Le point de vue du distributeur d'eau
Des principes incontournables
Les ouvrages affectés au traitement des eaux et à leur distribution sont des ouvrages de génie civil très particuliers, généralement construits en béton, pour lesquels il est indispensable de réaliser une étanchéité parfaite. Il est non moins indispensable que ces ouvrages soient en mesure d’assurer à l’eau qu’ils contiennent et qui est destinée à la consommation humaine, la conservation rigoureuse et constante de toutes ses qualités, non seulement en la protégeant contre tous les risques de contamination provenant du milieu extérieur, mais aussi en éliminant tous les risques d'une quelconque altération due aux matériaux qui sont au contact de l'eau.
Il importe donc que pour tout projet de construction d’un ouvrage nouveau comme pour tout projet de rénovation d’un ouvrage ancien, quelles que soient les dimensions, la forme ou la capacité de l'ouvrage, trois règles essentielles soient prises en considération :
- — contenir l’eau sans présenter de fuites,
- — la protéger des nuisances extérieures,
- — la préserver de toute altération susceptible de trouver son origine dans le comportement des matériaux en présence de l'eau qui est à leur contact.
Ces principes, qui relèvent du bon sens le plus élémentaire, sont incontournables et on ne peut qu’y souscrire sans réserve. Ils pourraient figurer en toutes lettres dans un cahier des charges, et il n’est pas un Maître d’ouvrage, ni un Maître d’œuvre, et encore moins un bureau d’études techniques ou un exploitant distributeur d’eau qui s’en étonneraient.
Compagnie Générale des Eaux
Cependant, la mise en pratique laisse souvent à désirer, car l’application n’est pas toujours aussi simple ni aussi bien réalisée qu’on pourrait le penser. Bien des ouvrages sont victimes de désordres qui apparaissent et se manifestent progressivement et qui ne sont souvent que le résultat de négligences et de malfaçons qu’il aurait été possible d’éviter et dont l'origine doit être recherchée au niveau du cahier des charges et de la qualité de la construction.
Les désordres et les difficultés rencontrés par l’exploitant
Les désordres auxquels doivent faire face, dans des conditions généralement difficiles, les services responsables de la distribution des eaux, sont de trois natures différentes :
- — manifestations de fuites d’eau,
- — altération de la qualité de l’eau,
- — troubles et perturbations dans le fonctionnement du système de distribution.
Les fuites d’eau
Il existe des fuites qui peuvent se manifester dès le premier remplissage d’un ouvrage nouveau. Elles peuvent aussi n’apparaître que plus tardivement, malgré la mise en œuvre d'un traitement spécial d’étanchéité ou l’application d’un revêtement étanche réalisés lors de la construction de l’ouvrage.
Les fuites susceptibles de provoquer des dommages à brève échéance du fait d'un débit important font l'objet d’interventions assez rapides et sont réparées par des méthodes qui donnent toute satisfaction en général.
Mais les fuites les plus nombreuses sont celles que l’on peut observer de façon très courante sur les parois visibles des châteaux d’eau et des ouvrages hydrauliques au sol ou surélevés ; elles ne représentent le plus souvent que des débits limités et se traduisent par un léger écoulement, un suintement, ou une simple tache humide ; sans effet sur la qualité de l’eau, elles sont nuisibles essentiellement à l'aspect extérieur de l'ouvrage (traînées et dépôts de calcite provenant de la chaux du béton ; destruction des peintures, des enduits de ravalement, ou des carrelages appliqués en motifs décoratifs ; enfin en période de froid, formation de stalactites et de glace susceptible d’entraîner des ruptures ou des accidents plus graves) (figure 1).
Quant aux fuites des ouvrages enterrés, elles sont plus difficiles à repérer mais elles risquent d’avoir des conséquences plus importantes par suite des désordres qu’elles peuvent entraîner dans les fondations et des pollutions qui peuvent résulter de la pénétration d’eau de nappe ou de racines à l'intérieur de l'ouvrage.
En général, ce régime de fuites peut subsister et se maintenir pendant des années, mais il finit par provoquer une dégradation des bétons et une corrosion des armatures qui nécessiteront une intervention.
Qualité de l'eau
Il arrive que des saveurs désagréables prennent naissance à l'intérieur d’un ouvrage de traitement ou d'un réservoir, et se propagent tout au long d’un réseau de distribution en provoquant de nombreuses réclamations des abonnés. Certaines expériences, vécues dans des conditions difficiles après la mise en service d’ouvrages dotés de revêtements d'étanchéité nouveaux ou récemment rénovés, ont appris aux services responsables à se montrer très exigeants sur le choix des produits et la qualification des entreprises ;
Remplaçant le Règlement Sanitaire Départemental, et faisant suite aux directives adoptées le 15 juillet 1980 par la Communauté Économique Européenne, le Décret n° 89-3 du 3 janvier 1989 indique que « les matériaux utilisés dans les systèmes de production ou de distribution et qui sont au contact de l'eau destinée à la consommation humaine ne doivent pas être susceptibles d’altérer la qualité de l'eau ». Ce décret précise dans son Annexe I les limites de qualité des « eaux destinées à la consommation humaine », et dans son Annexe III celles des « eaux brutes utilisées pour la production d'eau destinée à la consommation humaine ». C’est au respect de ces normes que s’attachent les essais effectués sur les matériaux par certains laboratoires spécialement habilités ; ces essais ne sont pas pour le moment imposés de façon réglementaire, peut-être en raison de leur caractère encore « expérimental », mais leur résultat constitue pour les services responsables de la distribution des eaux un critère de choix impératif.
Il existe en effet des ouvrages que l'on a dû isoler et mettre hors service par suite de goût et de saveurs inacceptables qui avaient pour origine le relargage de certains composants des matériaux ou des revêtements mis en œuvre pour le renforcement ou la rénovation d'une étanchéité déficiente.
Troubles et dysfonctionnement du système de distribution
Si les contrôles de qualité « alimentaire » sont indispensables, il faudrait que dans le même temps puissent être vérifiés, avant toute application, la bonne tenue et le comportement au vieillissement des matériaux et des produits d'étanchéité. À défaut de tels essais, des références et des témoignages précis concernant des produits appliqués depuis plus de dix ans, recueillis par les fabricants et les applicateurs, pourraient constituer un autre critère de choix très important (figures 2 et 3).
En fait, les matériaux et les produits capables de conserver leurs caractéristiques de façon immuable, en particulier en présence d’eau, pendant une période de temps couvrant une dizaine d’années au moins, doivent faire l'objet d'une sélection attentive, les produits de nature minérale faisant preuve en général d'une plus grande stabilité que les composés organiques.
On ne peut pas ignorer les désordres consécutifs aux décollements et aux dégradations de certains produits dont les débris sont dispersés dans l'eau d’un bassin et entraînés sous forme de particules solides jusqu'au domicile des consommateurs (provoquant le blocage de compteurs et l’obturation des filtres) ; des manifestations de ce genre sont susceptibles d’apparaître quelques mois seulement ou quelques années après l'application (figures 4 et 5).
De tels désordres ont été observés à l’intérieur de plusieurs ouvrages qui avaient été munis de revêtements appartenant à trois familles différentes (revêtements en produits bitumineux préfabriqués, enduits minces à base de ciment, enduction à base de produits pétroliers assimilables à des paraffines). On n’a pas relevé, dans ces cas précis, d'erreurs d'application ou de malfaçons, mais il faut plutôt incriminer le mauvais comportement des matériaux utilisés, du fait de leur immersion ou de leur exposition dans une atmosphère saturée d’humidité, qui aboutit de façon inéluctable à une complète dégradation. L'épreuve du temps présente ainsi autant d’importance que l’étanchéité et la qualité « alimentaire ».
Les besoins et les exigencesdes distributeurs d’eau
Le distributeur d’eau a pour mission d’assurer la gestion d’un service public nécessitant tout particulièrement une continuité et une permanence sans défaut, et de répondre à tout instant de la qualité du produit distribué. Il exige pour cela des ouvrages fiables, faciles à entretenir, et aptes à assurer un service continu sur une longue durée. Après s’être trouvé confronté, peut-être un peu au hasard, aux sérieuses difficultés d’exploitation qui peuvent arriver après la mise en service d’un ouvrage neuf ou rénové, il est devenu très attentif et particulièrement prudent en ce qui concerne le choix des matériaux et des techniques d’étanchéité qui lui sont proposées.
Pour répondre à la diversité des méthodes et à la multiplication des produits, face aux difficultés d’une opération de rénovation d’une étanchéité dont il a pu apprécier tous les aléas, face aux promesses quelque peu aventureuses de certaines entreprises dont la compétence n’est pas solidement établie, le distributeur d’eau est amené à préciser ses besoins et à définir ce qu’il attend des produits.
Ses exigences s’articulent autour de cinq critères principaux :
- — étanchéité,
- — « alimentarité », ou compatibilité des matériaux mis au contact d’une eau destinée à la consommation humaine avec les textes législatifs et réglementaires concernant la santé publique,
- — comportement, adhérence, résistance,
- — facilité d’application et de réparation,
- — durabilité et longévité.
Nous examinerons ci-après ces critères.
Étanchéité
L’étanchéité est la première caractéristique qu’il faut exiger d’un ouvrage affecté au traitement et à la distribution des eaux destinées à la consommation humaine.
Tout ouvrage nouvellement construit doit faire l’objet d’un essai en eau avant l’application d’un enduit intérieur ou d’un revêtement étanche. Après les réparations locales que le constructeur doit effectuer en vertu de son contrat, il ne doit apparaître aucune trace visible de fuite d’eau, ni aucun suintement, ni aucune tache humide. Ceci implique une connaissance précise de tous les risques de fissuration, et l’application d’une méthode de calcul bien adaptée au résultat prescrit.
Pour un ouvrage ancien à rénover, dont les risques de fissuration ne peuvent être appréciés à leur juste valeur, il importe de préciser de même qu’aucune trace visible de fuite d’eau, ni aucun suintement, ni aucune tache humide ne peuvent être admises après l’application d’un revêtement étanche.
Alimentarité
Les produits et les matériaux destinés à une application à l’intérieur d’un ouvrage de traitement ou de stockage d’eau potable ne peuvent être acceptés que dans la mesure où ils ne sont pas susceptibles d’altérer la qualité de l’eau tant par leur composition que par leurs conditions de mise en œuvre, ou par suite de leur évolution éventuelle.
Un contrôle préalable effectué par un laboratoire habilité, portant sur tous les matériaux et tous les produits comprenant des composés organiques à utiliser à l’intérieur de l’ouvrage, doit être exigé afin de s’assurer de leur conformité à la réglementation générale concernant les matériaux placés au contact des denrées alimentaires (Brochure 1227 publiée au JO), et de l’absence de tout risque d’altération de la qualité des eaux (Décret n° 89-3 du 3 janvier 1989).
La concordance entre l’échantillon soumis aux tests du laboratoire d’essais et les produits effectivement mis en œuvre demeure cependant un point qui échappe à tout contrôle pratique ; force est de faire confiance à l’autocontrôle que peuvent garantir le formulateur, le fabricant et l’applicateur.
Comportement,adhérence, résistance
Les matériaux et les produits proposés pour assurer l’étanchéité intérieure d’un ouvrage doivent conserver intactes toutes leurs caractéristiques physiques et mécaniques, que le réservoir soit vide ou plein d’eau, qu’ils soient placés au contact de l’air ou au contact de l’eau.
Ils doivent présenter une adhérence parfaite au support, ou bien être assujettis au support selon un dispositif de fixation bien adapté. Ils ne doivent pas se décoller, ni se détacher ou se déplacer en provoquant des ruptures et des déchirements, ni se détériorer en donnant lieu à la formation de cloques ou de pustules ou encore de pellicules ou de plaquettes. Ils doivent être aptes à résister aux actions mécaniques, physiques, chimiques, et biologiques, qui existent et se développent normalement à l’intérieur d’un ouvrage, celles qui sont dues au fonctionnement normal de l’ouvrage, et celles qui résultent des interventions effectuées pour le nettoyage et l’entretien régulier (figures 6 et 7).
Il faut aussi examiner avec attention le comportement de ces produits et matériaux face aux problèmes de fissuration de la structure, et face aux éventuelles réactions de destruction susceptibles d’apparaître au contact du béton ou du mortier servant de support.
Enfin, leur caractère non biodégradable et l’absence de tout risque d’un développement biologique anormal dont ils pourraient être le support doivent également être pris en considération.
Facilités d’applicationset de réparations
Les matériaux et les produits destinés à l’étanchéité d’un ouvrage doivent être d’un emploi facile et adapté aux contraintes spécifiques propres à l’ouvrage concerné. La forme de l’ouvrage,
l'état de sa structure, la nature et l'état du support, la compatibilité avec les matériaux existants ou les traces des matériaux précédemment employés (adjuvants de béton, produits de démoulage, produits de cure du béton) et les conditions de mise en œuvre (accès, éclairage, ventilation, échafaudages, température ambiante et température de support) sont autant d'éléments à considérer attentivement.
Il faut également porter une attention particulière aux conditions de prise ou de polymérisation des matériaux et produits proposés. Les conditions locales existant à l'intérieur d'un réservoir (confort, température, humidité…) sont très différentes des conditions de préparation d'un échantillon en laboratoire. La durée des réactions de prise ou de polymérisation nécessaire à une application correcte des produits n'est pas toujours compatible avec les problèmes d'exploitation.
Le Cahier de Mise en Œuvre ou Cahier des Charges, ainsi que toutes les Notices et Avis Techniques, constituent des documents indispensables dont l'entrepreneur et l'exploitant de l'ouvrage doivent consciencieusement prendre connaissance avant toute intervention.
Enfin, il faut que les méthodes et les techniques à employer pour réparer des défauts locaux d'étanchéité apparaissant en cours d'exploitation soient précisées et nettement indiquées par le fabricant, sachant que la réparation ne pourra en général être effectuée que dans un intervalle de temps très strictement limité et dans des conditions qui seront imposées par les circonstances.
Durabilité et longévité
Étant donné les contraintes et les difficultés d'exploitation qu'entraîne la mise hors service d'un ouvrage notamment appelé à un fonctionnement continu et régulier sans aucune interruption pendant de longues périodes, il est indispensable que les matériaux et les produits utilisés comme revêtement intérieur étanche puissent assurer leur fonction et remplir leur office sans aucune déficience pendant une durée de temps supérieure à dix ans. Certaines expériences de rénovation — il faut le souligner — ont très largement dépassé le cadre des délais et des prix prévus ; les conséquences qui en ont résulté pour le fonctionnement du système de distribution justifient l'exigence d'une garantie décennale particulière imposée par les clauses du marché.
Conclusion
Dans un précédent article publié dans cette même revue : « Le maintien de la qualité de l'eau potable dans les réservoirs, les revêtements intérieurs et leurs interactions avec l'eau » (1), nous avons proposé une classification des différents matériaux et produits utilisés pour le traitement des ouvrages en béton dont il est nécessaire d'obtenir l'étanchéité, en fonction de leur nature chimique et de leurs caractéristiques physiques.
Au terme de ce nouvel article élaboré à partir d'analyses portant sur des situations précises, faut-il rappeler que le béton est un matériau particulièrement résistant et durable, qu'il n'a jamais été à l'origine d'une altération perceptible de la qualité des eaux de consommation, et que, réciproquement, les eaux destinées à la consommation humaine ne présentent aucun caractère agressif à son égard ? L'eau et le béton font effectivement un très bon ménage, confirmé par une très longue expérience de vie commune. Quant au problème de l'étanchéité, faut-il préciser que sa solution doit être recherchée avant tout au niveau de l'étude de la structure, de la qualité du béton, et de la qualité de la construction, ce qui relève essentiellement du Cahier des Charges du Maître d'Ouvrage et de la compétence du constructeur ?
(1) N° 108, mars 1987.