Le présent article se rapporte aux études menées en Grande-Bretagne concernant l’efficacité des produits contenant de l’acide peracétique pour la désinfection des effluents urbains. Des essais de laboratoire ont montré que l’acide peracétique est un excellent désinfectant des bactéries fécales et des bactériophages, même en présence de contaminants organiques. Des expériences sur le terrain ont mis en évidence que l’application d’acide peracétique permet à des eaux, recevant des effluents traités ou non, de respecter les recommandations de la CEE concernant les eaux de baignade.
La désinfection des eaux d’égouts, traitées ou non traitées, a pris de plus en plus d’importance ces dernières années. En effet, l’augmentation de la pollution et des besoins conduit à réutiliser plus souvent des eaux usées pour l’irrigation ou même la potabilisation ; de même l’instauration de critères plus stricts sur la qualité des eaux de baignade a permis de mieux prendre conscience de la pollution des lieux de loisirs aquatiques ; enfin la recherche scientifique a mis en évidence les problèmes d’environnement qui peuvent être posés par la chloration des effluents ou par les longs émissaires en mer.
- * Interox Research and Development, Grande-Bretagne.
- ** Interox Chimie.
- (1) Voir l’étude complémentaire parue dans le n° 129 de juin 1989 de la présente revue, sous le titre : « Utilisations de l’acide peracétique pour la désinfection des eaux usées ».
Dans ce contexte, nous avons mené des études approfondies sur l’utilisation de nouveaux biocides, à base d’acide peracétique, pour désinfecter les eaux d’égouts et les effluents urbains. Comme premier objectif, les produits utilisés ne doivent pas présenter d’effet nocif pour l’environnement, tout en assurant, de façon fiable et économique, la destruction des micro-organismes pathogènes.
L’acide peracétique est bien connu pour être un puissant agent antimicrobien, ce qui est démontré à la fois au laboratoire et par des applications industrielles : dans les brasseries et les laiteries par exemple. Toutefois, peu d’informations quantitatives sont disponibles concernant son activité sur les organismes habituellement utilisés comme traceurs d’effluents domestiques ; on a donc mené une série de tests contrôlés selon des procédures de laboratoire. Le présent article décrit ces expériences, ainsi que certains essais menés en vraie grandeur.
Méthodologie des essais de laboratoire
On a utilisé un test en suspension quantitatif pour évaluer les performances de l’acide peracétique sur des cultures de bactéries pures et sur des bactériophages. Dans cette méthode, l’agent biocide a été mis en contact sous agitation pendant 5 minutes avec une solution expérimentale contenant un échantillon de micro-organismes, avant dilution dans la solution neutralisante et dénombrement des micro-organismes survivants. Tout ce travail expérimental a été mené à température ambiante.
On a effectué ces tests sur les indicateurs habituels de contamination des eaux par des effluents municipaux : Escherichia coli ATCC 11229 et Streptococcus faecalis ATCC 10541, ainsi que les bactériophages MS2, NCIB 10108, et φX174, NCIB 10382.
Les concentrations en micro-organismes, au moment de la mise en contact avec le biocide, étaient de 1 à 3 · 10⁶ cellules/ml pour les bactéries, et de 0,5 à 5,0 · 10⁶ u.f.p. (unités formant plage)/ml pour les bactériophages.
Les effets du pH et de la contamination organique sur les propriétés biocides de l’acide peracétique ont été étudiés grâce à l’utilisation de différentes solu-
tions expérimentales : eau distillée, solutions tampons d’acétate, borate et phosphate à pH 5, 7 et 9, et extrait de levure.
L'acide peracétique a été neutralisé par une solution contenant 50 g/l de thiosulfate de sodium pentahydraté, et 0,25 g/l de catalase (Sigma C-10). On a compté les bactéries survivantes après incubation dans de la gélose pour dénombrement, à 37 °C pendant 48 heures dans une boîte de Pétri (méthode par dilution-neutralisation). Les nombres de bactériophages ont été déterminés par comptage des plages formées après incubation des cellules-hôtes Escherichia coli pendant 24 heures à 37 °C.
D'après la méthode normalisée, un biocide doit réduire le nombre de bactéries survivantes d'un facteur 10⁵ (soit une réduction de 99,999 %), et le nombre de bactériophages d'un facteur 10⁴ (réduction de 99,99 %), en 5 minutes dans les deux cas.
Essais de laboratoire
Les résultats de ces essais, portés au tableau I, montrent qu'une concentration d'acide peracétique de 25 mg/l a tué rapidement Escherichia coli et Streptococcus faecalis, conduisant à une réduction du nombre de bactéries supérieure à 10⁵ (99,999 %) en 5 minutes. Même en présence d'une large quantité de matières organiques (4 g/l d’extrait de levure), il n’a fallu que 100 mg/l d’acide peracétique pour obtenir une réduction logarithmique de 5 en 5 minutes.
Escherichia coli est apparu légèrement plus sensible à l'acide peracétique que Streptococcus faecalis. L'activité bactéricide de l'acide peracétique s’est avérée la plus forte à pH neutre, et surtout légèrement acide. Les concentrations d'acide peracétique efficaces contre les bactériophages MS2 et ɸX174 dans l'eau déminéralisée (réduction logarithmique de 4 en 5 minutes) ont été de 15 et 30 mg/l respectivement. Ainsi, les bactériophages sont apparus à peu près aussi sensibles que les bactéries fécales à l'action de l’acide peracétique.
Essais en vraie grandeur sur un effluent de traitement secondaire
Un essai a été mené dans une petite station rurale (débit de l'ordre de 1 000 m³/jour). Après un traitement par boues activées, l’effluent est rejeté en rivière. Environ 300 m en aval du point de rejet, cette rivière atteint un marais, réserve naturelle protégée. Elle sort ensuite de ce marais, puis se jette dans un fleuve dont le cours est parallèle à la côte sablonneuse. La principale voie d'écoulement des eaux dans la mer n’est pas constituée par l’embouchure du fleuve, mais par le flux de marée qui permet un déversement à travers la flèche littorale (figure 1).
Des échantillons ont été prélevés en différents points, et la concentration en coliformes thermotolérants (CTT) a été estimée par incubation dans des boîtes de Pétri contenant de l'Agar Mac Conkey n° 3, à 44 °C pendant 48 heures.
En amont du point de rejet des effluents, la rivière contenait, en moyenne, 320 CTT/100 ml, alors que l’effluent non désinfecté présentait un nombre de CTT moyen de 201 000/100 ml. La dilution et la réduction naturelle abaissaient le niveau bactérien à 3 % de celui de l’effluent non désinfecté, mais un traitement à l'acide peracétique, avant le rejet en rivière, a permis de réduire considérablement les nombres de CTT mesurés plus loin en aval (Tableau II).
L'introduction de 6 mg/l d’acide peracétique a entraîné un abaissement d’environ 97 % du taux de coliformes pendant la courte période précédant la décharge de l’effluent dans la rivière. Autre conséquence : à l’entrée dans le marais, la rivière ne contenait plus que 0,46 % de la teneur en coliformes de l’effluent non désinfecté, ce qui peut se comparer à la valeur de 18 % mesurée en l'absence de désinfection. Cet abaissement des niveaux bactériens a également permis de mettre en évidence d'autres sources de pollution fécale du fleuve.
Essais en vraie grandeur sur un effluent brut
L'acide peracétique a été introduit dans un effluent brut, avant dessablage, broyage et décharge en mer, par un émissaire se prolongeant à 770 m au-delà du niveau moyen à marée basse. Le débit journalier avoisinait 9 000 m³. Des échantillons du rejet ont été prélevés immédiatement avec l'introduction de l’acide peracétique, juste avant l’entrée dans l’émissaire, ainsi que dans l’eau de mer des plages adjacentes, et dans la longue nappe formée par l’effluent à la sortie de l’émissaire. Dans tous ces échantillons, on a mesuré la teneur en CTT et streptocoques fécaux par des méthodes de filtration sur membrane. Pour les CTT, on a utilisé un milieu de culture au lauryl sulfate spécial pour cette méthode, mis à incuber 4 heures à 30 °C et 14 heures à 44 °C. Les streptocoques fécaux ont été comptés après incubation dans un milieu de Slanetz et Bartley, 4 heures à 37 °C puis 44 heures à 44 °C.
À l'entrée de l’émissaire, on constata une réduction de 99,8 % du niveau de CTT dans l’effluent, après 5 minutes d’introduction de 10 mg/l d’acide peracétique, alors qu’une dose de 20 mg/l d'acide peracétique réduisait la teneur en streptocoques fécaux de 99,0 % (Tableau III).
À la sortie de l’émissaire, l’eau de mer contenait, en différents points de la nappe, des concentrations moyennes en CTT variant de 750 à 120 000 cellules/100 ml en l'absence de désinfection. Les streptocoques fécaux étaient présents à raison de 620 à 16 000 cellules/100 ml (Tableau IV).
Un traitement par 10 mg/l d'acide peracétique suffit pour ramener la concentration des deux bactéries témoins à ce qui peut être considéré comme une valeur plancher : de l’ordre de 200 cellules/100 ml pour les coliformes, et 100 cellules/100 ml pour les streptocoques fécaux. En fait, ces valeurs dues à la décharge de l’effluent désinfecté étaient souvent dépassées au voisinage de certaines plages, où l'eau était contaminée par d'autres sources de pollution.
Conclusion
Les résultats obtenus dans des conditions de laboratoire bien contrôlées montrent que l’acide peracétique constitue un désinfectant efficace contre les bactéries et les bactériophages représentatifs de ceux qu’on trouve dans les eaux usées, même en présence de contamination organique.
Les essais sur le terrain confirment les propriétés antimicrobiennes de l’acide peracétique. Les teneurs en bactéries dans les eaux usées ou les effluents ont baissé rapidement, conduisant à de très nettes améliorations des qualités microbiologiques des eaux réceptrices. Cela a mis en évidence la nécessité de tenir compte de toutes les sources de pollution afin d’assurer une bonne qualité des eaux sur les lieux de baignade.
Tableau I
Concentration minimale en acide peracétique (mg/l) nécessaire pour réussir l’essai standard.
Micro-organismes | Eau distillée | pH 5 | pH 7 | pH 9 | Levure |
---|---|---|---|---|---|
E. coli | 10-15 | 20-25 | 10-15 | 100-150 | 50-75 |
S. faecalis | 10-25 | 10-15 | 75-100 | 500-1 000 | 75-100 |
MS 2 | 12-15 | 11-15 | 30-53 | 225-300 | 75-94 |
ΦX174 | 23-30 | 15-23 | 53-75 | 525-750 | 94-113 |
Tableau II
Résultats d’une désinfection à l’acide peracétique sur un effluent de traitement biologique.
Points d’échantillonnage | 0 | 4 mg/l acide peracétique | 6 mg/l acide peracétique | 8 mg/l acide peracétique |
---|---|---|---|---|
Point de décharge de l’effluent dans la rivière (+7) | 66 | 97,0 | 97,3 | |
Point de déversement de la rivière dans le marais | 82 | 96,0 | 99,54 | 99,70 |
Confluent de la rivière et du fleuve | 98,7 | 99,72 | 99,53 | 99,21 |
Exutoire du fleuve | 97,0 | 99,46 | 98,7 | 98,7 |
Tableau III
Désinfection d’un effluent brut. Résultats observés à l’entrée de l’émissaire.
Concentration en acide peracétique (mg/l) | Taux de réduction moyen (%) | |
---|---|---|
Coliformes thermotolérants | Streptocoques fécaux | |
10 | 99,8 | 68 |
15 | 99,87 | 87 |
20 | 99,94 | 99,0 |
*Valeurs initiales moyennes : — coliformes thermotolérants 5,2 × 10³ cellules/100 ml ; — streptocoques fécaux 4,1 × 10³ cellules/100 ml.
Tableau IV
Désinfection d’un effluent brut. Résultats constatés dans la nappe en mer.
Niveau | Distance de l’émissaire (m) | Coliformes thermotolérants (cellules/100 ml) | Coliformes thermotolérants 10 mg/l acide peracétique | Streptocoques fécaux (cellules/100 ml) | Streptocoques fécaux 10 mg/l acide peracétique |
---|---|---|---|---|---|
Surface | 0 | 120 000 | 160 | 1 400 | 130 |
50 | 43 000 | 220 | 8 900 | 100 | |
100 | 9 000 | 240 | 4 600 | 110 | |
Niveau moyen | 0 | 47 000 | 400 | 16 000 | 90 |
50 | 25 000 | 240 | 5 800 | 80 | |
100 | 2 000 | 210 | 860 | 80 | |
Fond | 0 | 27 000 | 170 | 7 100 | 100 |
50 | 7 900 | 240 | 1 500 | 80 | |
100 | 750 | 180 | 620 | 70 |
Les concentrations en acide peracétique efficaces sur le terrain sont plus basses que celles déterminées par le test en suspension effectué au laboratoire, car ce dernier utilise des critères bien plus contraignants. Dans les cas réels, on rencontre des bactéries en nombre plus faible, souvent déjà affaiblies, et donc une réduction moins importante est suffisante. En outre, le temps de contact entre l’acide peracétique et l’effluent à désinfecter peut souvent être allongé en pratique.
L’utilisation de l’acide peracétique pour la désinfection des eaux usées et des effluents est actuellement étudiée dans différents pays d’Europe et d’Amérique et des unités de traitement permanentes sont maintenant en service en Grande-Bretagne. Nous poursuivons d’autre part un programme d’études en laboratoire, d’essais sur le terrain, et d’aide pour l’installation d’unités de traitement.
Remerciements. Les auteurs souhaitent remercier les Agences de l’Eau britanniques, pour l’aide qu’elles leur ont apportée lors des études décrites dans cet article.