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Elaboration d'un modèle débit-qualité dans un système d'assainissement par temps sec

30 juillet 1997 Paru dans le N°203 à la page 32 ( mots)
Rédigé par : Nicolas ROCHE, Christian PROST, Marie-noëlle PONS et 1 autres personnes

Un modèle reliant le débit de temps sec des eaux usées urbaines arrivant à la station d'épuration à leur concentration en DCO est proposé dans cet article. Son originalité réside non seulement dans sa simplicité, mais aussi dans le fait qu'il prend en considération un paramètre souvent ignoré, le débit d'eaux claires parasites. Les résultats obtenus montrent que l'estimation de la DCO satisfaisante, préférable en tout état de cause à une ignorance complète de ce paramètre essentiel à la maîtrise du fonctionnement d'une station d'épuration.

[Photo : Bruno Weiss, Laboratoire des Sciences du Génie Chimique - CNRS - ENSIC - INPL et Groupement pour l’Évaluation de la Mesure et du Composant en Eau et Assainissement]

Ont également participé à l’élaboration de cet article :

Marie-Noëlle Pons, Laboratoire des Sciences de Génie Chimique - CNRS - ENSIC - INPL

Nicolas Roche, Laboratoire des Sciences de Génie Chimique - CNRS - ENSIC - INPL

Jean-Pierre Correrio, Laboratoire des Sciences de Génie Chimique - CNRS - ENSIC - INPL

Christian Prost, Laboratoire des Sciences du Génie Chimique - CNRS - ENSIC - INPL

Le contrôle automatisé des stations de traitement des eaux usées à boues activées est une tâche ardue, mais passionnante. En effet, les cinétiques complexes des processus biochimiques mis en jeu, les temps de séjour dans les différents ouvrages composant la station relativement longs et la grande distribution spatiale d’une telle station rendent la maîtrise de son fonctionnement, et donc son contrôle, très difficiles. On recense néanmoins dans la littérature certaines stratégies théoriques de contrôle (Ganczarczyk, 1983), mais leur application nécessite de pouvoir mesurer en ligne des variables caractéristiques du processus. Or, on ne dispose pas, justement, à l’heure actuelle, de moyens très fiables permettant de mesurer en temps réel des paramètres qualitatifs, tels que la demande chimique en oxygène (DCO) ou les matières en suspension (MES). Afin de lever cette difficulté due à une carence technologique, nous nous proposons d’identifier un modèle permettant d’estimer la qualité de l’eau à partir de la seule mesure du débit. Pour restreindre le champ d’investigation, nous nous…

[Figure 1 : légende : Relation entre la DCO mesurée sur l'eau brute et l'absorbance optique à 254 nm]

en tenant à l'évaluation d’un seul paramètre de qualité, la DCO. D'autres chercheurs ont entrepris avec un succès mitigé des démarches analogues sur les MES (Isabel et col., 1989).

Matériel et méthodes

À la station d’épuration de Nancy-Maxéville, nous avons installé une unité de mesures permettant un enregistrement automatique, en fonction du temps, du débit de la station et de l'absorbance optique de l'eau usée. L’absorbance optique est mesurée par un photomètre (Horiba OPSA-100) dans l’ultraviolet (à 254 nm) ; cette mesure peut être reliée à la DCO (Potier, 1993) : la plupart des substances oxydables des effluents urbains absorbent en effet dans l’ultraviolet. L'idée de corréler la DCO à une mesure de spectrophotométrie d’absorption dans l'ultraviolet s'impose donc. En se plaçant à 254 nm, on a surtout l’absorbance des substances organiques (Forster, 1971) ; en outre, cette longueur d’onde étant celle de l'une des radiations principales de la lampe à vapeur de mercure, elle a été fréquemment choisie, car une simple lampe et un filtre optique suffisent là où un spectrophotomètre avec réseaux était nécessaire. Comme on ne peut connaître les substances présentes dans l'eau au moment de l’analyse, il est impossible de déterminer une corrélation DCO-UV théorique. En revanche, pour un type d'eau donné, il est possible de déterminer expérimentalement l’existence de corrélation, cette dernière s’exprimant alors ainsi :

DCO = α · Absorbance UV (254 nm) + β

La figure 1 représente la corrélation que nous avons utilisée au cours de cette étude. Nous avons calculé, outre le coefficient de corrélation R, le critère de Fischer F. Ce dernier rend compte de la validité de la régression linéaire. Ainsi, si F est supérieur à 7,2 (valeur calculée en fonction du nombre de points expérimentaux), il est démontré qu'il existe une probabilité supérieure à 99 % pour que la régression linéaire ait un sens, cette probabilité augmentant avec la valeur de F.

Le schéma de fonctionnement de l'unité de mesures est donné par la figure 2. Un système de multiplexage permet de faire passer l'échantillon d’eau dans le photomètre. Chaque phase d’acquisition dure cinq minutes et est constituée de trois séquences :

  • - lavage à l'eau potable durant deux minutes
  • - arrivée de l’eau à analyser
  • - et enfin mesure qui se fait pendant les 30 dernières secondes lorsque le signal a atteint sa valeur asymptotique.

Ainsi, l'absorbance dans l’ultraviolet est mesurée chaque quart d’heure. Le système de multiplexage est commandé par un micro-ordinateur de type PC qui enregistre aussi les résultats. Parallèlement à ces mesures, le débit volumique est enregistré toutes les 5 minutes. 96 couples (débit(t), DCO(t)) sont donc relevés pour chaque journée étudiée.

[Figure 2 : légende : Schéma de fonctionnement de l’unité de mesure]

Principe du modèle proposé

À titre d’exemple, nous avons porté sur la figure 3 l’enregistrement, durant trois journées consécutives, du débit et de la DCO en entrée de la filière urbaine de la station d'épuration de Nancy-Maxéville. On observe aisément, comme l'a montré Neveux (1993), lors d'une étude précédente, par des notions de traitement du signal, que débit et DCO peuvent chacun être représentés par une équation du type « Moyenne + harmoniques de périodes 24 heures et 12 heures ». Ces périodicités, correspondant au rythme de vie de la population, apparaissent nettement sur l’enregistrement.

En outre, l’observation de ce dernier nous suggère également que ces deux paramètres évoluent en phase, les fortes concentrations, par exemple, étant associées aux forts débits. Ce constat est assez paradoxal, car l'on conçoit difficilement que les utilisations d'eau faites en période de faible débit génèrent moins de pollution que celles faites lors de périodes de débit élevé. Il existe cependant un phénomène, dont un modèle débit-qualité doit tenir compte, qui permet d’ex-

[Photo : Évolution du débit et de la DCO en entrée de la station d’épuration de Nancy-Maxéville les 10, 11 et 12 avril]

Expliquer cette constatation a priori surprenante : nous avons pu observer un débit important d’eaux claires parasites dans le réseau d’assainissement. Ces eaux propres, qui encombrent les réseaux, peuvent provenir soit de captages de sources, de ruisseaux ou encore de drainages de terrains, soit d’infiltrations dans des collecteurs non étanches situés dans une nappe ou longeant un ruisseau. Responsables d’effets très préjudiciables sur l’ensemble du système d’assainissement en matière de coût financier – consommation d’électricité élevée sur les postes de pompage, surdimensionnement des stations d’épuration –, elles tendent à diminuer grâce à des travaux d’aménagement du réseau mais ne peuvent être totalement éliminées.

Nous sommes donc amenés à décrire le débit instantané en entrée de la station d’épuration en fonction, d’une part, de ce débit d’eaux claires parasites et, d’autre part, du débit résultant de l’activité humaine. Ce dernier est exprimé au moyen d’une hypothèse simplificatrice selon laquelle il est proportionnel au nombre de personnes rejetant des eaux usées à l’instant t : ceci revient à considérer qu’une personne rejette, à chaque utilisation d’eau, la même quantité d’eau. Il s’agit là d’une approximation relativement large qui, dans la suite, s’avérera suffisante.

Ainsi, on a :

Q(t) = Q₀ + Kₚ P(t) (1)

avec :

Q(t) : débit en entrée de la station d’épuration (m³ h⁻¹) Q₀ : débit d’eaux claires parasites (m³ h⁻¹) Kₚ : constante de proportionnalité (m³ h⁻¹ hab⁻¹) P(t) : nombre de personnes utilisatrices du réseau d’assainissement à l’instant t

Moyennant une hypothèse semblable, sur la DCO cette fois – une personne rejette, à chaque utilisation, la même masse de DCO –, il est possible d’écrire :

m(t) = Kₘₚ P(t) (2)

avec :

m(t) : débit massique en DCO (kg DCO h⁻¹) Kₘₚ : constante de proportionnalité (kg DCO h⁻¹ hab⁻¹)

La combinaison de (1) et (2) permet d’exprimer la concentration massique en DCO :

c(t) = Kₘₚ P(t) / Q(t) (3)

soit, en éliminant P(t) :

c(t) = (Kₘₚ / Kₚ) [Q(t) – Q₀] / Q(t) (3’)

Finalement, on obtient :

c(t) = K – (K Q₀) / Q(t) (4)

équation aisément linéarisable et représentée par une droite de pente (–K Q₀) et d’ordonnée à l’origine K, constante résultant du rapport Kₘₚ / Kₚ, en traçant c(t) en fonction de 1 / Q(t). De plus, Q₀, le débit d’eaux claires parasites, peut être ainsi facilement évalué.

Méthodologie de vérification

La vérification de ce modèle a été effectuée à partir de données collectées sur une période d’un an. Les données de débit et de DCO lors des journées des 30 mars, 6 avril et 25 mai 1991 sont utilisées pour illustrer la bonne adéquation du modèle à la réalité. Ces trois journées ont été choisies car, durant chacune d’elles, les mesures de débit et de DCO n’ont souffert aucune défaillance. Un programme de régression linéaire, rédigé en Fortran 77, nous a permis d’estimer les paramètres de la droite liant les couples de valeurs relevées, (1 / Q(t) ; DCO(t)), ainsi que les intervalles de confiance à 95 % de ces paramètres par la méthode de Student.

Résultats

Les figures 4 et 5 font apparaître les résultats obtenus respectivement pour les journées du 30 mars et du 6 avril 1991. Le coefficient de corrélation linéaire prend des valeurs de l’ordre de 0,9, ce qui indique une bonne qualité de l’interpolation linéaire. Les intervalles de confiance, tant sur la pente que sur l’ordonnée à l’origine, confirment ce fait.

Pour les deux dates étudiées ci-dessus, la pente et l’ordonnée à l’origine de la droite d’interpolation prennent des valeurs très proches ; l’équation de la droite, l’équation (4), nous montre aisément que K et Q₀ sont donc, eux aussi, très voisins.

Intéressons-nous à présent à la journée du 25 mai, pour laquelle les résultats sont portés dans la figure 6. L’interpolation linéaire est, là encore, fort satisfaisante. En revanche, le débit Q₀ calculé est sensiblement inférieur à celui que l’on trouvait auparavant. Ceci peut s’expliquer car la quantité des apports parasites fluctue lentement essentiellement avec le niveau des nappes souterraines et avec la pluviométrie. Il est donc normal que Q₀ soit inférieur au mois de mai, traditionnellement plus sec, en France, que le mois de mars.

La figure 7, enfin, rassemble les 480 résultats obtenus lors de 5 journées situées dans la période fin mars-début avril (les 30 mars, 1ᵉʳ, 6, 13 et 14 avril). On constate que la pente et l’ordonnée à l’origine de la droite d’interpolation globale s’écartent peu des valeurs propres à une journée, ce qui tend à prouver que les paramètres K et Q₀ demeurent valables durant plusieurs semaines. Néanmoins, lorsque la pluviométrie change

[Photo : Evolution de la DCO en fonction de l'inverse du débit en entrée de station pour la journée du 30 mars ; paramètres de l'interpolation linéaire]

Considérablement – exemple du 25 mai –, ils doivent alors faire l'objet d'une nouvelle estimation.

La pente et l’ordonnée à l’origine nous permettent d’évaluer Q, le débit d’eaux claires parasites, et K, le rapport du débit massique horaire de DCO par habitant (K₂) au débit volumique horaire par habitant (K₁). Les valeurs numériques ainsi calculées du coefficient K peuvent être reliées aux valeurs couramment admises que l’on trouve dans la littérature (Degrémont, 1989) : la charge en DBO₅ apportée dans les eaux usées urbaines par habitant et par jour peut être estimée entre 60 et 80 g, soit de 120 à 200 g de DCO si l’on tient compte d’une valeur raisonnable comprise entre 2 et 2,5 pour le rapport DCO/DBO₅. D’autre part, la production volumique d’eaux usées urbaines par temps sec est de l’ordre de 300 ℓ par habitant

[Photo : Evolution de la DCO en fonction de l'inverse du débit en entrée de station pour la journée du 6 avril ; paramètres de l'interpolation linéaire]

et par jour pour une agglomération de plusieurs centaines de milliers d’habitants. Le débit Q, quant à lui, semble constant sur une période de quelques semaines et sa valeur, de l’ordre de 30 à 40 % du débit total, est cohérente. Le tableau I rassemble les valeurs numériques calculées de Q et de K pour chaque journée étudiée, ainsi que la valeur de K préconisée dans la littérature.

Au vu des résultats présentés et décrits pré-

[Photo : Evolution de la DCO en fonction de l'inverse du débit en entrée de station pour la journée du 25 mai ; paramètres de l'interpolation linéaire]
[Photo : Evolution de la DCO en fonction de l'inverse du débit en entrée de station pour 5 journées en mars et avril ; paramètres de l'interpolation linéaire]

Tableau I : Valeurs calculées des paramètres du modèle

Dates 30 mars 6 avril 25 mai 5 jours en mars-avril Valeur tabulée
K (mg O₂/l) 507 575 561 532 min. : 400 – max. : 666 (120 ≤ KQ ≤ 200 g DCO O₂/hab.j ; KQ = 400 l/hab.j)
Qm (m³/h) 1330 1270 970 1250

Précédemment, il apparaît que la meilleure manière d’évaluer les deux paramètres K et Qm – seule condition à remplir pour appliquer l’équation (4) – est de procéder pendant une journée, ou plusieurs lorsque cela est possible, à des mesures simultanées du débit et de la DCO. L’étalonnage ainsi réalisé peut demeurer valable plusieurs semaines ; il doit être réentrepris seulement lors de changement marqué de la pluviométrie. On constate, par conséquent, que le modèle proposé peut être très utile à l’implantation d’un contrôle qui tient compte de manière approchée de la qualité de l’eau usée. L’estimation de la DCO par ce biais n’est, certes, pas rigoureusement exacte mais elle offre l’énorme avantage d’éviter l’achat onéreux d’un photomètre ; en outre, les calculs qu’elle exige sont d’une simplicité quasiment inégalable.

Conclusion

Nous avons pu mettre au point un modèle débit-qualité apte à fournir une estimation satisfaisante en temps réel de la DCO des eaux usées qui pénètrent dans une station d’épuration.

Cette estimation est, en tout état de cause, préférable à une ignorance complète de ce paramètre de qualité dont la connaissance est essentielle à une bonne maîtrise du fonctionnement d’une station d’épuration.

Il est intéressant de remarquer que ce modèle, décrit et testé au cours de cet article, peut s’appliquer de deux manières, selon les informations dont on dispose et selon celles que l’on recherche : il permet, d’une part, de déterminer, par des mesures simultanées de débit et de DCO, le débit d’eaux claires parasites.

D’autre part, une fois ce débit connu, il est possible d’estimer la concentration en polluant à l’entrée d’une station d’épuration par une simple mesure de débit, dans la mesure où la pluviométrie ne change pas de manière significative.

Il serait certainement instructif de prolonger cette recherche par l’étude du temps de pluie, durant lequel la variation de la qualité des eaux s’écoulant dans un réseau unitaire est encore peu connue et mal expliquée.

Les auteurs tiennent à remercier la Communauté Urbaine du Grand Nancy qui a autorisé l’accès à la station de Nancy Maxéville, ainsi que le personnel de cette station pour sa contribution.

[Encart : Références bibliographiques • Degréfont (1989) Mémento technique de l’eau Technique et Documentation, Lavoisier • Foster P., Morris A.W. (1971) The use of ultraviolet absorption measurements for the estimation of organic pollution in inshore sea waters. Wat. Res. 5, 19-27 • Garczorzky J. (1953) Activated sludge process. Theory and practice. Marcel Dekker, New-York • Isabal D., Wilson L., Villeneuve J.P. (1989) Modèles débit-qualité dans un réseau unitaire en période de pluie. Can. J. Civ. Eng. 16, 197-200 • Nevers S. (1993) Influence des variations de flux polluants sur le fonctionnement d’une station d’épuration des eaux usées urbaines par boues activées : cas de la dégradation de la pollution soluble – Expérimentation et modélisation. Thèse de doctorat de l’Institut National Polytechnique de Lorraine • Peter O. (1993) Étude des stations d’épuration des eaux usées urbaines par boues activées : modélisation de l’aérateur canal. Thèse de doctorat de l’Institut National Polytechnique de Lorraine]
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