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Eaux pluviales, une ressource à mieux gérer

28 novembre 2003 Paru dans le N°266 à la page 67 ( mots)
Rédigé par : Pascal LYON

Les eaux pluviales en ville et sur les zones construites, y compris les établissements industriels, ont jusqu'à présent été assimilées à un problème de canalisation et de rejet. Cette approche trouve ses limites et les mentalités changent. La parution du guide de l'assainissement donne les bases pour une nouvelle approche.

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Les réseaux d’assainissement ont été conçus d’abord pour drainer les eaux usées. De fait, ces réseaux ont été chargés aussi de recevoir les eaux de pluie avec les dispositifs inhérents en cas de fortes précipitations, les déversoirs d’orage et les conséquences sur le non-traitement de la pollution. Une réponse à cela est le réseau séparatif, quand c’est possible. Mais les faits sont têtus : inondations de quartiers de plus en plus fréquentes et dégradation de la qualité des eaux montrent l’échec de l'approche du tout tuyau, de la vision purement hydraulique. Résultat de cette approche, la disparition de l’eau de la vue des habitants, par recouvrement des ruisseaux et enterrement des canalisations. À cela, il faut ajouter le coût de réalisation et d’entretien de tous ces réseaux qui ne fait que croître. Bernard Chocat, professeur à l’Insa de Lyon, aime à rappeler que sur une ville comme Lyon, il tombe par an à peu près la consommation de l'agglomération. Et que fait-on de toute cette eau propre ? On s’empresse de la col-

[Photo : Les faits sont têtus : inondations de quartiers de plus en plus fréquentes et dégradation de la qualité des eaux montrent l’échec de l’approche du tout tuyau, de la vision purement hydraulique.]

Les faits sont têtus : inondations de quartiers de plus en plus fréquentes et dégradation de la qualité des eaux montrent l’échec de l’approche du tout tuyau, de la vision purement hydraulique.

Rejeter pour la rejeter dans les rivières et au passage de la salir. C’est une situation malheureusement très banale.

Repenser la manière de gérer les pluviales

Il faut absolument repenser la manière de gérer les précipitations et leur impact sur les réseaux dans une approche de développement durable et de meilleur respect du cycle de l’eau. D'où la sortie du guide “La ville et son assainissement” (cf encadré) et aussi les changements de pratique que l’on observe déjà dans des agglomérations, aussi bien en France que dans le reste du monde.

Comme il est souligné dans le nouveau guide, « La prévention des risques d’inondations ne peut pas être l’affaire des seuls acteurs de l’assainissement ; elle devient une préoccupation majeure des responsables de l'urbanisme ». D'où la nécessité d'une approche globale et hiérarchisée : bassin versant hydrographique, système urbain, système d’assainissement. Ceci non pas pour le plaisir de poser des tuyaux et de les entretenir, mais pour répondre aux besoins de la vie urbaine (éviter les inondations) et de protection de la ressource en aval (traitement des effluents) et si possible améliorer le cadre de vie. Dans le cadre de cette approche globale, on voit réapparaître des solutions connues comme l’assainissement non collectif, l’infiltration des eaux pluviales mais de manière raisonnée, volontaire et non subie.

Chaque ville est un cas particulier et, lors d'un aménagement ou d’une rénovation, la solution retenue doit être un mélange équilibré de réponses techniques qui devront fonctionner avec un niveau de service adapté à l’importance des précipitations. Il s'agit bien d’une obligation de résultat de la part des maîtres d’ouvrage. Une chose est sûre, le montant des études devrait fortement augmenter dans les prochaines années ; elles ne représentent que moins de 1 % des travaux actuellement, ce qui est notablement insuffisant. Ce n'est pas pour autant que le coût pour la collectivité sera supérieur si des travaux inutiles ou des sinistres sont évités. Les rédacteurs du guide insistent sur la pérennité de la démarche en matière d’assainissement : pérennité des politiques, des moyens attribués, des ouvrages et des informations accumulées.

Sur le terrain, deux situations

Sur le terrain, deux situations se présentent : soit il n'y a “rien” dans le cas d'un aménagement nouveau, soit le réseau existe et il faut se donner des priorités en matière d’équipements à réaliser. De plus en plus de réalisations nouvelles adoptent une gestion intégrée des eaux pluviales. Pascal Reysset, directeur général adjoint de Foncier Conseil, société d’aménagement, affirme que sa société « a décidé de recourir le plus systématiquement possible aux techniques alternatives, sources de valeur ajoutée écologique, économique et paysagère ». Il cite parmi les réalisations la zone résidentielle de Bois Guillaume, sur le plateau normand. Cette zone résidentielle de 39 hectares a été aménagée entre 1992 et 2003 et a permis de tester les différentes solutions et d’estimer leur efficacité. Les constructions se répartissent le long d'un “chemin de l’eau” qui suit l'écoulement naturel et constitue une coulée verte de 20 m de large, succession de huit bassins reliés entre eux par des tuyaux et des noues offrant une capacité de 7 800 m³. Un gros travail a été réalisé sur les petites voiries qui ont un usage mixte. En zone périurbaine, à Alfortville, sur la friche industrielle de 33 hectares de Gaz de France, le pari a été pris de gérer l'intégralité des eaux

[Encart : Un nouveau guide de l’assainissement L'instruction technique de 1977 (circulaire interministérielle n° 77.284/INT) relative aux réseaux d’assainissement des agglomérations posait un certain nombre de principes (période de retour de dix ans, par exemple) et de méthodes (Caquot) pour le calcul d'ouvrages. La loi de décentralisation de 1982 l'avait rendue caduque mais les méthodes continuaient d’être utilisées à défaut d'autres. Suite à un travail de près de cinq ans, ce guide édité par le Certu a fait l'objet d'un lancement officiel fin octobre à Lyon lors d’une journée co-organisée par le Graie et l’AGHTM et qui a réuni près de quatre cents techniciens de toute la France. Il a été rédigé par des spécialistes du Certu, du Cete de l'Est, de l'Insa de Lyon, de Météo-France avec des collaborations de l'agence de bassin Seine-Normandie, du LROP et du LCPC. Le travail a été supervisé par la Direction de l'eau du MEDD. Bien qu'il n’ait pas de portée juridique, il s'agit bien de la doctrine de l'État en la matière, vu le soutien apporté par les ministères. C'est un document consensuel d'orientation, pas applicable tel quel et évolutif en fonction des connaissances. Il reste à produire des documents d’application (inexistants aujourd’hui) qui entrent dans le détail. Il faut surtout le diffuser à la fois auprès des spécialistes de l'assainissement, privés et publics et aussi aux maires pour qu'ils s’en approprient les principes pour les faire passer dans leur politique d’aménagement des communes. Il comprend neuf chapitres rassemblés en trois parties : 1 La collectivité et les enjeux de l’assainissement, 2 La conception de l'assainissement, 3 Les outils nécessaires aux études ainsi qu'un glossaire des termes. L'accent est mis sur le traitement à la parcelle, les méthodes alternatives pour réduire les flux d'eau de ruissellement et la modélisation des réseaux avec comme corollaires les besoins en données factuelles et en métrologie. Cédérom “La ville et son assainissement”, 500 pages. 25 €, disponible Certu de Lyon, Tél. 04 72 74 58 00 et bvente.certu@equipement.gouv.fr ]

de pluie et de ne rejeter que 25 l/s à la Seine après épuration biologique naturelle. Deux bassins paysagers de stockage et des fossés drainants ont été réalisés. L’aspect paysager est un plus reconnu par les utilisateurs de la zone. Deux exemples parmi d'autres de la société qui a formalisé une méthode comme l'explique Pascal Reysset : « Il faut utiliser le chemin de l'eau comme élément de composition et de stockage, ne pas aggraver la situation hydraulique en aval et diminuer les surfaces imperméabilisées. Pour cela, il faut analyser le bassin versant à partir d'une carte IGN, réaliser le schéma pluvial de l'existant (tuyaux, pentes, exutoire…), établir un plan de principe hydraulique et faire un calcul simplifié destiné à vérifier la capacité de stockage nécessaire, ensuite seulement faire intervenir l'urbaniste qui intégrera le chemin de l'eau dans son plan et utiliser les techniques alternatives ». Pour mieux faire entrer cette méthode dans l'entreprise, un guide a même été édité.

Autre exemple de réalisation nouvelle présenté par Jean-Daniel Baladés du Cete sud-ouest, celui de Bordeaux Technopole, une Zac de 100 hectares à terme dédiée aux sciences du vivant. L’environnement n'est pas des plus favorables avec une zone plate mal drainée sur un sol argileux et une nappe sub-affleurante située en amont d'une zone à forte urbanisation qui présente des problèmes récurrents d’inondation. Suite à un travail d’étude intense et à des échanges entre les différentes parties, des compromis ont été trouvés. Les solutions retenues sont des chaussées à structure réservoir répondant aux besoins des pluies de temps de retour dix ans, des noues pour celles de dix à trente ans et un plan d'eau permanent pour les pluies centennales. L’épuration des eaux usées (2 000 équivalent-habitant extensible à 8 000) s'effectue par lagunage. « Chaque technique pluviale assure une triple fonction : la protection contre un risque hydrologique, la dépollution des eaux de ruissellement et la possibilité de gérer une pollution accidentelle », insiste Jean-Daniel Baladés. De plus, la protection centennale s'est faite quasiment à coût nul puisque les matériaux du plan d'eau ont été récupérés en local et qu'il n'y a pratiquement pas de canalisation. « Et en plus, nous avons des nénuphars et des canards », précise Jean-Daniel Baladés.

Un des grands principes de la meilleure prise en compte des précipitations dans le cycle urbain de l'eau est la déconnection des réseaux d’assainissement et pluvial.

Déconnecter assainissementet pluviales

L'heure n’est plus au débat réseau unitaire ou séparatif. L'important est de limiter au maximum les débits et volumes d’eau pluviale entrant et les eaux claires parasites. Les techniques alternatives ne sont pas réservées aux réalisations nouvelles comme l'explique Jean-Jacques Herin, directeur général du Siado Syndicat intercommunal d'assainissement de la région de Douai et

Va.

[Encart : Des résistances au changement Le nouveau guide crée une rupture car il intègre la dimension risque naturel, l’impact des rejets sur le milieu naturel par temps de pluie et qu’il limite la concentration des eaux de pluie par leur prise en compte dès la parcelle. James Cheron, ingénieur conseil de « Développement Villes Environnement » souligne que l'instruction technique de 1948 était encore évoquée dix ans après l'entrée en vigueur de celle de 1977. Il y a donc un gros problème d'inertie des mentalités. Henri Bouillon, du Certu, l'un des rédacteurs du nouveau guide, va dans le même sens en indiquant que l'instruction de 1977 avait été très difficile à intégrer par les techniciens. Le nouveau guide se heurtera à de telles difficultés d'autant plus qu'il n'est pas contraignant et qu'il demande beaucoup de réflexion donc d'études dans son application. Autre obstacle, le recours à la modélisation qui risque de ne pas être bien maîtrisée par les bureaux d'études ni bien intégrée par les élus. Les collectivités de moins de 10 000 habitants risquent donc d’être défavorisées à la fois par cette nouvelle approche et par les moyens financiers qu'elle demande. De plus, les élus devront s'engager beaucoup plus, par exemple, pour situer les niveaux de risques (retour de pluie).]
[Photo : La prévention des risques d’inondations ne peut pas être l'affaire des seuls acteurs de l’assainissement ; elle devient une préoccupation majeure des responsables de l’urbanisme]
[Photo : Un des grands principes de la meilleure prise en compte des précipitations dans le cycle urbain de l'eau est la déconnection des réseaux d’assainissement et pluvial]

Pratique

Livres : Les eaux pluviales, gestion intégrée. Foncier Conseil Éditions Sang de la Terre

Sites et adresses internet

Certu : www.certu.fr bvente.certu@equipement.gouv.fr Graie : www.graie.org info@graie.org

Tél. 0472438368 ; Élodie Brelot Association Adopta sur Douai adopta@tree.fr fiches de cas de techniques alternatives sur la région

Président de l'association Adopta qui regroupe une soixantaine de membres maîtres d’ouvrage, maîtres d'œuvre et entrepreneurs. Dans le Douaisis, depuis huit ans les méthodes alternatives sont devenues la règle et le rejet l'exception. Deux cents réalisations ont fait appel à ces méthodes alternatives avec un résultat certain : ce sont 200 hectares, soit 10 % du territoire du Siado qui ne produisent plus d’eaux pluviales dans les réseaux. Ceci grâce à des noues, des chaussées et parkings à structure réservoir, des tranchées drainantes (réalisées en même temps que le collecteur d’assainissement pour réduire les frais), des puits d’infiltration (avec obturateur en cas d’accident polluant), des espaces verts inondables. Les bénéfices induits sont intéressants : l’objectif de traiter à la station d’épuration la pluie mensuelle, soit 2 m³/s est facilement atteint puisque l’adoption des techniques alternatives a limité ce débit à 1 m³/s en réalité.

Aux objecteurs des solutions alternatives, Jean-Jacques Herin rétorque que celles-ci ne sont pas la panacée et que comme toute technique, il faut les utiliser à bon escient.

À Beynost, à l’est de Lyon, un orage le 8 août 1995 a fait des millions de francs de dégâts. En trois quarts d’heure, plus de 100 mm de pluie ont généré des torrents de boue et de galets. Une Zac était en projet avec un assainissement très classique. La commune a décidé de revoir son projet en profondeur. La Zac des grandes terres ne couvre que 8 hectares mais se trouve en pied de la cêtière d'un côté et en bordure d'une voie ferrée et d'une autoroute de l'autre, limitant les exutoires. Tout au long de l’écoulement naturel des eaux, une cascade de solutions originales a été proposée par Jean-Luc Verjat du Burgeap, parfaitement intégrées par le paysagiste Pierre Pionchon en fonction du risque dimensionnant (pluie de 100 mm/h) défini par la municipalité qui a accepté au passage de dédensifier la ZAC. Une succession de volumes de rétention et stockage, mélangeant autonome et collectif, apparents ou non, encaisse les précipitations jusqu’à des puits d’infiltration. En point bas, une fontaine masquant un bassin rappelle aux habitants la présence de l'eau, un élément fort pour Jean-Luc Verjat.

Utiliser ces principes et techniques alternatives soulève la question de la pérennité des solutions et leur efficacité. Pascal Reysset explique que sa société prend pendant trois ans après la réalisation, à sa charge, l’entretien afin de livrer à la collectivité des ouvrages qui fonctionnent. Ensuite, c'est aux collectivités de prendre la relève et cela nécessite de leur part un engagement fort.

« Il ne faut pas considérer ces solutions alternatives comme des choses à part. Elles doivent être prises au même titre que les autres équipements. Pour en assurer la pérennité il faut en déléguer l’entretien au service le plus concerné : s’il s’agit d’une chaussée ou d'un parking réservoir, c'est le service de voirie qui le prend en charge, s’il s'agit de noues celui des espaces verts, si c’est un réservoir celui de l’assainissement », affirme Jean-Jacques Herin. Ce qui implique un réel décloisonnement des services, leur collaboration et un effort d’éducation des personnels d’entretien.

Dans ces réalisations nouvelles ou de rénovation, se pose la question du fonctionnement dans les différentes conditions météorologiques que l’on range selon quatre niveaux :

* pluies faibles, traitement total des effluents ;

* pluies moyennes, surverses acceptées, impact contrôlé, pas de débordement du réseau ;

* grosses pluies, priorité à la gestion du risque, acceptation d’une détérioration de qualité ;

* pluies exceptionnelles, priorité pour éviter les dommages aux personnes et aux biens.

Une telle approche correspond plus à la réalité des situations. En acceptant le risque et sa gestion et en l’expliquant aux populations, la gestion des pluies sera mieux intégrée dans le cycle de l'eau, pour un coût certainement plus abordable.

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