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Des économies d'énergie dans le traitement thermique des boues de stations d'épuration

31 decembre 1984 Paru dans le N°88 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : Jean-louis BLANC

Le traitement thermique qui a été très largement utilisé pour déshydrater les boues entre 1965 et 1975 a connu ces dernières années une certaine désaffection en raison de l'importance de la consommation d’énergie et de la forte charge polluante qu’il entraîne.

Le présent article étudie le développement des procédés de fermentation anaérobique qui permettent d’obtenir une autonomie énergétique du traitement thermique tout en réduisant du même coup la charge polluante.

Rappel du principe de fonctionnement d’une installation de traitement thermique des boues

Le schéma d’une telle installation est représenté sur la figure 1 ; elle fonctionne comme suit.

La boue à traiter est injectée dans un échangeur de chaleur (A) au travers duquel elle circule à contre-courant de la boue traitée. La boue brute est ainsi préchauffée en utilisant des calories prélevées sur les boues cuites sortant de l’installation. Un échangeur huile-boues ou une injection de vapeur dans le réacteur (C) permettent d’atteindre la température de cuisson désirée (180-200 °C).

La boue cuite, alors ramenée aux environs de 60 °C, est éventuellement refroidie vers 30 °C au travers d'un échangeur boue-eau froide et envoyée vers un épaississeur (D) puis vers la déshydratation (E).

Au point 1 du schéma on fournit la puissance nécessaire au chauffage terminal des boues. La quantité de chaleur apportée sous forme de fluide caloporteur est équivalente à 5,5 kg de mazout par m³ de boue. Cette dépense d’énergie est l'un des éléments à réduire pour rendre le procédé économique.

Aux points 2 et 3 les liqueurs résultant de l’épaississement et de la déshydratation des boues sont soutirées et renvoyées en tête de la station d’épuration.

Le recyclage de cet effluent fortement chargé (20 à 30 g/l de DCO) conduit à augmenter la charge polluante à traiter dans les installations biologiques.

Au point 4, les boues déshydratées, rendues stériles par le procédé de cuisson, sont évacuées sous la forme de gâteaux dont la teneur en matières sèches atteint 60 %.

Cette teneur en matières sèches est le principal avantage du traitement thermique, car si l'on compare la composition d’une boue déshydratée par conditionnement chimique, c’est-à-dire en employant chaux et chlorure ferrique, on obtient une teneur en matières sèches de 35 à 40 %, mais qui est constituée en grande partie par les additifs. Ainsi, dans 100 kg de matières sèches contenues dans la boue provenant de la station d’épuration, nous devrons évacuer 167 kg de gâteaux dans le cas de boue conditionnée thermiquement.

[Photo : légende : Fig. 1 – Schéma d’une installation de traitement thermique des boues]

…quement, et 350 kg dans le cas de boue traitée au chlorure ferrique et à la chaux.

Remarquons que si l'on choisit l'incinération des boues, celles provenant du traitement thermique sont autocombustibles, ce qui permet d’obtenir l’autonomie énergétique, alors qu'avec des boues conditionnées chimiquement il est nécessaire d’apporter une énergie extérieure, et que l'on doit évacuer une quantité de cendres plus importante.

LE TRAITEMENT ANAÉROBIE DES BOUES

Les inconvénients cités précédemment peuvent être fortement atténués par le traitement en milieu anaérobie des liqueurs provenant de la déshydratation et de l’épaississeur. C’est ainsi que les recherches effectuées sur les techniques de fermentation anaérobies, au cours des dernières années, ont conduit au développement d'installations qui permettent de réduire fortement la charge polluante de liquides à forte DCO ; on peut actuellement y traiter, par voie anaérobie, des liqueurs d'une DCO de plus de 10 000 mg/l avec transformation de la matière organique en biogaz. Nous citerons, à titre d’exemple, les résultats obtenus par OTV dans le traitement des liqueurs provenant d'un traitement thermique (Journée de l'Eau 1981).

Charge polluante des liqueurs :

● DCO : 25 000 - 31 000 mg/l

● MEST : 1 800 - 3 750 mg/l

● pH : 4,5 - 5,6

Résultats du traitement :

● Abattement de la DCO : 78 - 81 %

● Production de gaz : 0,4 m³/kg DCO détruite

ÉTUDE DES BILANS COMPARATIFS D'UNE INSTALLATION DE TRAITEMENT THERMIQUE

Dans le cas d'un traitement thermique des boues, deux solutions se présentent dont nous examinerons le bilan énergétique ci-après.

1er cas :

On cuit les boues fraîches et l’on digère par voie anaérobie les liqueurs chargées pour obtenir du gaz et diminuer leur charge en M.O.

2e cas :

Les boues fraîches sont dirigées avant le traitement thermique pour obtenir du gaz. Les liqueurs sont, comme dans le premier cas, traitées par fermentation anaérobie. (On notera que dans ce cas, le pouvoir calorifique des gâteaux est nettement diminué).

Les hypothèses de base seront les suivantes :

— les boues fraîches ont une teneur en matière sèche de 4 % ;

— la proportion des matières organiques dans les boues fraîches est de 65 % ;

— lors de la digestion des boues, on détruit 50 % de la matière organique contenue dans les boues fraîches ; les boues digérées ont une teneur en matière sèche de 6 % ;

— le pouvoir calorifique du biogaz est de 6,5 kWh/m³ ;

— la production de gaz est de 0,8 m³ par kg de matière organique, ou de 0,4 m³ par kg de DCO détruite ;

— la cuisson des boues provoque la dissolution de 25 % de la matière organique ;

— la cuisson des boues nécessite 5,5 kg de fuel par m³ traité.

BILAN THERMIQUE D’UNE INSTALLATION TRAITANT LES BOUES FRAÎCHES

Bilan pondéral

Nous aurons à traiter journellement 40 t de MEST, dont 26 t de M.O. La dissolution de M.O. au cours de la cuisson est de 6,5 t. La production de gaz, à partir de liqueurs, est de 6 500 × 0,8 × 0,8 = 4 160 m³/j.

La production journalière de gâteaux à 60 % de MEST est de 60 t/j environ, avec 19,5 t de M.O., 14 t de matière minérale et 24 t d’eau. La charge en pollution recyclée en tête de station est de 1,3 t/j de matière organique.

Bilan thermique

Les besoins en énergie primaire pour la cuisson de la boue sont de : 1 000 × 5,5 × 12 = 66 000 kWh/j. La seule possibilité d’obtenir un bilan thermique autonome est d’incinérer les gâteaux de boue et de récupérer l’énergie libérée. Or, nous disposons journellement de 20 t de M.O. avec un PCI de 7 kWh/kg, soit 140 000 kWh. La quantité de chaleur dont nous disposons au niveau du four est donc de :

140 000 - (24 000 × 0,76) = 122 000 kWh/j.

En énergie secondaire, avec un rendement de chaudière de 70 %, nous disposons ainsi de 85 400 kWh/j.

Le gaz produit par la digestion des liqueurs, soit 4 160 m³/j, représente 27 000 kWh d’énergie primaire, dont 30 % peuvent être transformés en électricité, soit 9 000 kWh/j.

Conclusion

Un traitement thermique des boues fraîches suivi de l'incinération des gâteaux et de la digestion des liqueurs est thermiquement autonome ; il produit plus de la moitié de l’électricité nécessaire à l'ensemble des installations.

Le volume des déchets à évacuer est réduit à un minimum représentant environ 1,5 % de la masse de boue produite par la station.

[Photo : Une installation de traitement thermique des boues (en cours de montage)]

BILAN THERMIQUE D'UNE INSTALLATION COMPORTANT UN TRAITEMENT ANAÉROBIE

Bilan pondéral

La production de 1 000 m³/j de boues fraîches à 4 % représente 40 t/j de matière sèche dont 26 t/j de M.O. La production de gaz lors de la digestion des boues est de 10 400 Nm³/j. La matière sèche restant après digestion est de 27 t/j représentant 450 t/j de boue.

Lors de la cuisson des boues, nous admettons que 25 % de la M.O. passe en solution, ce qui représente 3,2 t/j.

Lors du traitement des liqueurs, on détruit 80 % des matières organiques qui sont transformées en gaz, ce qui nous donne une production complémentaire de gaz de 2 000 m³/j. La production totale de gaz se monte donc à 12 400 m³/j.

On peut noter que la digestion anaérobie des liqueurs, lors de leur recyclage en tête de station, permet de limiter à environ 5 % de la charge d’entrée la surcharge introduite dans les digesteurs.

Bilan thermique

Nous disposons, sous forme de biogaz, d'une énergie primaire de : 12 400 × 6,5 = 80 600 kWh/j.

Nous devons disposer de deux sortes d’énergies :

— une énergie à haute température (250 °C) pour le fonctionnement du traitement thermique. Cette énergie nécessite la combustion directe, dans une chaudière, d'une partie du biogaz. Elle représente pour le traitement de 450 t/j de boue : (61 m³ de boue nécessitent 5,5 kg de mazout).

450 × 5,5 × 12 = 29 700 kWh/j (énergie primaire).

— une énergie à basse température, nécessaire au chauffage des digesteurs et à porter la température des boues à 35 °C.

Pour chauffer 1 000 m³ de boue il faut : 29 000 kWh. Pour évaluer la compensation des pertes thermiques, nous supposons que la partie primaire de la digestion comprend trois digesteurs de 5 000 m³ et que la surface totale, en contact avec l’air ou le terrain, est de 1 800 m². L'isolation thermique permet d’obtenir un coefficient global de transfert de 1 W/m² °C. En admettant que, pour la période hivernale, la température extérieure moyenne soit de 0 °C, nous aurons une déperdition journalière de :

3 × 1 800 × 1 × 35 × 4 = 4 540 × 10³ W, soit 4 540 kWh.

La source d’énergie à basse température devra donc permettre de fournir 29 540 kWh/j en énergie secondaire.

En admettant que les chaudières à gaz aient un rendement de 80 %, la fourniture de 33 540 kWh d’énergie à basse température absorbera 42 000 kWh d’énergie primaire, soit 5 680 m³ de gaz. Les besoins en énergie primaire s’élèveront à :

29 700 + 42 000 = 71 700 kWh.

Étant donné que la production de gaz est de 12 400 m³/j équivalents à 80 600 kWh/j d’énergie primaire, le bilan se révèle nettement positif. Le traitement global des boues, digestion et déshydratation, est ainsi autonome du point de vue thermique.

Possibilités d’économies d’énergie

Ces possibilités sont de deux sortes :

a) Digestion aérobie-thermophile

L'application des techniques de fermentation aérobie-thermophile permet actuellement de diminuer de moitié le temps de rétention des boues dans les digesteurs. Le bilan thermique global de la digestion n’est pas sensiblement modifié. On produit moins de biogaz mais les boues entrant dans le digesteur étant à une température d’environ 40 °C les digesteurs n’ont plus à être chauffés.

De plus, les boues digérées après fermentation aérobie s’épaississent beaucoup mieux que celles qui ont été soumises à la digestion classique. L’application du procédé aérobie-thermophile permet donc de diminuer le volume des boues à envoyer au traitement thermique.

Dans l'exemple choisi concernant 1 000 m³/j de boue fraîche, nous obtenons pour un même taux de destruction de la matière organique, une quantité journalière de boue à déshydrater de 340 t/j à 8 % de matière sèche, et 270 t/j avec 10 %. Au niveau de traitement thermique, il en résulte une économie en énergie primaire allant respectivement de 5 400 à 10 800 kWh/j.

b) Refroidissement des liqueurs du traitement thermique

Les boues cuites qui ressortent de l'échangeur de chaleur du traitement thermique sont à une tempéra

On les refroidit souvent avec de l’eau de la station d’épuration pour diminuer les dégagements d’odeurs ; mais on peut aussi refroidir les boues cuites d’environ 25 °, en les utilisant pour préchauffer les boues fraîches introduites dans les digesteurs. Il en résulte une récupération d’énergie secondaire de 13 000 kWh/j.

Le bilan énergétique global est dès lors suffisamment modifié pour que l’on puisse envisager l’installation d’un moteur à gaz.

Bilan énergétique global

Nous dresserons le bilan correspondant en admettant que l’énergie primaire fournie au moteur est transformée de la manière suivante :

— électricité : 28 % ; — récupération de chaleur : 60 % ; — pertes : 12 %.

Nous disposons journellement de 80 600 kWh primaire, dont 30 000 sont consommés directement pour le chauffage du traitement thermique.

On dispose pour alimenter le moteur à gaz d’environ 50 000 kWh/j d’énergie primaire, ce qui permet d’obtenir :

— 14 000 kWh d’électricité ; — 30 000 kWh d’énergie thermique secondaire.

En préchauffant les boues fraîches introduites dans la digestion, on économise 13 000 kWh par rapport aux 33 540 kWh nécessaires quand on n’effectue pas de récupération de chaleur sur les boues cuites.

L’énergie secondaire nécessaire au chauffage des digesteurs ressort donc à 20 000 kWh/j environ ; elle est largement couverte par l’énergie thermique fournie par le moteur.

L’électricité consommée dans l’installation de traitement thermique (4 500 kWh/j) représente moins du tiers de l’énergie électrique fournie par le moteur.

Conclusion

Un complexe de traitement des boues comprenant une digestion anaérobie et une déshydratation après conditionnement thermique peut fonctionner de façon parfaitement autonome du point de vue thermique. Il est même possible, si l’on préchauffe les boues entrant dans la digestion avec les boues cuites, de produire plus d’électricité que n’en consomme le traitement thermique.

ASPECTS ÉCONOMIQUES

Une installation de traitement thermique équipée de dispositifs de récupération d’énergie représente un investissement important. Il est donc nécessaire d’étudier la rentabilité d’un tel investissement sur le plan financier.

Pour essayer d’établir une comparaison entre les solutions possibles, nous allons essayer d’établir et de comparer, avec les données précédemment utilisées, les frais d’exploitation d’un conditionnement chimique et d’un conditionnement thermique ; les valeurs de base sont les suivantes (en francs suisses) :

— chaux : 0,18 F/kg ; — chlorure ferrique : 0,25 F/kg (solution à 40 %) ; — kWh électrique : 0,10 F/kWh ; — coût d’un poste de travail : 60 000 F/an.

Frais d’exploitation du conditionnement chimique

Les calculs seront établis sur les bases suivantes :

— l’adjonction de chaux est de 35 % de la masse des matières sèches contenues dans les boues ; — l’adjonction de chlorure ferrique est de 6 % ; — l’évacuation et l’incinération des boues déshydratées représentent 100 F par tonne de gâteaux.

La quantité de matières sèches à traiter est de 27 t/j.

Pour traiter la boue nous utiliserons journellement 9,5 t de chaux et 1,6 t de chlorure ferrique, ce qui représente un apport complémentaire d’environ 10 t/j de matière sèche dans les gâteaux.

Le tonnage de gâteaux à 38 % de MS produits journellement sera donc de :

37
―― = 97 tonnes.
0,38

Sur la base d’une dépense en électricité de 3 kWh par m³ de boue, nous aurons une consommation journalière de 1 350 kWh.

Les frais d’exploitation se décomposent, en définitive, comme suit : Chaux : 1 710 F/j – 624 150 F/an Chlorure ferrique : 400 F/j – 146 000 F/an Électricité : 135 F/j – 49 275 F/an Évacuation et incinération des gâteaux : 9 700 F/j – 3 540 000 F/an

Total arrondi des frais d’exploitation (sans la main-d’œuvre) : 4 360 000 F/an

Frais d’exploitation du traitement thermique

La production journalière de gâteaux sera au maximum de 45 t/j (sans tenir compte de la dissolution de M.O. au cours de la cuisson).

Si l’on utilise les possibilités de récupération d’énergie mentionnées plus haut, les dépenses en énergie et en produits sont nulles puisqu’il en résulte une production excédentaire d’électricité d’environ 9 000 kWh/j équivalant à une économie annuelle de 328 500 F. La dépense annuelle d’évacuation des gâteaux se monte à 1 642 000 F.

Pour établir la comparaison entre les deux procédés, nous considérerons que le traitement thermique et les installations annexes requièrent deux postes de travail de plus que le conditionnement chimique, ce qui équivaut à une dépense de 120 000 F/an.

Les coûts annuels d’exploitation du traitement thermique s’établissent comme suit :

Évacuation des gâteaux1 642 000 F
Main-d’œuvre supplémentaire120 000 F
Production d’électricité928 000 F
Total2 690 000 F

Il résulte de la comparaison des frais d’exploitation relatifs au conditionnement chimique et au conditionnement thermique que ce dernier permet de réaliser une économie de l’ordre de 3 millions de F par rapport à l’autre. Il est évident que le traitement thermique et ses installations annexes nécessitent des investissements plus onéreux qu’un traitement chimique.

La marge dont le maître d’ouvrage peut disposer pour réaliser ces investissements supplémentaires est à examiner dans chaque cas, en fonction notamment des taux d’intérêts et des durées d’amortissement envisagés. C’est ainsi que nous obtenons pour diverses hypothèses les montants d’investissements suivants (à annuités constantes).

Durée d’amortissement de la detteIntérêt %Investissement justifiable
15 ans531 millions
7,526 millions
1023 millions
20 ans537 millions
7,531 millions
1026 millions

CONCLUSION GÉNÉRALE

La déshydratation des boues après conditionnement thermique est une solution que l’on peut estimer économiquement valable, à moyen terme, dans les villes dépassant 100 000 HÉ ; que l’on traite des boues fraîches ou des boues digérées, ce procédé permet d’obtenir un minimum de résidus sans qu’il soit nécessaire de fournir ni énergie ni produits de conditionnement.

La digestion anaérobie des liqueurs permet de limiter à environ 5 % de la charge d’entrée la surcharge introduite dans la biologie lors de leur recyclage en tête de station.

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