Avec 1 % d'eau potable produite par dessalement et une capacité de production qui augmente de 10 % par an, la solution qui consiste à produire de l'eau douce à partir d'eau de mer fait de plus en plus d'émules, à tel point que cette technique devrait fournir 50 millions de m3/jour d'ici 2010. Malgré les avancées enregistrées, l'enthousiasme provoqué par ce procédé se heurte toutefois encore à des difficultés technologiques auxquelles les experts devront répondre s'ils veulent rendre le dessalement accessible au plus grand nombre.
Le fait est depuis longtemps avéré : la pénurie planétaire d’eau douce est l’un des problèmes majeurs que l’humanité aura à affronter dans les décennies à venir. Si la France, grâce à ses nappes phréatiques et ses nombreuses rivières, est largement épargnée, bien d’autres régions du globe ne connaissent pas cette chance. Face à des ressources en eau douce inégalement réparties, certains pays ont décidé de profiter de leur accès à l’eau de mer ou à des eaux saumâtres pour se procurer ce bien si nécessaire à leur développement. Si le coût du dessalement de ces eaux a longtemps réservé cette technique aux pays riches, notamment les pays du Golfe Persique, de récentes avancées ont permis d’abaisser notablement les coûts tout en améliorant les rendements au point de rendre la technique compétitive dans un nombre toujours plus important de cas de figures. Et ce mouvement n’est pas terminé. Plusieurs techniques permettent de dessaler les eaux de mer pour obtenir de l’eau potable.
L’aînée des techniques : le dessalement thermique
Il s’agit en fait d’une distillation de l’eau « brute » : après chauffage, la vapeur d’eau,
Sidem
débarrassée des sels et autres impuretés, est condensée afin d’obtenir de l'eau douce. Sidem, filiale de Veolia Eau, est le leader mondial des procédés thermiques. Créée en 1970, cette société a, pendant près de vingt ans, développé et exploité un procédé nommé MSF (multi stage flash) ou distillation flash (température supérieure à 100 °C) qui lui a permis de devenir rapidement un acteur majeur du dessalement thermique. Mais loin de vivre sur ses acquis, Sidem a ensuite amélioré ses procédés en mettant au point le procédé MED (multiple effect distillation) ou distillation multi-effet (température de fonctionnement plus basse, moindre consommation d’énergie) au début des années 1980. L'amélioration constante de la technologie MED a permis d’équiper des installations de plus en plus importantes, progrès dont le symbole est sans nul doute l'usine de Marafiq (Arabie Saoudite), plus grande usine de dessalement au monde avec 800.000 m³/jour, qui sera en service début 2010. De tous les procédés de dessalement, le MED est le plus économique en électricité et le plus facile à opérer. Il nécessite de la vapeur pour fonctionner. C’est pourquoi les grosses usines MED sont, de manière générale, couplées à des centrales thermiques dont elles récupèrent la vapeur pour évaporer l'eau de mer. Ce type de projets de cogénération eau/électricité est le plus fréquent dans les pays du Golfe (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis...) car, outre la valorisation de la chaleur perdue par la centrale électrique, les unités MED sont bien adaptées aux eaux très salines de la région et extrêmement fiables même lors des fameuses « marées d’algues rouges » qui sont source d’importants problèmes pour les usines de dessalement par osmose inverse.
Techniques d’aujourd’hui et de demain : les membranes
Pourtant, ce traitement combiné et ce couplage ne suffisent plus à compenser la montée des prix de l’énergie thermique. C'est ainsi que les technologies membranaires, apparues au début des années 1970, gagnent peu à peu du terrain sur les techniques de distillation. En effet, si cette dernière était encore prépondérante en 1995, elle est désormais concurrencée par la technologie des membranes, qui est à l’origine d'une production de 40 millions de m³ d’eau par jour, contre 25 millions pour le thermique. « Si les installations du Moyen-Orient sont également réparties entre thermique et membranes, partout ailleurs dans le monde, c'est la technique membranaire d’osmose inverse qui est principalement mise en œuvre » précise Véronique Bonnelye, expert en dessalement et eau potable chez Degrémont. L'osmose inverse, technique la plus utilisée qui permet de dessaler l'eau en une seule étape, est parfaitement maîtrisée par des prestataires tels que Degrémont, OTV, Veolia Water STI, Pall, Permo, Norit ou encore ProMinent.
L'eau de mer contenant en moyenne entre 20 et 40 grammes de sel par litre, l'applica-
L’utilisation d'une pression d’environ 60 bar permet de contrer le flux osmotique et de faire passer l'eau vers un compartiment où la concentration en sel est très faible, au travers d'une membrane semi-perméable qui retient le sel. Pour de petites installations, cette eau peut être prélevée dans des puits côtiers, et l'on bénéficie alors d’une épuration de l'eau due au sol qui agit comme un filtre naturel. Cependant, pour les plus grosses installations, qui sont la majorité, l’eau est prélevée directement en mer, ce qui rend le prétraitement inévitable, par filtration conventionnelle ou sur membranes de clarification.
L'usine de dessalement d’eau de mer de Gold Coast, (État du Queensland, Australie) conçue et exploitée depuis peu par Veolia, est une belle illustration de cette récupération d'eau de mer à grande échelle par technique membranaire (production de 125 000 m³/jour destinée à alimenter 450 000 habitants de la ville de Gold Coast et de la région Sud-Est du Queensland). La prise en mer se fera par gravité montante, à 70 m de profondeur, par une conduite offshore de 1,4 km de longueur et de 3,4 m de largeur. Le prétraitement de l'eau se fera dans un premier temps par un passage dans des filtres gravitaires, dans un deuxième temps par un passage dans des filtres à cartouches.
Le dessalement membranaire par osmose inverse se fait, ensuite, par un passage de l'eau dans deux séries de filtres (9 trains pour le premier passage, et 3 pour le deuxième).
La reminéralisation de l'eau est réalisée, ensuite, par utilisation de chaux et de CO₂. Si les industriels ont au départ utilisé des membranes cellulosiques pour réaliser l’osmose inverse, elles ont été remplacées par des membranes issues des techniques fines de polymères (thin film composite). Cette évolution a permis non seulement une amélioration de la qualité de l’eau, mais aussi une réduction de la consommation d’énergie, puisqu’on passe ainsi de 10 kWh utilisés par m³ d’eau produit à 7 kWh.
De plus, là encore, le couplage avec des process de récupération d’énergie donne la possibilité d’améliorer le rendement des installations. Si le turbinage par pompe Pelton est une technologie classiquement employée, on retrouve aujourd’hui des procédés de récupération d’énergie par échangeur de pression (cf. encadré) qui font passer le rendement de 80 à 98 %.
Des marges de progression importantes
Comme le dessalement thermique, dont le potentiel, en termes de développement reste très important (le développement du procédé MED en est une preuve), les techniques membranaires disposent aussi de grandes marges de progression sur lesquelles les fabricants tels Koch Membrane Systems, Aquasource, Dow Chemical, Hydranautics, Toray, DuPont de Nemours, H2O Innovation, Polymem ou Pall travaillent activement.
Le premier facteur sur lequel travaillent les industriels est la sensibilité des membranes aux biofilms. En effet, ceux-ci entraînent des colmatages et donc une perte de rendement.
La recherche s'oriente donc vers des membranes ayant des capacités bactériostatiques, c'est-à-dire empêchant ou au moins réduisant la multiplication bactérienne.
Le deuxième facteur sur lequel on peut jouer est la perméabilité des membranes. L'eau de mer contenant environ 35 g/l de sel, à 0,8 bar/g de sel, on arrive à une pression osmotique d'environ 30 bar. Or les systèmes à osmose inverse fonctionnent à 60 bar. Avec des membranes encore plus perméables, on pourrait donc gagner jusqu'à 30 bar de pression, et faire ainsi des économies sur l'alimentation électrique des pompes.
Koch Membrane Systems travaille de son côté sur la taille des modules d’osmose inverse. Jusqu'à il y a 3 ans, il n'existait sur le marché que des membranes de 8". Depuis, Koch Membrane Systems a mis sur le marché une membrane de 18" qui permettrait de réduire outre l'énergie mise en œuvre, le nombre de membranes, le nombre de carters et pour finir la surface au sol des installations. « Cette membrane MegaMagnum® équipe de plus en plus de nos clients », précise Didier Le Saux, Koch Membrane Systems.
Les industriels sont également en attente d'une rupture technologique, avec d'autres procédés malheureusement encore immatures, tels que l'osmose directe ou la distillation membranaire (qui favoriserait la vaporisation de l'eau et améliorerait la surface d'échange eau/vapeur).
« Ce qui nous guide est avant tout la diminution des coûts d’investissement et d'exploitation, indique Véronique Bonnelye. Nous avons déjà su diviser la facture énergétique par quatre ou cinq, et diviser le coût des membranes par 10-20. Nous pouvons également travailler pour améliorer l'étape de prétraitement, afin de tout faire pour rendre ces coûts, encore élevés, acceptables ».
La révolution des nanotechnologies
L'autre innovation attendue est celle qu'apporteraient les nanotechnologies, avec notamment la fabrication de nanotubes de carbone. L'utilisation du pouvoir séparatif des nanoparticules entraînerait un gain considérable d'énergie et de place. Selon Jean-Michel Lainé, chef de produit à la direction opérationnelle, recherche et environnement de Suez Environnement, « un alignement de ces nanotubes permettrait de réaliser une économie de 70 % d'énergie, et une surface équivalente à une feuille de papier A4 pourrait traiter 150 litres/heure, contre 30 litres/heure/m² aujourd'hui ». Très prometteuse, cette technologie reste à valider économiquement, et de nombreuses étapes devront être franchies avant d'envisager une exploitation à échelle industrielle. Suez Environnement participe d'ailleurs à un projet européen qui se consacre à ce sujet : Nametech (Nano Membrane Technology). Soumis l'an dernier à l'approbation de la Commission européenne, ce projet devrait démarrer dans les semaines à venir. Il regroupe onze partenaires de huit pays, et comprend à la fois des fabricants, des industriels et des instituts de recherche. « Il s'agit d'un projet intégré, explique Jean-Michel Lainé. Une réunion des savoir-faire de chacun a été décidée dès le départ, en définissant les orientations potentielles d'innovation et de progrès ».
Une alternative avec le dessalement “vert”
La grande évolution de l'industrie du dessalement se trouve aujourd'hui dans un couplage avec les énergies renouvelables, qui non seulement permettent de compenser les besoins énergétiques d'une usine,
mais s'inscrivent surtout dans une logique de développement durable. Un exemple concret est l'usine de Degrémont à Perth (Australie). Avec un débit de 140 000 m³ d'eau/jour, elle est alimentée par un champ d’éoliennes qui produit en réalité trois fois plus que ne le demande l’installation. « Ce projet n’était possible que s’il comprenait ce champ, remarque Véronique Bonnelye. Le cahier des charges qui précisait ce couplage n’a pu exister que grâce à une véritable volonté politique ». De même à Sydney, Veolia construit actuellement une usine de dessalement par osmose inverse d'une capacité de 250 000 m³ par jour d'eau dessalée, pour le fonctionnement de laquelle l’énergie sera fournie via le réseau en grande partie par une ferme éolienne. Si l’éolien s'avérait bien adapté au terrain en question, les zones côtières sont également bien sûr propices à une association avec la force hydromotrice.
Par ailleurs, les courants et les marées étant à la fois beaucoup plus réguliers et prévisibles que les vents, un tel couplage assure une meilleure stabilité de la production. « Cette voie, qui permet d’alimenter les usines en bord de mer, doit être correctement explorée afin de garantir un développement plus cohérent et une minimisation de l’impact de ces installations », indique Jean-Michel Lainé. Par contre, la surface nécessaire pour des panneaux photovoltaïques limite leur utilisation à de petites installations ; l’énergie solaire peut cependant être employée pour des réacteurs thermiques.
Si les pays du Moyen-Orient restent suffisamment pourvus en ressources fossiles pour ne pas s'inquiéter d’économies d’énergie, ils se mettent pourtant aussi au vert, en commençant par les rejets de saumure chaude en mer qu’ils tentent de diminuer. Les réglementations, les conditions de pêche, mais aussi les perspectives de tourisme leur ont ouvert les yeux. Leur stratégie consiste désormais à diluer la saumure chaude avant rejet afin d’éviter de trop grands écarts de température, mais il existe également des projets pour se servir de cette chaleur via un échangeur thermique.
Degrémont devrait livrer en 2010 sa plus grosse usine à Bahreïn, avec un volume de 218 000 m³ d'eau/jour, et ses différentes installations, avec celles de Veolia, fournissent en moyenne 100 à 150 000 m³ d'eau/jour, prouvant ainsi que la production d’eau douce par dessalement thermique ou membranaire n’est plus anecdotique aujourd’hui.
De plus, le récent exemple de Barcelone (où la production de 200 000 m³ d’eau/jour devrait assurer 15 à 20 % de l'alimentation en eau de la ville) et de l’Espagne toute entière montre à quel point le stress hydrique et l’agriculture peuvent mettre un pays développé sous pression. « En cas d’urgence, il est vrai que le dessalement est une technique très intéressante, admet Véronique Bonnelye. Cependant, il ne faut pas oublier d’explorer au préalable les solutions alternatives : les économies d’eau par les usagers ou encore la réutilisation des eaux au niveau industriel ou par les communautés locales. Le dessalement ne doit être vu que comme un dernier recours ».