La pression constante de la démographie et la multiplication des implantations industrielles conduisent à accroître considérablement la taille des réseaux d’assainissement. Parallèlement, d’importants efforts sont consacrés à la réhabilitation des réseaux existants, qui se dégradent parfois très rapidement. Cullen, en 1982, rapportait ainsi qu’environ 5 000 cas d’effondrements de canalisations sont recensés chaque année en Grande-Bretagne.
L’origine de ces désordres peut résulter :
— d’une erreur de conception ou d’exploitation (dimensionnement),
— d’un défaut d’installation (alignement, joints, lit de pose),
— de l’emploi de matériaux défectueux ou mal adaptés (tuyaux, joints),
— de l’évolution des effluents (effluents corrosifs, septicité),
— de l’évolution des contraintes extérieures (écrasement, tassement de sol),
— de la vétusté.
Deux préoccupations majeures résultent de ce bilan : d’une part, réhabiliter efficacement et durablement les réseaux endommagés, d’autre part installer des réseaux neufs, plus résistants.
Pour répondre à ces besoins, le matériau adopté devra répondre aux exigences suivantes :
Réhabilitation | Réseaux neufs | |
souplesse et rapidité de mise en œuvre | 1 | |
bonne glissance | 1 | 1 |
durabilité | 1 | 1 |
La durabilité doit être garantie vis-à-vis de divers phénomènes :
— abrasion, par résistance à l’abrasion et usure uniforme ;
— attaque chimique : corrosion industrielle acide et basique, corrosion bactérienne, corrosion par les eaux déminéralisées ;
— contraintes mécaniques extérieures (écrasement, tassement de sol).
Nous ne nous attarderons pas sur la résistance des structures en béton aux contraintes mécaniques extérieures, sujet relativement bien connu.
Le Ciment Fondu Lafarge®
Inventé en 1907 au laboratoire de la Société des Ciments Lafarge, le ciment fondu est un ciment alumineux, obtenu par fusion d’un mélange de bauxite et de calcaire, qui contient environ 40 % d’alumine. Le constituant essentiel en est l’aluminate de calcium.
Résistance à la corrosion chimique acide
Les ciments alumineux comme le Ciment Fondu Lafarge, contrairement aux ciments Portland, ne libèrent pas de chaux lors de leur hydratation ; cette propriété, associée à une faible porosité, confère aux bétons une bonne résistance chimique à la corrosion acide.
Des tests ont été conduits à Pont-à-Mousson (Mathieu & Soukatchoff, 1987) et au centre de recherche du groupe Lafarge, pour étudier le comportement des mortiers et des bétons de Ciment Fondu Lafarge face à certains milieux agressifs : des mortiers de ciment fondu et de ciment de haut fourneau (74 % laitier), avec un rapport sable/ciment de 1,6 et un rapport E/C de 0,30 ont ainsi été comparés, avec un sable siliceux et avec un sable calcaire. Après immersion dans une solution d’acide sulfurique à pH 3 renouvelée chaque jour, la perte de poids des éprouvettes est mesurée en fonction du temps. Les résultats obtenus ont permis d’énoncer les conclusions suivantes : « On constate que le ciment alumineux (…) a un meilleur comportement à pH 3 que le ciment de haut fourneau. Les pertes de poids sont très faibles : 2 % avec des agrégats siliceux par rapport à 6,5 % pour du ciment de haut fourneau. À cet égard, le point le plus important semble être le caractère asymptotique de la courbe de corrosion pour les mortiers de ciment alumineux avec granulats siliceux, alors que les courbes pour le ciment de haut fourneau sont croissantes linéairement. »
Des essais conduits au centre de recherche du groupe Lafarge ont par ailleurs montré que, pour des zones d’attaque plus acide, la notion même de pH n’est plus le seul facteur à prendre en compte.
Le mécanisme de la corrosion acide des ciments peut se décomposer en deux étapes : dans un premier temps, la décomposition des hydrates, avec formation de sels et/ou de phases acides non attaquables, et ensuite la solubilisation des sels formés.
On a pu mettre en évidence l'importance de plusieurs paramètres, qui permettent d’ébaucher un modèle explicatif, sinon quantitatif, de prévision de la durabilité en milieu acide :
— la stabilité thermodynamique des phases minéralogiques présentes dans le mortier et le caractère neutralisant de ces phases ;
— la concentration et la force de l'acide : à concentration d’acide égale, un acide faible sera moins dissocié dans la solution qu'un acide fort, et le pH ne reflétera pas la concentration d'acide réelle. On parlera dans ce cas de « réserve d'acide ». L'intensité de la réaction avec l'alumine libérée lors de la décomposition éventuelle de l’aluminate ne sera pas la même dans les deux cas ;
— la solubilité des sels formés : c’est le paramètre prépondérant. Les sels formés constituent une sorte de « protection » de la surface, d’autant plus efficace qu'ils sont peu solubles. Au contraire, une solubilité importante favorise le développement de nouvelles surfaces réactives. À titre d’exemple, une solution d'acide oxalique, même à très faible pH (1-3), n'aura qu'une action corrosive très faible sur le ciment alumineux, parce que les oxalates formés sont peu solubles ;
— la porosité n’est ici qu'un facteur secondaire, surtout en milieu acide fort, la dégradation se faisant par dissolution à partir des couches externes.
Résistance à la corrosion acide bactérienne
La littérature scientifique abonde sur ce sujet et, un peu partout dans le monde, des groupes de travail se sont constitués pour organiser des travaux de recherche approfondie.
Normalement, ces eaux ne sont pas corrosives, mais, en l'absence d’oxygène, il y a production de sulfure et d'hydrogène sulfuré H₂S. Selon les conditions hydrauliques et chimiques qui existent dans la canalisation, cet hydrogène sulfuré peut se dégager dans l’atmosphère des conduites, être transformé par action bactérienne en acide sulfurique, et entraîner la corrosion des matériaux au-dessus du niveau des eaux. C’est le cas notamment en aval des stations de relavage, où le passage de conduites sous pression à réseau gravitaire s’accompagne d’un fort dégazage d'H₂S.
Des études de laboratoire ont été menées concernant la résistance des ciments à de fortes concentrations d'H₂SO₄, mais c’est négliger le paramètre « croissance bactérienne », complexe et encore mal connu, et par la même simplifier dangereusement le problème.
Une étude comparative en égout expérimental a été réalisée au laboratoire de Pont-à-Mousson (Mathieu et Soukatchoff, 1987) sur des échantillons de tuyaux de fonte, revêtus intérieurement par centrifugation de différents types de mortiers. Après deux ans d’essais, les profondeurs de pénétration de la corrosion dans la zone la plus corrodée ont pu être mesurées. Les résultats sont les suivants :
— Ciment Fondu Lafarge : 0,6 mm*
— ciment de haut fourneau (70 % de laitier) : 1,7 à 2 mm
— ciment Portland : 1,9 à 2,3 mm
— ciment de laitier (80 % de laitier) : 2,4 à 2,7 mm.
Afin d'étudier plus précisément l’influence de l'action bactérienne, une série de tests a été menée par le département de microbiologie de l'Université de Hambourg. Les mesures portaient cette fois sur la perte de poids des échantillons et la détermination du nombre de cellules bactériennes par unité de volume. On a comparé des échantillons de mortiers de ciment Portland, de ciment de haut fourneau et de ciment alumineux dans différentes conditions pour simuler au mieux les conditions de structure, de répartition des agrégats et de compacité effectivement rencontrées après centrifugation dans les canalisations.
Les résultats de l’étude conduisent aux conclusions suivantes : « L’observation du comportement en chambre de dégradation par H₂S de mortiers de ciments utilisés en revêtement de canalisations en fonte ductile a montré (...) que la meilleure résistance est obtenue avec du Ciment Fondu Lafarge. »
Résistance à la corrosion chimique basique
Les mêmes essais d’immersion qui ont été évoqués plus haut ont été conduits dans des solutions de soude et d'ammoniaque. Le mortier avait un rapport sable/ciment de 0,5 avec un sable de quartz, et un rapport E/C de 0,35 : « Dans le cas de la solution de soude à pH 11, la perte de poids après 100 jours est de 2 à 3 %. Après 250 jours, on ne constate plus d'attaque. »
« Dans le cas de l'ammoniaque à pH 13, les mortiers de ciments de ciment alumineux ne présentent pas de perte de poids. »
Résistance à la corrosion par les eaux faiblement minéralisées
Les eaux pures faiblement minéralisées que l'on rencontre dans les massifs cristallins sont particulièrement agressives vis-à-vis des liants hydrauliques traditionnels ; un gradient d'ions calcium se crée depuis le mortier vers l'effluent, et réagit ensuite plus ou moins avec le CO₂ dissous dans l’eau. On constate donc, de manière plus ou moins importante, une carbonatation de la pâte de ciment, lessivage de la chaux, appauvrissement en CaO des hydrates de calcium hydratés, qui deviennent moins compacts et moins résistants, et apparition de cycles dissolution-cristallisation.
Une étude comparative réalisée sur quinze années au centre de recherche de Pont-à-Mousson a permis d’énoncer les conclusions suivantes : « Le ciment alumineux est de loin le plus résistant car son hydratation ne développe pas de chaux et les aluminates de calcium cubiques sont stables en eaux douces carboniques (...). Les autres ciments sont vulnérables et comparables entre eux. »
Abrasion
Les conduits d’assainissement sont soumis à une contrainte d’abrasion constante qui peut varier considérablement en intensité selon la nature des éléments contenus dans les eaux qu'ils charrient (sable, débris, etc.) et suivant la topographie du réseau.
Résistance à l'abrasion
Une étude comparative menée en 1986 au laboratoire de la Compagnie Nationale du Rhône a conduit aux con-
* correspondant à l'enlèvement de la laitance
Ces résistances se développent très tôt. Le même rapport précisait : « À 48 heures, les mortiers à base de CLK 45 sont encore très vulnérables à l’abrasion, alors qu’à 24 heures, les mortiers à base de ciment alumineux ont déjà atteint, et pour certaines compositions largement dépassé, 70 % de leur résistance à 28 jours.
Les ouvrages, réparés avec des mortiers à base de ciment fondu, pourront donc être mis en service dans un temps très court. »
Le tableau 1 résume les résultats obtenus.
Tableau 1 – Indice d’usure
Composition des mortiers |
---|
CLK 45 + sable siliceux : non mesuré* à 24 h / 4 à 28 j |
Ciment fondu + sable siliceux : 1,9 à 24 h / 1,5 à 28 j |
Ciment fondu + ALAG : 1,1 à 24 h / 0,8 à 28 j |
Mortier prêt à l’emploi RC 130 à base de ciment fondu : 2,4 à 24 h / 1,7 à 28 j |
* éprouvette détruite
D’autres tests, ainsi que de nombreux travaux de réhabilitation de cunette, de caniveau, de fond de bassin, etc., dans plusieurs grandes villes (entre autres, Paris et Lyon) et sur des sites industriels confirment cette analyse.
Limitation des pertes de charge
De tout temps, on a recherché des matériaux capables de garantir une forte glissance dans les canalisations. Dans les zones à faible pente, en effet, il est fréquent d’observer une stagnation des effluents avec accumulation de dépôts, perte de charge au niveau des effluents, et risque d’obstruction. Les matériaux composites, c’est le cas des bétons, présentent une usure différentielle qui contribue à piéger ces sédiments, et des efforts considérables sont faits chaque année pour nettoyer les canalisations encombrées.
Une solution à base de Ciment Fondu + agrégats ALAG permet d’éviter aisément ce problème puisque ces deux matériaux présentent des indices d’abrasion absolument identiques. Une telle solution a déjà été appliquée avec succès dans plusieurs agglomérations.
Un produit sophistiqué mais simple à mettre en œuvre
Contrairement aux résines, les liants hydrauliques sont parfaitement applicables en milieu humide. L’avantage ainsi apporté lors de la réhabilitation de réseaux d’assainissement est évident. Les mortiers de Ciment Fondu Lafarge, qui possèdent cette propriété, peuvent s’appliquer exactement de la même manière que les mortiers de ciments traditionnels, à savoir par pompage, centrifugation, projection, etc. ou talochage manuel.
Par ailleurs les laboratoires du groupe, pour répondre aux besoins de certaines technologies moins habituelles, sont amenés régulièrement à modifier les propriétés rhéologiques (viscosité…) de prise et de durcissement de ces ciments.
Il est capital, cependant, de rappeler que le comportement d’un béton ou d’un mortier ne dépend pas exclusivement de la qualité du ciment et des agrégats utilisés, mais aussi de sa structure, déterminée par des paramètres tels que porosité, perméabilité, taille et distribution des pores. D’une manière générale, les règles de base d’un dosage en ciment supérieur à 400 kg/m³ et d’un rapport eau/ciment inférieur à 0,4 (en tenant compte de l’humidité des agrégats) devront être respectées. Les sables et graviers seront choisis en fonction des contraintes du chantier et en tenant compte des agents agressifs auxquels le béton ou le mortier sera confronté.
Une mise en œuvre rapide
Le Ciment Fondu Lafarge présente par lui-même une prise normale mais avec un durcissement très rapide, qui permet d’obtenir des résistances mécaniques exceptionnelles dans des délais très courts (30 MPa à 6 heures). Comme c’est le cas des autres ciments, cependant, l’incorporation d’adjuvants appropriés permet d’obtenir un mortier prêt à l’emploi, avec un temps de prise réglable suivant les besoins spécifiques du chantier (de quelques minutes à plusieurs heures), sans altérer pour autant les caractéristiques du mortier.
Ces caractéristiques en font un matériau sans concurrence pour réduire au minimum le temps d’immobilisation d’un chantier ou de moules de préfabrication. Dans le cas de réhabilitations de réseaux d’assainissement, par exemple, la remise en service peut intervenir de 4 à 8 heures après la fin des travaux.
Conclusion
Qu’il s’agisse de réhabilitation ou de revêtement de tuyaux pour réseaux neufs, on voit que le Ciment Fondu Lafarge et les solutions qui en dérivent répondent aux exigences de durabilité requises dans le domaine de l’assainissement. Cette conclusion est confirmée par de nombreux tests menés dans différents laboratoires ainsi que par des observations faites sur le terrain.
La rapidité et la souplesse de mise en œuvre des mortiers prêts à l’emploi à base de ciment fondu Lafarge en font par ailleurs un matériau tout à fait adapté aux techniques traditionnelles de travail, en même temps que facilement adaptable à des techniques nouvelles.
BIBLIOGRAPHIE
« Études de résistance à l’eau douce de quelques ciments ». P. Soukatchoff, Matériaux et Constructions, février 1985.
« Revêtement intérieur de mortier de ciment alumineux pour canalisation destinées au transport d’eaux usées ». A. Mathieu, P. Soukatchoff, L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 111, juin 1987.
« Untersuchung der Beständigkeit von Zementmortelauskleidungen duktiler FuBrohre gegenüber biogener Schwefelsäure-Korrosion ». Compte rendu d’études, rapport interne Thyssen Guss AG, en cours de traduction.
« Corrosion acide du Ciment Fondu Lafarge ». Comptes rendus d’études, rapports internes.