sur le cycle (mg/l de Mn) | |||||||
Eau brute | 0,45* | 1,06 | 0,9 | 1,6 | 1,9 | 2,2 | |
Eau filtrée | < 0,03 | < 0,03 | < 0,03 | < 0,03 | < 0,03 | 0,1 | |
Activité totale du filtre (g/j de Mn retenu) | 1,05 | 2,36 | 2,47 | 4,54 | 4,92 | 4,72 | 4,40 |
* Eau brute sans ajout de Mn Cl₂.
Tableau III
Influence du pH sur la démanganisation
Vitesse (m/h) | 21 | 22 | 23,4 | 23,4 | 15 |
---|---|---|---|---|---|
pH | 7,10* | 7,50 | 7,60 | 6,6 | 6,5 |
[Mn²⁺] eau brute (mg/l) | 0,45 | 0,44 | 0,45 | 0,45 | 0,52 |
[Mn²⁺] eau filtrée (mg/l) | < 0,03 | < 0,03 | < 0,03 | 0,12 | < 0,03 |
* Eau brute sans ajout de H₂SO₄ ou NaOH.
Tableau IV
Éléments | Eau brute aérée | Eau déferrisée | Eau démanganisée |
---|---|---|---|
[Fe] mg/l | 0,8 | 0,01 | < 0,03 |
[Mn] mg/l | 1,0 | 1,0 | < 0,03 |
[O₂] mg/l | 2,6 | 4,5 | 7,6 |
pH | 7,00 | 7,3 | 7,40 |
TAC (°F) | 18,5 | 18,5 | 18,5 |
TH (°F) | 21 | 21 | 21 |
Résultats — Discussion
Démarrage
La déferrisation totale sur le premier filtre est obtenue après 48 heures de fonctionnement pour une vitesse de filtration de 25 m/heure. Des cycles de 48 heures ont finalement été adoptés, conduisant à une rétention de 2,9 kg de fer par m² de filtre.
La démanganisation apparaît progressivement entre les jours 28 et 36 (figure 4). La concentration en Mn de l'eau brute fluctue entre 0,6 et 0,7 mg/l. Une partie non négligeable du manganèse est éliminée sur le premier filtre, ce qui abaisse la concentration moyenne à l’entrée du filtre de démanganisation à 0,45 mg/l.
Fonctionnement du filtre de démanganisation
Au cours des premiers cycles, réalisés à une vitesse moyenne de 21 m/h, des profils journaliers ont été effectués. Il apparaît que :
• l’activité optimale du filtre est atteinte à partir du 5ᵉ cycle (figure 5) ;
• les profils obtenus montrent que l’activité décroît avec la profondeur dans le filtre, 80 % du manganèse étant éliminé après 0,5 à 0,7 m ; le filtre est cependant efficace sur presque toute sa hauteur (1,1 à 1,5 m).
Un cycle de 400 heures à une vitesse moyenne de 32 m/h a été effectué. Des profils journaliers de concentrations en manganèse contrôlant la répartition de l’activité montrent que durant les 15 premiers jours, le fonctionnement est stable. C’est au 17ᵉ jour que le profil d’activité indique une saturation de la couche supérieure du filtre, la démanganisation maximale étant alors assurée par une partie plus profonde, sans que la qualité de l'eau en sortie en soit affectée (figure 6).
Pour conserver l’optimum de fonctionnement du filtre, on retiendra donc un cycle maximal de 15 jours, soit une capacité de rétention de 5 kg Mn par m² de filtre par cycle (concentration moyenne en Mn à l’entrée du filtre pendant le cycle = 0,45 mg/l). La figure 6 représente l'évolution au cours du temps de l’activité de chaque partie du filtre en mg de manganèse éliminé par litre de réacteur et par heure.
Fonctionnement du réacteur pour différentes concentrations en manganèse
La concentration à l’entrée du filtre de démanganisation est ajustée par des ajouts de chlorure manganeux. Pour chacune des concentrations testées, au moins deux cycles de quatre jours sont testés. Un premier cycle à 25 m/heure, puis un second à la même vitesse si l’élimination totale du manganèse est réalisée ; si la concentration en manganèse obtenue n’est pas nulle, le second cycle est effectué à une vitesse
Plus faible. Les concentrations suivantes ont été utilisées : 0,5 — 1,0 — 1,6 — 2 mg/l de Mn. Le tableau II regroupe les performances obtenues pour chaque cycle de 96 heures.
Ces résultats montrent qu’une vitesse de 25 m/h peut être envisagée jusqu’à une concentration en manganèse de 1,6 mg/l ; cette vitesse devra être abaissée pour les concentrations plus fortes : un résultat satisfaisant est obtenu à 16 m/h pour 2,2 mg/l de manganèse. Il semble que l’activité maximale du filtre soit de l’ordre de 4,7 à 4,9 g de manganèse retenu par heure pour le filtre-pilote, soit, pour un filtre de 1,5 m de hauteur, une élimination possible de 38 g de manganèse par m² de surface filtrante et par heure.
Les profils obtenus pour les concentrations de 0,5 — 1 et 1,6 mg/l permettent d’établir la répartition de l’activité dans le filtre, en séparant celui-ci en trois parties de 0,5 m de hauteur (figure 7). L’augmentation d’apport en manganèse provoque tout d’abord une augmentation similaire de l’activité dans la première partie du filtre. Un apport au-delà de 1 mg/l entraîne une augmentation d’activité dans la seconde partie du filtre, la partie supérieure ayant atteint sa capacité maximale. Pour les concentrations les plus fortes (1,5 — 2 mg/l), la totalité du filtre est active, bien que l’activité ne soit pas maximale dans la partie la plus profonde du filtre (1 à 1,5 m) ; par mesure de sécurité et compte tenu de la cinétique (qui doit être limitée dans les dernières parties du filtre pour les concentrations à atteindre < 0,03 mg/l de Mn), il ne semble pas souhaitable de chercher à augmenter l’activité dans cette partie. Le profil d’activité obtenu pour la concentration de 1,5 mg/l doit donc être considéré comme capacité-limite du réacteur pour les conditions de fonctionnement choisies.
Influence du pH sur le fonctionnement du filtre
Pour une concentration moyenne en manganèse de 0,45 mg/l le pH de l’eau d’alimentation du filtre de démanganisation a été modifié par injection en continu d’acide sulfurique ou de soude. Les résultats obtenus sur les quatre cycles expérimentaux de 96 heures sont regroupés dans le tableau III.
Les résultats obtenus indiquent que la démanganisation biologique est affectée par une diminution du pH à 6,6. La vitesse de filtration doit alors être réduite en conséquence. Une vitesse de 15 m/h permet de conserver un fonctionnement optimal. En revanche, une augmentation de pH jusqu’à 7,6 ne modifie pas le système.
Applications industrielles
En ce qui concerne les applications industrielles, la démanganisation biologique est déjà utilisée avec succès dans des installations récentes. Citons à titre d’exemple l’usine du Pont-d’Épinet (71) (clichés 2 et 3), mise en route en juin 1990, dont les caractéristiques sont les suivantes :
Chaîne de traitement : filière ouverte :
- — un filtre de déferrisation biologique, vitesse 20 m/h,
- — un filtre de démanganisation biologique, vitesse 20 m/h,
- — débit nominal 130 m³/h.
Caractéristiques de l’eau. Elles figurent sur le tableau IV.
Conclusion
Bien que les gammes de concentration et de pH testées ne soient pas exhaustives, cette étude a permis de dégager les performances que l’on pouvait attendre d’un traitement du manganèse par voie biologique :
- — sur l’eau du forage à 0,5 mg/l de manganèse, une vitesse de filtration de 30 m/h assure l’élimination totale du manganèse, avec une capacité maximale de rétention de 5 kg de manganèse par m² de filtre ;
- — un traitement complet à une vitesse de 25 m/h est obtenu avec des concentrations allant jusqu’à 1,6 mg/l de Mn et pour un pH compris entre 7,0 et 7,6 ;
- — pour une concentration de 2 mg/l en Mn, ou un pH inférieur à 7,0, le manganèse n’est plus totalement éliminé et la vitesse de filtration doit être réduite en conséquence : une vitesse de 16 m/h convient alors.
Ce traitement apparaît avantageux par rapport aux processus classiques puisqu'il permet de filtrer à des vitesses nettement supérieures dans les gammes de concentration et de pH les plus couramment rencontrées, et supprime la nécessité d'un apport de réactif. En comparaison avec la déferrisation biologique, les performances obtenues sont toutefois moins spectaculaires ; en particulier, le temps de mise en régime du système biologique est beaucoup plus long et le temps de contact de l'eau avec les bactéries devient plus vite limitant lorsque la concentration en manganèse augmente. Cela est dû à la valeur du gain en énergie pour les bactéries, laquelle est beaucoup plus faible lors de l’oxydation du manganèse que lors de l'oxydation du fer.
D’autre part, les durées d’expérimentation choisies pour cette étude après chaque changement de concentration ou de pH (deux cycles de quatre jours) ont pu être trop faibles pour laisser place à une adaptation des bactéries ou une éventuelle modification de population.
BIBLIOGRAPHIE
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