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Destruction thermochimique des déchets. Des substituts d'avenir à l'incinération

30 janvier 1990 Paru dans le N°133 à la page 52 ( mots)
Rédigé par : J.l. MERRY

Il est bien tentant de stocker des résidus à l’air libre, dans des endroits peu fréquentés, mais cela devient de plus en plus difficile dans les États à forte densité de population et qui présentent un haut niveau de prise de conscience des problèmes de l’environnement. Tout est alors mis en œuvre pour assurer une destruction efficace et non polluante des résidus.

L’élimination des déchets s’effectue ainsi, soit grâce à des méthodes chimiques (minéralisation, neutralisation par exemple), soit par des méthodes physiques. Si les techniques physiques de préparation sont assez variées (filtration, ultrafiltration, décantation, floculation, entraînement à la vapeur, etc.), la destruction finale est habituellement thermique ou thermochimique. Nous nous proposons d’indiquer quelques-unes de ces méthodes de traitement, parmi celles qui pourraient se développer au cours des prochaines années.

Les plus élémentaires d’entre elles et aussi les plus utilisées ne répondront pas toujours aux exigences des lois sur l’environnement qui verront le jour dans les années à venir et force sera de faire appel à des techniques plus performantes, sinon plus économiques.

TECHNIQUES

ET MOYENS MATÉRIELS

DE TRAITEMENT THERMIQUE

Incinération

En tant que combustion, elle comprend donc toutes les phases de la conversion en gaz : séchage, pyrolyse, gazéification et oxydation. On ne possède jamais une maîtrise simultanée de ces différentes phases, qui, pour être réalisées dans les meilleures conditions, devraient être menées à des températures, dans des atmosphères gazeuses et durant des temps de séjour très différents.

Ainsi peut-on se demander s’il ne convient pas de recourir à des techniques plus élémentaires, dans le sens propre du mot, c’est-à-dire dans lesquelles les phases de la combustion ne s’opèrent pas simultanément, mais séparément et où chacune d’elles est parfaitement contrôlée.

Pyrolyse et gazéification

Vers 1973, nous avons assisté à un développement spectaculaire des techniques de pyrolyse et gazéification. La plupart de ces procédés s’accommodent assez bien d’un mélange de déchets industriels et de résidus urbains ; cependant, ils ne se conçoivent que pour des unités centralisées ou pour de grosses unités industrielles ayant une quantité importante de déchets tout-venants à traiter.

Les catégories de déchets susceptibles d’être traités de cette manière sont essentiellement :

  • — le caoutchouc synthétique (déchets de fabrication et pneumatiques usagés),
  • — les matières plastiques (au niveau des producteurs et des transformateurs),
  • — les déchets agricoles et forestiers.

Certains procédés ont été développés plus spécialement pour les résidus urbains : Monsanto-Landgard, Garret, Purox (Ucar), Destrugas et Pyrogas.

La pyrolyse est le premier stade de transformation thermique après la déshydratation ; elle débute à une température relativement basse (à partir de 200 °C) et se poursuit jusqu’à 1 000 °C. Elle libère les matières volatiles et laisse un résidu solide le plus souvent carboné. Si la température s’élève encore, les gaz évoluent par craquage, vers des molécules de plus en plus simples et du carbone pur (suies).

La gazéification fait logiquement suite à la pyrolyse. Elle permet une transformation des solides en gaz. La plus simple des réactions de gazéification, et de loin la plus rapide, est l’oxydation. Elle est très exothermique et ne peut donc pas toujours être contrôlée convenablement. Lorsque l’on veut maîtriser totalement le régime de la réaction, on utilise d’autres agents, comme CO₂ ou H₂O. La gazéification, alors endothermique, se fait grâce à un apport de chaleur extérieur ou par adjonction contrôlée d’oxygène à l’agent principal de gazéification.

Dans une combustion, après pyrolyse et en présence d’oxygène, les deux phases, gaz et solide résiduel, s’oxydent séparément après craquage des gaz. Le résidu carboné est dans un premier temps gazéifié en CO, puis le CO s’oxyde en CO₂. La connaissance et le contrôle de chacun de ces processus est nécessaire à la maîtrise de l’incinération.

Pyrolyse en four tournant

La pyrolyse en four tournant est une technique délicate à maîtriser en raison des risques d’entrée d’air au niveau des joints tournants. Deux applications industrielles sont en service depuis plusieurs années pour la pyrolyse du charbon dans des cokeries des Houillères du Bassin de Lorraine, l’une de 10 t/h à Marienau (mis au point par le Cerchar), l’autre de 20 t/h à Carling. On peut imaginer que d’autres produits pourraient être traités par une installation de ce type, pour produire des gaz destinés à un procédé chimique de récupération approprié.

Le procédé Monsanto-Landgard réalise une pyrolyse par combustion réductrice (défaut d’air de 60 %) dans un four rotatif aux alentours de 1 000 °C. Un pilote de

35 t/h a été construit à Saint-Louis (USA) et une unité de 42 t/h est en projet à Baltimore (USA).

Le procédé Kobe (Japon) a été développé dans une unité pilote : un four rotatif, chauffé extérieurement de 600 à 800 °C, y est alimenté en pneumatiques broyés. Il permet de produire de l'huile, du gaz et un résidu carboné solide ; le gaz est utilisé au chauffage indirect du four. Le procédé de pyrolyse Herko est assez semblable à ce dernier.

Pyrolyse en four-cornue

Aux alentours des années 70, des tentatives de pyrolyse en cornue ont été menées au Danemark par la société Superphos (Destrugas) et aux USA par Garret. Il faut dire que ces procédés n’étaient applicables qu'à des résidus urbains, ou à des déchets industriels qui leur sont assimilables.

Dans le procédé Destrugas, le « réacteur » est une cuve de section elliptique chauffée par le gaz de pyrolyse après condensation. Selon la société Superphos, le réacteur pouvait traiter, en mélange à des ordures ménagères, jusqu'à 20 à 30 % d’huiles usagées ou 4 % de pneumatiques, ce qui améliore notablement la qualité du gaz produit.

Le procédé Motala Pyrogas développé en Suède est polyvalent. Il peut traiter aussi bien des ordures ménagères (2 à 4 t/h avec un appoint de 0,8 t/h de charbon) que des déchets industriels, notamment le caoutchouc, la tourbe, les déchets agricoles et forestiers, les boues de station d’épuration.

Foster-Wheeler Ltd (GB), Creusot-Loire et Mitsubishi ont respectivement mis au point des procédés de pyrolyse plus spécialement destinés aux plastiques et aux caoutchoucs.

Les procédés de gazéification du bois ont servi de filiation à la réalisation de projets de gazogènes pour déchets lignocellulosiques (coupes d’abattage, chutes de scieries, paille, bourre de coco, coques de palmistes, résidus de coton, bagasses, rafles de maïs, coques de café, etc.). Des recherches menées en liaison avec le Cemagref et certains industriels français (Duvant, Pillard, Distribois) ont permis de proposer de nouvelles solutions pour l'alimentation de moteurs « dual fuel » en vue de produire de l'électricité dans les pays en voie de développement.

[Photo : Schéma du réacteur Rockwell]

Bains de sels fondus

Les bains de sels fondus offrent un double avantage : ils constituent un excellent fluide thermophore qui permet une élévation rapide de la température des déchets, et la composition des sels peut assurer la neutralisation ou le piégeage de certains polluants, en particulier des produits soufrés. Ils ont également une action catalytique lors de la gazéification ; ainsi les sels de potassium sont réputés pour accroître la vitesse de gazéification du carbone. Si l'on injecte dans le bain un gaz oxydant, H₂O, CO₂ ou O₂, le résidu carboné se transforme en gaz CO, CH₄ ou/et H₂.

Des procédés industriels ont été mis au point par Rockwell et Kellog, pour ne citer que les plus connus.

Bains de métal fondu

Les bains de métal fondu présentent les mêmes avantages thermiques que les sels, mais par leur nature (du fer en général) les réactions sont menées à des températures plus élevées. En outre, le fer en fusion est capable de dissoudre une quantité de carbone importante. Cette propriété est mise à profit pour rendre la gazéification plus aisée. Ultime avantage, des réacteurs de ce type existent déjà dans l'industrie : ce sont les convertisseurs. Ceci explique que des essais aient été réalisés d’emblée en vraie grandeur.

L'utilisation des bains de fer a été largement expérimentée avec du charbon selon le procédé Sumitomo. Il demeure possible de remplacer le charbon par un déchet quelconque, le procédé restant identique dans son principe.

Lit fluidisé

La maîtrise des lits fluidisés est délicate, ce qui explique le peu de recherches effectuées dans la voie de la destruction des déchets.

Toutefois des procédés adaptés aux charbons les plus variés (U-Gas) pourraient à la rigueur être adaptés à des déchets à haut PCI dans la mesure où l'on en connaît parfaitement les caractéristiques chimiques et physiques, dont le point de fusion des cendres.

Vapocraquage

Proche de la gazéification, le vapocraquage est aux gaz ce que la gazéification est aux solides : il permet de créer de nouvelles molécules plus simples en présence de vapeur d'eau à haute température et surtout en l'absence d'oxygène.

Le Cerchar et STMI (Société des Techniques en Milieu Ionisant) ont mis au point, sous le nom de Néostar, un procédé de vapocraquage des diélectriques chlorés. Cette technique élimine de facto le risque de formation de dioxines et dibenzofurannes et, de par sa conception, peut également être appliquée à des molécules non chlorées, mais présentant une haute toxicité. Un pilote à l'échelle 1/3 fonctionne au Cerchar.

Oxydation humide

Cette technique est encore au stade du pilote et, à notre avis, promise à un grand avenir. Elle a été appliquée expérimentalement au charbon et à des déchets aqueux ayant un très faible pouvoir calorifique. Elle permet une oxydation à basse température (175 à 340 °C) dans l'eau. De faibles concentrations en « combustible » peuvent être utilisées.

De l'air est injecté dans le liquide porté à la température voulue et maintenu sous pression (20 à 200 bars) pour ne pas être vaporisé. L'eau, chargée de déchets, est injectée sous pression dans un échangeur qui en assure le préchauffage, puis dans le réacteur avec de l'air ou de l'oxygène.

[Photo : Schéma d’un réacteur à oxydation humide]

L'oxydation élève la température du réacteur qui cède sa chaleur, dans l'échangeur, au liquide injecté. Ce procédé est conçu pour détruire des liquides trop dilués pour être incinérés ou des composés organochlorés réputés réfractaires. Une unité de démonstration aurait fonctionné à Casmolia en Californie.

À « basse » température

La solution contenant les déchets liquides est portée à une température de l'ordre de 180 à 315 °C. À cette température et sous une pression partielle d'oxygène de 5 à 45 bars, l'oxydation s'opère assez rapidement. Le traitement se faisant sans changement de phase, la consommation énergétique est très faible pour atteindre le seuil de réaction (contrairement à l'incinération qui impose une évaporation préalable dans la flamme). Le liquide, après épuration, cède sa chaleur à l'effluent qui entre dans le réacteur par l'intermédiaire d'un échangeur. On peut donc traiter des solutions aqueuses diluées sans pour autant avoir recours à une dépense énergétique importante.

Les produits d'oxydation sont simples et non polluants : CO₂, N₂. Le soufre et les chlorures demeurent en solution.

Un tel procédé aurait été expérimenté avec du charbon. Le réacteur devient alors simultanément foyer et chaudière, l'échange est total et de surcroît, les gaz de combustion, mêlés à la vapeur produite, peuvent être « turbinés ». On récupère ainsi l'énergie mécanique des « fumées ». Néanmoins, pour certains déchets le temps de séjour dans cette sorte de réacteur peut s'avérer insuffisant ; il faut alors « durcir » les conditions d'oxydation.

En condition supercritique

Stade ultime de l'échauffement de l'eau, les conditions critiques (218 bars et 374 °C) représentent un état où le liquide et la vapeur ont la même masse volumique et se mêlent intimement.

Généralement on préchauffe le liquide à 400 °C, puis on l'introduit dans le réacteur où sa température atteint 600 °C à 650 °C. Le temps de séjour dans le réacteur est de l'ordre de 10 secondes, à l'issue duquel les hydrocarbures sont par exemple oxydés à 99,999 %. Modar Inc., qui possède un réacteur de 200 l/j, estime à 44 $/t le coût de traitement d'un liquide à 10 % d'équivalent-benzène dans une installation traitant 90 t/j, mais à 220 $/t le coût de traitement dans une unité de 9 t/j.

Techniques de haute température

Ces techniques sont destinées à atteindre des seuils de température tels que toutes les molécules organiques soient craquées. Il est ainsi possible de détruire des liquides comme le tétrachlorure de carbone, réputé très stable, à des températures voisines de 2 450 °C.

Plasma d'arc

Le plasma est un état particulier de la matière marqué par une ionisation des espèces en présence, qui sont ainsi très réactives. On peut distinguer des plasmas « froids », comme ceux que l'on utilise pour émettre de la lumière au sein de certains gaz, et des plasmas « chauds » servant par exemple à la soudure sous atmosphère contrôlée. Pour créer un plasma chaud on fait traverser un courant gazeux par un arc électrique dans un espace confiné. La forme des électrodes, leur disposition, permettent d'assurer un échauffement et une ionisation régulière du gaz. Les températures apparentes atteintes sont de l'ordre de 2 800 °C à 28 000 °C.

Ces très hautes températures permettent une destruction rapide des déchets combustibles. Le déchet liquide est atomisé dans la zone de génération du plasma puis passe dans la zone d'équilibre. Le temps de séjour dans ces zones est de l'ordre d'une seconde. Les gaz sont ensuite trempés avant traitement de lavage éventuel.

Le Royal Military College de Kingston (Ontario) a mis au point une unité pilote de traitement des PCB d'une capacité horaire de 250 kg. Son efficacité est de l'ordre de 99,9999 %. Une unité mobile de 0,7 t/h est en projet. Aux USA l'EPA (Environmental Protection Agency) s'est associé au Nysdec (New York State Department of Environmental Conservation) pour construire et tester ce procédé développé et commercialisé par Pyrolysis Systems Inc. de Kingston.

En France, EDF, l'Aérospatiale… s'intéressent à cette technique qui pourrait connaître un certain développement sous forme d'unités mobiles de traitement.

Réacteur électrique à haute température

Sans atteindre les températures du plasma d'arc, les fours électriques peuvent franchir 2 200 °C. Le réacteur est alors constitué d'un tube chauffant poreux, dont la paroi est traversée par un courant gazeux qui la protège de tout contact avec les cendres fondues. L'échauffement des déchets injectés s'opère par rayonnement.

Le rendement de destruction de PCB est de 99,9999 %, mais pour des déchets minéraux comme le nitrate de sodium le rendement se situe aux alentours de 98 %.

Deux sociétés des USA proposent de tels réacteurs. Selon Vulcan Resources de Miami (FL), pour une unité ayant une capacité de traitement comprise entre 23 et 45 tonnes/jour, le coût du traitement serait de l'ordre de 1 000 $/t. Huber Company propose un réacteur de conception voisine, mais comportant trois niveaux de températures différents : 2 200 °C, puis 1 100 °C et enfin une chambre refroidie à 540 °C. Le rendement de destruction serait, pour le PCB, de 99,999 %.

CONCLUSION

Le traitement thermique des déchets industriels a encore un bel avenir. L'évolution des coûts de l'énergie laisse présager pour la fin de ce siècle un retour aux technologies de production de sous-produits (pyrolyse, gazéification, etc.). On se dirigera progressivement vers un système plus ou moins fermé de recyclage de la matière première. Nous n'en sommes pas encore là, mais la recherche doit se poursuivre selon ces axes, car faut-il le rappeler, des années sont nécessaires entre les premiers pas en recherche et la commercialisation ou l'application industrielle. De surcroît, les échecs sont nombreux et il faut explorer des filières aussi variées que possible pour ne pas risquer de passer à côté de « la » solution…

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