Les auteurs, sur un site expérimental d'assainissement non collectif raccordé à une collectivité, étudient l'émission quotidienne de trois éléments figurés d'origine fécale dans l'eau brute, plaquettes protéiques, vaisseaux spiralés et fibres cellulosiques provenant du papier hygiénique. Ils proposent une valeur indicatrice d'émission par équivalent habitant (EH) de ces trois éléments figurés. Le devenir de ces trois éléments dans la fosse est étudié et discuté.
Les eaux brutes contiennent des suspensions caractéristiques de la matière fécale qui s’accumulent dans les ouvrages de collecte à long temps de séjour tels que fosses septiques, fosses toutes eaux, décanteurs-digesteurs, digesteurs brassés, boues activées sans décanteur primaire. Ces suspensions organiques sont assez peu biodégradables dans les conditions de température des pays tempérés et leurs effectifs et transformations morphologiques sont d’excellents indicateurs du fonctionnement anaérobie des boues des fosses toutes eaux et dispositifs analogues.
Ces éléments, bien que connus en coprologie, ont peu intéressé les professionnels de l’assainissement non collectif (ANC) focalisés sur des mesures chimiques ou pondérales conventionnelles, même si quelques études existent, par exemple sur des indicateurs enzymatiques (Philip et al., 1993) ou encore l’analyse des biotopes et des effluents de fosses (Védry et al., 2010). Le temps est donc venu d’examiner ces indicateurs d’activité et leur utilité en expertise ANC.
Éléments figurés des eaux brutes
Les principaux éléments figurés des eaux brutes fécales et ménagères, que nous retenons, sont :
Plaquettes protéiques
Ce sont des fragments incomplètement digérés de muscles d’origine alimentaire. Elles sont connues en coprologie sous le nom un peu long de « fibres musculaires striées ». Elles faisaient partie des indices de pollution des fleuves par les eaux d’égout aux premiers temps des préoccupations sanitaires.
Les critères de reconnaissance sont :
- - leur taille est comprise entre 10 et 60 µm ;
- - leur forme est plus ou moins rectangulaire dont les angles sont toujours arrondis ;
- - elles présentent des stries parallèles caractéristiques des fibres musculaires ;
- - elles ont de plus une couleur jaune tirant vers le marron clair qui provient de la fixation de sels biliaires.
Ces plaquettes, en principe biodégradables puisque protéiques, apparaissent en fait lentement attaquées, probablement à cause des sels biliaires inhibiteurs enzymatiques.
Leur émission par habitant est variable et dépend de l’alimentation, de l’âge des personnes, de la prise ou non de laxatifs, etc...
Fibres cellulosiques
Leur origine est le papier hygiénique. Elles se présentent sous forme de fibres de 20 à 200 µ, voire plus. Elles sont dégradées par les cellulases des boues lesquelles sont d’autant plus actives que la température est élevée, en sorte qu’en digesteur chauffé, les fibres disparaissent. En boue anaérobie non chauffée, les fibres persistent très longtemps. La décomposition de la fibre passe par des étapes d’amincissement et de fragmentation, facilement reconnaissables. Le nombre de fibres par habitant est variable ; il dépend de l’utilisation de papier hygiénique, des pratiques ethniques (douchette au lieu de papier, rejet des anaterges dans des corbeilles et non pas dans les toilettes), de l’âge des utilisateurs, de l’usage de broyeurs, etc...
Vaisseaux spiralés
Ce sont des résidus alimentaires de tissus végétaux. Ils sont composés de lignocellulose difficilement biodégradable. Ils sont très facilement reconnaissables par leur forme de ressort en spirale. Leur nombre dépend de la teneur alimentaire en végétaux fibreux, tels que carottes, asperges, épinards, salades, etc.... Ce sont les fameux ballasts alimentaires si précieux en diététique. Ils sont abondants dans l’alimentation tropicale.
Autres éléments figurés
Il existe d’autres éléments figurés que nous n’utiliserons pas dans notre étude (œufs d’Helminthes, soies d’insecte, poils de son, de blé, etc...).
Si ces éléments figurés sont variables avec les individus, la variabilité s’efface et tend vers une uniformisation dans les cas de collectivités.
Le Centre expérimental de Mèze
Le Centre expérimental Eparco de Mèze
reçoit les eaux brutes d’un lotissement de 60 EH. Ces eaux sont traitées dans différentes fosses toutes eaux suivies de filtres à zéolithe ou de filtres à sable ou autres dispositifs (S. Maunoir et al., 2011).
La présente étude a été menée sur trois fosses toutes eaux en parallèle, comportant des hauteurs de boues différentes donc de temps de service différents.
Objectif de l’étude
Évaluation du nombre de plaquettes protéiques, de fibres cellulosiques et de vaisseaux spiralés par équivalent habitant. Bilan de dégradation des éléments figurés dans une fosse.
Méthode d’étude
Nous recherchons, dans un premier temps, le nombre d’éléments figurés dans un prélèvement d’eau brute de 24 heures. Le comptage des éléments figurés se fait au microscope Zeiss Primostar à contraste de phase. Plusieurs mesures sont faites sur le même prélèvement afin d’évaluer leur dispersion. Les fibres cellulosiques sont comptées au grossissement x40, fond noir, sur une goutte de 0,05 ml, lamelle 24x32. Les plaquettes protéiques et les fibres spiralées sont comptées au grossissement x400, contraste de phase, lamelle 24x32.
Dans un deuxième temps ces éléments figurés sont recherchés dans trois fosses toutes eaux différentes. Chaque fosse fait l’objet d’un prélèvement de boue en fond de fosse, partie amont, et fond de fosse partie aval sur lesquels plusieurs comptages des éléments sont effectués.
Résultats
Variabilité des comptages des éléments figurés des boues
Des mesures de comptages d’éléments figurés dans les boues des fosses sont inévitablement variables. Le comptage sur plusieurs sous-échantillons de boue permet d’obtenir une estimation plus serrée de la valeur moyenne qui nous intéresse avec en outre une information sur la variabilité des mesures.
Nous présentons ci-dessous un exemple de comptage de plaquettes protéiques effectué sur la boue aval d’une fosse toutes eaux, la fosse F5 en l’occurrence.
Le nombre de plaquettes protéiques a été compté sur quatre lames différentes, à partir d’une goutte de 0,05 ml de boue diluée au quart (dilution nécessaire en raison de la concentration). Les résultats sont les suivants :
Valeurs des quatre comptages exprimées en nombre par millilitre (nb/ml) de boue entière :
19000 18000 13000 15000
Valeur moyenne mesurée : 16 250 plaquettes/ml Écart type des mesures : 871 Coefficient de variation : écart type/moyenne = 871/16 250 = 5,3 %
Les comptages selon le même procédé ont été opérés sur eau brute, sur boue amont et sur boue aval de trois fosses différentes. Le coefficient de variation est du même ordre de grandeur dans tous les cas.
Concentration en plaquettes protéiques, fibres cellulosiques et vaisseaux spiralés dans l’eau brute (prélèvement 24 heures)
Plaquettes protéiques : 170,0 10³/litre Fibres cellulosiques : 760,0 10³/litre Vaisseaux spiralés : 17,5 10³/litre
Émission de plaquettes protéiques, fibres cellulosiques et vaisseaux spiralés par EH
Calcul effectué en multipliant la concentration par 150 litres par jour, valeur de l’équivalent habitant (EH).
Plaquettes protéiques : 25,5 10³/EH·j Fibres cellulosiques : 114,0 10³/EH·j Vaisseaux spiralés : 2,6 10³/EH·j
Concentration moyenne en plaquettes protéiques, fibres cellulosiques et vaisseaux spiralés dans les boues de fosse (exprimée en nombres par litre de boue)
Fosse | Fibres cellulosiques 10⁶/l | Vaisseaux spiralés 10⁵/l | Plaquettes protéiques 10⁶/l |
---|---|---|---|
F2 | 9,5 | 0,90 | 7,9 |
F5 | 8,8 | 0,20 | 13,5 |
S | 6,5 | 0,15 | 6,5 |
Commentaire
En gros, les concentrations en fibres cellulosiques sont du même ordre de grandeur que celles des plaquettes protéiques (même unité logarithmique).
Les vaisseaux spiralés ont des concentrations 40 fois moins élevées que les fibres. Le rapport fibres/vaisseaux est constant.
La fosse F2 a une concentration élevée en fibres cellulosiques à relier au temps de service de la fosse : 42 jours, donc à relier aux conditions défavorables pour la digestion des fibres dans le cas particulier de cette fosse (période hivernale et ensemencement).
cement adapté négligeable).
Devenir des plaquettes protéiques dans les boues de fosse
Il existe une relation entre le nombre de plaquettes protéiques reconnaissables dans la boue et le temps de service de la fosse. Plus le temps de service est long, plus la lyse enzymatique est importante.
N° de ligne | F2 | F5 | S |
---|---|---|---|
1 nb EH* | 3,70 | 11,90 | 12,50 |
2 Nb jours service | 42,00 | 906,00 | 919,00 |
3 Plaquettes (nb/EH) | 25,5·10³ | 25,5·10³ | 25,5·10³ |
4 = 1×2×3 Apport plaquettes | 3,9·10⁵ | 274,9·10⁵ | 292,8·10⁵ |
5 Volume boue (l) | < 400 | 1 250 | 1 200 |
6 concent.** plaquettes (nb/l) | 7,9·10² | 13,5·10² | 6,5·10² |
7 = 5×6 Total plaquettes accumulées | 3,1·10⁵ | 16,8·10⁵ | 7,8·10⁵ |
8 = 7/4 Rapport % total/apport | > 80,00 | 6,10 | 2,60 |
nb EH = nombre d’habitants raccordés en permanence à la fosse. Nb jours de service = jours de fonctionnement de la fosse = temps de service de la fosse.
Commentaire
L’apport de plaquettes protéiques par l’eau brute est toujours plus important que le nombre de plaquettes comptées dans les boues de la fosse. Observation plutôt normale qui indique que les plaquettes sont biodégradées. Mais l’observation suggère que la vitesse de dégradation des plaquettes est moins grande que l’apport quotidien en plaquettes et qu’en fin de compte une accumulation dans la fosse a lieu. Le rapport % total/apport montre que les plaquettes protéiques sont inversement proportionnelles en nombre au temps de service de la fosse.
On note une transformation morphologique des fibres cellulosiques au cours du temps dans la fosse. Elles deviennent fissurées, fragilisées mais restent reconnaissables avant l’étape ultime de désorganisation totale.
Devenir des vaisseaux spiralés dans les boues de fosse
N° de ligne | F2 | F5 | S |
---|---|---|---|
1 nb EH* | 3,70 | 11,90 | 12,50 |
2 Nb jours service | 42 | 906 | 916 |
3 Vaisseaux spiralés (nb/EH) | 2,6·10³ | 2,6·10³ | 2,6·10³ |
4 = 1×2×3 Apport vaisseaux spiralés | 0,4·10⁵ | 28·10⁵ | 29,8·10⁵ |
5 Volume boue (l) | < 400 | 1 250 | 1 200 |
6 concent.** vaisseaux spiralés (nb/l) | 39,5·10² | 8,8·10² | 6,5·10² |
7 = 5×6 Total vaisseaux spiralés accumulés | 0,9·10⁵ | 0,2·10⁵ | 0,15·10⁵ |
8 = 7/4 Rapport % total/apport | 90 | 0,9 | 0,6 |
nb EH = nombre d’habitants raccordés en permanence à la fosse. Nb jours de service = jours de fonctionnement de la fosse = temps de service de la fosse.
Commentaire
L’apport en vaisseaux spiralés est toujours plus important que le nombre de vaisseaux spiralés comptés dans la boue. Plus le temps de service de la fosse est long, plus le nombre des vaisseaux reconnaissables est réduit. C’est que les vaisseaux spiralés sont éminemment biodégradables. Le rapport % total/apport montre la relation entre nombre de vaisseaux spiralés reconnaissables dans la boue et le temps de service de la fosse. Plus le temps de service est long, plus la lyse enzymatique est importante. La décomposition des vaisseaux spiralés se fait par séparation des anneaux spiralés. Le rapport fibres cellulosiques/vaisseaux spiralés relativement constant suggère que les mêmes enzymes dégradent les deux éléments figurés.
Devenir des fibres cellulosiques dans les boues de fosse
N° de ligne | F2 | F5 | S |
---|---|---|---|
1 nb EH* | 3,70 | 11,90 | 12,50 |
2 Nb jours service | 42 | 906 | 916 |
3 Fibres (nb/EH) | 114·10³ | 114·10³ | 114·10³ |
4 = 1×2×3 Apport fibres | 17,7·10⁵ | 1 229·10⁵ | 1 305·10⁵ |
5 Volume boue (l) | < 400 | 1 250 | 1 200 |
6 concent.** fibres (nb/l) | 39,5·10² | 8,8·10² | 6,5·10² |
7 = 5×6 Total fibres accumulées | 15,8·10⁵ | 11,0·10⁵ | 7,8·10⁵ |
8 = 7/4 Rapport % total/apport | 89,2 | 0,9 | 0,6 |
nb EH = nombre d’habitants raccordés en permanence à la fosse. Nb jours de service = jours de fonctionnement de la fosse = temps de service de la fosse.
Commentaire
L’apport en fibres cellulosiques est toujours plus important que le nombre de fibres comptées dans la boue. Plus le temps de service de la fosse est grand, plus le nombre des fibres est réduit. C’est que les fibres sont éminemment biodégradables. Le rapport % total/apport montre la relation entre nombre de fibres reconnaissables dans la boue et le temps de service de la fosse. Plus le temps de service est long, plus la lyse enzymatique est importante.
Ces deux courbes suggèrent que la biodégradation des plaquettes et des fibres est proportionnelle au temps de service. Les fibres sont plus facilement biodégradables que les plaquettes protéiques.
Conclusions
Les ordres de grandeur suivants ont été trouvés à partir de prélèvements d’eau brute 24 h temps sec :
Nombre de plaquettes protéiques appor-
Matières par EH et par jour : 25,5 · 10⁶
Nombre de fibres cellulosiques apportées par EH et par jour : 114,0 · 10⁶
Nombre de vaisseaux spiralés apportés par EH et par jour : 2,6 · 10⁶
Les échantillons de fibres cellulosiques, de vaisseaux spiralés et de plaquettes protéiques prélevés dans la boue de fond de fosse de trois fosses toutes eaux différentes sont analysés.
Les comptages montrent la disparition de ces éléments figurés avec le temps de service des fosses.
Ces données numériques, certes simplificatrices mais exploratrices, sont la base d’une méthode d’analyse de l’activité biologique d’une fosse.
Ces données peuvent être utilisées pour évaluer l’activité biologique d’une fosse, en particulier la lyse enzymatique des fibres cellulosiques (cellulase), des plaquettes protéiques (protéase) et des vaisseaux spiralés.
Elles peuvent être utilisées pour évaluer l’apport régulier ou clandestin de matières de vidange de fosses dans une station d’épuration urbaine à boue activée.
La présente étude, basée sur des prélèvements de boues de fond de fosse, fait ressortir le besoin de connaître avec plus de précision la distribution des éléments figurés dans une fosse.
On suspecte, en effet, l’existence d’éventuelles zones de concentration de ces suspensions liées par exemple à l’hydraulique, au bullage méthanifère ou toute autre cause.