L?électroremédiation est un procédé de traitement des sols particulièrement adapté aux sols de faibles perméabilités et aux problèmes de pollution par les métaux lourds. Son domaine d'application est néanmoins très vaste et ne cesse de se diversifier, ce qui donne à cette technique un potentiel de développement futur intéressant pour les industriels et les propriétaires de biens fonciers. Actuellement, un projet de recherche et développement est mené entre l'École des Mines d'Albi-Carmaux, le LSGC de Nancy et des industriels comme Anjou Recherche et GRS Valtech avec le soutien de l'ADEME. Ce programme vise à mieux maîtriser les techniques électrocinétiques et de développer un procédé d'électroremédiation à l'échelle industrielle permettant le traitement de sols contaminés par des métaux lourds.
La théorie des phénomènes électrocinétiques est ancienne ; elle remonte au début du XIXᵉ siècle. Les toutes premières applications des techniques électrocinétiques ont été axées sur l’assèchement des sols et des boues suite aux travaux de Casagrande sur l’électroosmose en 1949 (5). Il faut cependant attendre le début des années 1970 pour voir apparaître aux États-Unis et en Europe les premières applications de l’électrorémédiation aux sols pollués mais avec deux approches différentes : les premiers ont dirigé leurs travaux sur la récupération du polluant par le flux électroosmotique (12) tandis que les seconds se sont concentrés sur l’étude de l’électromigration.
Le développement de ces procédés électrocinétiques, l’électroosmose et l’électromigration, permet d’envisager de nombreuses applications dans le domaine du traitement des sols :
- * le traitement de produits toxiques solubles dans l’eau (ioniques ou non) ;
- * le traitement des sols peu perméables ;
- * le traitement d’autres milieux complexes comme les boues ;
- * l’amélioration d’autres techniques classiques de traitement des sols ;
- * le contrôle des sites pollués afin de prévenir la contamination des nappes phréatiques.
Parmi les principaux avantages des techni...
Avantages et Challenges de l'Électromigration
Avantages
- - Technologie propre
- - Non destruction du milieu
- - Traitement in situ
- - Déploiement rapide de la technique
- - Dépollution de zones difficiles
- - Traitement des sols à forte teneur en argile
Challenges
- - Difficultés liées au changement d'échelle
- - Technique peu usitée et peu éprouvée à l'échelle industrielle
- - Connaissance et maîtrise des règles de dimensionnement sur site
Parmi les techniques électrocinétiques (cf. figure 1), on peut citer le traitement in situ ou la non-destruction du milieu. Néanmoins, leur application reste encore majoritairement à l’échelle expérimentale par manque d’optimisation des coûts et des temps de traitement associés.
Principe de la technique
L’électroremédiation est un procédé de dépollution de sols et de boues basé sur l’utilisation d’un champ électrique. Lorsqu’on applique un champ électrique (cf. figure 2) à un milieu poreux, différents phénomènes physiques ou chimiques peuvent avoir lieu, en dehors de ceux qui sont propres au milieu :
- - phénomènes physiques : électromigration, électrophorèse et électro-osmose, qui correspondent respectivement aux mouvements (diffusifs ou convectifs selon les cas) des ions, des particules et de l’eau vers les électrodes en fonction de leur charge ;
- - phénomènes chimiques : électrolyse de l’eau, c’est-à-dire décomposition de l’eau au niveau des électrodes.
Ces réactions induisent des modifications dans le milieu et, par la suite, d’autres phénomènes physico-chimiques comme la diffusion, la précipitation chimique ou l’échange d’ions.
Les phénomènes chimiques concernent les réactions d’oxydo-réduction qui se produisent aux électrodes sous forme de semi-réactions électrochimiques : réactions d’oxydation à l’anode et de réduction à la cathode (figure 3).
L’électrode elle-même joue le rôle de donneur ou capteur d’électrons. Le plus souvent, ce sont les réactions d’électrolyse de l’eau qui sont supposées avoir lieu, mais il est possible d’observer d’autres réactions sous certaines conditions ; par exemple, lors de la récupération des métaux lourds, la semi-réaction rencontrée à la cathode est souvent la réduction des métaux, ce qui permet de les récupérer sous forme solide. Des études thermodynamiques et cinétiques permettent d’identifier les réactions qui sont engendrées en fonction de la concentration estimée des espèces pouvant réagir. Généralement, on rencontre des modifications de pH lors des réactions électrochimiques, qu’il est nécessaire de contrôler afin de garantir les meilleurs rendements de récupération des polluants dans les sols.
Les phénomènes physiques dans les milieux poreux associés au champ électrique se manifestent de différentes manières ; on peut citer la migration électrique ou électromigration, l’électro-osmose et l’électrophorèse.
- 1. L’électromigration concerne le transport diffusif d’espèces chargées en solution à travers les milieux poreux ; elle est le principal responsable de la récupération du polluant.
- 2. L’électro-osmose est un écoulement d’eau dont le précurseur est le gradient du potentiel électrique ; elle contribue à la récupération du polluant dans la mesure où celui-ci est dissous.
- 3. L’électrophorèse est le transport de particules sous l’action des forces électriques ; elle est souvent négligée lors de l’étude de l’électroremédiation.
D’autres phénomènes tels que l’échauffement du milieu par effet Joule peuvent apparaître du fait de la résistivité des milieux, paramètre qu’il est important de limiter.
Les phénomènes de transport électrocinétiques, connus et exploités dès la fin du XIXᵉ siècle pour l’assèchement des sols imperméables, sont masqués par le transport hydraulique, beaucoup plus important, dans les milieux perméables. De ce fait, l’étude de ces techniques se concentre principalement sur des applications mettant en jeu des sols à faible perméabilité. En effet, lorsque le milieu est imperméable, les mécanismes de transport électrocinétiques deviennent prépondérants : dans des conditions standards d’utilisation, on peut estimer la vitesse d’avancement d’une espèce dans un sol imperméable par électromigration et électroosmose comprise entre 0,5 et 2,5 cm/h.
Développements récents et domaines d’application
De manière générale, on peut noter que les applications de l’électroremédiation se diversifient de plus en plus. Dans un premier temps, les études ont visé à déterminer l’étendue des possibilités quant au type de polluants à traiter. Depuis, on a adapté le procédé de l’électroremédiation pour d’autres applications.
Les premières applications à l’échelle industrielle ont été menées par l’équipe de Lageman et Pool dès 1987, utilisant un système breveté d’électrolytes circulant et de puits de captage perméables aux ions (6, 7). Ils ont ainsi permis de prouver l’efficacité de la technique et ont ouvert la voie à son application sur un plus grand nombre de polluants et de sols.
Parmi les polluants jusqu’à maintenant traités par ce procédé, on compte trois grandes catégories :
* les composés organiques (benzène, toluène, trichloroéthylène,…) (4) ;
* les métaux (plomb, chrome, cuivre, zinc,…) (6) ;
* les radionucléides (9).
Aujourd’hui, l’électroremédiation se présente comme la méthode de traitement des sols la plus polyvalente en matière de types de polluants et de sols. En effet, la majorité des sols est concernée par cette technique puisque, outre les propriétés physico-chimiques de celui-ci, le facteur prédominant dans l’efficacité du traitement est la facilité de désorption du polluant. Ainsi, dans le cas de sols perméables, l’électroremédiation se place principalement comme une technique complémentaire traitant les hétérogénéités ou favorisant la désorption du polluant. Cependant, elle s’avère peu compétitive face au lavage à l’eau ou à l’extraction chimique.
Pour information, les polluants ayant fait l’objet d’un traitement à l’échelle pilote ou à l’échelle industrielle sont présentés dans les figures 4 et 5 (10).
On aura donc surtout recours aux techniques électrocinétiques comme méthode principale de traitement lorsque la perméabilité du sol à traiter sera inférieure à 10⁻⁶ m s⁻¹. Par ailleurs, les sols peu perméables constituent aujourd’hui un réel défi technologique et commercial que l’électroremédiation peut relever. C’est donc à ce titre, mais aussi pour sa capacité à traiter la pollution métallique, que réside l’intérêt de cette technique.
L’intérêt que portent certains laboratoires ou entreprises pour ce procédé a permis de l’adapter à de nouvelles applications. Nous pouvons citer, par exemple :
* les barrières électrocinétiques pour lesquelles le champ électrique est utilisé pour repousser le polluant (7) ;
* la bioremédiation afin de catalyser la vitesse de croissance des bactéries et de permettre un apport supplémentaire de nutriments par électroosmose dans le cas d’un sol peu perméable (1) ;
* le dessalement des terres arables ;
* l’électroosmose pour la déshydratation des boues (2) ;
* l’électrophorèse dans le domaine de l’analyse chimique, par exemple.
*l’électromigration comme phénomène de base de l’électroremédiation.
Description des travaux de R&D
Les sols sont des milieux complexes de par leurs compositions minéralogique et chimique et leurs propriétés physiques. De même, les pollutions qui les affectent sont de nature variée, ce qui implique qu'un certain nombre de techniques permettent de les traiter. Dans ce contexte, un programme de recherche et développement est mené actuellement au sein des Mines d'Albi-Carmaux en partenariat avec le LSGC de Nancy, des industriels comme Anjou Recherche et GRS Valtech et avec le soutien de l'ADEME. L'objet de cette étude est de développer et valider cette technique à l'échelle du pilote industriel. Ce développement sera couplé à une modélisation des phénomènes impliqués ce qui permettra de mieux prévoir les problèmes rencontrés lors des changements d'échelle notamment.
Une des étapes fondamentales de ce travail est la correcte identification des interactions entre le polluant et le sol afin d’étudier les phénomènes de transport du polluant. Après sélection du sol de travail, il a été réalisé une caractérisation fine du milieu et de la physico-chimie du système polluants-sol ainsi qu'une série d'expériences sur cellule de laboratoire.
Enfin, la mise au point d'un pilote industriel sera réalisée.
Au préalable, on s'intéressera en priorité aux sols inaptes à être traités par les techniques classiques et susceptibles de l'être par électromigration. Cette sélection s'effectue principalement d'après la composition en éléments majeurs du sol, d'autant plus que dans certaines conditions opératoires, ces composants souvent majoritaires peuvent réagir ou être limitants (8). Cette étude s'appuie sur une synthèse bibliographique et plus particulièrement sur les travaux menés par l'U.S. Environmental Protection Agency, Office of Research and Development, concernant la mobilité de quelques cations et anions dans 10 sols types (13).
Les figures 6 et 7 représentent la classification des sols en fonction de leurs caractéristiques physico-chimiques et de leur texture, qui conduisent à des mobilités ioniques différentes pour les cations et les anions respectivement :
Les sols dans lesquels les métaux ont une grande mobilité (sols perméables, avec un faible pourcentage d’argile) sont des sols pour lesquels les techniques traditionnelles seront en principe plus compétitives. Néanmoins, les sols de faible perméabilité avec une teneur en argile supérieure à 30 % sont particulièrement adaptés à l’électromigration ; ces sols ont d'ailleurs dans la plupart des cas une Capacité d'Échange Cationique et une surface spécifique forte.
Un sol issu d'un site industriel pollué par des métaux lourds a été sélectionné. Ce choix s'avère intéressant puisqu’aucune autre technique actuellement sur le marché ne permet son traitement.
Sa caractérisation a été réalisée afin de connaître les paramètres représentatifs du matériau, essentiels à la compréhension et la modélisation des phénomènes étudiés et enfin à l'optimisation du procédé.
Les caractéristiques physico-chimiques du sol étudié sont présentées dans le tableau 1. Actuellement, des expérimentations à l'échelle du laboratoire sont menées afin de définir les protocoles expérimentaux et les conditions opératoires appropriées aux polluants en présence. Ces protocoles serviront à la mise en place des essais prévus à l'échelle du pilote semi-industriel (capacité : 300 kg de terres polluées) qui est en cours de construction. Ces essais permettront de valider les modèles développés et d'approfondir la connaissance des effets de changement d'échelle pour le développement final du procédé à l'échelle industrielle.
Conclusion
Le traitement d'un sol pollué par électroremédiation doit être basé sur :
* une bonne connaissance et maîtrise des paramètres fondamentaux régissant les mouvements migratoires sous l’application d'un champ électrique. Les études réalisées en laboratoire ont montré la capacité du procédé à dépolluer des milieux dans des systèmes modèles mais le passage à l'échelle industrielle nécessite des investigations supplémentaires.
* une bonne connaissance de la nature et de
Tableau 1 : Caractérisation physico-chimiques du sol
+ Humidité résiduelle : H = 2 %
+ pH = 5,5
+ Taux de calcaire total : %CaCO₃ = 0,85 %
+ Taux de calcaire actif : %Ca = 0,66 %
+ Densité sèche : 3,41 g·cm⁻³
* Concentration des métaux
Pb = 53,5 mg·g⁻¹ de sol
As = 19,5 mg·g⁻¹ de sol
Zn = 25 mg·g⁻¹ de sol
La physico-chimie du sol, du polluant et de leurs interactions, afin d’identifier les mécanismes prépondérants favorables à la migration du polluant et les étapes limitantes associées. Ceci est nécessaire au dimensionnement efficace du procédé sur site.
Au travers de ce programme de R&D, divers essais seront entrepris aux échelles du laboratoire, du pilote semi-industriel et industriel afin de valider le modèle développé à chaque stade d’expérimentation.
Les enseignements recueillis permettront d’établir des règles de dimensionnement à l’aide de cette technologie pour toute opération de dépollution souhaitant utiliser cette approche.
Références Bibliographiques
1. Acar Y.B., Rabbi F., Ozsu E.E., Gale R.W.J., Alshawabkeh A.N., Enhance Soil Bioremediation with Electric Fields, Chemtech, April, 40-44 (1996)
2. Baticle P., Devos I., EDF, Sludge dewatering using electro-osmosis, Workshop “Extractive Processes”, Archimex HE-52/96/02, Jan. (1996)
3. Blanco S., Mécanisme de séparation des protéines par électrophorèse. Modélisation et analyse de sensibilité. Thèse de doctorat de l’Université Paul Sabatier, Toulouse (1996)
4. Bruell C.J., Segall B.A., Walsh M.T., Electro-osmotic removal of gasoline hydrocarbons and TCE from clay, Journal of Environmental Engineering, 118 (1), 68-83 (1992)
5. Casagrande L., Electro-osmosis in soils, Géotechnique, 1 (3), 159-177 (1949)
6. Lageman R., Electroreclamation: applications in the Netherlands, Environ. Sci. Technol., 27 (13), 2648-2650 (1993)
7. Lageman R., Pool W., Seffinga G., Electroreclamation: theory and practice, Chemistry & Industry, 18 September 1989, 585-590 (1989)
8. Palaprat S., Caractérisation physico-chimique des sols, EMAC, document interne (1999)
9. Pamukcu S. and Wittle J.K., Electrokinetics for removal of low-level radioactivity from soil, Fourteenth Annual U.S. Department of Energy Low-level Radioactive Waste Management Conference CONF-921137-PROC, 255-278 (1993)
10. Pollet P., de Carvalho P., Fonio J., Gress P., Hisler R., Projet d’études – École des Mines d’Albi Carmaux (1999)
11. Qualité des sols, Recueil de normes françaises, AFNOR (1994)
12. Resource guide for electrokinetics laboratory and field processes applicable to radioactive and hazardous mixed wastes in soil and groundwater, USEPA, Washington (1997)
13. Smith Lawrence A. et al., Remedial options for metals-contaminated sites, chapitre 3, Contaminant Fate and Migration, 17-34 (1995)