Une réalisation en cours en région parisienne : Eragny
Département Technique — Centre de Recherche
OMNIUM DE TRAITEMENTET DE VALORISATION (O.T.V.)
L’attention de l’opinion publique s'est récemment portée vers les problèmes sanitaires liés à la présence des nitrates dans les eaux souterraines, et la littérature est abondante dans ce domaine. Sans attendre la pression des Associations de Consommateurs de nombreux forages ont été fermés, du fait de teneurs en nitrates dépassant les recommandations actuelles. Les concentrations les plus élevées apparaissent dans les nappes proches des zones d'urbanisation : la localisation du forage d’Eragny dans le Val d’Oise où se situent nos essais de dénitrification est, à ce titre, très significative. La situation est aussi préoccupante dans les zones agricoles où le phénomène est souvent largement répandu et plus difficile à contrôler.
La norme européenne, qui sera applicable dès 1985, limite à 50 mg/l la concentration à ne pas dépasser (C.M.A.) pour les nitrates. Pour satisfaire cette norme, des mesures doivent être prises rapidement ; mélange avec des eaux non polluées, recherche de dispositions locales pour réduire le drainage des nitrates vers les nappes, recherche d'autres sources non polluées, etc. Dans certains cas, la seule mesure réaliste est le traitement d’élimination : ce traitement existe ; il est agréé par le Ministère de la Santé. Il fait appel à une technologie simple et approuvée : ce traitement est biologique et il est actuellement en cours de mise en œuvre à Eragny.
DÉNITRIFICATION BIOLOGIQUE DES EAUX DE CONSOMMATION
Le principe du procédé biologique hétérotrophe – paramètres fondamentaux.
Le processus de dénitrification biologique est fondé sur une réaction d’oxydoréduction : oxydation d’un substrat réduit et réduction de l’azote nitrique en azote gazeux par l'action de bactéries dites « dénitrifiantes ». Lorsque le substrat est organique et carboné, il fournit à la fois l'énergie et le carbone nécessaires aux synthèses cellulaires : les bactéries, dans ce cas, sont dites « hétérotrophes » par opposition aux bactéries « autotrophes » qui, elles, peuvent croître sur un milieu minimal exclusivement minéral.
La faculté de réduire les nitrates est très répandue parmi les bactéries hétérotrophes : plus de 50 % de ces espèces en sont pourvues ; cependant, la dénitrification n’a lieu que dans la condition particulière de l'anoxie, c’est-à-dire celle d’un milieu dépourvu d’oxygène dissous, où le seul oxygène disponible est celui des nitrates ; son utilisation par les bactéries conduit à la dénitrification. Les étapes de la dénitrification biologique ont été abondamment décrites par ailleurs. Nous insisterons sur certains paramètres fondamentaux exclusifs du déroulement normal des réactions de dénitrification et donc du bon fonctionnement des installations.
Température :
Pour tous les phénomènes biologiques, la température joue un rôle très important : la dénitrification hétérotrophe n’échappe pas à cette règle. L'application de la formule d’Arrhenius est possible aux systèmes biologiques. Il est généralement admis que le Q₁₀, dans le cas de la dénitrification en réacteur à bactéries libres (boues activées) est supérieur à 2. Ce fait signifie, en théorie, que pour une baisse de température de l'eau de 10 °C, le temps de contact, donc le volume du réacteur, devra être multiplié par deux au minimum pour maintenir le rendement d'élimination initial de l’azote nitrique.
La pratique est sensiblement différente : nos essais au laboratoire ont montré qu’une chute raisonnable de température et la baisse de rendement consécutive (environ 20 % pour un Δ°C de 8 °C) peut être partiellement compensée par une augmentation momentanée du taux d’éthanol appliqué. Ce phénomène est dû, pour une part, à la technologie mise en œuvre : les bactéries fixées sur un support minéral seraient moins sensibles à l'abaissement de la température de l'eau et pour une part au fait que le réacteur anoxique dénitrificateur fonctionne avec un grand nombre d’espèces différentes dont les valeurs de l’optimum de température sont échelonnées. Lorsque la température de l'eau à traiter baisse, les souches plus tolérantes aux faibles températures prennent progressivement le relais des souches moins tolérantes. Certaines sécurités doivent être prises dans le dimensionnement du réacteur anoxique pour tenir compte de ces périodes d’adaptation à des températures basses. Nous estimons néanmoins que lorsque la température de l'eau à traiter est en permanence inférieure à 15 °C, celle-ci doit être spécifiquement prise en compte pour le dimensionnement de l'installation.
L'effet d'une température en permanence inférieure à 8 °C doit être étudié cas par cas et le dimensionnement de l'installation doit être le résultat d’essais pilotes in situ.
pH : La dénitrification optimale apparaît dans une zone de pH comprise entre 6 et 9 selon les souches. Le pH affecte à la fois la vitesse de disparition de l’azote nitrique et la nature du produit final : ce n’est qu’à pH supérieur à 7 que l'azote gazeux est obtenu. La réaction de dénitrification a tendance naturellement à alcaliniser le milieu. Dans certains cas particuliers, celui des eaux acides peu minéralisées, une correction initiale du pH sera nécessaire à l’établissement du phénomène biologique. Au contraire, la dénitrification d'une eau alcaline renforcera une tendance entartrante et une correction du pH sera nécessaire à l'aval du traitement pour protéger le réseau de distribution.
Oxygène dissous : La dénitrification hétérotrophe est exclusive de la présence dans le milieu d'oxygène dissous ; celui-ci, selon les souches bactériennes, est un inhibiteur de l'activité ou un répresseur de la synthèse des enzymes de la dénitrification. Chez Paracoccus denitrificans, la présence d'oxygène dissous réprime la synthèse de la nitrite réductase ; ceci conduit à l'accumulation de nitrites dans le milieu car la nitrate réductase, qui catalyse la réduction des nitrates en nitrites, elle, reste synthétisée. Dans le cas du traitement des eaux de nappe, les teneurs en oxygène dissous sont généralement faibles. Les conditions de l'anoxie sont rapidement obtenues par l'oxydation aérobie de la source carbonée ; ces réactions doivent être prises en compte dans le calcul de la quantité d’éthanol à fournir aux bactéries.
Nous rappelons que cette quantité d’éthanol est de :
Q = 1,96 · ΔN-NO₃ + 0,55 · (O₂), avec :
ΔN-NO₃ : l’abattement de la teneur en azote nitrique exprimé en mg/l,
(O₂) : la concentration en oxygène dissous de l’eau brute,
Q : le taux d’éthanol en g/m³ de produit pur,
(cette formule est établie à partir d’essais au laboratoire et à l’échelle pilote pour une température de l'eau de 20 °C). Elle fait apparaître que la quantité d’éthanol consommée du fait de la désoxygénation est loin d’être négligeable.
Phosphore : Les bactéries de la dénitrification utilisent pour la synthèse de nouvelles cellules l’énergie libérée lors de la décarboxylation oxydative du substrat carboné (éthanol). Cette énergie est stockée au niveau de liaisons chimiques de composés intermédiaires : sulfates, phosphates et thioesters. Le principal de ces composés est l’ATP, adénosine triphosphorique, formé à partir de l'AMP et de l'ADP, adénosine mono- et diphosphorique, et du phosphore selon la réaction :
ADP + P → ATP
À l'inverse, lors des synthèses, l'ATP est hydrolysé en ADP et AMP et la rupture d'une liaison phosphore libère 7 000 cal par mole. D’où l'importance du phosphore : en cas de carence dans le milieu, le rendement de l'élimination des nitrates est considérablement réduit. Nous avons montré expérimentalement la nécessité de fournir au milieu 1 g de phosphore pour 100 g d’azote nitrique éliminé. Pratiquement, lorsque l'eau à traiter est dépourvue de phosphates, un apport est obligatoire.
Aspects technologiques.
1. La fixation des bactéries sur un support minéral.
Le retour à des procédés biologiques pour l’amélioration de la qualité des eaux est très récent : ce fut d’abord la nitrification en 1976 avec la mise en service de Rouen-La-Chapelle, puis en 1980 un traitement non spécifique d’élimination des matières organiques à Annet-sur-Marne.
La dénitrification est le dernier en date des traitements biologiques applicable aux eaux de consommation ayant reçu l’approbation du Ministère de la Santé après avis favorable du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique. Comme tous les autres traitements biologiques, la dénitrification met en œuvre la fixation des bactéries sur un support minéral spécifique. Qu'apporte un système à bactéries fixées par rapport à un système à bactéries libres ?
— dans un système à bactéries libres, le rendement de l'épuration est directement fonction de la concentration de la biomasse active dans le réacteur. Cette notion est particulièrement bien connue des traiteurs d’eaux résiduaires : les stations d’épuration par boues activées sont par excellence des systèmes à biomasse libre. La limite d’un tel système est le maintien dans le réacteur d'une biomasse à haut niveau de concentration ;
— un système à bactéries libres nécessiterait à l’aval un décanteur pour séparer l'eau dénitrifiée et la biomasse dénitrifiante.
Dans le cas précis de la dénitrification, les conditions anoxiques d'une part, la présence de microbulles d’azote d’autre part, l'utilisation de la boue comme source de carbone et d’énergie et la poursuite de la dénitrification dans le décanteur enfin, conduiraient à la flottation de la biomasse et à une fuite importante de matières en suspension dans l'eau dénitrifiée qui rendraient obligatoire la filtration finale.
— avec un système à bactéries fixées, au contraire :
• il est possible d'atteindre un très haut niveau de concentration de la biomasse au sein du milieu granulaire : les rendements sont élevés,
• la biomasse reste dans le réacteur ; elle est évacuée par des lavages périodiques à contre-courant ; il n'y a pas besoin de décanteur,
• la fuite en MES est très faible et une simple filtration suffit.
Ces deux derniers avantages sont obtenus lorsque le lit granulaire est lui-même immobile. En effet, dans le cas d'un lit granulaire très fin et fluidisé ou maintenu en légère expansion, nous sommes ramenés aux difficultés indiquées ci-dessus de séparation de la biomasse. Par ailleurs, le maintien en expansion ou en fluidisation d’un lit granulaire fin est chose difficile à maîtriser dans la plupart des cas et implique une recirculation importante de l'eau à traiter pour concilier la vitesse ascensionnelle élevée et le temps de contact nécessaire à l'établissement des réactions de réduction des nitrates.
2. Nature et granulométrie du matériau support.
Le principe du lit biologique immergé et fixe étant retenu, ceci conditionne la granulométrie du support de la fixation des bactéries. En effet, une taille des particules trop faible (inférieure à 2 mm) conduirait à un colmatage très rapide des interstices libres, tandis qu’à l’inverse, la surface développée par le support serait plus faible, réduisant les rendements de la dénitrification. Le choix d’une granulométrie est donc un compromis. De l'expérience acquise par la mise au point des filtres biologiques aérés BIOCARBONE, nous savons que la granulométrie optimale pour ce type de procédé est comprise entre 3 et 6 mm. C'est cette granulométrie que nous utilisons pour le garnissage des filtres dénitrificateurs anoxiques.
Quant à la nature du matériau, nous savons que l'accrochage bactérien est favorisé par l’hétérogénéité de la surface du grain, la présence de cations bivalents et d’ions métalliques au voisinage et sur le matériau et, dans une certaine mesure, la mise à la disposition de la bactérie d’un substrat abondant du fait de l’adsorption de ce substrat par le support. Parmi les divers produits présentant ces propriétés, le charbon actif granulé et les argiles ont été particulièrement étudiés.
Lorsqu’il s’agit d’éliminer par voie biologique une pollution biodégradable très diluée et adsorbable, on utilise le charbon actif granulé (exemple : le Biocarbone d’Annet-sur-Marne ou le second étage de filtration de Méry-sur-Oise).
Lorsque le produit à éliminer n'est pas adsorbable, on utilise de préférence des argiles. C’est le cas de la nitrification biologique. C’est celui de la dénitrification. Ces argiles appartiennent à la classe minéralogique des silicates phylliteux : une structure en feuillet leur confère une charge globale et une capacité d’échange pour les cations. La présence de cations bivalents est favorable à l'accrochage bactérien. La cuisson des argiles à haute température et l’incorporation de cations bivalents renforcent l’aptitude du produit à la fixation des bactéries. Ces préparations sont commercialisées sous le nom de BIODAMINE.
Les mécanismes de la fixation sur le charbon actif sont voisins de ceux décrits pour les argiles. L’adsorption de molécules organiques sur le support crée une interaction supplémentaire substrat-support-bactéries qui sera abordée plus loin à propos du post-traitement d’affinage.
3. Sens du flux.
Le sens du flux est déterminé par des conditions d'ordre pratique de la mise en œuvre : le rendement d’élimination des nitrates est, en effet, indifférent au sens du flux. Néanmoins, un flux ascendant permet l'élimination progressive de l’azote produit : il est alors possible de concevoir des filtres ouverts tandis qu’en flux descendant, pour limiter les risques d’embolie gazeuse, il est nécessaire de maintenir une légère pression dans le réacteur ; une telle disposition est en revanche très simple à réaliser.
Le sens du flux sera fonction de la taille des installations, le seuil étant constitué par le débit horaire au-delà duquel la conception de l’installation en filtres métalliques sous pression n’est plus envisageable du point de vue économique (≈ 200 m3 h-1).
4. Nature du substrat carboné.
Les bactéries hétérotrophes possédant la propriété de dénitrifier sont extrêmement répandues : nous l'avons signalé plus haut, 50 % des espèces hétérotrophes. Il n'est donc pas surprenant que de très nombreux substrats carbonés puissent être utilisés. Les références étrangères mentionnent pour la plupart des essais de dénitrification d’eaux usées où le méthanol est utilisé. Dans le cas de la dénitrification d’une eau destinée à la consommation, il est exclu d’utiliser un produit toxique comme l’est le méthanol même si le substrat est supposé être entièrement éliminé par la réaction. C’est pourquoi de nombreux essais ont été réalisés avec l’éthanol, l’acide acétique, le glucose et des sucres plus ou moins complexes, les mélasses par exemple. Pour un même nombre d'atomes de carbone, plus le substrat sera réduit, plus grande sera l'énergie libérée lors de son oxydation et plus grand sera le nombre d’électrons libérés ; de même, plus la chaîne carbonée sera courte, plus facile et plus rapide sera sa décarboxylation. Ces conditions conduisent à utiliser de préférence un alcool plutôt qu'un acide : nous avons choisi l’éthanol.
Les équations théoriques d'utilisation de l’éthanol sont :
5 C2H5OH + 12 NO3- → 10 CO2 + 9 H2O + 6 N2 + 12 OH- et 50 C2H5OH + 97 NO3- → 5 C2H3NO2 + 75 CO2 + 84 H2O + 46 N2 + 97 OH-
Celles d'utilisation de l’acide acétique sont :
5 CH3COOH + 8 NO3- → 10 CO2 + 6 H2O + 4 N2 + 8 OH-
et 50 CH₃COOH + 34 NO₃⁻ → 10 C₅H₇NO₂ + 50 CO₂ + 48 H₂O + 12 N₂ + 34 OH⁻
Dans les deux cas, il existe une troisième équation qui représente la voie endogène, où ce sont les cellules elles-mêmes et non plus l’acide ou l’éthanol qui ser vent de substrat carboné.
Le rapport du carbone utilisé à l'azote nitrique éli miné (C/N) est de 0,86 dans le cas de l’éthanol et 2,24 dans celui de l'acide acétique : ceci confirme le fait d'une meilleure utilisation du substrat alcool que du substrat acide, puisque l'alcool éthylique est sous une forme plus réduite que l'acide acétique. Par ailleurs, la production de biomasse, représentée dans les équa tions par C₅H₇NO₂, une approximation de la formule bactérienne, est deux à trois fois plus faible avec l’étha nol qu’avec l’acide acétique.
5. Le post-traitement : intérêt du Biocarbone.
À la sortie du filtre anoxique dénitrificateur, l'eau dénitrifiée est impropre à la consommation et néces site un post-traitement qui doit impérativement com prendre les étapes suivantes : aération, filtration et désinfection. Celui-ci peut-être purement physico chimique ou partiellement biologique.
Post-traitement physico-chimique :
Il s’agit d'une aération suivie d'une filtration sur sable et d'une chloration. La filtration peut être précé dée d'une coagulation par un sel de fer ou d’alumi nium ; c’est la technique classique dite du « collage sur filtre ». Les paramètres retenus pour juger l'efficacité du traitement sont les teneurs en matières organiques mesurées par l’oxydabilité au permanganate et le car bone organique total, ainsi que la turbidité. Les résul tats sont reportés au tableau 1 et comparés à ceux obtenus avec un post-traitement de type Biocarbone.
Post-traitement au Biocarbone :
Le carbone organique présent dans l'effluent du filtre anoxique se trouve essentiellement sous forme dis soute puisqu’il n’est pratiquement pas éliminé par un collage sur filtre. Cette observation nous a conduits à envisager un traitement partiellement biologique.
Le filtre type Biocarbone comprend les éléments suivants :
- - un lit de charbon actif granulé aéré, utilisé comme support pour la fixation des bactéries ; l'insufflation d'air est pratiquée par un ensemble de raquettes perforées,
- - un lit de charbon actif granulé non aéré dont l'épais seur représente au maximum le tiers de l'épaisseur totale du CAG,
- - un lit de sable de granulométrie fine.
Les résultats obtenus sont reportés au tableau 1.
Tableau 1
Post-traitement après filtre anoxique dénitrificateur
Oxydabilité mg/l O₂ | Carbone organique mg/l C | Turbidité NTU | |
---|---|---|---|
Eau brute | 1,10 | 1,50 | 0,30 |
Sortie anoxique | 2,00 | 2,50 | 1,50 |
Sortie post-traitement physico-chimique | 1,10 | 1,70 | 0,20 |
Sortie Biocarbone | 0,80 | 1,00 | 0,20 |
Le post-traitement de filtration biologique sur char bon actif aéré est la voie la plus efficace pour réduire la teneur en COT de l'eau traitée à sa valeur la plus basse. L'entretien d'une biomasse aérobie fixée sur les grains de charbon actif constitue une sécurité quant à un sur dosage accidentel d’éthanol : il a été démontré que l'éthanol, bien que non adsorbable sur le charbon actif, est facilement éliminable par biomasse fixée. Par ail leurs, l'injection d'air dans un milieu granulaire permet l'optimisation du transfert de l'oxygène et améliore considérablement les conditions de la réoxygénation. Enfin, la couche de CAG non aéré et la couche de sable fin retiennent la totalité des matières en suspension générées par les traitements biologiques (corps micro biens).
N.B. : La couche de charbon actif élimine également les traces de micropollution par les pesticides souvent associées à la pollution par les nitrates ; toutefois, il est bien entendu que le traitement de dénitrification ne peut pas être assimilé à un traitement spécifique d'éli mination d’une micropollution qui comprendrait alors une adsorption sur CAG avec régénération périodique et fréquente du charbon.
LA RÉALISATION EN COURS EN RÉGION PARISIENNE : ÉRAGNY
Les études de dénitrification au laboratoire concer nant strictement l'eau potable ont démarré, dans notre Société, en 1976-77 et ont abouti, en 1979, à la demande d’un agrément au Conseil Supérieur de l’Hy giène Publique de France. Ce dernier, après examen des données, a prononcé, en 1980, un sursis à statuer et a demandé que soient entrepris des essais complé mentaires sur pilote. Entre temps, le Ministère de la Santé est devenu très strict sur l'application de la réglementation (rappelons qu'il n’existe pas de norme
en France sur les eaux potables, simplement une recommandation à ne pas dépasser : 44 mg/l (NO₃⁻) ; la seule norme qui existe concerne les eaux embouteillées) et de nombreux forages durent être fermés, dont celui d’Éragny en région parisienne exploité par la Société Française de Distribution d’Eau (SFDE).
Il fut décidé la mise en place, en 1981, sur le site même de ce forage, d’un pilote de taille industrielle pour dimensionner la future installation d’Éragny et pour conduire les essais complémentaires demandés par le CSHPF. Ces essais ont eu lieu de mai à juillet 81.
Les conditions d’obtention de l’agrément.
Le contrôle du déroulement du programme d’essais et celui de la qualité de l’eau traitée fut laissé aux soins d’un laboratoire de première catégorie agréé par le Ministère de la Santé. Le protocole d’essais devait mettre en évidence la fiabilité du procédé de dénitrification biologique, évaluer les incidences éventuelles sur la qualité de l’eau, les accidents simulés de fonctionnement (arrêt prolongé de l’installation, arrêt prolongé du dosage du substrat carboné), vérifier que certaines particularités inhérentes au traitement biologique ne constituent pas une contrainte exagérée d’exploitation (en particulier, évaluer la durée de la mise en régime et le temps de stabilisation du processus de dénitrification après les arrêts simulés) enfin, contrôler la présence de micro-polluants organiques et minéraux sur l’effluent traité.
Il a été démontré, en fonctionnement normal, en ce qui concerne l’azote :
— la réduction effective de la teneur en nitrates à des valeurs souhaitées ; — l’absence de nitrites dans les eaux ; — l’absence de nitrosamines dans les mêmes conditions.
Les nitrosamines sont des produits cancérogènes chez l’animal et provoquent l’apparition de tumeurs du foie, des reins, de l’œsophage. Les doses injectées, qui provoquent ces effets, sont de l’ordre de 1 mg par kg de poids vif et sont 1 000 fois supérieures à celles ordinairement trouvées dans l’alimentation humaine.
En ce qui concerne le carbone, il a été observé que les teneurs en matières organiques évaluées soit par la quantité d’oxygène cédée au permanganate et à chaud, soit par la recherche directe du carbone organique n’augmentent pas du fait du traitement. Enfin, à l’exception de l’aluminium, lorsqu’une coagulation intermédiaire est pratiquée, il a été observé l’absence de micro-polluants minéraux dans l’eau brute et l’eau traitée.
La mise en régime du système dénitrifiant est obtenue entre 3 et 4 semaines après le démarrage de l’installation. Le retour à l’équilibre, après un arrêt prolongé de l’installation, est obtenu 4 à 6 heures après le redémarrage ; lorsqu’il s’agit d’un arrêt du dosage du substrat carboné, le retour à l’équilibre est beaucoup plus rapide.
Tableau 2
Analyse physico-chimique partielle, forage d’Éragny (d’après le Laboratoire de Contrôle des Eaux de la Ville de Paris)
Eau brute | Eau traitée | |
---|---|---|
Turbidité (mastic) | 4 | 4 |
pH | 7,25 | 7,50 |
TH (°F) | 51,0 | 51,5 |
TAC (°F) | 28,4 | 30,2 |
Oxydabilité (mg/l H₂O₂) | 0,80 | 0,65 |
Oxygène dissous (mg/l) | 1,4 | 1,1 |
NO₃⁻ (mg/l) | 60,0 | 30,0 |
NO₂⁻ (mg/l) | < 0,05 | < 0,05 |
Tableau 3
Recherche des nitrosamines, forage d’Éragny (d’après le Laboratoire de Contrôle des Eaux de la Ville de Paris)
Eau brute | Eau traitée | |
---|---|---|
N-Nitroso diméthylamine | ND | ND |
N-Nitroso méthyléthylamine | ND | ND |
N-Nitroso diéthylamine | ND | ND |
N-Nitroso dipropylamine | ND | ND |
N-Nitroso pyrrolidine | ND | ND |
N-Nitroso diéthanolamine | ND | ND |
N-Nitroso pipéridine | ND | ND |
N-Nitroso pyrrolidine | ND | ND |
N-Nitroso morpholine | ND | ND |
N-Nitroso hexaméthylénéimine | ND | ND |
N-Nitroso proline | ND | ND |
(limite du dosage : 50 nanogrammes par litre)
Les tableaux 2 et 3 regroupent les résultats d’analyses physico-chimiques et bactériologiques (Laboratoire du Contrôle des Eaux de la Ville de Paris).
À l’issue des essais d’Éragny, la CSHPF a émis un avis favorable qui a conduit le Ministère de la Santé à donner son approbation à l’emploi du procédé biologique de dénitrification utilisant l’éthanol comme subs-
Substrat carboné DGSH n° 1351 du 5 octobre 1981.
Selon cette circulaire : « la mise en œuvre de ce procédé nécessite que les dispositions suivantes soient respectées :
- — chaque eau à traiter pouvant constituer un cas d’espèce : il doit être procédé à une étude de faisabilité en laboratoire, préalablement à la mise en place ;
- — pendant la période de maturation de l’installation, l’eau produite ne doit pas être distribuée ;
- — le fonctionnement doit être soumis à un contrôle permanent ; en cas d’arrêt, la remise en marche devra faire l'objet d'une surveillance particulière ;
- — à l’entrée du traitement de dénitrification, l'eau ne doit pas comporter d’éléments susceptibles de gêner ledit traitement ».
Description de l'installation d’Eragny
L’eau brute du forage d’Eragny présente une teneur en nitrates comprise entre 60 et 80 mg/l. L’installation a été dimensionnée pour réduire une teneur de 100 mg/l à 25 mg/l, le niveau guide de la future norme européenne, sur la totalité du débit soit 80 m³/h.
La filière est constituée des éléments suivants :
- — un dispositif de dosage et d'injection de l’éthanol ;
- — un filtre dénitrificateur anoxique ; le garnissage est une Biodamine calibrée à la granulométrie 3 à 6 mm. Le débit étant de 80 m³/h, l'installation est conçue pour fonctionner sous pression en flux descendant. La vitesse de percolation est inférieure à 10 m³/m²/h ;
- — un filtre du type Biocarbone bicouche comprenant une couche de CAG aérée, une couche non aérée et une couche de sable de fine granulométrie : 0,8 mm à 1,2 mm.
- — un dispositif de dosage et d’injection d’un coagulant à l’amont du Biocarbone ;
- — un dispositif d’injection d’air en permanence ; le rapport des débits de l'air et de l’eau est, au maximum, égal à 1 ;
- — un système complet de décolmatage des filtres comprenant une pompe d’eau de lavage et un surpresseur d’air pour le détassement ;
- — un dispositif d’injection et de dosage d’hypochlorite de sodium pour la désinfection avant distribution.
Le traitement des eaux de lavage
La quantité de matières sèches produites, ramenée à la quantité d’azote nitrique éliminée, est de 1 kg/kg. C’est une valeur expérimentale lorsque l’éthanol est utilisé comme substrat carboné. Lorsque la teneur en nitrates est ramenée de 100 à 25 mg/l, la production de matières sèches par mètre cube d’eau traitée, du fait de la croissance de la biomasse dénitrifiante, est de 17 grammes. La station d’Eragny traite un débit de 80 m³/h ; la production totale journalière de boues sur le filtre anoxique sera donc approximativement de 30 kg de matières sèches.
Les eaux de lavage du filtre anoxique présentent les caractéristiques suivantes : DCO comprise entre 700 et 900 mg/l, teneur en MES comprise entre 500 et 600 mg/l. Les eaux de lavage du filtre aérobie Biocarbone ont une teneur en MES comprise entre 150 et 200 mg/l. Le traitement de ces eaux de lavage sera fonction des conditions locales :
- — dans le cas où il existe une station d’épuration, ces boues seront envoyées directement à l’égout. L’apport de MES et de DCO est faible comparé aux charges traitées par la station d’épuration : ils représentent respectivement 3 et 6 %, approximativement, de ces charges journalières. Ces boues étant constituées à plus de 95 % de matières.
organiques volatiles, ce sont des bactéries hétérotrophes qui iront enrichir la biomasse mixte de la station d'épuration,
— dans le cas où il n'existe pas de station d'épuration, les boues sont épaissies sur place dans un bassin de décantation. L'ajout d'un polyélectrolyte ou d'un coagulant accélère la décantation. Le surnageant présente les qualités requises pour un rejet dans le milieu naturel (MES = 20 mg/l et DCO = 50 mg/l). Les boues épaissies sont soit reprises en camion-citerne et épandues, soit égouttées sur un tambour rotatif ou par tout autre procédé similaire.
ÉVALUATION DU COÛT D'UNE STATION DE DÉNITRIFICATION
Les points d'eau en zone rurale sont de petite ou moyenne production, c'est pourquoi OTV s'est attaché en priorité à standardiser des postes de traitement dont la capacité s'échelonne de 15 à 200 m³/h. Dans ces tailles d'installations, le principe du fonctionnement sous pression dans des filtres métalliques est le plus économique. Pour des stations de 100 à 200 m³/h, deux files de traitement sont prévues en parallèle. Pour des débits supérieurs à 200 m³/h, le procédé de dénitrification est appliqué sur des filtres en béton ouverts fonctionnant en flux ascendant. Dans ce cas, chaque projet relève d'une étude spécifique.
Le coût prévisionnel des investissements et des frais de fonctionnement est estimé au tableau 4 pour deux tailles d'installations : 25 et 200 m³/h. Ces installations sont dimensionnées pour un abattement de 25 à 30 mg/l d'azote nitrique. Aux frais de fonctionnement indiqués, il y a lieu d'ajouter la rémunération du personnel et différents frais qui sont particuliers à chaque projet. On peut raisonnablement estimer que pour une installation de 100 m³/h fonctionnant 20 heures par jour, le coût total du mètre cube d'eau produit est d'environ 1 F HT (second semestre 81).
Tableau 4
Estimation du coût d'une station (second semestre 1981)
Capacité en m³/h : | 25 | 200 |
---|---|---|
Investissement : | ||
– Génie civil (1) | 350 000 | 1 100 000 |
– Équipements (2) | 850 000 | 2 400 000 |
TOTAL | 1 200 000 | 3 500 000 |
Frais de fonctionnement | ||
Réactif + Énergie +Perte en eau | 0,15 à 0,20 | 0,15 à 0,20 |
(1) Les coûts de génie civil sont des estimations moyennes : ils comprennent le bâtiment d'exploitation et la réserve en eau de lavage.
(2) Les coûts d'équipements concernent uniquement le traitement, à l'exclusion des pompages d'exhaure et de reprise. Ces coûts seront majorés de 10 à 15 % pour une automatisation complète du fonctionnement.
UN SECOND PROCÉDÉ BIOLOGIQUE EN COURS DE DÉVELOPPEMENT
Il s'agit du procédé biologique dit « autotrophe » développé conjointement par l'équipe de chercheurs animée par le Professeur Martin à Rennes et le Centre de Recherche de l'OTV ; autotrophe car le substrat oxydé biologiquement pour fournir de l'énergie aux bactéries dénitrifiantes n'est plus organique mais minéral : le soufre, et que la source de carbone est également minérale : les bicarbonates. De ce fait, les bactéries dénitrifiantes se développent dans un milieu exclusivement minéral ; elles appartiennent au genre Thiobacilles dénitrificans.
Les procédures d'agrément par le Ministère de la Santé sont engagées et devraient se concrétiser par un avis favorable à l'utilisation de ce procédé dans le courant du second semestre 1982.
L'intérêt porté à ce procédé par les Pouvoirs Publics est d'ores et déjà très grand et laisse augurer sa mise en application rapide.
CONCLUSION
Dans certaines régions, les teneurs en nitrates relevées dans les eaux utilisées dépassent 100 mg/l et atteignent un grand nombre d'installations ; l'étendue géographique de cette pollution ne permet pas toujours des mélanges avec des sources moins touchées et la recherche d'une nappe plus profonde n'est pas toujours réaliste : tous ces cas justifient alors la mise en œuvre d'un traitement spécifique d'élimination des nitrates. Les traitements physico-chimiques sont difficilement envisageables au plan économique car ils sont gros consommateurs d'énergie (osmose, dialyse) et pour certains au plan hygiénique puisqu'ils n'ont pas reçu l'agrément du Ministère de la Santé (résines anioniques).
Les seuls traitements autorisés sont donc les traitements biologiques. Le traitement qui est mis à la disposition des collectivités locales est maintenant bien connu et les technologies proposées sont simples et fiables. La station d'Éragny est la première installation de ce type en France et son exploitation prochaine permettra de confirmer cette simplicité. D'ores et déjà, OTV met à la disposition des autorités locales un ensemble pilote parfaitement représentatif de l'installation en vraie grandeur, destiné à faire la preuve en toutes circonstances de la parfaite efficacité du procédé.