Tests sur 100 kilomètres de réseaux d’eau potable
Ingénieur en Chef
SOBEA
Depuis une bonne dizaine d'années, professionnels de l’eau et consommateurs de toutes catégories ont tous pris conscience de la valeur du produit « eau » et de la nécessité d’éviter tout gaspillage à son sujet.
Un rapport du BETURE auquel il a été fait allusion lors des journées de septembre tenues à la Maison de la Chimie à PARIS, sous le titre : « L'eau et la vie économique » conclut, sur les échantillons choisis, à une perte moyenne de l'ordre de 50 % entre les cubes mis à disposition en tête des réseaux publics de distribution et ceux utilisés par les consommateurs, cette perte se répartissant à peu près également entre lesdits réseaux publics et les installations intérieures des abonnés desservis.
C'est dire si cette question est importante, d'autant que les conséquences ne se résument pas à la perte d'un produit dont le coût de « fabrication » (pompage et traitement) n'est pas négligeable, mais que les débits perdus peuvent soit conduire à une insuffisance de ressources au regard de la demande, soit entraîner, au même titre que toute autre infiltration d'eau parasite dans le sol, de nombreux inconvénients, par exemple un mauvais fonctionnement des stations d’épuration d’eaux usées dont ils viennent diluer l'effluent, ou des dégradations de tout genre dans les sous-sols et qui peuvent être énormes, surtout en milieu urbain.
C'est pourquoi, depuis longtemps, les exploitants des services d'eau se sont attachés à surveiller la tenue de leurs réseaux dans ce domaine ; mais il faut bien dire que la tâche est difficile et que les moyens techniques dont nous disposions jusqu'à ce jour étaient assez limités.
Tâche difficile :
1° – Les causes de fuites sur réseaux sont multiples. Rappelons-en les principales :
- • la vétusté des installations,
- • la corrosion interne de par les qualités propres de l'eau distribuée,
- • les ruptures par surpression et coups de bélier,
- • les éclatements dus au gel,
- • les mouvements et affaissements de terrain,
- • les points durs des lits de pose des conduites,
- • la corrosion externe par la nature du terrain ou des transmissions électriques non contrôlées,
- • les ruptures accidentelles suite à des travaux le long des routes ou dans les champs,
- • la mauvaise étanchéité des accessoires, colliers, joints, suite notamment à leur vieillissement, à leur corrosion et aux trépidations de la circulation,
- • pour les tuyaux plastique : collages non étanches, décollements, ruptures aux droits des raccords.
À noter, en incidence, que cette liste montre à l'évidence que, si le fait de caractériser les fuites par un pourcentage des cubes mis à disposition en constitue peut-être une représentation parlante, il ne reflète absolument pas l'aspect technique du problème, celui-ci étant plutôt lié à la longueur du réseau et à son équipement ; mais cet aspect des choses mérite un autre débat.
2° – Les installations étant enterrées, sauf dans le cas spécial de la ville de PARIS où les conduites sont en galerie, il n'y a souvent aucune manifestation visible de la fuite.
On est alors alerté par des relevés de compteurs, par des recoupements de statistiques (débits refoulés par exemple). On peut à la limite situer le tronçon fuyard si l'on dispose de comptages bien placés et que l'on relève de préférence de nuit, afin d'éliminer les consommations normales, mais il reste encore à préciser le point exact où il convient d'intervenir.
C'est pourquoi depuis plusieurs décennies, et faute de pouvoir utiliser aisément des méthodes de traçage en raison de la qualité alimentaire de l'eau transportée, ont été mis au point différents appareils, tous basés sur ce qu'il est convenu d’appeler la méthode traditionnelle acoustique.
Ce sont le triphone, l’hydrosol, l’aquaphon, le GPR 404, etc. Le principe de leur fonctionnement consiste à écouter soit au travers du sol, soit directement en contact avec la conduite, le bruit occasionné par la fuite et d’en estimer la localisation en repérant l'emplacement correspondant au bruit maximum.
Or, malgré les progrès réalisés dans ce type d'appareillage, notamment par l'adjonction de l'électronique, les résultats en sont souvent décevants. En effet, il faut disposer de préposés à l’oreille très sensible qui, pour éviter au maximum d’être en butte à des bruits parasites, sont condamnés à travailler de nuit.
C'est dire les difficultés d'organisation de telles opérations et le découragement qui gagne les équipes lorsque les résultats sont peu convaincants.
Or, un progrès très important en la matière vient d'être réalisé par la mise sur le marché d'appareils dits « à corrélation ». Le principe de la méthode et de l’équipement correspondant est excellemment décrit par MM. ARNAC et VEZO dans le n° 410 de la Technique de l'Eau et de l'Assainissement de février 1981. Nous renvoyons nos lecteurs à cet article en précisant simplement que la méthode consiste à observer les vibrations de la conduite en deux points soit appartenant à la conduite elle-même, soit en liaison avec elle (carré de manœuvre d'une vanne par exemple).
S'il y a fuite, celle-ci engendre des fluctuations de pression qui se propagent de part et d’autre. On mesure donc les vibrations en chacun des deux points d’écoute et on en calcule la corrélation, c'est-à-dire le retard temporel qu'il faudrait appliquer entre les deux phénomènes pour les resynchroniser. À partir de la vitesse de propagation, ce calcul permet alors de situer la fuite dont l'emplacement est matérialisé sur un écran par le maximum de la courbe spectre de l'énergie du bruit en fonction de la fréquence.
Cette technique a d'abord été expérimentée en Angleterre par la Water Research Center qui a défini un appareillage avec la Société PLESSEY, puis en France par la Société METRAVIB dont le matériel commence à être commercialisé en série.
Notre propos est essentiellement de décrire les avantages à partir d'une expérience s’étendant à fin 1981 sur plus de 100 kilomètres de réseaux auscultés.
ASPECT PRATIQUE SUR LE TERRAIN
Le véhicule.
Il faut prévoir une fourgonnette d'un volume utile de l'ordre de 5 à 6 m³, par exemple C 25 CITROEN, de façon à transporter l'ensemble du matériel, tout en réservant l’emplacement d'une table de travail pour l'opérateur.
Le matériel comprend essentiellement :
- - l'unité centrale de calcul et de visualisation ; encombrement : 53 x 50 x 30 cm ; poids : 25 kg ;
- - les batteries d’alimentation ;
- - les capteurs de vibration ;
- - les câbles de liaison ;
- - un odomètre ;
- - l'équipement de signalisation ;
- - du petit outillage.
Préparation du travail.
Pour que l'opération ait un bon rendement, il est nécessaire de la préparer par le choix de tronçons examinés, la mise à disposition des plans de détail mis à jour, la vérification de l’accès et du bon état des bouches à clé devant servir de points d’écoute.
À ce sujet, et pour obtenir une bonne précision, on prévoira a priori un point d'écoute tous les 100 à 120 mètres sur l'acier et la fonte, tous les 50 à 60 mètres sur l'amiante-ciment.
Il est bon que lors de l’opération, le spécialiste chargé du fonctionnement de l’appareil de corrélation soit accompagné par un ou deux agents locaux, afin de l'aider dans les manipulations et de lui faire profiter de leur connaissance du terrain.
Mode opératoire.
L'opérateur met en place les deux capteurs en contact avec la conduite sur les points d'écoute choisis.
Il relie ensuite les capteurs à l'unité de traitement par les câbles.
Il procède alors à un premier examen au casque pour repérer éventuellement un bruit de fuite, en affinant l'opération par réglage manuel de la bande passante des filtres d'écoute.
Si aucun bruit suspect n'est repéré, on passe à l'examen du tronçon suivant.
Dans le cas contraire :
- * on mesure la distance entre les capteurs,
- * on détermine, à l'aide d'une fuite test (par exemple par ouverture d'une bouche d'incendie), la vitesse de propagation du bruit de la fuite dans la conduite,
- * on affiche sur l'unité de traitement la distance et la vitesse trouvées,
- * on déclenche la fonction de corrélation.
Il apparaît alors sur l'écran de visualisation le spectre par points de l'énergie du bruit engendré par la fuite.
La valeur maxima de la courbe ainsi obtenue correspond à la position de la fuite dont la distance par rapport à l'un des capteurs apparaît en clair sur l'appareil.
Lorsque la fuite a été ainsi identifiée et localisée, il est préférable de la réparer immédiatement, quitte à ce que, pendant ce temps, il soit procédé à l'auscultation d'un autre tronçon.
Ce n'est qu'après réparation que l'on continuera l'examen du tronçon initial, cela afin d'éviter qu'en cas de plusieurs fuites voisines, la plus bruyante occulte les autres.
Les résultats.
Notre expérience actuelle porte, nous l'avons dit, sur une centaine de kilomètres de réseaux en fonte, acier, ou amiante-ciment.
Il est difficile d'en tirer des conclusions définitives quant aux performances attendues en campagne systématique, les opérations auxquelles nous avons procédé présentant souvent simultanément un caractère de démonstration et de formation de personnel.
On peut indiquer toutefois que sous réserve d’une préparation sérieuse, les longueurs de 1 500 m en ville et de 3 000 m en secteur rural, peuvent être facilement atteintes en une journée de travail.
En outre, ces opérations nous ont permis les remarques suivantes :
- * nous n'avons pas remarqué de répercussions dues aux variations de température sur le fonctionnement de l'appareil,
- * pas d'incidence constatée liée à la nature du terrain ou à la météorologie,
- * les seuls bruits parasites gênants sont les bruits continus (exemple moteurs en sous-sol),
- * il n'y a aucun rapport entre le bruit ou le spectre de la fuite et l'importance de cette dernière,
- * la précision obtenue dans le repérage dépend essentiellement de la connaissance du parcours et de la mesure exacte du tronçon intéressé,
- * la rapidité et une précision à quelques décimètres près ont entraîné une grande motivation du personnel face à ce procédé nouveau qui permet d'opérer dans un environnement (travail de jour et souvent en pleine ville), où les méthodes acoustiques classiques auraient été inefficaces.
Encore faudra-t-il veiller à ce que les agents d'exploitation locaux ne se démobilisent pas personnellement devant le problème des fuites en en laissant toute la charge au spécialiste lors de ses passages. Il leur revient en tout état de cause de préparer les interventions dudit spécialiste, et entre temps d'essayer au moins de maintenir la situation en utilisant les appareils acoustiques qui restent seuls, pour l'instant, économiquement valables, dans les petites et moyennes installations.