La potabilisation de l’eau en usine doit nécessairement être complétée par un traitement apportant un pouvoir de désinfection résiduel pour éviter toute contamination durant son transit dans les réseaux de distribution.
Le chlore, le plus généralement utilisé à cet effet sous ses différentes formes, est un biocide particulièrement bien adapté pour garantir le transport d’une eau saine dans un réseau de distribution, depuis l’usine de traitement jusqu’au robinet du consommateur. En général, cette désinfection consiste en l’addition d’une légère dose de chlore de manière à assurer le maintien d’un taux résiduel (0,1 à 0,2 ppm) dans le réseau de distribution. Par ailleurs, dans les installations de potabilisation possédant une filière biologique, il est nécessaire de maintenir de façon permanente des capacités de chloration de taille suffisante permettant d’intervenir en cas de fuites d’ammoniaque éventuelles.
D’une façon générale, la chloration met en œuvre le chlore gazeux ou l’hypochlorite de sodium concentré (eau de Javel).
Le chlore gazeux possède un certain nombre d’avantages : faible volume de stockage et distribution du chlore en dépression (qui en principe ne présente pas de risques), pour un coût d’installation peu élevé. En revanche, l’hypochlorite de sodium concentré titré à 150 g/l de chlore actif présente l’inconvénient d’avoir une concentration qui diminue et un taux de chlorate qui augmente en fonction du temps de stockage : il est très corrosif, sa manipulation est délicate et sa dilution dans l’eau entraîne souvent des problèmes d’entartrage.
Par contre, les stockages de chlore liquéfié, permettant d’obtenir le chlore gazeux dans les usines de traitement importantes situées en zones fortement urbanisées, doivent désormais se conformer aux nouvelles réglementations récemment mises en place par les pouvoirs publics.
Les nouvelles dispositions réglementaires
Dans les usines de production d’eau de taille importante utilisant le chlore gazeux et possédant un stockage de chlore liquéfié supérieur à 500 kg, une autorisation des Services des Installations Classées doit être obtenue après réalisation d’une étude de danger. Cette demande doit être faite conformément à l’application de la directive « Seveso » et aux dispositions de la loi du 22 juillet 1985 relative à l’organisation de la sécurité civile.
[Photo : Schéma de l’unité d’électrochloration.]
protection de la forêt contre l’incendie et à la prévention des risques majeurs. Dans la pratique, ces études de danger conduisent à la détermination de zones de sécurité autour du stockage de chlore, dans lesquelles un accident pourrait avoir des conséquences mortelles ou irréversibles sur la santé.
Les documents d’urbanisme des communes concernées doivent déterminer les conditions permettant de prévenir les risques (Article L121-10 du Code de l’Urbanisme) ; dans les périmètres de danger, les permis de construire peuvent être refusés ou accordés sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales (Article 111.2 du Code de l’Urbanisme).
En région parisienne, le Service Technique d’Inspection des Installations Classées procède actuellement au recensement de ces zones à risques.
Ces contraintes réglementaires ont tout naturellement amené les exploitants d’usines de potabilisation à rechercher une technique de chloration qui ne présente pas de danger potentiel de stockage, ni de problèmes d’exploitation liés à l’hypochlorite de sodium : c’est la production d’hypochlorite dilué in situ qui, après des essais menés sur une installation-pilote, est à ce jour la mieux adaptée aux contraintes d’exploitation et d’environnement.
Principe de l’électrochloration
Cette technique, d’origine américaine, a jusqu’à présent surtout été employée pour protéger des circuits de refroidissement des plateformes pétrolières off shore, pour la lutte anti-fouling sur les circuits de refroidissement des centrales électriques ou des usines utilisant l’eau de mer ou encore pour la désodorisation de gaz industriels, le traitement d’effluents ou la réutilisation d’éluats de régénération ; hormis quelques usines situées en Grande Bretagne, ce procédé a été peu appliqué au domaine de l’eau potable.
Le principe consiste à fabriquer de l’hypochlorite de sodium (NaOCl) au moyen de l’électrolyse d’une solution de chlorure de sodium. Les réactions qui interviennent sont les suivantes :
- à la cathode : 2H⁺ + 2e⁻ → H₂
- dans l’eau : Na⁺ + 2 H₂O → 2NaOH + H₂
- à l’anode : 2Cl⁻ → Cl₂ + 2e⁻
- dans l’eau : Cl₂ + H₂O → HCl + HClO
L’acide hypochloreux formé est neutralisé par l’hydroxyde de sodium qui se forme à l’anode pour donner l’hypochlorite de sodium.
Les caractéristiques du sel à dissoudre (de qualité alimentaire) sont rassemblées dans l’encadré.
Les essais sur pilote
Les essais réalisés sur un générateur d’une capacité de 385 g Cl/h ont permis de déterminer les conditions optimales de fonctionnement (concentration en hypochlorite de sodium, concentration en saumure diluée, consommation énergétique) en fonction de la température de la saumure diluée. Parallèlement, les risques sanitaires susceptibles d’être liés à ce procédé d’électrolyse (formation de chlorates et de trihalométhanes, relargage de ruthénium) ont été étudiés.
Les résultats globaux de ces essais montrent que, pour obtenir un hypochlorite de sodium à une concentration de 6 g/l de Cl₂ à base d’une eau potable à une température comprise entre 0,1 et 28 °C, les consommations sont de l’ordre de 3 kg de sel et 5,5 kW par kg de Cl₂.
Les concentrations en chlorates retrouvées dans la solution d’hypochlorite de sodium dilué sont telles que pour un taux de désinfection de 2,2 g Cl₂/m³ d’eau traitée, l’apport en chlorate est de l’ordre de 70 µg/l ; cet apport est tout à fait comparable à celui obtenu lors de l’utilisation d’hypochlorite concentré neuf.
Par contre, après deux mois de stockage, l’hypochlorite dilué reste stable, alors que l’hypochlorite concentré, après avoir perdu 20 % de son taux de chlore, apporte jusqu’à 350 g de chlorate par litre d’eau.
Les concentrations en trihalométhanes que l’on trouve dans la solution d’hypochlorite de sodium produite par électrolyse sont faibles et conduisent à des apports dans l’eau traitée de quelques nanogrammes par litre. De même, les apports en métaux rares issus des électrodes représentent dans l’eau traitée environ 0,050 ng/l.
À la suite de ces résultats, une installation de production de 6 kg Cl₂/h a été mise en place à l’usine de traitement d’eau potable de Saint-Maur-des-Fossés (figure 1).
Une innovation technologique à l’usine de Saint-Maur-des-Fossés
Depuis 1990, la Société Française de Distribution d’Eau est bénéficiaire d’un contrat d’assistance technique avec la Ville de Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne, et elle a récemment, avec le concours d’Anjou-Recherche, proposé à la Ville de mettre en place dans son usine de production d’eau
[Photo : Poste de commande de l’usine (toutes les opérations de traitement de l’eau sont entièrement automatisées).]
[Photo : Fig. 3 et 4 : Détails de l’unité d’électrochloration comportant deux cellules d’électrolyse reliées d’une part à la réserve de saumure, d’autre part au réservoir d’hypochlorite. Afin d’éviter l’entartrage, l’eau d’arrivée est préalablement adoucie (moins de 1 °TH) et l’hydrogène résultant de la réaction électrochimique est rendu, après dilution avec de l’air, dans l’atmosphère.]
potable, pour supprimer le dépôt de chlore gazeux et répondre aux nouvelles contraintes d’environnement, une unité d’électrochloration qui constitue une première en France.
Dans cette usine, d’une capacité
[Encart : CARACTÉRISTIQUES DU SEL UTILISÉ
Les caractéristiques du sel à dissoudre sont les suivantes (qualité alimentaire) :
chlorure de sodium > 99,82 %
sulfate de calcium < 0,14 %
sulfate de magnésium < 0,02 %
chlorure de magnésium < 0,01 %
manganèse non mesurable
insolubles > 0,01 %]
maximum de 50 000 m³/j, toutes les opérations de traitement de l’eau durent au total environ cinq heures et sont entièrement automatisées (figure 2).
Neuf personnes travaillant à l’usine contrôlent et dirigent la filière à partir d’un superviseur relié à un automate-maître. Celui-ci communique avec cinq automates déportés et deux calculateurs qui gèrent la floculation, les filtres à sable, l’ozonation, les filtres à charbon, la chloration et les pompes.
L’électrochloration
Le chlore nécessaire à la stérilisation finale est produit par l’unité d’électrochloration originale précitée, qui est venue s’intégrer dans les systèmes d’automatismes déjà existants. Réalisée par Trailigaz, elle a été mise en service au début de novembre 1993 et fonctionne avec succès.
L’hypochlorite dilué (6 g/l), produit in situ au fur et à mesure des besoins, est injecté par des pompes doseuses à la sortie de la filière biologique. La saumure saturée est produite dans un silo dissolveur représentant un stockage de 20 tonnes de chlorure de sodium cristallisé (figures 3 et 4).
La capacité de production est de 6 kg d’équivalent chlore à l’heure.
Intérêt de l’électrochloration
Le choix de l’électrochloration présente, comme on l’a vu, de nombreux avantages ; les principaux se résument comme suit :
- * aucun stockage de produit corrosif ou dangereux,
- * un minimum de risque pour le personnel à tous les niveaux du procédé de production, d’injection, et de la maintenance,
- * une grande durée de vie des installations, du fait de la faible corrosivité des produits véhiculés, qui compense le surcoût de l’installation,
- * grande autonomie possible, sans aucune détérioration dans le temps des produits stockés,
- * possibilité d’une double source de sécurité avec l’hypochlorite concentré, avec une partie des équipements commune,
- * conformité aux normes et recommandations les plus strictes en matière d’environnement.
Conclusion
Véritable solution à un problème d’environnement, de stockage et de transport des matières dangereuses et de sécurité du personnel, la réussite de l’opération menée à l’usine de Saint-Maur-des-Fossés laisse penser que l’électrochloration utilisée en post-chloration finale dans une filière de traitement d’eau potable pourrait être transposée dans l’avenir à d’autres installations.
BIBLIOGRAPHIE
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- 2. HOLCA R., Électrochloration : production par électrolyse d’une solution diluée de chlore actif à partir d’eau salée. Principe, domaines d’applications, étude comparative de rentabilité entre le chlore produit par ce procédé et du chlore stocké en tanks. L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 64, 1982, pp. 17-20.
- 3. SERMBEZIS A., Putting processes into perspective, Water and Waste Treatment, vol 29, n° 11, 1986, p. 9.
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- 6. GUILLET P., TRANCART M., L’électrochloration des eaux et ses diverses applications, L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 119, 1988, pp. 49-51.