La performance est un sujet majeur dans l'industrie et les services. Concernant la production et la distribution de l'eau potable, la première des économies est bien sûr le rendement du réseau puisque chaque mètre cube d'eau produit a consommé des kilowattheures qui partent en fumée du fait des fuites. Mais le rendement des pompes, des moteurs et la gestion du réseau peuvent aussi être optimisés. Entre une bonne gestion des ressources en eau et l'optimisation énergétique de la distribution, le potentiel de progression reste, aujourd'hui encore, considérable dans le domaine de l'eau potable.
Deux problèmes préoccupent le monde : l'énergie et la disponibilité en eau, dans un contexte où les investissements de long terme sont hasardeux, alors que la plupart des réseaux des pays développés doivent être renouvelés et qu'il faut créer ceux qui assureront la croissance des pays en développement. L'eau potable, même lorsqu’elle est abondante, ne doit pas être gaspillée. Prélèvement dans le milieu, traitement, distribution sont toujours affaire de pompage et génèrent donc une consommation d’énergie électrique : en Suisse, on estime que les réseaux d'eau potable consomment en moyenne 20 % de l’électricité consommée par les collectivités publiques. Le pompage de l'eau aux États-Unis représenterait de 3 à 5 % de la consommation électrique totale du pays. En Grande-Bretagne, l'industrie
de l'eau consomme 200 M$ par an, équivalent à 4 400 GWh, dont 90 % sont dévolus au pompage. Globalement, dans le secteur de l'eau, l’énergie compte dans les coûts d'exploitation pour 34 % (essentiellement électricité), soit autant que le personnel et largement devant les produits chimiques (16 %). Une certitude : les coûts de l'énergie ne baisseront pas, la recherche de l'efficience énergétique est donc primordiale.
Encore faut-il gérer et planifier les investissements nécessaires en fonction du retour attendu.
Les fuites : une perte d’eau mais aussi d’énergie
Chaque mètre cube d’eau injecté dans le réseau représente une certaine quantité d’énergie, plus ou moins importante en fonction d’un certain nombre de critères dont la géographie locale. Tout mètre cube perdu constitue une double perte : en eau mais aussi en énergie. Ce que l'on appelle désormais l'efficacité énergétique commence donc par l’examen du réseau et de son rendement et par une traque permanente et sans merci des fuites qui apparaissent. Comptages, sectorisation, écoute acoustique sur les réseaux : aujourd'hui, les outils sont là pour établir des bilans précis de façon à avoir une bonne idée des rendements. Les compteurs eux-mêmes deviennent outils de diagnostics même sur de petits débits (voir encadré).
On sait aussi que le taux de fuites, et même de casses de conduites, est lié à la pression dans le réseau. D’où la mise en place de plus en plus fréquente d'outils destinés à gérer les pressions sur les réseaux en fonction des heures et des consommations constatées et prévisibles. La nécessité impérieuse d’économiser l’énergie est donc une question complexe, qui ne se limite pas à faire fonctionner une pompe correctement. Par extension, et compte tenu de la variabilité des tarifs de l’électricité, l’économie peut porter également sur le coût du pompage et pas seulement la consommation d’énergie en jouant sur les heures de pompage, en anticipant des consommations d’eau. Le réseau d’eau n’est donc plus seulement ce réseau de tuyaux et réservoirs que l’on connaissait auparavant. Il s’est peu à peu doublé d'un réseau d'informations qui doivent permettre.
de le piloter au mieux pour assurer un service de qualité au moindre coût avec un impératif absolu : la sécurité et la continuité d’approvisionnement.
Vers des réseaux d’eau potable intelligents
C’est ainsi qu’émerge la notion de réseau intelligent (smart grid) déjà popularisée pour ce qui concerne l’énergie électrique avec l’arrivée des énergies alternatives et qui se propage désormais dans le domaine de l'eau potable.
Dans le secteur énergétique, les opérations de rachats de sociétés récents montrent à quel point l’enjeu de la maîtrise de l’énergie prend de l'importance et façonne les stratégies industrielles. C’est ainsi que Schneider Electric a racheté récemment Telvent et 7 Technologies (logiciel Aquis) spécialisées dans la télégestion, la modélisation de réseaux. Pascal Bonnefoi, Directeur Solutions performantes dans le domaine de l'eau chez Schneider Electric, le confirme : « la tendance en eau potable est de combiner de plus en plus la gestion de l’énergie et la gestion du procédé ». Une problématique qui s’organise entre les acteurs du monde entier : un exemple avec la création de l'association SWAN (Smart Water Networks) cette année dont la première manifestation s'est tenue à Paris mi-mai au siège de Schneider Electric.
Les réseaux représentent des investissements lourds, marqués par une longue durée de vie des équipements mais aussi un
morcellement des territoires et des acteurs (regroupement des communes, des syndicats d’eau). Le panorama pourrait vite changer avec les évolutions réglementaires en cours, ce qui pourrait entraîner de fait des rénovations donc l’opportunité de mise à niveau (voir encadré). Pour les collectivités et les sociétés exploitantes, les enjeux énergétiques s'insèrent dans les questions de qualité, de quantité, de sécurisation et de gestion patrimoniale.
Déjà, des opérateurs tels que m2o-city, filiale d’Orange et de Veolia Eau mettent en place des réseaux de suivi des consommations d’eau à grande échelle à l'image de l’installation en cours sur le territoire du Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF). L'association du réseau smart grid de m2ocity et du service de suivi des consommations énergétiques Noé de la société Alerteo permet déjà d’obtenir des économies d'eau et d’énergies chez des consommateurs importants tels que des collectivités, industries ou bâtiments tertiaires.
Suez Environnement et Lyonnaise des Eaux appliquent également une politique de gestion patrimoniale qui intègre systématiquement la problématique de gestion et d’optimisation de la consommation énergétique.
Dans les comptes des syndicats et sociétés, l’énergie n’est pas toujours visible au niveau de la distribution d’eau : la facture électrique est bien souvent élaborée sur un niveau global (on ne facture pas au niveau d'un site), elle n’est pas forcément incluse dans le fonctionnement du réseau, et sauf pour de grands contrats entre une collectivité et un exploitant, il n'y a pas d’exigence contractuelle de baisse de la consommation d’énergie.
La situation est toutefois différente selon les pays : en Grande-Bretagne, les sociétés d’eau sont sous le regard exigeant de l’Ofwat qui publie les résultats comparatifs des sociétés exploitantes.
Examiner le rendement des équipements à la loupe
Lorsque le rendement de réseau a été remonté à un niveau satisfaisant, l’économie d’énergie portera sur le rendement des équipements, essentiellement les pompes et leurs moteurs associés, la manière de les exploiter (temps de fonctionnement) pour satisfaire le besoin, ce qui touche à la commande des moteurs, à la vitesse variable, aussi bien côté prélèvement de la ressource que distribution.
Côté distribution, l’exploitation même du réseau ouvre un important potentiel d’économies ne serait-ce que par la gestion horaire des volumes d'eau. La supervision des instal-
…lations devient alors un outil indispensable.
Dans certaines situations géographiques favorables, le réseau peut même devenir producteur d’énergie électrique par l’utilisation des possibilités de turbinage. Il s’agit d’un problème multi-échelle, depuis l’équipement unitaire jusqu’au système complet. Au plus simple : la pompe et, si l'on peut s’en passer, c’est encore mieux : d’où la réflexion nécessaire sur les déplacements d'eau gravitaires, à commencer par la ressource (captages de sources en altitude) ou, si la topographie s'y prête, le siphonnage. Une réflexion sur la disponibilité de ressources excédentaires d'un côté et un déficit ou un pompage coûteux de l'autre amène aussi des économies. Le rendement d’une pompe tient beaucoup à son point de fonctionnement. La vérification de la bonne adéquation d’un groupe de pompage, surtout lors de modifications d'installations, est cruciale. Un autre facteur intervient au travers de la normalisation : pompes et moteurs ont des caractéristiques nominales, lesquelles ne sont pas toujours à l’optimum du besoin. KSB propose une solution sur mesure : le rognage des roues de pompe. Une opération assez simple, mais qui a son impact sur plusieurs années de fonctionnement. Si l’opération apparaît anodine au niveau d’une seule pompe, son effet sur un parc de plusieurs centaines de pompes est loin d’être négligeable. Tous les constructeurs de pompes sont sensibles à cette question du pompage optimum.
…et ont développé des logiciels liés au choix de pompes : Grundfos dispose de Webcaps et Wincaps, ITT France a développé Flyps, Caprari PumpTutor, etc.
Repenser la façon dont le réseau d'eau potable fonctionne
Outre le point de fonctionnement d’une pompe, la durée de fonctionnement et l’instant du fonctionnement, surtout en tête de réseau, sont importants. « Même de petites collectivités peuvent faire des économies, pour un coût de mise en œuvre quasiment nul » explique Bruno Guigue d’Alyane. Plutôt que d’initier le remplissage systématique d’un réservoir d’eau dès qu'il atteint son seuil bas, il est souvent possible de mettre en œuvre un double marnage, c’est-à-dire de définir deux niveaux bas, choisis selon l’heure de la journée : laisser baisser davantage le niveau (tout en respectant la réserve incendie) en heures pleines de tarification électrique et, par contre, maintenir le niveau d’eau au plus haut pendant les heures creuses. Éviter les temps de pompage non justifiés en heure pleine constituera une économie. Suez Environnement et Lyonnaise des Eaux, au travers de leur filiale commune Ondeo Systems, commercialisent une suite logicielle complétée par une librairie de programmes automates standardisés permettant d’optimiser le fonctionnement des systèmes de production et de distribution d'eau potable. Ces outils sont aujourd’hui déployés en France et en Angleterre et permettent de réaliser jusqu’à 15 % d’économie d’énergie sur des réseaux de transport.
déjà bien exploités.
Avec l'automate e@sy de WIT qui dispose d'une double compatibilité eau et énergie, il est également possible de mesurer les données relatives à l'eau et la consommation électrique en temps réel. En combinant ces données, l’automate va donc adapter le process aux besoins réels du réseau et à la contrainte énergétique (pic de consommation, dépassement du seuil souscrit, contrainte tarifaire...).
Les possibilités offertes aujourd’hui par les automatismes et la télégestion des installations rendent la mise en œuvre d'une telle stratégie facile et peu coûteuse.
En parallèle, l’optimisation du débit de refoulement doit être examinée avec attention : la perte de charge augmente avec le carré de la vitesse de l'eau. Donc réduire un débit et pomper plus longtemps peut être facteur d’économie (près de 10 % sur une année). Reste qu’il ne faut pas oublier les questions d'usure au fil des ans qui diminuent sensiblement le rendement initial (environ 2 % par an).
La gestion de la pression dans les réseaux constitue aussi un facteur important d’économies : à pression réduite, une fuite générera moins de pertes. Le contrôle proportionnel de la pression compense la pression excessive du système en adaptant automatiquement le point de consigne au débit de consigne. Ainsi, l'évolution des pertes de charge engendrée par les variations quotidiennes de débit transitant au sein des réseaux est, de ce fait, prise en considération. Les avantages sont la réduction de la consommation d’énergie ainsi que la diminution des pertes d'eau (fuites) dans les réseaux (d’environ 10 %). Cette caractéristique est exclusive au contrôleur multi-pompes Grundfos Control MPC. Sans remédier à une fuite, la perte d’eau peut être limitée même si cela ne constitue qu’une solution transitoire. Ceci est particulièrement vrai dans les périodes de basse consommation comme la nuit. C’est le cheval de bataille de la société 120 qui déploie une méthode spécifique de contrôle fin des pressions sur un réseau en déployant des capteurs sans fil, qui fournissent en continu les données de pression à un logiciel qui analyse la situation et la corrige en retour grâce à un algorithme et au travers de vannes réductrices de pression.
Cette société, fondée en 2005, se déploie rapidement. Elle revendique une réduction moyenne des fuites de 20 % dans les pays où elle est intervenue et, en Malaisie, une réduction de 40 % de la fréquence de rupture des canalisations. Technologies dispose aussi avec son logiciel Aquis d’un outil
puissant de contrôle de la pression sur un réseau. Il combine automatiquement les données issues d'un système Scada et un modèle du réseau pour conseiller des pressions optimales sur ce réseau. La pression d'entrée est constamment ajustée à son niveau le plus bas possible en fonction des impératifs du réseau et de la consommation. Hydreka propose de son côté un outil dédié au contrôle de pression des réseaux, le ControlMate-FM en version Si Clop2 : cet appareil autonome (plus de 5 ans) permet une régulation de la pression sur un secteur en rendant automatique la consigne du réducteur de pression en fonction des horaires de la journée et/ou de manière saisonnière. De plus, cette régulation permet de prendre en compte en temps réel la pression disponible aux points critiques du secteur concerné (appareillage avec communication GPRS autonome). Ainsi, la pression est continuellement adaptée à la demande. De cette manière, les joints de canalisation sont moins sollicités grâce à la maîtrise de la pression et les fuites existantes se trouvent amoindries.
Tout ceci n’est possible que grâce au formidable développement des systèmes de
supervision. Les principaux produits présents sur le marché de l'eau à savoir Topkapi d’Areal, PcVue d’ARC informatique, Panorama de Codra, Wonderware System Platform de Wonderware, Control Maestro de Elutions, les solutions proposées par GE Intelligent Platforms ou Factory Talk de Rockwell Automation sont devenus l’outil essentiel de toute stratégie d’optimisation des différentes étapes de traitement pour consommer moins d’énergie, moins de réactifs en raccourcissant les délais d’information et en gérant plusieurs réseaux, plusieurs sites, voire une région entière comptant plusieurs dizaines ou centaines de sites.
Ces outils profitent largement de l'avancée des capteurs, toujours plus petits, plus communicants, plus fiables et plus économes en énergie tout en étant de moins en moins chers, à l'image de la gamme SePem de Sewerin, Phocus de Primayer ou Permalog Plus HMS (relevé par radio VHF longue portée) d’Hydreka. En ouvrant la voie à un suivi en temps réel de la distribution d'eau et en rendant possible une intervention rapide, les outils dédiés aux réseaux comme par exemple les postes locaux de sectorisation de Lacroix Sofrel (Gamme LS) ou Hydreka (gamme Octopus LX) ou encore le TwinY de WIT ont permis de réduire considérablement les pertes sur les réseaux tout en optimisant les consommations énergétiques.
Exploiter l’éventuelle capacité du réseau à produire de l’énergie
Avec la montée en puissance des énergies renouvelables et la question de leur intermittence, le réseau est également potentiellement apparu comme un complément judicieux en termes de stockage d’énergie lorsque sa configuration du réseau le permet, et pour des volumes journaliers conséquents. Pomper de l'eau aux heures creuses, et la restituer en heures de pointe est possible, mais demande de la coordination supplémentaire entre régie des eaux et d’électricité. Cela commence à venir aux États-Unis.
Veolia Water et SoRiCal ont travaillé la question à grande échelle sur la Calabre autour de Reggio. La région, soumise à la sécheresse, devait faire face à des problèmes de surpompage en bord de mer avec entrée d’eaux saumâtres. Le réseau a été profondément repensé en veillant à l'optimisation énergétique. Le système complet sera opérationnel début 2012. Il utilise le dénivelé entre les différents barrages et les points de consommation pour produire de l’électricité (usine de 13,6 MW électrique) et surtout, grâce à des réservoirs tampons, la consommation électrique a pu être optimisée. À terme, la consommation d’énergie sera réduite de plus de 11 GWh/an soit plus de 4 300 t/an d’émission de gaz carbonique évitée et une économie de près de 1,45 M€/an. Le turbinage d’eau potable est assez répandu en Suisse et quelques exemples existent en France comme Megève (282 kW installé avec une pression de 30 bar, depuis
1985) ou Chamalières depuis 1974 et 1981. Une installation est en cours sur le réseau de Nice avec quatre microturbines, réalisée par Veolia Eau et la Communauté urbaine Nice Côte d'Azur : autant produire de l’électricité plutôt que de dissiper l’énergie inutilement dans un réducteur de pression. Les quatre installations devraient produire l’équivalent de la consommation du tramway de la ville. L'eau est turbinée avant son passage en usine de potabilisation. C’est l’outil PcVue d’Arc informatique qui aura à superviser et contrôler ces équipements. La puissance unitaire des turbines est de l’ordre de 190 kW pour des chutes de 40 à 60 m.
Depuis quelques années Suez Environnement et Lyonnaise des Eaux déploient également des solutions techniques à base de microturbines hydrauliques, produisant de l’électricité verte en transformant l’énergie de l’eau. On peut ainsi citer les cas, en France, des villes de Vallauris et Monestier qui produisent jusqu'à 200 000 kWh/an et, en Jordanie, de la station d’épuration d’As Samra (traitement des eaux usées du Grand Amman, soit 2,3 millions d’habitants) dont le turbinage amont et aval contribue à rendre cette usine à 95 % autonome en énergie.