Depuis quelques années, les bus numériques s'implantent au milieu des équipements de terrain pour centraliser les données nécessaires au pilotage à distance. Certains sont ?propriétaires', d'autres basés sur un ?protocole standard' de communication, d'autres dédiés aux organes de process' Mais tous participent à la révolution numérique des stations qui bouscule jusqu'à la maintenance.
Réalisé par , Technoscope
Dans les stations de traitement d’eaux (potable ou usées), le contrôle process repose sur la gestion d'informations issues des Entrées/Sorties (E/S), des équipements de terrain, des automates et de la supervision. Il s’ordonne selon la structure classique de la pyramide CIM (Computer Integrated Manufacturing) avec : sur le terrain, la gestion des capteurs actionneurs et des automates de process, au-dessus (dans la cellule), la commande centralisée des automates de process, encore au-dessus (dans l'atelier) la gestion de la production (dont la supervision) et enfin, au niveau supérieur (dans le bureau), la gestion globale de l'installation.
La gestion de ces informations repose sur la mise en œuvre de réseaux de communication industrielle. « Le niveau supérieur est généralement constitué par un réseau Ethernet qui relie les ordinateurs entre eux et permet, par exemple, d'assurer la circulation des données de laboratoire, de maintenance ou bureautiques, explique Jean-Pierre Hazard du pôle Automatisme de la direction de l'expertise chez Degrémont. Tandis qu’un
« Un second niveau de réseau permet de relier entre eux les automates programmables et la supervision ». Ce second niveau est alors basé sur le réseau Ethernet et se confond avec le réseau bureautique de niveau supérieur. « Ceci heurte parfois les puristes mais fonctionne sans difficulté pourvu que la configuration du réseau soit bien faite », souligne Pierre La Marle, directeur d’Areal, développeur du logiciel de supervision Topkapi.
Sur le terrain, une installation de traitement d'eau compte une majorité d'opérations mécaniques ou physiques (décanteurs/floculation) qui nécessitent des départs moteurs, des variateurs de vitesse... mais aussi un certain nombre d’opérations physico-chimiques ou biologiques (dénitrification, déphosphoration, chloration) qui nécessitent la maîtrise de mesures physico-chimiques telles que le débit, la température, la pression, le niveau ou les concentrations d’azote, d’oxygène dissous etc. Sur le terrain, l'instrumentation compte les capteurs de terrain (débitmètres, mesureurs de pression, positionneurs de vannes…) pour le contrôle stricto sensu, et les organes de terrain impliqués dans le process (départs moteur, actionneurs de vanne, variateurs de vitesse, équipements pneumatiques, démarreurs, compteurs de consommation énergétique...). Avant, le pilotage à distance de toute cette instrumentation reposait sur le raccord (en deux câbles) de chacun de ces équipements à l’automate situé dans l’armoire électrique. Et ce, selon le standard de communication analogique de fait « 4-20 », basé sur l’interprétation de l'intensité du courant circulant dans le câble : 4 mA indique que la vanne est fermée, 20 mA qu'elle est ouverte. « Cela occasionnait une multitude de câbles en cuivre (aujourd’hui à forte valeur ajoutée) sur le site et dans les armoires », souligne Mohamed Belkalem, chef de branche Environnement chez Siemens.
Les bus de terrain du contrôle process
Aujourd’hui, tous ces câbles peuvent être remplacés par un seul : une « guirlande » qui court le long des commutateurs des équipements et remonte les informations jusqu’aux automates. « Plus le site est étendu et les équipements de terrain nombreux, plus le recours à des réseaux de terrain s'impose, souligne Nicole Lamy, responsable chez Veolia Eau de la cellule automatisme dédiée à l'exploitation de l'usine de Méry-sur-Oise. Et ce, d'autant plus si l'on se place dans un souci d’anticipation d’extension du site ou d'installation de nouveaux équipements ». Dès la construction de cette usine en 1999, certains des 256 capteurs ont été mis en réseaux afin de faire remonter les informations de maintenance des équipements de terrain jusqu’à une unité centrale d’administration. De rapatrier des éléments locaux pour les traiter à un niveau supérieur en temps réel, du point de vue de la supervision, de la maintenance et du suivi du comportement des installations. « Nous passons d'une phase de contrôle-commande (ou process) unique, à des systèmes qui nous permettent de faire du préventif, explique Jean-Luc Fernandes, responsable de la cellule Méthodes et Documentation au Centre Opérationnel Est chez Veolia Eau. Et pour cela, nous avons besoin de faire remonter plus d'informations des équipements de terrain que seules celles de leur comportement en état stable (marche/arrêt, ouvert/fermé) ». Pour prévoir le moment où une vanne ne se fermera plus complètement, par exemple, il ne suffit pas de connaître le nombre de fois où
elle s’est ouverte/fermée, mais aussi de suivre dans le temps la valeur du couple de son arbre moteur, qui constitue une “signature” de ce type de dysfonctionnement.
Un réseau de terrain est une liaison linéaire qui permet l’échange d’informations numérisées entre les équipements qui lui sont raccordés. « Au contraire du concept de réseau, qui est plus dédié aux connexions inter-automates ou automates/supervision, le concept de bus sous-entend une notion de maître/esclave », explique Patrice Godet, Responsable d’activité informatique industrielle à la Direction des systèmes d'information (DSI) de la Saur. Les échanges d’information sur un bus de terrain s'opèrent sous la forme d'impulsions/commandes régis par un protocole de communication : AS-I (quand le nombre d’informations à transmettre est faible), Profibus (quand ce nombre est plus important), ou encore Devicenet, Modbus, Controlnet... Ce protocole peut être “propriétaire” – propre à un constructeur de matériel – ou “standard”, c’est-à-dire compatible avec des équipements d'origine hétérogène. L'usine de Méry-sur-Oise a été l'une des premières en France à être équipée d'un bus dédié à l’exploitation, au contrôle-commande. Il sert à relier sur le même automate huit réseaux de 68 vannes chacun, relativement dispersés sur le site. « Ce bus est propriétaire, souligne Nicole Lamy. De ce fait, il est très bien adapté aux équipements premiers, mais nous contraint à n'y raccorder que des équipements compatibles ». À quoi s’ajoute le risque d'une offre limitée en termes de développement des logiciels de gestion administrative, de diagnostic des équipements, de maintenance... qui font tout l'intérêt de l'usage des bus numériques.
« L’installation du bus de terrain est plus courante dans le cas de la construction d'une nouvelle station que dans le cas d'un “revamping” de station », souligne Ricardo Fonseca, Responsable Marketing chez FACTORY Systèmes (distributeur des logiciels Wonderware). L’usage d’un bus de terrain permet de répondre à la contrainte de “demande de disponibilité” de la station, qui est de plus en plus grande. « Aujourd’hui, certains bureaux d'études demandent un taux de disponibilité supérieur à 8 700 heures/an, ce qui n'autorise qu'un arrêt de 24 à 48 heures/an, pour l’ensemble de la maintenance », précise Stéphane Baux, Responsable environnement chez Yokogawa France. Mais avec un bus de terrain, l’arbitre (ou coordinateur) de bus (de type Can Open, Profibus...) fait seul l'acquisition des E/S décentralisées des équipements de terrain, en un système de communication “fermé”. Et si cet arbitre “automate maître” tombe en panne, tout le système de transmission des données issues de terrain s’interrompt, y compris le pilotage de la fonction du contrôle process correspondant.
Le bus de type Fip I/O (input/output) existe depuis longtemps pour le pilotage des équipements à distance. Dans la station d’eau potable d’Hennebont (Morbihan), exploitée par Saur, des coffrets sont installés devant des racks d'ultrafiltration. Ils concentrent les E/S des équipements (vannes, capteurs TOR ou analogiques) et via la liaison de chacun en un seul câble FIP, ils remontent les informations jusqu’à l’armoire centrale qui contient l’automate arbitre de bus (avec carte FIP I/O).
Des bus pour une instrumentation “intelligente” et “organique”
Par rapport à un système de câble fil à fil, le bus de terrain permet une remontée plus grande de paramètres de fonctionnement des instruments, une remontée de diagnostic de fonctionnement... « Le standard Fieldbus Foundation contrairement à d'autres réseaux de terrain permet de déplacer l’intelligence au sein même de l'instrument », souligne Stéphane Baux. Avec un capteur classique (de pression par exemple), la régulation se fait via un transmetteur depuis l’automate de régulation. En cas de rupture d’alimentation (électrique), de câblage ou de dysfonctionnement de l'automate, la régulation est interrompue. Avec un capteur “intelligent”, la boucle de régulation est intégrée à l’instrument. Celui-ci devient “actif” et assure le maintien de la
régulation même en cas de rupture de transmission ailleurs. Les fournisseurs de capteurs, membres de la Fieldbus Foundation, offrent à leurs clients le choix entre des capteurs classiques (de transmission analogique 4-20 mA) ou des capteurs intelligents (de transmission numérique) Fieldbus.
« Le secteur des bus de terrain Fieldbus Foundation est aujourd'hui en expansion, souligne Stéphane Baux. Et ce, car son intégration suppose une petite révolution qui s’opère plus facilement sur des constructions neuves ». L’étude de construction de la station suppose de replacer l’intelligence non plus dans les automates mais dans les instruments, les opérateurs de maintenance doivent être formés à la manipulation via l’informatique et non plus seulement les tournevis etc.
Le recours à la mise en réseau répond aussi à la croissance d’usage d’équipements “intelligents”, c’est-à-dire dotés d’électronique qui les rend communicants avec l’automate via l’interface de cartes de communication numérique. Or, comme les câbles, celles-ci (dont le nombre équivaut à celui d’E/S de chaque équipement – au moins quatre sur une vanne –) viennent encombrer les armoires et occasionnent des problèmes de dispersion de chaleur, d’impédance électromagnétique etc. Le bus AS-I est adapté à ces équipements de terrain “intelligents”. Une guirlande avec deux conducteurs part de l’automate (dans l’armoire) jusqu’au terrain. Elle passe au niveau de chaque vanne et de chaque moteur et se connecte au boîtier AS-I de chacun (un module de communication identifié par une adresse unique) via sa “prise vampire”. Saur fait l'expérience de ce système dans la station de traitement d'eau potable de Mervent (Vendée) pour son unité de filtration. « Le choix d’un tel système de contrôle ne repose pas sur une question de coût, qui finalement se répartit de manière différente entre les économies liées au câblage et les surcoûts liés au matériel module », estime Patrice Godet. La Lyonnaise des Eaux fait aussi l'expérience de cette solution de bus de terrain à l’exploitation de l'usine du Pecq (Yvelines) équipée dès sa construction en 2000. Un bus AS-I chemine le long des cinq filtres, équipés chacun de huit vannes avec servomoteurs compatibles AS-I, et se connecte aux servomoteurs à l'aide de prises vampires. À l'autre extrémité, il rejoint l'armoire électrique où est situé l’automate programmable de pilotage de l’usine. Dans cette configuration, un seul câble permet de réaliser l’acquisition de la position de la vanne, de la piloter et également de disposer d'informations de diagnostic de fonctionnement de l’organe. « Cette installation sert à l’échange d’informations de type Tout-Ou-Rien (TOR), mais avec le développement de l’intelligence jusqu’aux capteurs, il est possible de réaliser un diagnostic direct des mesures », souligne Pascal Lacoste, Chef de projets au pôle informatique métiers du CIRSEE (Centre International de Recherche sur l'Eau et l’Environnement) de Suez Environnement. Pour des stations de mesures d’oxygène dissous, il a été choisi d’utiliser un bus de terrain utilisant le protocole HART, afin d’obtenir un diagnostic porté non seulement sur l’état de fonctionnement du capteur (normal ou défectueux) mais jusqu’à son état de fonctionnement interne (niveau d’usure de la membrane, paramètre de compensation de la mesure, réglage de l'étendue de mesure, conditions d’étalonnage etc.).
Dans la future Step de La Baule, les retours de marche, les défauts, les consignes de vitesses sont câblées directement sur les entrées automates, tandis que les informations variateur (puissance, intensité, consommation énergétique...) sont acquises via une liaison Modbus. « Pour le contrôle du process, cette liaison, devenue “standard de fait” peut suffire, souligne Patrice Godet. Mais pas pour le process lui-même ». En effet, cette liaison permet l'acquisition d’informations issues d’E/S analogiques, par envoi de requête à la charge du programme utilisateur. Or, certains organes de process nécessitent l’acquisition de données en continu, pour les régulations par exemple.
Dans le contrôle process, sont adaptées deux technologies de bus de terrain dédiées à l’instrumentation des organes du process.
(non TOP) : Profibus PA et Fieldbus Foundation (FF) de norme internationale IEC 61158.
« Les deux technologies remplissent cette même fonction de bus d’instrumentation, souligne Bruno Bouard, chef de produit Automatismes chez Siemens. Profibus PA permet en plus de son confrère FF l’ouverture à tous les autres périphériques existants sur Profibus DP. » Avec ses E/S analogiques Hart sur DP l'instrumentation est communicante selon le protocole standard de communication Hart, et devient capable d’aller chercher des paramètres au niveau des instruments de terrain, de modifier ces paramètres, tout comme pour les nombreux périphériques que l'on trouve sur Profibus DP et nécessaires dans le traitement de l’eau comme les enregistreurs, variateurs de vitesse et les relais de contrôle des moteurs de pompes. Vu du contrôleur de process, la solution Profibus est plus cohérente pour l'instrumentation avec Profibus PA mais également pour tous les autres périphériques avec Profibus DP, etc.
« Si les différents équipements de l'instrumentation sont très espacés les uns des autres, il est préférable de ne pas les relier entre eux, et de se contenter d'une liaison directe équipement/automate, » estime Mohamed Belkalem. « Mais un bus d’instrumentation numérique prend tout son sens dans un skid. » Le “skid” désigne une unité fonctionnelle (en général d’espace restreint) où sont regroupés en grappe de nombreux équipements liés aux traitements physico-chimiques.
À titre d'exemple, l'unité de filtration à membranes de dernière génération réalisée par OTV France Nord sur la région parisienne sera équipée d'une centaine de positionneurs ABB profibus PA. Chaque filtre sera doté d'un bus PA indépendant, sur lequel seront raccordées les vannes papillons. Toutes les informations de commande, reco-
Le WIFI pour optimiser l’exploitation de l’usine d’épuration des Grésillons
Le nouveau site du SIAAP est un modèle d’automatisation intégrée. Il s'agit du seul site d’épuration des eaux pouvant fonctionner sans le moindre personnel. Autre innovation : les pupitres de commande ont disparu ! Ce sont des PC munis de WIFI qui permettent de réaliser les opérations d’exploitation. L’exploitation se fait donc sur une interface unique de gestion de production. Elle est plus cohérente, plus sûre et plus efficace. Ce sont des équipements FL WLAN de Phoenix Contact qui ont servi à la réalisation du réseau WIFI.
L’épuration de l'eau est un processus exigeant. Il implique un contrôle temps réel de très nombreux équipements. La première partie de l'usine implique déjà plus de 4 500 entrées/sorties physiques et 25 000 variables, toutes intégrées sur des réseaux Ethernet industriels qui vont de la salle de commande aux entrées/sorties. Le choix de mettre en œuvre un réseau WIFI et de supprimer les pupitres de commande a été fait par souci de cohérence de l'exploitation. Toute opération liée à l’exploitation est ainsi réalisée par une interface de gestion de production unique autant disponible de la salle de contrôle que par les opérateurs sur le site. Les procédures sont guidées et prises en compte en temps réel sur l'ensemble du système d’exploitation. Par ailleurs, les techniciens sur le site peuvent se placer au plus près des équipements à traiter, sans avoir à dépendre de la position d’un pupitre de commande. « Notre objectif était de passer un cap en terme d’automatisation et de cohérence de l’exploitation », précise Louis Claire, responsable du projet au sein d’ETDE.
Dix-sept points d’accès WIFI, FL WLAN de Phoenix Contact, permettent la couverture de ce site de 24 hectares. En plus du gain en terme de mobilité, le réseau WIFI a permis à ETDE de faire bénéficier l'exploitation d'une accessibilité beaucoup plus large en réduisant le câblage correspondant.
« Nous avions besoin d’une solution conforme à l’exploitation industrielle tant en terme de performances que de résistance aux environnements sévères », précise Louis Claire. Plusieurs points d'accès sont en extérieur et la transmission à l'intérieur des bâtiments doit faire face à d’épais murs de béton et leur structure métallique. Ces équipements offrent un débit de 54 Mbit/s sur une portée de quelques centaines de mètres.
Le schéma d'implantation a été réalisé et validé avec les équipes de Phoenix Contact, qui ont aussi effectué les tests sur place. La mise en œuvre a été immédiate.
Position et fin de course seront véhiculées sur ce même bus, limitant ainsi les coûts d'installation et de raccordement. Les réglages peuvent être ainsi adaptés en continu en fonction des besoins du process ; cette souplesse permet à l'exploitant de réduire ses coûts de production et d'optimiser ses cadences de lavage.
« Dans l'eau, les bus d’instrumentation sont bien acceptés, même si au plus la moitié des installations en sont pourvues. Ils tendent à se généraliser car l'exploitant y gagne en flexibilité, diagnostic, et en installation », souligne Guy Eugène, chef de marché infrastructures chez Schneider Electric. « Ils se systématisent dans les contrats de construction des grandes stations dans les pays d’ex-Europe de l'Est, du Moyen-Orient. »
Une révolution numérique jusque dans la maintenance
« Ces technologies apportent de nombreux avantages mis en avant par les fournisseurs, souligne Jean-Pierre Hazard, du pôle Automatisme de la direction de l'expertise chez Degrémont. Cependant, il faut être conscient que cette évolution technologique nécessite également une évolution dans la formation et l'expérience des agents d'exploitation et de maintenance. » L'opérateur de maintenance a classiquement pour habitude d'utiliser un multimètre pour diagnostiquer le dysfonctionnement des équipements de terrain. Il est de formation électromécanicien et sait user du tournevis pour changer un capteur en fin de course. Avec la mise en œuvre de bus de terrain numériques, il doit se familiariser avec ces technologies plus informatiques, à l’administration de réseau… pour remettre en œuvre l'installation à partir des messages d’erreur communiqués en cas de défaut d’équipements. « Depuis dix ans, les trois activités ancestrales de maintenance électrique des installations, de gestion des réseaux de télécommunications et de la gestion technique centralisée (GTC) tendent à évoluer vers une activité plus informatique », témoigne Pascal Lacoste.