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Dépollution des sols : le projet SCERES

30 septembre 1993 Paru dans le N°166 à la page 120 ( mots)
Rédigé par : Georges POTTECHER

Le problème des sols pollués demande un effort de longue haleine tant au niveau de la recherche que de la mise en ?uvre des procédés. Dans ce but, le projet SCERES* permet d'améliorer nos connaissances sur la migration des polluants dans le sous-sol et de développer des outils et des méthodes pour modéliser, caractériser, et dépolluer ces sites. Sa principale originalité réside dans l'utilisation d'un bassin expérimental de grande dimension, unique en Europe. On y simule dans un premier temps le déversement et la migration d'hydrocarbures, puis leur récupération. *Site Contrôlé d'Expérimentation pour la Réhabilitation de l'Eau Souterraine et du Sol

[Photo : Le bassin expérimental en cours de construction devant les locaux de l’Ifare]

Les sols pollués ? Connais pas !

Jusqu’à ces dernières années, la pollution des sols était un problème méconnu en France, voire ignoré. Il émerge actuellement sous l’impulsion des pouvoirs publics et, à l’exemple de nos voisins européens, il va durer. Nous sommes condamnés à un effort de longue haleine, car le stock de sols contaminés est considérable. Tous ne constituent pas une menace directe, mais la pression immobilière et la raréfaction des ressources d’eau de qualité imposeront progressivement la réhabilitation d’un grand nombre de sites. Les coûts correspondants sont à la fois élevés, en raison de l’accumulation fréquente des pollutions sur un site, de la difficulté de les localiser dans le sol, puis de les extraire, et mal acceptés car la cause de la pollution a généralement cessé. Le projet SCERES vise leur réduction par la mise au point de techniques adaptées.

À l’exception des pollutions agricoles diffuses, l’essentiel des cas provient des activités industrielles, dans lesquelles les manipulations de produits chimiques entraînent assez souvent des déversements plus ou moins importants. Les carburants représentent à ce titre les polluants les plus courants, mais les autres hydrocarbures (huiles, goudrons…), les solvants chlorés, les PCB, les métaux lourds se retrouvent régulièrement. Les polluants liquides infiltrés dans le sol imprègnent tout d’abord la zone non saturée (au-dessus du niveau phréatique), puis forment une flaque au toit de la nappe, s’ils sont moins denses que l’eau, ou s’y enfoncent dans le cas contraire. Leur dissolution dans l’eau contamine parfois des volumes très importants, compte tenu du faible seuil de toxicité de nombreux contaminants. Leur évaporation dans le sol peut engendrer des risques d’explosion (vapeurs de carburants, par exemple).

Les méthodes de dépollution du sol proprement dites s’attaquent au cœur de la pollution, soit une zone souvent réduite engendrant l’essentiel des risques. Un foisonnement de procédés correspond à la grande variété des situations techniques, économiques et réglementaires rencontrées. On peut distinguer les grandes catégories suivantes :

  • - le confinement,
  • - l’extraction du sol, suivie de la mise en décharge ou de l’incinération,
  • - les traitements biologiques et physicochimiques du sol excavé, puis remis en place ou réutilisé ailleurs,
  • - les traitements du sol en place, biologiques ou physicochimiques.

Dans ce dernier cas, dit « in situ », la nappe phréatique est également décontaminée lorsqu’elle est atteinte. Même s’ils présentent de nombreux avantages, dont le coût, les traitements in situ souffrent d’une moindre fiabilité, en raison d’une accessibilité plus difficile des polluants. Le paramètre « sous-sol » rend également plus laborieuses les études de traitabilité et de dimensionnement des installations.

(1) Site Contrôlé d’Expérimentation pour la Réhabilitation de l’Eau Souterraine et du Sol.

[Photo : Principe du déversement d’hydrocarbures dans le bassin et instrumentation.]

Un bassin expérimental unique en Europe

Face à cette situation, le projet SCERES poursuit les objectifs suivants :

  • mieux comprendre les transferts des polluants organiques dans le sol et réaliser un modèle numérique adapté à l’ingénierie des dépollutions correspondantes ;
  • mettre au point un (ou des) traitement in situ employant des tensio-actifs, technologie qui n’a pas dépassé actuellement le stade du laboratoire ;
  • optimiser l'emploi de techniques de caractérisation des sites pollués.

Dans un premier temps, l'effort porte sur les pollutions par des carburants. L'une des originalités de ce projet, et son moyen principal, est constituée par un bassin expérimental permettant de reproduire de manière contrôlée et en taille réelle les situations de terrain. Il a fourni l'acronyme « Site Contrôlé d’Expérimentation pour la Réhabilitation de l’Eau Souterraine et du Sol ». Les partenaires appartiennent à la fois au monde de l'industrie (Anjou Recherche, IFP et Burgeap) et de la recherche (Universités Louis Pasteur et Robert Schumann à Strasbourg, de Karlsruhe et de Stuttgart). Le projet est intégré à l’IFARE (Institut Franco-Allemand de Recherche sur l’Environnement), dont il constitue l'une des « Zones Ateliers ». Il bénéficie à ce titre d’une aide financière de l’État et de la Région Alsace. Par ailleurs, il est mené en étroite liaison avec le projet Eureka Rescopp qui traite des sols pollués de manière beaucoup plus générale et qui implique Elf Aquitaine et le BRGM en sus des trois industriels déjà cités.

Des caractéristiques modulables

Le bassin expérimental, localisé à Strasbourg sur le site de l’IFARE (figure 1), reproduit un aquifère contrôlé dans un volume de 900 m³ (25 × 12 × 3 m), pouvant être pollué et dépollué. Il est rempli d’un sable calibré assurant une perméabilité de 8·10⁻⁴ m/s. À chaque extrémité, une grille délimite un compartiment rempli de graviers dans lequel le niveau d’eau peut être choisi librement : on peut ainsi créer une nappe de profondeur et de gradient arbitraires dans le milieu. Le sable principal repose sur une couche de sable plus grossier, assurant un drainage en fond. On peut ainsi appliquer des débits plus importants dans des puits d’extraction (au cours d’essais de dépollution) sans être affecté par les parois latérales du bassin. Un dôme de sable situé à l'extrémité amont du bassin permet d’augmenter localement l’épaisseur de la zone non saturée au droit du déversement de polluants. Des tubes en téflon ont été disposés au cours du remplissage du bassin afin de pouvoir prélever des échantillons d’eau en quelque soixante-dix points du massif de sable. Le système est opérationnel depuis le début de 1993.

Pourquoi avoir construit un tel équipement ?

  • pour autoriser la mise au point de techniques transposables sur le terrain, il fallait pouvoir pomper des débits adaptés et disposer d’un espace suffisant pour que les moyens d’intervention réels puissent y trouver leur place ;
  • afin que les phénomènes soient proches de la réalité, il fallait prendre en compte la hauteur de la frange capillaire (indépendante de la taille du modèle) et permettre une circulation suffisamment lente (l’eau met un mois à traverser le dispositif) ;
  • un modèle bidimensionnel aurait permis une meilleure accessibilité, mais aurait impliqué des effets de bords importants et l’abandon du réalisme pour la mise en œuvre de la décontamination.

Le choix du remplissage par un milieu artificiel est inévitable dès lors qu’on souhaite maîtriser les processus et surtout valider un logiciel. Les essais de dépollution sur ce milieu seront confirmés par des essais en milieu naturel. Il s’agit ici de démontrer l’efficacité du principe et de fournir des éléments de dimensionnement. Enfin, le fait de disposer d’une nappe dynamique et non statique est essentiel pour le réalisme de la décontamination (domaine d’action des pompages, variations de niveau) et de la modélisation.

Il est intéressant de comparer ces choix avec ceux des deux autres projets de ce type : « Solvent in Groundwater », au Canada, étudie la migration verticale de produits denses en zone saturée, et le choix s'est porté sur un milieu naturel confiné ; le futur projet Vegas à Stutt-

gart devrait utiliser un milieu hétérogène et un aquifère artificiel, également pour tester des produits denses (essais prévus en 1995-1996).

Déversement et décontamination

Le premier thème concerne la migration des hydrocarbures à la suite d’un déversement de type accidentel.

Une série de tests préliminaires ont permis de cibler l’expérience principale, qui a été réalisée sur du gasoil (GOR 86). On a caractérisé le milieu poreux (porosité, perméabilité, capillarité) vis-à-vis de l'eau et du polluant. Ce dernier a été choisi pour son caractère courant et son large spectre de constituants chimiques. Des déversements dans des cuves bidimensionnelles et tridimensionnelles de diverses tailles (2 m² pour la plus grosse) ont fourni les éléments dimensionnants et ont permis de roder les procédures d’échantillonnage d’eau et de sable ainsi que l’analyse.

Dans le modèle SCERES, environ 700 litres de gasoil ont été déversés à la mi-93 (figure 2). Le suivi de la migration est en cours, à l'aide de tubes de prélèvement implantés lors de la construction, de microsondages effectués depuis la surface et de mesures au radar géologique. Des mesures d’« ambiance » complètent ces données : piézométrie, humidité, tension capillaire, température. D’autres systèmes de mesure seront implantés ultérieurement, notamment des capteurs à fibres optiques. Après stabilisation approximative d'une « flaque » de gasoil sur la nappe, on élèvera puis abaissera le niveau de celle-ci pour simuler la situation la plus courante existant dans la nature. Sur un plan fondamental, on attend de cette expérience de déversement une confirmation ou une amélioration des théories sur le transfert des polluants.

Le thème « modélisation numérique » progresse parallèlement aux modélisations physiques. Suite à un état de l’art avec tests des logiciels disponibles sur le marché en 1992, on a conclu qu'il n’existait pas de logiciel 3D ni 2D décrivant correctement les phénomènes en cause ; en particulier, le modèle de Parker utilisé dans Motrans et Armos n’a pas permis de reproduire les phénomènes observés sur modèle (lenteur des migrations et saturation résiduelle). L'approche retenue consiste à faire évoluer un modèle de gisement pétrolier qui a donné des premiers résultats très satisfaisants ; il simule des écoulements triphasiques en milieu poreux tridimensionnel, avec un modèle de perméabilité de Stone.

Ce logiciel a été mis en œuvre pour simuler le déversement dans le modèle SCERES et sera calé notamment sur l’évolution du produit. Par la suite, il intégrera des éléments propres aux opérations de décontamination. De par sa conception, il peut également simuler le comportement de produits plus denses que l'eau.

Le procédé de décontamination, incluant un lessivage aux tensio-actifs, sera implanté dans les prochains mois, ce qui permettra de valider le dimensionnement préliminaire, les dispositifs d'application et les outils de suivi. Il a été mis en œuvre avec succès sur colonne et dans la cuve de 2 m², pour traiter à la fois la zone non saturée et la zone de battement de nappe.

SCERES : des outils opérationnels

Le projet SCERES, basé sur un site expérimental unique en Europe, ouvre la voie à une nouvelle génération d’outils pour la modélisation et le traitement du sol et des nappes contaminées. Cette collaboration entre l'industrie et des centres de recherche devrait aboutir rapidement à des résultats applicables sur le terrain. Peut-être faudrait-il encore renforcer le projet par une participation accrue des administrations qui contrôlent la mise en œuvre des opérations de dépollution. Les travaux à venir porteront sur d’autres méthodes de décontamination et d’autres polluants, en particulier les solvants chlorés.

Le modèle SCERES peut être aussi vu comme un outil mis à la disposition de la communauté scientifique, plus particulièrement pour le test des méthodes de caractérisation.

Souhaitons aussi que ce projet puisse faire connaître le problème des sols pollués en France.

Remerciements

Pour écrire cet article, l’auteur a bénéficié des contributions de nombreux collègues, dont Mlle Arnaud (Anjou Recherche), MM. Zilliox, Müntzer, Schäfer et Razakarizoa (IFARE), MM. Bocard, Ducreux et Le Thiez (IFP), et M. Béraud (Burgeap).

Bibliographie

Arnaud C., Ducroix J., Müntzer P., Pottecher G., Schäffer G. (1993). An Experimental Site to Improve Soil and Groundwater Decontamination. Proceedings of the Contaminated Soil'93 Conference, Berlin, May 1993, Kluwer Academic Publishers. F. Arendt et al., editors.

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