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Eau potable : faire face aux polluants dits « émergents »

29 novembre 2013 Paru dans le N°366 à la page 75 ( mots)
Rédigé par : Isabelle BELLIN

Pesticides, médicaments, rejets industriels' la gamme de substances rejetées dans l'environnement par les réseaux d'eaux usés ne cesse de s'étendre, au gré des évolutions de nos habitudes de consommation. Les très faibles concentrations de certains polluants, dits micropolluants, ne les rendent pas moins préoccupants. Des solutions commencent à être mises en place ici ou là : traitement à la source, en station d'assainissement, voire de potabilisation. Mais jusqu'où dépolluer ?

En France, l'eau est de très « bonne qualité » n’oublient jamais de rappeler nos producteurs d’eau potable. À l'instar de Bruno Tisserand, responsable des programmes eaux usées à la direction recherche et innovation de Veolia Eau, ils affirment aussi que les techniques de traitement actuelles permettraient de filtrer ou détruire à peu près tous les polluants : « On sait fabriquer de l'eau potable à partir de quasiment n’importe quelle qualité d’eau, y compris d’eaux usées ».

Mais déjà, certains pays comme la Suisse

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[Photo : Lyonnaise des Eaux à travers sa filiale SDEI a créé en Languedoc-Roussillon une zone d’élimination de micropolluants sur la base d’un condensé de différents types de zones humides abritant des plantes. Cette zone naturelle, espace tampon humide et végétalisé, permet de développer la biodiversité et de réduire les micropolluants en abritant des plantes qui vont filtrer et épurer les eaux à la sortie de la station d’épuration.]

Ou le Land de Bade-Wurtemberg en Allemagne prévoient d'imposer un traitement complémentaire aux stations d’épuration les plus sensibles pour éliminer la majeure partie des micropolluants, ces substances susceptibles d’avoir une action toxique à des concentrations infimes (voir ci-contre). En Suisse, la révision de la législation sur la protection des eaux devrait concerner une centaine de stations d’épuration sur les 700 existantes et s’étaler sur une vingtaine d'années (voir page suivante). Un exemple à grande échelle qui apportera beaucoup d'enseignements.

Micropolluants : traiter à la source

En France, Suez Environnement se situe en pointe de la problématique. « Deux de nos 1600 stations d’épuration sont équipées de traitements spécifiques des micropolluants, par ozonation, précise Gilles Boulanger, directeur technique de Lyonnaise des Eaux : la station des Bouillides à Sophia Antipolis depuis juin 2013, et la station de Bernières-sur-Mer en Normandie où l’ozonation est avant tout installée pour désinfecter l’eau à proximité des plages. Avec la filiale Ozonia de Degrémont, nous avons aussi démarré au printemps la première installation d’ozonation en Suisse à la station d’épuration ARA Neugut (Dübendorf) de 1455 m³/h pour protéger notamment le lac de Zürich ». Pour autant, aucune législation ne concerne pour l'heure le traitement des micropolluants. « La réglementation nous impose, depuis 2012, pour les communes de plus de 10 000 EH, de suivre une liste de 103 molécules en entrée et sortie de step et de comparer leur concentration avec les normes de qualité environnementale (NQE) établies par la DCE (Directive-cadre eau, 2000/60/CE), précise-t-il. Nous avons encore peu de recul mais la principale pollution concernerait les métaux, notamment le zinc ».

Rappelons que la DCE impose aux États membres un bon état écologique et chimique des masses d’eau d'ici à 2015 via notamment le respect de ces NQE pour 41 substances, dont des micropolluants. Selon ces normes, en France, en 2010, 21 % des masses d’eau de surface et 41 % des masses d’eau souterraines étaient en mauvais état chimique. La DCE impose aussi la réduction ou l’élimination progressive de 33 substances prioritaires ou dangereuses (métaux, dérivés du pétrole, pesticides, solvants, détergents, micropolluants...) dans les eaux de surface d'ici à 2021 ou 2028. La liste est revue tous les 4 ans. La révision de 2012 a introduit 15 micropolluants dont 3 produits pharmaceutiques, une première. Pour autant, il paraît improbable de les réglementer tous, vu leur nombre.

Comme le rappelle Pascal Guasp, président

[Encart : Une panoplie de micropolluants L’appellation micropolluants englobe des centaines de milliers de molécules. 200 à 300 sont créées chaque année au gré des nouveaux produits industriels, pesticides, cosmétiques, médicaments... dès lors dits polluants émergents. On a rassemblé ainsi sous ce vocable tous les polluants non réglementés, présents en faible concentration, de l'ordre du micro- ou nanogramme par litre (µg/l ou ng/l), à l’état de trace, mais susceptibles de produire des effets délétères. Ce sont des molécules toujours plus petites (pour accroître leur réactivité) et de plus en plus hydrophiles, donc difficiles à éliminer. D'origine naturelle ou synthétique, elles regroupent tant des métaux, métalloïdes et éléments radioactifs (plomb, cadmium, mercure, arsenic, radon, uranium...) que des polluants organiques (pesticides, hydrocarbures, solvants, détergents, cosmétiques, etc.) ou des produits pharmaceutiques et perturbateurs endocriniens (bêtabloquants, antidépresseurs, analgésiques, antibiotiques, produits de chimiothérapie, hormones…). En France, un bilan de la présence de micropolluants dans les eaux a été publié fin 2014 par le ministère de l’Écologie. Près de 950 substances ont été suivies, à presque 60 % des pesticides. Ceux-ci ont été détectés dans 91 % des points de suivi de cours d'eau et 70 % des eaux souterraines (notre eau potable est issue à 60 % d'eaux souterraines). Les pesticides les plus rencontrés sont l’atrazine (herbicide) en métropole et le chlordécone (insecticide) dans les DOM. Côté qualité, 11 % des cours d'eau et 27 % des points d’eaux souterraines ne respectent pas toujours les normes. Concernant les autres micropolluants, on retrouve plus les polluants organiques dans les eaux superficielles (HAP, PBDE, PCB) que dans les eaux souterraines (solvants chlorés). Métaux et métalloïdes sont très présents, souvent d'origine naturelle. Pour 40 % des points de mesure en cours d'eau et 7 % en eaux souterraines, les normes sont dépassées, le plus souvent à cause des HAP, PBDE pour les cours d'eau et COHV, HAP, métaux (arsenic, sélénium) pour les eaux souterraines. Côté produits pharmaceutiques, une campagne nationale de mesure, menée en 2009 sur 45 substances dans l'eau brute et traitée en step, concluait que les concentrations excédaient rarement quelques dizaines de ng/l.]
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La Suisse prend les devants

Une centaine de stations d'épuration des zones les plus urbanisées du pays doivent être équipées d'une étape supplémentaire de traitement pour diminuer la présence de micropolluants. Sont concernées les Step auxquelles sont raccordés plus de 80 000 habitants ; plus de 24 000 habitants et situées dans les bassins versants de lacs ; plus de 8 000 habitants et dont les rejets représentent plus de 10 % du volume du cours d'eau. Deux technologies seraient retenues : ozone et charbon actif, à même d'éliminer plus de 80 % des micropolluants selon les conclusions de l'Office fédéral de l'environnement (Ofev). Comme cette pollution provient de toute la population suisse, le Conseil fédéral a proposé que 75 % des coûts d'équipements (évalués à 1,2 milliard de francs suisses) soient financés par une taxe nationale sur les eaux usées perçue par toutes les Step sur la base du nombre d'habitants raccordés. Le parlement devrait se prononcer d'ici la fin de l'année. En fonction de la taille de la Step et du procédé choisi, la consommation énergétique pourrait augmenter de 5 à 30 %. Les coûts d'autant.

Du groupe Eau Pure, spécialisé dans l'élimination de l'arsenic, du fluor ou du bore dans les stations d'eau potable : « Aujourd'hui, ce ne sont pas les micropolluants qui conduisent à l'abandon de captages mais souvent certains minéraux en excès, réglementés par la DCE. Les principaux polluants restent le fer, le manganèse ou l'arsenic ». La PME a installé un procédé innovant de filtration et adsorption d'arsenic, robuste et économique, dans une vingtaine de communes françaises (jusqu'à 10 000 EH) et une dizaine à l'international (Chili, Bengladesh, Vietnam, Hongrie...). Elle teste aussi des procédés pour extraire à la source l'arsenic dans les eaux polluées autour de la mine d'or de Salsing (Aude).

Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, tout le monde est d'accord pour dire que plutôt que de traiter les micropolluants en Step ou en usine de potabilisation, il faut remédier au problème à sa source. C'est notamment un des axes du plan Micropolluants (2010-2013) lancé par le ministère de l'Écologie, dont les conclusions sont attendues sous peu. La tâche est néanmoins de plus en plus complexe au regard de la dégradation continue de la ressource, conséquence de nos modes de vie. « Les micropolluants ne sont pourtant pas nouveaux, relativise Zdravka Do Quang, responsable du pôle analyse et santé du Centre international de recherche sur l'eau et l'environnement (Cirsee) de Suez Environnement. C'est surtout que nous les détectons aujourd'hui grâce à nos capacités d'analyse, mille fois plus performantes qu'il y a dix ans. Demain, on mesurera des concentrations encore plus faibles ». Nocive ou pas, cette pollution ponctuelle ou diffuse rejoint le milieu naturel : principalement par le biais des eaux résiduaires urbaines et industrielles, de l'agriculture, de l'activité hospitalière, des transports ou équipements, de rejets directs ou encore de retombées atmosphériques. « Pour éviter d'introduire des contaminants dans le cycle de l'eau, nous cherchons à protéger la ressource en travaillant avec les agriculteurs et les habitants via notre fonds de développement durable », explique Bruno Tisserand de Veolia Eau. Un point de vue partagé par tous les opérateurs, exprimé en avril dernier par le biais de l'association européenne Eureau¹ qui rappelle qu'outre les impacts économiques, imposer des traitements en bout de chaîne induirait une surconsommation d'énergie et de produits chimiques, et risquerait de générer de nouveaux sous-produits contaminants.

Modéliser les flux et identifier les risques

Mais traiter à la source suppose de savoir d'où viennent les pollutions à l'échelle d'un bassin-versant, en termes de flux et de familles de molécules, quels risques elles présentent pour la santé et l'environnement et comment y remédier. Une activité de recherche mais aussi de services qui prend de plus en plus d'importance dans le portefeuille des grands opérateurs d'eau, à l'instar des travaux menés par Veolia Eau avec des tanneurs à Millau (voir encadré) ou par Degrémont à Bellecombe (74) où un centre hospitalier de 445 lits a ouvert en février 2012. L'entreprise y a mis en place, en 2010, un dispositif d'observation et de recherche dans le cadre du projet Sipibel. Les charges en micropolluants ont été analysées avant et après l'implantation de l'hôpital. Degrémont étudie l'impact des procédés de traitement en Step dont une file est réservée aux effluents hospitaliers. Une centaine de paramètres sont suivis pendant 3 ans (classiques – DCO, DBO, COT – micropolluants – médicaments, détergents, alkylphénols, COV, AOX, métaux – paramètres biologiques comme l'antibiorésistance...) avant d'autoriser ou non les rejets. Trois thèses doivent permettre de préciser les méthodes analytiques, complexes vu la quantité de molécules à analyser. Les premiers résultats montrent que les effluents urbains comportent plus de micropolluants (~80 %) que les effluents hospitaliers, que l'écotoxicité de ces derniers est dans les fourchettes basses des données acquises.

[Photo : Observatoire fédérateur qui mobilise des financements de partenaires publics français et européens et la collaboration de scientifiques et acteurs du territoire. Partant du constat que les établissements hospitaliers français génèrent plus de 10 % des résidus médicamenteux retrouvés dans les eaux de surface, WatchFrog va développer puis coordonner la mise en place d'une station de vigilance unique en France pour surveiller et analyser les effluents du Centre Hospitalier Sud Francilien (CHSF), situé au cœur même de Genopole.]

¹ European Federation of National Associations of Water and Wastewater Services – http://efad.eurona.eu.org

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[Photo : En Savoie, la station d’épuration de Bellecombe, en aval du nouveau Centre Hospitalier Alpes Léman, dispose d’une ligne séparée de traitement des effluents hospitaliers. Ce site pilote Sibelp étudiera pendant trois ans les performances de dépollution vis-à-vis des médicaments d’une ligne classique à boues activées, la qualité des boues produites et les impacts environnementaux sur la nappe.]

au niveau européen, et que l'efficacité des traitements est très variable selon les molécules. Des résultats qui confirment l'importance de la pollution diffuse, ce qui compliquera le traitement des pollutions à la source.

Il est donc fondamental d’en savoir plus sur les risques inhérents à ces micropolluants. Les opérateurs de l’eau mènent des recherches sur le sujet depuis plus de dix ans. « Nous avons aujourd'hui une bonne connaissance du cycle de l’eau et nous progressons sans cesse sur l'étude des sources de pollution, le comportement des polluants dans le milieu naturel au moyen de traceurs, les méthodes de suivi et l’évaluation des impacts », précise Zdravka Do Quang du Cirsee. Tous affirment qu’aucune étude ne démontre de risque sanitaire. Les polluants les plus souvent mis en cause sont les résidus d’antibiotiques (et leur influence sur l’antibiorésistance) mais leurs mécanismes de transfert sont encore trop méconnus pour imposer de les éliminer dans les Step. Ils rappellent aussi que les doses de micropolluants ingérées lors de la consommation d’eau sont résiduelles, tant en quantité qu’en proportion par rapport à l’alimentation ou à l’air. Ce que confirme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans une étude publiée en septembre dernier sur les pesticides (106 substances étudiées) : la contribution moyenne de l'eau à l’exposition alimentaire est inférieure à 5 % sauf pour 8 pesticides et leurs métabolites (atrazine, simazine, oxadixyl, propoxur, benalaxyl, métolachlore, diuron, hexaflumuron). La contribution de l'eau est néanmoins importante pour certains herbicides et varie en région selon la diversité des pratiques culturales. Ces expositions sont toujours en-deçà des valeurs toxicologiques de référence définies par l’OMS. Reste à savoir si elles ne posent pas problème à long terme. Et si ces produits particulièrement actifs ne continuent pas à agir dans l’environnement.

Évaluer la toxicité des micropolluants

Mesurer leur toxicité permettra aussi de savoir jusqu’où mettre en œuvre des traitements. Beaucoup reste à faire dans ce domaine. Parmi les pistes à suivre, celle de Vigicell, un laboratoire d’évaluation de la qualité de l’eau créé en 1999. Cette TPE innovante a développé une batterie de tests biologiques pour qualifier des échantillons d'eau prélevés dans le milieu naturel, dans les usines de traitement d’eau potable ou dans les Step. Ces tests évaluent la toxicité des micropolluants en termes d'impact sur la croissance de cellules ou d’organismes vivants (bactéries, algues, champignons, cellules humaines, etc.), sur le système hormonal (notamment concernant les perturbateurs endocriniens), d’atteinte de l'ADN (génotoxicité) ou de stress cellulaire. Des centaines de fonctions biologiques sont analysées. En avril 2011, Vigicell a signé un partenariat avec Saur pour mener des recherches et commercialiser ses outils d'analyse. « Ces outils nous permettent de mesurer le bénéfice de la qualité de l’eau pour le vivant, autrement de savoir où s’arrêter dans la sophistication de nos traitements », précise Fabrice Nauleau, directeur R&D de Saur. Autre exemple prometteur : celui de WatchFrog, une start-up qui développe des procédés biotechnologiques in vivo. Avec Veolia, elle a mis au point un outil pour repérer la présence de perturbateurs endocriniens dans les eaux usées grâce à des larves de grenouille qui deviennent fluorescentes, une méthode 5 à 10 fois plus rapide que les tests conventionnels. De son côté, Suez Environnement a lancé, en juin 2013, un projet de 3 ans, baptisé Expol’, pour évaluer le risque chronique des micropolluants via l’eau potable sur des modèles biologiques. « Nous étudions l’impact d’un cocktail naturel de micropolluants sur le vivant », explique Pascale Bonnardot, responsable R&D de Suez Environnement. (Expol est mené avec le support de l’Agence de l’eau Seine-Normandie en partenariat avec la Faculté de pharmacie Paris-Sud et l’Institut Cochin).

[Encart : Une première en France : la station d’épuration des Bouillides Cette station d'épuration, d'une capacité actuelle de 38 000 équivalents habitants (EH), est située en amont de la Bouillide qui alimente l'eau potable d'Antibes via la nappe phréatique. Les pollutions azotées et phosphorées y sont traitées depuis 1997. Pour installer un traitement plus poussé de l'azote et une meilleure désinfection des eaux usées, le syndicat intercommunal a opté pour une désinfection par l'ozone, permettant du même coup d'éliminer une quinzaine de micropolluants. Une première. Cette nouvelle extension est confiée à Degrémont et à Ozonia, une de ses filiales. L'ozonation est placée entre les étages de traitement biologique de nitrification et de dénitrification. L’équipement pourra assurer le fonctionnement nominal attendu en 2030 pour 50 000 EH.]
[Encart : Réduire la pollution par le chrome : l’exemple de Millau La teneur en chrome des boues destinées à l'épandage, issues de la Step de Millau dépassait régulièrement les teneurs maximales admises (1 000 mg/kg) pour atteindre parfois 1 600 mg/kg. Avec la collectivité, Veolia Eau a recensé les sources potentielles de pollution de toutes les activités industrielles et artisanales du territoire grâce à un outil baptisé Actipol : 34 industries ont été identifiées (peinture, tannerie, cuir, pressing, emballage, etc.). En 2011, des campagnes de mesures (conductivité, COD, TSS, chrome total) ont révélé deux sources majeures de pollution liées à des tanneries. Des solutions ont été mises en œuvre (prétraitement, contrôles, maintenance des appareils). En 2013, les mesures ont confirmé des teneurs de chrome inférieures à la norme, de l'ordre de 600 mg/kg.]
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A l’heure actuelle, les procédés à base de charbon actif sont la norme pour traiter les eaux de surface en présence de micropolluants.

polluants, d’une part sans traitement spécifique au moment de la potabilisation, d’autre part avec un traitement conventionnel et enfin un traitement sophistiqué, précise Zdravka Do Quang. Nous pourrons ainsi évaluer l’impact des technologies de traitement.

Traitements : les expérimentations se poursuivent

Au-delà des solutions préventives, quelles solutions curatives peuvent être mises en œuvre ? La première, peu satisfaisante, consiste à mélanger des ressources de diverses provenances pour respecter les normes par dilution. Plus cohérent avec une gestion rigoureuse, les traitements complémentaires (ozone, charbon actif, membranes), développés pour la potabilisation, peuvent être mis en place en Step comme on l’a déjà évoqué. Cela d’autant plus que les effluents de la Step représentent une contribution importante en termes de débit. « Nous continuons à faire de la R&D pour mieux définir les conditions de traitements et leurs effets, précise Gilles Boulanger de la Lyonnaise des eaux. Cela aurait néanmoins un impact non négligeable sur le prix de l’assainissement ».

Le meilleur exemple est probablement le procédé Carboplus et son aîné Carboflux, breveté en 1995 par Saur, à l’origine pour éliminer les pesticides (atrazine et ses sous-produits) des eaux potables. « Nous nous sommes aperçus que notre procédé captait aussi les micropolluants, même les plus hydrophiles, indique Fabrice Nauleau de Saur. Aujourd’hui, les procédés à base de charbon actif sont la norme pour traiter les eaux de surface en présence de micropolluants ». Carboplus, breveté en 2010, est aussi en passe de devenir un procédé de référence pour le traitement des eaux de surface.

[Encart: La gamme Moduleaupro EF de BMES qui permet de répondre efficacement à la dépollution des micro-polluants implémente le couplage des technologies les plus avancées telles que la filtration par séparation physique ou biologique, la photolyse avec les rayonnements ultraviolets (UV), les Procédés d’Oxydation Avancée (POA) avec ozone (O₃), peroxyde d'hydrogène (H₂O₂), UV/O₃, UV/H₂O₂, la photocatalyse ou encore adsorption.]
[Encart: Suivre les molécules clefs par Elisa La technologie ELISA (Enzyme Linked Immuno Sorbent Assay) mettant en œuvre un anticorps dirigé spécifiquement vers une molécule cible est appliquée régulièrement en environnement à la quantification de pesticides (Triazines, Diuron, Glyphosate...) et toxines d’algues (Microcystines...). Elle trouve maintenant son application dans le suivi de ces nouvelles molécules dites « polluants émergents » telles que les principales hormones, les alkylphénols, le benzo(a)pyrène, l'acrylamide ou certains médicaments comme la Carbamazépine. Le savoir-faire d'Abraxis USA, relayé par Novakits en France, a permis de développer des kits ayant une sensibilité pouvant descendre jusqu’à quelques nanogrammes/L (17 Beta Estradiol) pour un résultat dans les 2 heures. En ciblant spécifiquement ces molécules, il est possible de mettre en place un monitoring du milieu au niveau des normes de qualité environnementales définies par la DCE. Un nombre de points important pourra être analysé dans des conditions optimales de moyens et de temps de réponse.]
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[Encart : texte : Veolia Environnement et WatchFrog intensifient leur partenariat Afin de pouvoir évaluer rapidement la qualité de l'eau en sortie de station de traitement des eaux usées ainsi que l'impact de celle-ci sur la biodiversité, la société française WatchFrog, issue d'un spin-off du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, a développé des capteurs biologiques intelligents. En partenariat avec Veolia Environnement, elle a mis au point conjointement un outil permettant de repérer la présence de perturbateurs endocriniens (de type thyroïdien, œstrogénique, corticotrope) dans les eaux usées grâce à la fluorescence de larves de poissons ou de têtards. Grâce à cette technologie innovante, les larves de grenouille deviennent fluorescentes lorsqu'elles sont perturbées par la présence d'un tel polluant. Plus les larves sont perturbées, plus elles s’allument. L’objet de ce nouveau partenariat entre WatchFrog et Veolia réside notamment dans la production et la commercialisation de cet outil de lecture en flux qui va permettre de valoriser l’efficacité des systèmes de traitement de l’eau dans l’élimination de ces polluants. Veolia a ainsi déjà développé une technologie de traitement tertiaire des eaux usées, ActifloCarb®, en vue d’éliminer les micropolluants émergents et notamment les perturbateurs endocriniens. Conjugué à l’action oxydante de l’ozone, le procédé est capable d’abattre jusqu’à plus de 95 % des perturbateurs endocriniens et de leurs sous-produits d’ozonation. Les informations communiquées par leur process de test vont donc permettre à ActifloCarb® un traitement encore plus précis des eaux usées. En attendant la mise en œuvre d’une nouvelle réglementation communautaire liée aux perturbateurs endocriniens, Veolia Environnement et WatchFrog ont fait le choix de mettre leur expertise et leurs technologies conjointement au service de la santé et de l’environnement.]
[Photo : Le procédé Carboplus® mis en service à Crozon (Finistère) affiche de premiers résultats concluants. L’Agence régionale de santé relève que le taux de la cinquantaine de molécules analysées (essentiellement des pesticides) n’est pas détectable puisqu’inférieur aux seuils minimum de détection (fixés à 0,02 µg/l). Développé par Stereau pour éliminer les micropolluants et la matière organique dans l’eau brute, Carboplus® équipe l’usine de Poran (90 m³/h) depuis fin 2012.]

Eaux usées, domestiques et industrielles.

Le procédé piège les micropolluants dans un réacteur, par adsorption, sur du charbon actif en suspension qui a la capacité de fixer toutes les petites molécules organiques dans ses micropores (le traitement intervient après décantation et filtration). Le charbon, en poudre (granulométrie de quelques microns), est éliminé et renouvelé en continu. Saur travaille aussi avec des fabricants de charbon pour utiliser un charbon en micrograins (un peu plus gros), plus économique car récupérable et régénérable, brûlé.

Saur et sa filiale ingénierie, Stereau, ont équipé ou ont en projet 12 installations en France avec le procédé Carboplus® : 8 stations d’eau potable, nouvelles ou en rénovation, 2 installations en sortie d’usines pharmaceutiques et 2 stations d’épuration à Quimper dans le Finistère, après un traitement membranaire dont les rejets interviennent dans une baie ostréicole, et un pilote de recherche sur l’usine Seine Centre à Colombes (Hauts-de-Seine) en partenariat avec le SIAAP. « Carboplus permet d’éliminer les micropolluants organiques tels que les hormones naturelles ou de synthèse et les résidus médicamenteux, même dans de petites unités, détaille Fabrice Nauleau. Le coût est par ailleurs raisonnable : il faut compter 20 mg/l de charbon, soit quelques centimes d’euros par m³ selon la taille de l’installation. »

L’autre voie souvent évoquée est l’ozonation, véritable machine à casser les molécules mais qui présente le risque de créer des sous-produits eux-mêmes toxiques, un problème infondé dans la majorité des cas selon l’OfEV en Suisse. Dans l’idéal, l’ozonation doit être associée à un traitement au charbon actif ou à un traitement biologique (filtre à sable, lit fluidisé). Ozonation et charbon actif en poudre sont les deux solutions techniques considérées comme les plus prometteuses par l’OfEV pour éliminer les micropolluants des eaux urbaines. L’organisme souligne néanmoins qu’aucun procédé n’est à même d’éliminer complètement tous les micropolluants à un coût…

[Photo : Air Products, avec son procédé Halia® Advanced Oxidation System reposant sur le procédé HiPOx®, assure également désinfection, traitement des micropolluants et recyclage d’eau. Une installation située à Wichita (Kansas, USA) traitant 11 000 m³ d’eau par jour est en service depuis 2011 pour le rechargement de nappe phréatique à partir d’une eau de rivière chargée en atrazine.]
[Publicité : Béné Inox]

Coupler chimie et biologie

Les analyses chimiques produisent une vision partielle de la contamination : seules les substances recherchées sont dosées. Par ailleurs, même exhaustives, elles resteraient insuffisantes pour faire un lien avec l'impact sur le vivant, d'une part parce que les données de toxicité connues pour chaque substance sont très parcellaires et d'autre part parce qu’elles ne permettent pas de prédire l'effet final du mélange. Pour améliorer la connaissance de la contamination, les analyses chimiques peuvent être complétées par des bio-essais (détection des substances par leurs effets sur le vivant), car cette approche apporte une vue globale de la pollution (le vivant réagit à l'ensemble des substances présentes) et donne de plus une indication sur l'impact du mélange sur les communautés vivantes dans le milieu, prenant en compte la notion de mélange et de biodisponibilité.

Un bio-essai consiste à mettre en contact, dans des conditions standardisées, l'échantillon d'eau à tester avec une population d'organismes vivants (ex. : daphnies, poissons, têtards, moules, algues, champignons, etc.) ou des cellules (ex. : cellules humaines ou animales) puis, après un temps de contact dépendant de chaque bio-essai, à observer des modifications de ces modèles biologiques au niveau global (ex. : nombre, mouvement, respiration, etc.) ou particulier (ex. : interaction avec un récepteur hormonal, atteinte aux membranes, aux mitochondries, au matériel génétique, blocage du système photosynthétique, etc.).

Un test seul ne peut cependant couvrir ni la multiplicité des effets des pollutions sur le vivant (de la même manière qu'il y a mille façons d’être malade pour un humain et tout autant d'examens médicaux), ni la variabilité de ces effets selon les espèces exposées, ainsi une substance toxique pour un poisson ne le sera pas forcément pour une algue et inversement. Évaluer la toxicité de polluants de l'eau nécessite donc de combiner des bio-essais ciblant des effets biologiques différents et mettant en œuvre des modèles biologiques variés, pour tenter de représenter la biodiversité du milieu.

C'est la stratégie proposée par VigiCell avec son ensemble de bio-essais complémentaires VigiWater™, comprenant 5 panels de tests pour évaluer la toxicité générale (8 bio-essais), les perturbations endocriniennes (6 bio-essais), la génotoxicité (3 bio-essais), les stress cellulaires (7 bio-essais) et la reprotoxicité (4 bio-essais). En fonction de la situation, des objectifs et des contraintes, tout ou partie de ces panels sont mis en œuvre, de manière ponctuelle ou dans le cadre d’un suivi régulier.

Depuis 2014, plusieurs études ont été ainsi été réalisées sur différentes situations.

Dans le cadre de ses missions visant à garantir une eau sûre et de qualité à ses abonnés, le SEDIF a choisi d’expérimenter le panel de bio-essais VigiWater™ et a réalisé le suivi régulier (bimensuel) durant un an de la qualité de l'eau de ressource sur l'un de ses sites, à Neuilly-sur-Marne. Combinant méthodes biologiques, au travers d'une vingtaine de bio-essais répartis dans quatre panels thématiques et mesures physico-chimiques orientées notamment sur les pesticides et les antibiotiques, cette évaluation a permis de suivre les variations de la qualité de la ressource durant un an. Au terme de ces travaux, un outil multidimensionnel et intégratif de qualité de la ressource est proposé pour le suivi régulier des autres sites du SEDIF.

Autre exemple, l'IAV (Institut d’Aménagement de la Vilaine) gère le plus grand bassin-versant de France et l'usine de potabilisation qui en dépend alimente un peu plus d’un million de personnes avec 15 à 20 millions de m³ d'eau par an. Soucieux de leur assurer durablement une eau de qualité, l'Institut, via son prestataire SAUR, s'est engagé dans un programme de monitoring des eaux à l'échelle du bassin-versant de la Vilaine en commençant par documenter les flux d'eau entrant et sortant de son usine au moyen de deux des panels d'outils biologiques intégratifs VigiWater™ (soit 13 bio-essais). Afin d’établir une base de connaissances permettant non seulement de rendre compte de l'évolution saisonnière de la qualité de la ressource mais aussi des performances des process en place en réponse à ces variations, l’étude a débuté par l'analyse de 12 échantillons sur 6 mois, en entrée et en sortie (avant chloration) de l'usine d'eau potable.

La troisième année de cette action est actuellement en cours, avec le suivi régulier de la ressource en plusieurs points en amont de la prise d'eau, afin de commencer à élaborer une cartographie dynamique de la qualité du milieu naturel. De plus, afin de restituer au mieux les résultats de ses évaluations par bio-essais, VigiCell a pris soin de privilégier un mode de communication accessible à tous, au travers de la schématisation intégrative fondée sur un code couleur. Un tel mode de présentation permet en un clin d'œil de visualiser des résultats initialement complexes et de comparer simplement des situations.

Abordable.

Les procédés d’oxydation avancée sont une autre piste.

BMES est par exemple spécialisée dans les équipements de traitement de l'eau et de l'air par rayonnement UV et par Procédés d’Oxydation Avancée (POA) en vue de répondre aux besoins de désinfection de micro-organismes et de destruction de micropolluants dans le respect de l'environnement.

Sonitec combine également les techniques les plus avancées pour traiter les micropolluants : systèmes à membranes, distillation sous vide à basse température, oxydation avancée, UV, H₂O₂, O₃, UV + H₂O₂, UV + O₃, UV + O₃ + H₂O₂.

Air Products, avec son procédé Halia® Advanced Oxydation System reposant sur le procédé HiPOx® (marque déposée de APTWater Inc), assure également désinfection, traitement des micropolluants et recyclage d'eau. Une grosse installation située à Wichita (Kansas, EU) traitant 11 000 m³ d'eau par jour est en service depuis 2011 pour le rechargement de nappe phréatique.

[Photo : Xylem propose également tout à la fois des solutions ozone, UV ou des solutions combinées pour traiter les perturbateurs endocriniens produits par l’industrie pharmaceutique. Xylem a installé sa technologie ozone Modeo® dans une station d’eaux résiduaires urbaines française à Saint-Pourçain-sur-Sioule (03), pour l’une des premières expérimentations mondiales à grande échelle, qui fait suite à d’autres similaires en Allemagne et en Suisse.]
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à partir d'une eau de rivière chargée en atrazine.

Xylem propose également tout à la fois des solutions ozone, UV ou des solutions combinées avec d'autres oxydants pour traiter les perturbateurs endocriniens produits par l'industrie pharmaceutique ou les stéroïdes. Xylem a installé sa technologie ozone Wedeco® dans une usine d'eaux résiduaires urbaines en Suisse pour la première expérimentation mondiale à grande échelle.

Citons également la séparation membranaire (nanofiltration et osmose inverse), autre technique bien connue, qui retient un large spectre de micropolluants solubles. Tellement large que ces eaux doivent être complétées en minéraux pour être consommables sans risque de déshydratation. C’est aussi la plus coûteuse, de l'ordre de 0,50 c€/m³. Les polluants extraits doivent en outre être éliminés ensuite. Quelles que soient les solutions retenues, nos choix de consommation et les polluants qui en découlent risquent de nous coûter cher.

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