Les réseaux d'eau potable n?échappent ni à l'usure du temps, ni aux accidents. Résultats : de nouvelles fuites y apparaissent sans cesse qu'il faut méthodiquement traquer et réduire sous peine de voir fléchir inexorablement le rendement des réseaux. Plusieurs méthodes, ponctuelles ou systématiques, existent pour rechercher les fuites.
Dans la plupart des réseaux de distribution d’eau potable, une forte proportion d’eau se perd entre les usines de traitement et les points de consommation. On estime en effet qu’entre 10 et 50 % de l’eau produite n’arrive jamais au robinet. En France, le volume généralement perdu avoisine les 20 à 30 % de la quantité produite. Et pour les réseaux les plus anciens, les pertes atteignent jusqu’à 50 % des volumes produits. Autant dire que l’étanchéité absolue des réseaux n’est qu’une chimère. Tous les réseaux perdent de l’eau, à tel point qu’on parle d’un “indice linéaire de pertes” qui se mesure en mètres cubes par kilomètre et par jour. Un réseau qui perd moins de 3 m³/km/jour est considéré comme un réseau de bonne qualité. Les chiffres habituellement avancés attribuent en effet un rendement de 80 % pour un réseau d’eau potable en bon état. Ces pertes peuvent avoir plusieurs causes (vol, incendie, nettoyage de conduites, fuites) dont la plus fréquente et la plus importante en termes de
Les fuites sont les principaux ennemis des réseaux de distribution : conduites, branchements, raccords, vannes, etc. Leurs causes sont variables : corrosion, défauts des matériaux, installation défectueuse, mouvements de terrain, gel ou sécheresse, coups de bélier, ou tout simplement vibrations ou charges excessives dues notamment à la circulation.
Les conséquences sont nombreuses. Elles compromettent le réseau lui-même en sapant l’assise des conduites et les fondations des routes ou des bâtiments. Elles comportent aussi des risques pour la santé publique : certains contaminants peuvent s’infiltrer dans les canalisations par les points de fuite lorsque la pression baisse dans le réseau. Or, le décret du 20 décembre 2001 prévoit que la conformité aux normes de potabilité s’apprécie désormais au robinet du consommateur.
Les fuites occasionnent enfin de sérieux manques à gagner : au coût de l’eau perdue s’ajoutent ceux de son traitement puis de son transport. Une étude de l’Agence de l’eau Seine-Normandie évalue les pertes à 20 % des volumes mis en distribution, soit 288 millions de m³ par an sur les 122 000 km de réseaux recensés. Sur l’ensemble du bassin, 100 millions de m³ perdus à cause d’un mauvais état général des réseaux pourraient être récupérés, soit 6,5 % du volume mis en distribution et 30 % des pertes totales. À ce titre, l’amélioration des rendements de réseaux permettrait d’économiser 8 millions d’euros par an. D’où la nécessité, pour les exploitants, de traquer les fuites. Une analyse détaillée s’impose : il faut commencer par établir un bilan en auscultant le réseau afin de mettre les fuites en évidence.
Établir un bilan
Le bilan vise à déterminer les quantités d’eau qui se perdent dans les réseaux. Quelle que soit la méthode choisie, la localisation d’une fuite est d’autant plus aisée que le secteur d’intervention est réduit et que son débit est estimé. La sectorisation s’impose donc : le réseau est divisé en zones fermées par des vannes ou des compteurs. Ces derniers peuvent être :
- • des débitmètres électromagnétiques bidirectionnels (flux et reflux) ;
- • des débitmètres ultrasonores à sondes externes ;
- • des compteurs équipés d’une tête émettrice.
Ils enregistrent avec précision les débits entrants ou sortants d’une zone hydraulique, permettant ainsi de connaître les volumes mis en jeu.
distribution (VD) dans chacune des zones hydrauliques, et observer rapidement toute dérive. Lorsqu’une zone hydraulique verra son VD trop augmenter, une recherche de fuite systématique sera réalisée sur la zone. On obtiendra ainsi, avec un minimum d’historiques, une meilleure connaissance de la vie du réseau et un ciblage pertinent des zones à ausculter en priorité. L’analyse débitmétrique permet ainsi d’identifier les zones suspectes nécessitant une inspection plus fine. Le réseau est peu à peu maillé. À chaque nœud un débitmètre est mis en place qui comptabilisera les mouvements d’eau. Il reste ensuite, pour pouvoir intervenir, à localiser les fuites précisément. Pour cela, plusieurs solutions existent, à commencer par la méthode électro-acoustique.
La méthode électro-acoustique
La méthode électro-acoustique est fondée sur le fait que l'eau, en s’échappant d'une canalisation enterrée provoque du bruit et des vibrations. La méthode la plus classique consiste à “écouter” la fuite pour la localiser. Au fil du temps, le traqueur de fuites a successivement utilisé pour cela son tournevis, sa clé de manœuvre, un amplificateur mécanique et enfin un amplificateur électronique. Les appareils les plus fréquemment utilisés sont des tiges d’écoute, des sonoscopes ou des microphones de sol. Ils permettent d’écouter les sons produits par les fuites aux points de raccordements des canalisations avec des prises d'incendie ou des vannes par exemple.
Ces techniques ont rendu d’immenses services dans la recherche de fuites. Mais l’utilisation en est délicate du fait de nombreux bruits environnants. Car lorsqu’on écoute une fuite, tous les bruits extérieurs deviennent gênants. L’un des moyens d’améliorer ce type d’appareils est l’utilisation d’un capteur qui sera plus sensible aux vibrations du sol qu’aux bruits. C'est ce qui a été rendu possible grâce au capteur accélérométrique qui équipe beaucoup de ces appareils. Il reste que l’efficacité de cette méthode dépend de nombreux facteurs comme la taille, le type et la profondeur de la conduite, les caractéristiques du sol, le type et l'importance de la fuite, la pression dans le réseau et les interférences acoustiques. Certains spécialistes estiment que ces méthodes permettent de bien détecter les fuites dans les conduites en métal, mais qu’elles sont plus problématiques dans le cas de tubes en plastiques. Car les caractéristiques des signaux émis sont différentes, les tubes en plastique sont plus silencieux et ne transmettent pas les bruits aussi bien que les conduites métalliques. Et certains signaux produits par des fuites dans les conduites en plastique ne sont pas forcément perceptibles par l’oreille humaine. En pratique, et dans ces cas de figure, on peut aussi compter sur les corrélateurs.
La méthode de corrélation
Dès la fin des années 1970, des appareils ont été développés qui permettent la détection et la localisation des fuites grâce aux vibrations qu’elles provoquent. Ces corrélateurs reçoivent des signaux vibratoires en provenance de deux capteurs placés sur la canalisation, ou mis en contact avec le fluide. Pour que le corrélateur puisse identifier le bon signal sonore de tous les bruits parasites environnants, les
Les récepteurs sont conçus pour n’être sensibles qu’aux caractéristiques sonores d'une fuite. Le corrélateur utilise pour cela les propriétés du bruit que seule une fuite peut réunir simultanément : le bruit est aléatoire ; la propagation de ce son se fait à vitesse égale de part et d’autre de la conduite, ce qui nécessite de disposer de tuyaux de même section de matériaux homogènes ; enfin, le bruit de fuite aura un caractère permanent, c’est-à-dire que contrairement aux autres bruits parasites, la fuite aura une fréquence constante.
Grâce à ce signal, le corrélateur reconnaît tout d’abord le bruit de la fuite. Puis il calcule la différence de temps que met ce bruit pour aller du point de fuite à un capteur et du point de fuite à l'autre capteur. La différence des temps, la longueur de la partie de la canalisation située entre les capteurs et la vitesse de propagation du bruit dans le tronçon inspecté étant connues, le corrélateur détecte la fuite éventuelle et le point où elle se situe. Dans la plupart des cas, la fuite ne se trouve pas à égale distance des points de mesure. Il existe donc un certain décalage dans la réception des signaux. Ce décalage temporel est calculé au moyen de la fonction de corrélation croisée des signaux produits par la fuite. La fonction de corrélation croisée donne une crête qui coïncide avec le décalage des signaux. L’emplacement de la fuite est alors déterminé au moyen d'une formule algébrique dans laquelle interviennent le décalage, la distance entre les capteurs et la vitesse de propagation de sondes sonores dans la conduite. À ce stade, une grande attention doit être portée à la nature des matériaux et au diamètre des conduites. En effet, si les branchements sont de nature différente par rapport à la conduite principale, il faudra en tenir compte lors de la programmation du corrélateur.
Mais les avantages de cette méthode sont nombreux : la détermination de l’emplacement de la fuite est indépendante de l'interprétation humaine, les bruits extérieurs n'ont que peu d’influence, et le recouvrement et le type de revêtements routiers n'ont pas d'incidence sur la mesure. Et l'efficacité de la méthode est démontrée, même.
Sur les conduites en plastique qui conduisent moins bien les sons ou les vibrations que les canalisations en métal. Une étude financée par l’American Water Works Association Research Foundation a démontré que les fuites dans les conduites en plastique peuvent être repérées par ces techniques, dès lors que leur mise en œuvre prend en compte la nature spécifique du matériau plastique.
De fait, aujourd'hui, on peut trouver sur le marché de nombreux corrélateurs, notamment ceux fonctionnant en temps réel avec des capteurs performants spécialement étudiés pour la recherche de fuite, qui ont obtenu de grands succès aussi bien en France qu’à l’étranger. Ces corrélateurs permettent des mesures rapides et précises. En effet, l'ensemble des points composant le signal du premier capteur est directement corrélé avec l'ensemble des points composant le signal du deuxième capteur. De ce fait, il n’y a pas de pertes d'informations et on peut voir naître la fuite sur l’écran de visualisation.
Qu'ils soient conçus pour une détection ponctuelle ou systématique, les corrélateurs s’adaptent au terrain et se simplifient. Ainsi, Seba-réseaux propose le Correlux P1, un corrélateur dont le fonctionnement est enfantin puisqu’il est paramétrable à partir d'un bouton unique et d’un seul menu. Compact et léger, il est parfaitement adapté à une utilisation sur le terrain. Aucun temps de montage n’est requis et aucune connexion d’antenne ou de capteur n'est nécessaire. De son côté, Sewerin vient de présenter à Pollutec 2002 le SeCorr 08, un corrélateur portable numérique petit par sa taille, mais puissant par ses performances et ses caractéristiques.
Tout terrain par excellence, il permet aussi bien à un débutant qu’à un professionnel de localiser rapidement et précisément des fuites sur des canalisations enterrées de tous types. Utilisant le principe de corrélation acoustique complémentaire, on obtient avec le SeCorr 08 une mesure automatique, des résultats instantanés, une écoute électro-acoustique pour l’écoute au sol de la fuite. Sewerin a également présenté le SePem 02, un système de pré-localisation acoustique évolutif permettant la surveillance mobile ou permanente du réseau d’eau potable et la localisation à distance de toute fuite et, cela, sans aucune intervention humaine. Un système qui doit évoluer en permanence : ainsi une évolution est prévue au cours de l’année 2003 vers la liaison par GSM via le Web qui permettra une réactivité immédiate nécessaire pour réduire davantage encore le gaspillage d'eau.
Et les systèmes de surveillance permanents se multiplient. Pour une surveillance permanente du réseau et une analyse automatique des bruits environnants, les loggers convenablement répartis localisent immédiatement les tronçons suspects et permettent de cibler le travail des corrélateurs ou des détecteurs acoustiques. Le Zonescan 800, fabriqué par Gutermann et distribué en France par Agrippa et TD Williamson est un logger de dernière génération qui bénéficie d'une taille réduite et peut être glissé dans n’importe quelle bouche à clé. Il dispose d'une puissance d’émission de 100 mW afin d’assurer une bonne liaison avec l'opérateur qui, dans un rayon de 100 mètres, n’a plus besoin de descendre de sa voiture. Au passage du véhicule, le logger se connecte automatiquement et l'utilisateur récupère en temps réel les données ainsi qu'une estimation de la présence, ou non, de fuites. Si la fuite est confirmée, il peut corréler sur place, écouter le bruit des loggers ou attendre d’être de retour à son bureau. La communication fonctionne dans les deux sens puisque l'utilisateur peut modifier tous les paramètres des détecteurs grâce à une liaison radio. Ce travail se fait sous environnement Windows pour plus de facilité d’emploi.
Seba-Réseaux propose de son côté une nouvelle génération de loggers permanents, les Sebalog® qui analysent le niveau de bruit et le spectre et signalent automatiquement un problème d’étanchéité. Lors de la tournée d'inspection, un récepteur, le Commander, recueille les informations transmises par ondes hertziennes.
Le système Permalog proposé par Hydreka-Metravib permet également aux distributeurs d'eau de réduire le niveau des fuites et de maintenir au meilleur niveau le rendement de leurs réseaux à un coût très intéressant. Le capteur Permalog, installé sur le réseau, détecte automatiquement la présence ou l'apparition d'une fuite. Par radio, il transmet l'information à un “patrouilleur” collecteur de données mobile embarqué dans un véhicule ou portable. Ce logger intelligent analyse les bruits environnants et ne donne l'alerte que lorsqu’il détecte un bruit de fuite. Une répartition bien étudiée des loggers à travers le réseau de distribution d'eau facilite considérablement sa surveillance. Du fait que les loggers sont identifiés par radio, la surveillance d’un réseau.
La surveillance d’un réseau, même à ramifications importantes, est possible par une seule personne. Il suffit que le technicien suive la ligne des emplacements des loggers en voiture. Les loggers sont interrogés pendant le trajet. Dès qu’un bruit de fuite se manifeste dans le rayon d’action d’un logger, le logger ou l’unité de réception émet un avertissement. Aucune intervention de maintenance ni de changement de batteries n’est nécessaire pendant plusieurs années. Le récepteur Permalog se prête aussi bien à une installation en voiture qu’au transport manuel.
De cette manière il est possible de contrôler à la fois une région assez vaste tout en gardant la flexibilité d’interroger tous les émetteurs individuellement, même situés dans une zone difficile d’accès en voiture. Le récepteur a été intégré dans un boîtier solide, fonctionnant sur secteur ou batterie.
Les autres moyens de détection
D’autres systèmes de détection existent. La technique du gaz traceur, par exemple, consiste à injecter dans une partie isolée d’une conduite un gaz non toxique, plus léger que l’air, insoluble dans l’eau ; s’échappant par l’ouverture de la fuite, il atteindra la surface en s’infiltrant à travers le sol et la chaussée. Il ne reste plus ensuite qu’à repérer la fuite en balayant la surface du sol à l’aide d’un détecteur de gaz très sensible. De nombreux prestataires de service spécialisés au plan national dans la recherche de fuites, tel Gerris, filiale de Sappel spécialisée dans les activités liées aux domaines des réseaux d’eau et de chaleur, utilisent notamment cette méthode en complément de la corrélation acoustique. Fiable, cette méthode est aussi contraignante puisqu’elle nécessite au préalable la vidange du réseau.
Plusieurs produits existent sur le marché. Sewerin, pionnier en la matière, propose avec son Variotec® 8 un système de détection efficace et économique. Radiodétection, qui vient de prendre pied, grâce à son partenariat avec Fast, sur le marché de la détection des fuites d’eau, propose aussi son tout nouveau MGD-2002, un détecteur multi-gaz hélium/hydrogène pour la localisation des fuites. Le détecteur multi-gaz MGD-2002 fonctionne très efficacement, que le gaz traceur soit de l’hélium ou de l’hydrogène.
La thermographie infrarouge, utilisée dans le domaine de l’hydrogéologie, l’est également dans le cadre de la détection des fuites. Car l’eau, en s’échappant d’une conduite souterraine, modifie les caractéristiques thermiques du sol. Ces modifications autour de la conduite sont ensuite détectées par des caméras infrarouges embarquées. La thermographie rend les différences de température visibles. D’abord employées dans les dégâts d’eau pour « voir » les conduites de chauffage au sol et dans la recherche de fuites sur les conduites d’eau chaudes, elles sont désormais utilisées pour la détection de fuites courantes.
Les radars permettent également de détecter les fuites dans des conduites d’eau enterrées. Deux approches sont possibles. La première consiste à tenter de détecter les vides créés dans le sol par l’eau qui fuit et circule autour de la conduite. Mais l’efficacité de cette méthode dépend de la nature de la fuite comme des caractéristiques des sols avoisinants. La seconde approche consiste à détecter les segments de conduite qui semblent plus profonds qu’ils ne le sont en réalité, à cause de l’augmentation de la valeur de la constante diélectrique du sol gorgé d’eau avoisinant la fuite. Les ondes du radar sont partiellement réfléchies vers la surface du sol lorsqu’elles rencontrent une anomalie dans les propriétés diélectriques de la surface examinée. Mais l’efficacité de ces techniques, bien que prometteuse, reste encore limitée. Leur mise en œuvre s’avère parfois laborieuse et leur efficacité n’est pas encore comparable à celle des méthodes acoustiques. Elles constituent toutefois des solutions de rechange très appréciables lorsque les autres méthodes ont échoué.
Toutes ces techniques permettent de réduire les fuites au minimum. Car si réduire les fuites doit demeurer un objectif de saine gestion, il ne peut être envisagé de les supprimer complètement : pour des raisons techniques évidentes, mais aussi pour des raisons économiques. Il existe en effet un seuil de fuite au-delà duquel il devient plus coûteux de réparer que de laisser fuir, seuil qui varie en fonction de la rareté de la ressource et de l’impact environnemental des travaux à effectuer.