Au cours du VIIIe colloque « Energie électrique et Environnement » qui s’est déroulé les 13 et 15 octobre 1983, M. Alain Grégoire, ingénieur hydrobiologiste à la direction de l’Équipement d’Électricité de France, a présenté une communication sur la faune piscicole aux abords des ouvrages réalisés par ce service, dont nous extrayons les lignes qui suivent :
L’impact des rejets thermiques
Les rejets des centrales thermiques peuvent influer, au moins localement, sur les populations de poissons lorsque la température de l’eau atteint des valeurs trop élevées.
La question qui divise encore les spécialistes est de savoir s'il est préférable de réaliser un mélange complet de l'effluent de la centrale avec le milieu récepteur dès le point de rejet, ou s'il vaut mieux laisser une « mèche chaude », en considérant que les poissons sont capables de choisir leur habitat optimal.
En tout état de cause, les nombreuses études réalisées ces dernières années, relatives à la thermo-écologie des poissons, ont permis de situer des ordres de grandeur de températures et d’échauffements à ne pas dépasser. Ainsi, depuis cinq ans, toutes les tranches thermiques sur rivière sont conçues avec réfrigérants. Pour les plus anciennes, construites en circuit ouvert, le respect des normes imposées peut nécessiter des baisses de charge, voire des arrêts de tranches.
Dans le cas de centrales thermiques ou nucléaires, les prévisions d'impact des rejets thermiques sur l’écosystème aquatique sont l’un des principaux chapitres du dossier d'impact de demande d’utilité publique, puis du dossier de « Prise et Rejet d’Eau ».
L’entraînement des poissons dans les prises d’eau
Les données bibliographiques relatives à l’efficacité de dispositifs de dissuasion contre l’entraînement des poissons dans les circuits de refroidissement des centrales électriques sont contradictoires. La seule certitude réside dans le fait que les risques d’aspiration sont fonction du débit prélevé et donc du type de refroidissement de la centrale thermique. Dans le cas de nouvelles générations de centrales, la réfrigération en circuit fermé, par l’intermédiaire de réfrigérants atmosphériques, fait que le débit prélevé pour une même puissance électrique est réduit de plus de dix fois par rapport à la réfrigération en circuit ouvert. Afin de limiter l’entraînement des poissons dans les circuits de refroidissement des centrales électriques, des études destinées à tester l’efficacité de divers dispositifs de dissuasion ont été menées au droit des prises d’eau de plusieurs sites.
Deux types d’appareillages ont été plus particulièrement testés :
- - des écrans mécaniques constitués d’un rideau de chaînes et de masques, accroché à une drôme flottante ;
- - des écrans électriques.
Dans les deux cas, l’efficacité s’est avérée faible et de toute façon très liée au champ de vitesses de l’eau au voisinage immédiat de la prise d’eau. Ainsi le C.S.P. (Conseil supérieur de la pêche) de Poitiers a constaté que l’aspiration des smolts au droit des prises d’eau de la centrale de Dampierre est infime en comparaison de la situation à Saint-Laurent ou à Chinon. Les vitesses réduites du courant à travers la drôme flottante équipée de chaînes font qu’à Dampierre, contrairement aux autres centrales en circuit ouvert, ce dispositif est à lui seul dissuasif contre l’entraînement des poissons.
Dans le cas des centrales comportant une réfrigération en circuit ouvert, l'effort est reporté vers le sauvetage des poissons piégés dans les chambres d’eau des centrales. Deux techniques sont utilisées à cette fin :
- - capture des poissons par pêche électrique au niveau des chambres d’eau (Saint-Laurent, Chinon) ;
- - récupération des poissons (voir la figure), plaqués sur les tambours filtrants au moyen de jets de nettoyage à basse pression de l'ordre de un bar (Blayais).
Des précautions sont prises par ailleurs dès la conception des prises d’eau. À partir de la concertation avec les associations et les fédérations de pêche, et en fonction d’inventaires piscicoles réalisés sur le site, la forme, le type et l’emplacement de la prise sont déterminés de manière à minimiser l'impact sur l'écosystème aquatique. Les risques d’impact engendrés par les prises d'eau sur le stock de poissons font parfois l'objet d’une vive préoccupation des professionnels de la pêche (comme à Blayais où la presse et la télévision régionales ont évoqué ce problème).
L'impact des barrages sur le déplacement du poisson
Les poissons peuvent être amenés à se déplacer pour des causes diverses : alimentation, reproduction (principalement). Pour les « grands migrateurs », les migrations sont vitales ; la presque totalité de ces poissons fraie dans les cours d'eau et va se développer en mer (saumons, aloses, esturgeons, lamproies). Une seule espèce (l’anguille) présente un cycle de vie inverse ; elle se reproduit dans la mer des Sargasses et remonte les fleuves pour s’engraisser. Il existe une autre catégorie de poissons dits migrateurs qui vivent en eau douce, mais qui se déplacent périodiquement sur plusieurs kilomètres. Parmi eux, on peut citer la truite, le barbeau, la perche, le sandre... Si, pour ces espèces, la migration n’est pas vitale, le cantonnement à un territoire restreint peut, par les mécanismes de consanguinité, compromettre la diversité génétique de l'espèce.
Les problèmes de la remontée
Les obstacles interposés sur les cours d’eau gênent ces déplacements et principalement les remontées. En effet, suivant la hauteur du barrage et la capacité de nage ou de saut du poisson, la migration sera stoppée ou retardée. C’est pourquoi des passes à poissons ont été pratiquées sur certains barrages.
Afin de connaître l'efficacité des passes à poissons rudimentaires équipant les seuils de Saint-Laurent et Dampierre, et à la demande d’Électricité de France, le C.S.P. de Poitiers a mis au point une technique de radiodétection permettant de suivre à distance les déplacements de poissons marqués à l'aide d'émetteurs sonores. Il apparaît ainsi que le seuil de Dampierre, par exemple, induit un ralentissement dans la progression des saumons, qui est variable selon la température de l’eau : l’influence n’est observable qu’entre 3 et 6 °C et varie suivant les individus entre un et quatre jours.
L'expérimentation va porter cette année sur les aloses, poissons réputés fragiles et mauvais nageurs et à l'encontre desquels l'impact de ces seuils risque de s’avérer beaucoup plus significatif. Lorsque le barrage est infranchissable, les deux seules solutions possibles pour assurer la continuité des remontées sont l'édification de passes à poissons ou la mise en œuvre de pêches de sauvetage.
Des pêches sauvages sont pratiquées actuellement au pied du barrage de Poutés par le C.S.P. Auvergne-Limousin (pour les saumons) et au droit de la centrale hydroélectrique de Golfech par l’École.
nationale supérieure d’Agronomie de Toulouse et le C.S.P. du Tarn-et-Garonne (pour les aloses et les truites de mer). Plus de 7 000 aloses ont ainsi été transférées à l'amont de cet aménagement cette année. Néanmoins, la solution la plus satisfaisante consiste en la mise en place d'une passe à poissons ; or, la conception d’un tel dispositif est une entreprise délicate qui exige des études préalables sur modèle réduit (réglages des paramètres hydrauliques, dimensionnement de l'ouvrage) et sur le terrain (inventaire et répartition des espèces de poissons). Electricité de France a donc créé un groupe de travail dit « Cellule passe à poissons » chargé de concevoir des dispositifs de franchissement des barrages et de suivre ensuite leur efficacité. En outre, des actions de sensibilisation du personnel d’exploitation aux problèmes du fonctionnement et de l'entretien des divers types de passes seront menées soit par les membres de la cellule intéressée, soit par les spécialistes extérieurs à Electricité de France (stage ENGREF par exemple).
Depuis la mise en œuvre de ces structures : cellule passe à poissons au sein d’Electricité de France, recours aux spécialistes du CEMAGREF, de l'ENSA de Toulouse, du laboratoire de Mécanique des Fluides de Banléve, du C.S.P. de la région piscicole concernée, deux passes à poissons ont été construites (Belleville et Vieux-Pré), deux études d’avant-projet sont terminées (Ferriéres et Bergerac) et plusieurs sont en cours (Golfech et barrages en projet de l'Isère moyenne, seuils de Saint-Laurent-des-Eaux et de Dampierre sur la Loire, barrage de Poutés sur la Loire, seuil de Pontgibeau sur la Sioule). Le rythme d’équipement des barrages en passes à poissons est tributaire d'une part de la complexité des études d’avant-projet qui nécessitent souvent de mener conjointement des études hydrauliques sur modèle réduit, des études de comportement des poissons, et d'autre part du coût très élevé de ces ouvrages.
Afin de sensibiliser le public à ces problèmes, comme l'ont réalisé les États-Unis ou l'Écosse, il est prévu d'installer à Golfech une chambre d'observations ouverte aux visiteurs où l’on pourra observer les poissons en train de remonter la passe par un hublot. Ce dispositif facilitera en outre le comptage des migrateurs.
Les problèmes de la descente
Le problème de la descente des juvéniles ne s’avère pas aussi complexe que celui de la montée. En effet, dans le cas des aménagements hydro-électriques, les jeunes poissons passent sans trop de dommages dans les turbines (moins de 10 % de pertes en moyenne, d’après la documentation américaine) ; à ce niveau, la principale cause de mortalité est due aux phénomènes de dépression.
Parmi les dispositifs existants pour éviter le passage des poissons dans les turbines, on peut citer des sortes de glissières vers où le poisson en dévalaison peut être guidé. L'efficacité d'un tel dispositif a été testée au barrage de Poutés sur l'Allier par le C.S.P. Auvergne-Limousin et Electricité de France au cours de ce printemps. Malgré les crues qui ont perturbé l'expérimentation, 10 % des jeunes saumons déversés à l'amont de la retenue ont emprunté la glissière.
Une autre solution : piégeage suivi d'un transport par camion, présente par contre des inconvénients et notamment :
- des risques de non-mémorisation de leur rivière d'origine,
— des risques de mortalité due aux manipulations inhérentes aux captures.
L’impact de la vidange des retenues
La vidange décennale d’un réservoir, opération quasi obligatoire de par la loi, ne se fait pas sans créer de fortes perturbations aux populations piscicoles ; l'impact le plus spectaculaire affecte les poissons de la retenue, puisque ceux-ci (excepté un faible pourcentage qui se réfugie dans les affluents amont) sont entraînés à l'aval du barrage avec la masse d’eau. Dans une zone de quelques kilomètres, les poissons du tronçon de cours d’eau situé à l'aval du barrage sont également fortement affectés par la vidange, du fait de l’augmentation des teneurs en matières en suspension de l’eau (plusieurs dizaines de grammes par litre). Cette situation provoque un double effet sur les poissons :
- impact mécanique direct par colmatage des branchies,
- impact indirect par altération de la qualité chimique de l'eau (baisse de l’oxygénation, augmentation des teneurs en sels ammoniacaux et des matières organiques).
À l'heure actuelle, il n’existe pas de solution très efficace pour minimiser ces inconvénients. Seules quelques précautions élémentaires peuvent être envisagées. Afin d’augmenter les possibilités de dilution des matières en suspension issues du fond de la retenue, on peut préconiser notamment de faire coïncider l’époque de la vidange avec celle correspondant aux crues des affluents. D’autre part, il faut éviter d'effectuer la vidange d'un réservoir au moment de la fraie des poissons.
Deux autres mesures, actuellement à l'étude, peuvent être envisagées :
— l'ouverture brusque des vannes en début de vidange qui semble avoir pour effet de chasser une partie des poissons de la retenue dans les affluents amont,
- la mise en suspension progressive artificielle et contrôlée des sédiments de la retenue pendant la vidange qui devrait permettre d’en diluer une partie importante dans l'ensemble du volume d'eau.
Depuis la signature de la convention Electricité de France - ministère de l'Environnement, les proto-
Protocoles de réalisation des opérations de vidange des retenues sont établis après information des associations agréées de pêche et de pisciculture. En outre, des observations sont effectuées « in situ » par les spécialistes d’Électricité de France, par le C.S.P. et les services techniques du ministère de l’Agriculture, afin d’étoffer nos connaissances sur les mécanismes de l’impact des vidanges sur l’écosystème aquatique.
On doit malheureusement constater que ce sujet est devenu à l’heure actuelle très sensible, le public étant alarmé par les effets spectaculaires induits sur le cours d’eau, transformé en fleuve de boue.
L’impact des débits réservés
Les aménagements hydroélectriques induisent généralement des modifications du régime hydraulique naturel des cours d’eau. Deux types d’exploitation des ouvrages hydroélectriques sont à considérer :
- dans le cas du fonctionnement en éclusées, l’impact est d’autant plus élevé que l’écart entre le débit maximal turbiné et le débit réservé est important,
- dans le cas des tronçons court-circuités, le maintien d’un débit faible et régulier s’accompagne généralement d’une diminution du pouvoir autoépurateur du cours d’eau.
Les principaux paramètres à prendre en compte lors de la détermination d’un débit réservé compatible avec le maintien d’un milieu convenable pour la vie et la reproduction des poissons sont donc :
- le périmètre et la surface mouillée, dont dépendent la capacité d’accueil du biotope ainsi que la superficie des frayères potentielles,
- les vitesses du courant qui influent sur la diversité des habitats, la granulométrie du substrat, la superficie des frayères potentielles,
- la qualité physico-chimique de l’eau (surtout température et teneur en matières organiques) qui agit sur la biologie des poissons et de leurs proies.
Dans un cours d’eau à truites par exemple, le débit réservé nécessaire à la vie et à la reproduction des poissons peut être évalué en prenant comme critères la surface et le périmètre mouillés, la vitesse du courant, la granulométrie du fond, l’oxygénation et la température de l’eau. L’étude que nous avons réalisée sur le Verdon, en collaboration avec un bureau d’étude d’hydraulique et l’université de Marseille, montre bien l’importance de ces paramètres. Au vu de ces résultats, il apparaît que la détermination d’un débit réservé doit tenir compte :
- du type de cours d’eau (torrent, rivière à large lit, fleuve…),
- du mode d’exploitation de l’aménagement (éclusées, tronçon court-circuité),
- de l’objectif de qualité envisagé pour le cours d’eau (réserve piscicole, réserve pour eau d’alimentation, baignade, navigation, évacuateur de pollution…).
Actuellement et en application de la convention Électricité de France – ministère de l’Environnement, il est prévu de reconsidérer certains débits réservés jugés trop faibles. Parallèlement aux considérations d’ordre économique (non négligeables), nous nous efforçons d’établir, après discussion, des dossiers comportant le type d’informations cité ci-dessus.
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Comme on peut le constater, le souci de minimiser l’impact des centrales sur la faune piscicole est réel ; toutefois, c’est une action qui est peu soutenue.
Un effort d’information en des termes appropriés et bien compréhensibles est donc à engager. De plus, afin d’atteindre le plus de personnes possibles, il faudrait peut-être rechercher d’une manière générale un meilleur dialogue avec les associations de protection de la nature. Les délégués régionaux à l’Architecture et à l’Environnement peuvent certainement servir de trait d’union efficace en la matière.