Nous avons donc étudié, dans un premier temps, cinq percolats provenant de trois décharges différentes. Sur chaque lixiviat nous avons effectué une caractérisation physico-chimique globale, et nous avons cherché à déterminer leur traitabilité, en étudiant des traitements biologiques et physico-chimiques. Parallèlement, nous avons suivi l'évolution des composés organiques au cours des différents traitements en utilisant la chromatographie de perméation sur gel.
L'examen de tous ces résultats nous a conduits à établir une méthodologie simple permettant d’orienter le choix du traitement. Appliquée à une vingtaine de lixiviats de décharges contrôlées, elle nous a permis de proposer pour chacun d’eux la filière de traitement la mieux adaptée. La validité de cette proposition a été ensuite vérifiée à l'échelle pilote.
MÉTHODOLOGIE
Principe
Nous pouvons définir notre méthodologie de la façon suivante :
- - une analyse physico-chimique qui permet d’évaluer la charge organique, la biodégradabilité, la salinité et, éventuellement, la présence d’éléments toxiques ;
- - une chromatographie de perméation sur gel afin de connaître la répartition des composés selon leur poids moléculaire.
Les résultats de ces deux étapes conduisent à définir la filière de traitement la mieux adaptée. Nous pouvons la représenter par le schéma suivant :
Lixiviat X
Caractérisation physico-chimique Chromatographie de filtration sur gel
Proposition d'une filière de traitement
Vérification à l'échelle pilote
Matériel et méthodes
Les paramètres physico-chimiques sont analysés selon les protocoles normalisés par l'AFNOR (Essai des Eaux T 90). La DBO₅ a été mesurée après ensemencement par de l'eau résiduaire urbaine.
Les acides carboxyliques sont dosés en chromatographie en phase gazeuse sur une colonne en verre de 2 m de longueur remplie avec du Carbopack C, 0,3 % Carbowax, 0,1 % H₃PO₄. Le gaz vecteur est l'hélium au débit de 40 ml/min ; programmation de température 100 à 180 °C, 4 °C par min, détecteur à ionisation de flamme.
La chromatographie de filtration sur gel s'effectue sur une colonne de 2,5 cm de diamètre et 90 cm de hauteur. Le gel utilisé est du Sephadex G 25 fine (Pharmacia). Les composés de poids moléculaire > 5000 sont exclus et donc élués en premier. Les échantillons sont filtrés sur des membranes 0,45 µm et ramenés à une concentration en COT comprise entre 100 et 200 ppm. Dix millilitres d’échantillon sont déposés à la surface du gel et sont élués par de l'eau déminéralisée (Millipore) au débit de 140 ml/h. Un collecteur de fractions permet de recueillir celles sur lesquelles sont mesurés le COT et l’absorbance en UV à 254 nm.
Les essais de traitement biologique ont eu lieu en laboratoire à l'échelle pilote. Les conditions opératoires étaient les suivantes :
- — charge massique faible 0,15 kg DBO₅/kg MVS/j ;
- — dilution du lixiviat au démarrage de façon à acclimater les boues ;
- — concentration moyenne en MVS de l'ordre de 3 à 4 g/l ;
- — ajout régulier de KH₂PO₄ de façon à obtenir un rapport DBO₅/P voisin de 100/1.
Les essais de coagulation-floculation ont eu lieu en jar-test selon le protocole suivant :
- — prise d’essai 500 ml ;
- — agitation très rapide durant 3 minutes ;
- — agitation lente (30 t/min) durant 17 minutes ;
- — décantation 2 heures.
Choix et interprétation des paramètres analytiques
L’analyse physico-chimique complète des cinq percolats étudiés dans la première partie de l'étude et examen de leur comportement
Tableau 1 : Liste des paramètres retenus
PARAMÈTRES |
COMMENTAIRES |
pH - Eh - Oxygène dissous - MES - MVS |
Renseignements sur la composition générale des percolats et la forme chimique de certains composants. |
DCO - DBO₅ - COT |
Évaluation de la charge oxydable — biodégradable ou non biodégradable. |
Conductivité - Cl⁻ |
Teneur en sels dissous. |
NTK - N - NO₃⁻ - N - NH₄⁺ - PT - P - PO₄ |
Paramètres intervenant dans le traitement biologique (nutriments). |
Phénols - métaux lourds |
Composés susceptibles d’être gênants, inhibiteurs ou toxiques à partir de certaines concentrations. |
Acides gras volatils |
Étape réactionnelle d'une dégradation anaérobie. |
vis-à-vis de tel ou tel traitement nous ont conduits à sélectionner un certain nombre de paramètres. Ces paramètres, et les renseignements qu’ils apportent, sont regroupés dans le tableau 1. Ils permettent d’évaluer la charge organique d’un effluent et sa biodégradabilité d'après les critères suivants :
- - un rapport DBO₅/DCO > 0,3 indique qu’un traitement biologique est envisageable ;
- - un rapport DBO₅/DCO < 0,1 ne permet pas un traitement biologique.
Dans ce dernier cas, ou éventuellement après un traitement biologique (si le COT résiduel reste élevé), on a recours à la chromatographie de filtration sur gel. Elle permet de mieux connaître la nature de ces composés non biodégradables ; en effet, cette étude a montré que cette fraction est généralement constituée de composés de PM élevés et que ces composés sont éliminés par coagulation-floculation.
APPLICATION
Afin de vérifier la validité de notre méthodologie, nous l’avons appliquée à une vingtaine de lixiviats de décharges contrôlées. Les percolats ont été prélevés dans les bassins de rétention ou au fond de la décharge par l'intermédiaire de buses ou de puits. Nous avons regroupé les principaux résultats de nos essais dans le tableau 2. Les chromatogrammes de filtration sur gel (CFG) se présentant principalement en trois types, nous n’en présentons que trois, choisis dans chacun de ceux-ci (figures 1, 2 et 3).
Nous constatons en effet qu'il y a trois grandes catégories de lixiviat dont deux principales, la deuxième étant la phase intermédiaire entre les deux autres. Nous proposons cette classification des percolats, ainsi que les traitements envisagés, sur le tableau 3.
Nous pouvons noter également que les décharges de type I sont
Tableau 2 : résultats OM : ordures ménagères et assimilés ; DS : déchets spéciaux.
[Photo : Chromatogramme de filtration des lixiviats sur gel (type I).]
[Photo : Chromatogramme (type II).]
[Photo : Chromatogramme (type III).]
généralement des décharges jeunes. Les lixiviats produits sont très chargés en acides gras volatils et ils évoluent plus ou moins vite vers le type III. Les lixiviats de ce type sont généralement issus de décharges anciennes et ne semblent plus évoluer.
Mais l’âge n’est pas le seul facteur important dans l’évolution de la décharge : il faut tenir compte aussi du degré de saturation en eau, du mode d’exploitation, du degré de compactage… Ainsi certaines décharges de type I, bien qu’anciennes, ont une charge organique constituée essentiellement d’acides carboxyliques. La méthanisation semble bloquée en phase acide et les lixiviats restent stables.
CONCLUSION
Appliquée à une vingtaine de décharges contrôlées exploitées par Ordures Service, notre méthodologie (fiche analytique + CFG présentées en annexe) a permis d’établir un diagnostic de traitabilité pour chacun des lixiviats et de définir aussi une filière d’épuration appropriée.
Ces lixiviats peuvent être classés en trois catégories majeures :
- ceux issus de décharges jeunes et dont la charge organique est constituée principalement par les acides carboxyliques. Ils sont biodégradables et peuvent être traités par voie biologique ;
— ceux issus de décharges anciennes et dont la charge organique est constituée principalement par des composés de poids moléculaires élevés. Ils ne sont pas biodégradables et peuvent être éliminés par coagulation-floculation ;
= ceux issus de décharges d’un « âge intermédiaire » (âge variable selon l’importance de la méthanisation au cœur de la décharge), dont la fraction biodégradable (acides carboxyliques) est en grande partie consommée. Le traitement conseillé est donc un compromis entre ceux des deux premières catégories.
I
pH < 6,5
Charge organique élevée
dont 70 à 90 % sous forme AGV
DBO5 > 0,3
CFG
- pic d’exclusion peu important
- pic des AGV prépondérant
Traitement proposé
biologique
Traitement de finition
Coagulation-floculation
II
6,5 < pH < 7,5
Charge organique peu élevée
dont 0,3 à 0,6 sous forme AGV
DBO5 < 0,1
CFG
- pic d’exclusion ou pic AGV
Traitement proposé
biologique
Traitement de finition
Coagulation-floculation
III
pH > 7,5
Pas d’AGV
DBO5 < 0,1
CFG
- pic d’exclusion prépondérant
Traitement proposé
Coagulation-floculation
Charbon actif
Tableau 3 : classification des lixiviats.
Point de prélèvement : buse
Paramètres physico-chimiques (mg/l)
DCO : 7450
DBO5 : 4540
COT : 2280
COT théor. AGV : 1820
NTK : 315
Métaux totaux : 56
Catégorie type IPic des AGV prépondérant
[Photo : Chromatographie de perméation sur gel]
Traitement biologique
Résultats pilote
Biologique : lagunage aéré
Traitement de finition : floculation Clairtan
Temps de séjour (j) : 30
MS (g/l) : 4,5
% OT éliminé : 93
Dose de Clairtan ajoutée : 6,2 ml/l
% COT éliminé : 50 %
Rendement d’épuration global : 96 %
Fiche analytique – Décharge : D
Il est préférable d’appliquer le traitement biologique avant le traitement physico-chimique afin de réaliser une économie de réactif.
Ce programme de recherches a débouché sur l’implantation d’installations de traitement sur de nombreux sites de décharges.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1) N. Millot, C. Granet, M. Chamalot, A. Navarro. « Un problème nouveau : les lixiviats de décharges contrôlées ». L’Eau et l’industrie, mars 1984, n° 84, p. 454 à 460.
2) C. Granet, N. Millot, A. Wicker, A. Navarro, J. Véron. « Application de la chromatographie de perméation sur gel aux lixiviats de décharge contrôlée ». Techn. Science Municip., mai 1985, vol. 80, n° 5, p. 223 à 229.