Près de la moitié du coût d'exploitation des usines de dessalement d'eau de mer, faisant appel à la technologie de l'osmose inverse, est affectée à la consommation électrique. Il est donc important de maîtriser ce poste de dépense et, avant tout, de l'évaluer. Chaque cas doit faire l'objet d'une étude particulière, car la demande en énergie électrique dépend de nombreux facteurs : caractéristiques physico-chimiques de l'eau de mer, valeurs choisies pour les paramètres de dimensionnement des osmoseurs, rendement des équipements électro-mécaniques, ? et, en particulier, du choix du système de récupération de l'énergie hydraulique du concentrât.
Les besoins en énergie électrique pour le dessalement de l'eau de mer par osmose inverse sont tels qu'ils constituent la part la plus importante des coûts d'exploitation, comme le montre la figure 1. C’est donc dans cette direction que les recherches et les développements ont toujours été orientés, et continuent à l’être, pour obtenir les gains ayant les répercussions les plus importantes sur le coût de la production d'eau douce à partir de l'eau de mer.
Tout bilan énergétique, effectué lors de la conception des usines de dessalement, doit être exhaustif au niveau des besoins des composants électriques, et prendre en compte de nombreux paramètres pour aboutir à un résultat réaliste. Il devra être fait appel à des composants présentant les meilleurs rendements mécaniques, hydrauliques et électriques, mais offrant également toutes les garanties de bon fonctionnement.
Récupération de l’énergie du concentrat
Dès que l’osmose inverse a été appliquée au dessalement de quantités importantes d’eau de mer, on a tout naturellement pensé à
récupérer l’énergie hydraulique du concentrat, qui est de l’ordre de 55 % de celle nécessaire à la mise en pression des modules d’osmose inverse.
Les premiers systèmes de récupération ont utilisé des pompes centrifuges multi-étagées fonctionnant en turbine. Puis il a été fait appel à des turbines hydrauliques spécifiques, dont la technologie est issue des turbines utilisées pour l’entraînement des alternateurs des usines hydro-électriques. Étant donné la pression d’alimentation élevée, le type de turbine le plus adapté est celui utilisant le principe de la roue Pelton (Figure 2).
Le système de récupération indirecte de l’énergie du concentrat est constitué d'un moteur à deux sorties d’arbre ; l'une étant dédiée à l’entraînement de la pompe haute-pression alimentant les modules d’osmose inverse, l’autre étant accouplée à la turbine de récupération (Figure 3).
La puissance nécessaire à l'entraînement de la pompe haute-pression est donc fournie par le moteur électrique et la turbine de récupération.
Les turbines de récupération Pelton sont utilisées depuis plus de vingt ans. Elles sont adaptées aux unités de dessalement de toute taille, présentant des débits de concentrat de 10 à 1000 m³/h. Leur rendement n’a cessé d’être amélioré, pour atteindre actuellement près de 90 %.
Pour les unités de dessalement, de petites et moyennes capacités, il peut être utilisé une turbine de récupération entraînant une pompe centrifuge placée en série avec la pompe haute-pression proprement dite. Dans ce cas la pression d’alimentation fournie aux modules d’osmose inverse est obtenue par la somme des pressions délivrées par les deux pompes (Figure 4).
Les turbopompes peuvent être alimentées par un débit de concentrat pouvant aller jusqu’à 200 m³/h, leur rendement étant de l’ordre de 60 %.
Il a été développé d'autres systèmes de récupération de l’énergie du concentrat, faisant appel à une récupération directe, à savoir que l’énergie hydraulique est directement transférée dans le circuit d’alimentation haute-pression des modules d’osmose inverse. Ce transfert s’effectue à l’aide d'échangeurs de pression à piston, fonctionnant alternativement pour l’alimentation des modules, puis pour l’évacuation du concentrat.
Le système comprend une pompe haute-pression, un ensemble d’échangeurs de pression associés à des distributeurs d’eau de mer et de concentrat, une pompe de surpression qui compense les pertes de charge dans le circuit concentrat et dans les échangeurs, afin d’amener l’eau à la même pression que celle refoulée par la pompe haute-pression (Figure 5).
Il est à remarquer que ce système permet de réduire la taille de la pompe haute-pression, son débit étant égal à celui du perméat, tandis que le débit de la pompe de surpression est égal à celui du concentrat.
Le rendement des échangeurs est de l'ordre de 96 %. Un ensemble échangeurs de pression-distributeurs permet de transiter un débit de concentrat de 100 à 250 m³/h.
Un nouveau dispositif de mise en pression de l'eau, intégrant une fonction de récupéra-
La récupération de l’énergie hydraulique du concentrat est en phase de développement avancé. Ce système fait appel à un vérin, alimenté par une centrale hydraulique, qui actionne un piston placé dans une chambre. Cette chambre reçoit, à l’arrière du piston, l’énergie hydraulique du concentrat, ce qui diminue d’autant l’énergie développée par le vérin (Figure 6).
Les rendements annoncés pour ce dispositif de mise en pression sont de l’ordre de 85 %.
Besoins en énergie électrique des usines de dessalement
Les besoins en énergie électrique pour le dessalement d’eau de mer par osmose inverse sont éminemment variables, car ils dépendent de nombreux paramètres, à savoir :
* de la capacité de production : celle-ci augmentant, la taille des composants électromécaniques améliore leurs rendements,
* des caractéristiques de l'eau de mer qui influencent la pression nécessaire à l’alimentation des membranes. Ainsi :
- plus la salinité est élevée, plus la pression augmente du fait de l’augmentation de la valeur de la pression osmotique de l'eau de mer,
- plus la température augmente, plus la pression diminue, du fait de la diminution de la viscosité de l'eau de mer,
* du choix du système de mise en pression. Ainsi une pompe volumétrique à pistons aura un meilleur rendement qu’une pompe centrifuge,
* du choix et du rendement du système de récupération de l’énergie hydraulique du concentrat,
* du facteur de conversion (débit perméat : débit d’alimentation) adopté,
* du choix du matériau et de la structure de la membrane d’osmose inverse, ce qui fait que la perte de charge nécessaire à sa traversée est plus ou moins importante,
* de l'âge des membranes et de leur degré de colmatage permanent,
* de la surface membranaire mise en œuvre pour un débit de production donné,
* de la conception générale de l'usine, au niveau :
- de l'alimentation en eau de mer,
- des prétraitements,
- des post-traitements,
- de la contre-pression à la sortie du perméat,
- de l’alimentation électrique des composants.
Ainsi il ne peut être annoncé des valeurs pour les besoins en énergie électrique, sans effectuer d’études au cas par cas. Il est indiqué fréquemment des valeurs ne correspondant qu’aux seuls besoins en énergie pour la mise en pression des modules d’osmose inverse. Or, dans tout bilan énergétique, il est nécessaire de tenir compte, en plus des besoins propres au procédé :
* des pertes en ligne du réseau électrique,
* du rendement des transformateurs,
* des utilisateurs électriques divers : éclairage, ventilation, climatisation, …
…car l’énergie électrique facturée à l’exploitant sera celle relevée au compteur placé en amont du poste de transformation.
Caractéristiques d’une usine de dessalement pour l’établissement d’un bilan énergétique représentatif
Pour aboutir à une valeur de consommation électrique pouvant être considérée comme représentative, l’établissement du bilan énergétique se basera sur les hypothèses et données suivantes, que l’on admettra comme moyennes, ainsi que sur le schéma de procédé de la figure 7.
Capacité de production : 10 000 m³/j (417 m³/h) – Cette valeur correspond à un optimum pour une ligne de production, les usines de grande capacité en possédant plusieurs.
Origine et caractéristiques de l'eau : Mer Méditerranée, car sa salinité, 38 900 mg/l, se situe entre celle des mers ouvertes (Océan Atlantique) et celles des mers fermées chaudes (Golfe Persique).
Caractéristiques de l’osmoseur :
. type des membranes : composite
. configuration : spiralée
. température de calcul : 20 °C
. facteur de conversion : 40 %
. débit d'eau d'alimentation : 1 042 m³/h
. âge des membranes : 3 ans
. pression nette d’alimentation : 69,2 bar
. contre-pression sur perméat : 1 bar
. minéralisation de l'eau produite : ≤ 500 mg/l
Dispositif d’alimentation en eau de mer :
. mode de prélèvement : puits côtiers
. débit unitaire : 149 m³/h à 30 m C.E.
. type des pompes : pompes immergées à ligne d’arbre, moteurs en tête
Pompage basse-pression :
• nombre de pompes en service : 2 • débit unitaire : 521 m³/h à 35 m C.E.
Microfiltration :
• type : à cartouches consommables 5 µm • pertes de charge avant changement des cartouches : 1,5 bar
Établissement du bilan énergétique
Cas n° 1 – Récupération indirecte de l’énergie hydraulique du concentrat
Système de récupération : turbine Pelton.
La figure 8 définit l’ensemble des valeurs des débits et des pressions en différents points du système, ainsi que les rendements des différents composants.
Au niveau des modules d’osmose inverse, les valeurs des pressions ont été calculées à l’aide d’un logiciel spécifique, sur la base des données définies précédemment. Il a été tenu compte des pertes de charge singulières et par frottement dans les différents circuits.
Formules utilisées :
Puissance absorbée aux bornes des moteurs électriques entraînant des pompes :
Pₐ (kW) = Débit (m³/h) × Pression (m C.E.) × Densité ÷ 367,12 × 1/ηₚ × 1/ηₜ × 1/ηₘ
ηₚ = rendement de la pompe ηₜ = rendement de la transmission ηₘ = rendement du moteur
Densités : 1,03 pour l’eau de mer à 20 °C – 1,04 pour le concentrat à 20 °C
Puissance récupérée par la turbine :
Pᵣ (kW) = Débit (m³/h) × Pression (m C.E.) × Densité ÷ 367,12 × ηₜ
ηₜ = rendement de la turbine
Pertes énergétiques dans le réseau électrique
Compte tenu des pertes en ligne (2 %) et dans le transformateur 5,5 kV/0,4 kV (rendement 98,6 %), la puissance active absorbée au primaire du transformateur est de 328 kW.
De même, pour le réseau MT, la puissance active absorbée au primaire du transformateur 22 kV/5,5 kV est de 1 885 kW, pour une production de 417 m³/h (10 000 m³/j). L’énergie facturée à l’exploitant sera donc de 4,52 kWh par m³ produit.
Cas n° 2 – Récupération directe de l’énergie du concentrat
Système de récupération : échangeurs de pression avec pompe de surpression.
Le bilan a été établi sur les mêmes bases que précédemment, seules les caractéristiques du système de récupération changent. La figure 10 définit l’ensemble des valeurs des débits et des pressions en différents points du système, ainsi que les rendements des moteurs, des pompes et des échangeurs, valeurs ayant permis d’établir le bilan.
bilan des puissances absorbées (Tableau n°2) aboutissant à une consommation électrique de 3,65 kWh par m³ produit.
Conclusion
La récupération directe des échangeurs de pression permet de réduire de 19 % la consommation électrique par rapport à celle des usines utilisant des turbines de récupération Pelton. À ce jour, la conception des échangeurs de pression reste à parfaire, surtout au niveau de leur adaptabilité aux usines de moyennes et grandes capacités de production. Leurs points faibles restent :
- le nombre d’échangeurs à mettre en œuvre pour transiter des débits de concentrat importants,
- la complexité des distributeurs du concentrat et de l’eau de mer,
- les fuites au niveau des pistons, mettant ainsi en contact le concentrat avec le circuit d'alimentation,
- la nécessité d'utiliser des corps de pompes de surpression résistant à plus de 70 bar pour une pression différentielle de l'ordre de 5 bar,
- les problèmes de régulation des caractéristiques de la pompe de surpression par rapport à celles de la pompe haute-pression.
L’avantage principal des échangeurs est de réduire le débit de la pompe haute-pression, celui-ci étant égal au débit de perméat. Compte tenu de ce qui précède, il est préférable de considérer que les besoins actuels en énergie électrique sont de l’ordre de 4,5 kWh par m³ produit. Sur cette base, en tablant sur un prix moyen du kWh de 0,10 €
et en sachant que la part de l’énergie est de l'ordre de 44 % (Figure 1) du coût total d’exploitation, on en déduit un prix de revient de 1,00 € le m³.
Il est fréquemment annoncé des consommations de l’ordre de 2,5 kWh par m³ par les fabricants de systèmes de récupération directe de l’énergie hydraulique du concentrat, mais cette valeur ne tient pas compte :
- des besoins en énergie pour le pompage de l’eau de mer et l'alimentation des prétraitements,
- du colmatage des membranes intervenant entre deux nettoyages chimiques,
- de l'âge des membranes,
- de la contre-pression existant dans les circuits « perméat »,
- des pertes de charge dans les différents circuits hydrauliques,
- des pertes en ligne dans les réseaux de distribution électrique,
- du rendement des transformateurs.
De plus, les bilans énergétiques sont fréquemment établis sur la base de pompes volumétriques à pistons, qui ont un rendement supérieur aux pompes centrifuges, mais qui ne sont pas adaptées aux débits supérieurs à 100 m³/h.
Seuls les concepteurs d'usines de dessalement peuvent garantir une consommation électrique réelle, du fait de leur connaissance des équipements mis en œuvre et de leurs conditions de fonctionnement.
Il est à noter enfin que s'il était fait appel à des machines idéales, présentant donc des rendements de 100 % pour les pompes, moteurs et échangeurs, la consommation électrique globale par m³ produit serait de l’ordre de 2,8 kWh dans les conditions de la récupération directe de l'énergie hydraulique du concentrat.
Dans les faits, toute valeur annoncée de consommation inférieure à 3,7 kWh par m³ produit doit être considérée comme utopique, tout au moins dans le cadre d’une conception d’usines de dessalement similaire à celle présentée dans le présent article.