Ces deux faits vont modeler l'action des distributeurs d'eau en France pour la prochaine décennie. A cela il faut ajouter la sensibilité de plus en plus grande des consommateurs face à la qualité de l'eau. La réponse à ces préoccupations passe par la technologie mais aussi des mesures organisationnelles. Ceci est particulièrement vrai pour les zones d'habitat dispersé où le premier souci aujourd'hui reste la qualité bactériologie de l'eau.
Difficile d’avoir une vision globale de la qualité de l'eau potable distribuée en France : il n’existe pas de données nationales sur le sujet. Des données statistiques existent dans de nombreux départements mais leur hétérogénéité rend leur assemblage difficile. Le Réseau National de Données sur l'Eau commence en collaboration avec la Direction Générale de la Santé à combler cette lacune. On connaît le nombre des captages : 34 107 captages en métropole (chiffre 1997). Les captages souterrains sont de loin les plus nombreux, 32 792, et représentent 96 % de l’effectif total. Ce nombre ne doit pas masquer une autre réalité : l'eau potable provient en volume
60 % d’eaux souterraines et 40 % d’eau de surface. La part d’eau superficielle représente la moitié du volume prélevé ou plus dans 17 départements. Autre aspect, la très grande disparité dans la répartition des captages : de 7 dans le département du Val-de-Marne à 1 470 en Savoie (autant que le bassin Artois-Picardie) ! Cette diversité de situations explique en partie la difficulté pour collecter des données sur la qualité des eaux. Elle révèle aussi « l’inégalité » devant l’eau : les communes des grosses agglomérations ont plus de moyens pour s’organiser face à la dégradation de la ressource.
Un des instruments privilégiés de l’administration pour travailler la question de la qualité en amont est l’instauration des périmètres de protection des captages.
Définir des périmètres de protection
Les périmètres de protection immédiate, rapprochée et éventuellement éloignée, s’implantent doucement : les derniers chiffres (publiés en 1999) montrent qu’un peu plus de 30 % des captages (représentant 36 % des volumes prélevés) bénéficient d’une DUP – déclaration d’utilité publique – et que seulement 11 % ont fait l’objet d’une publicité foncière (énonçant les éventuelles servitudes et prescriptions à l’utilisation du terrain). Les choses avancent plus vite dans les zones de bassin sédimentaire que de socle, a fortiori de karst. La chose n’est pas anodine lorsque l’on sait que l’absence de protection engage la responsabilité du maire en cas de distribution d’eau non conforme aux normes de potabilité.
Les bassins sont confrontés à des situations bien différentes. En Adour-Garonne, 6 800 captages, dont 71 % pour des communautés de moins de 500 habitants et deux grosses communautés à Bordeaux et Toulouse ; une étude menée sur les années 1996-98 montre que les problèmes critiques se retrouvent sur la bactériologie : 41 % des UDI – unités de distribution – non conformes soit 22,9 % de la population du bassin (6,6 millions). À rapprocher de la turbidité : 20 % d’UDI non conformes soit 19 % de la population. Ces problèmes de bactéries sont dus à la qualité des eaux brutes mais aussi à l’insuffisance des traitements de potabilisation et à l’entretien des réseaux de distribution. Dans quelques zones, les pesticides et les nitrates posent de réels problèmes.
En Rhin-Meuse, sur 4 640 captages, 99 % sont souterrains. En 1997 une étude a montré que sur ce bassin plus de 100 000 personnes sont confrontées à des eaux non conformes en regard des nitrates et de la bactériologie. Et là encore les problèmes qui montent sont la pollution diffuse par les nitrates et les pesticides. En Artois-Picardie, 96 % de l’eau est souterraine (1 400 captages). Là encore nitrates et pesticides posent problèmes et peu de zones ne sont pas affectées par les nitrates à tel point que la ressource en eau est tout juste suffisante. Des captages ont été abandonnés au profit d’interconnexions plus longues, mais cela a ses limites. La nappe de craie est durablement imprégnée et les chiffres ne baisseront pas rapidement. 7 % des captages sont touchés par les pesticides. La prévention en cours des captages n’aura malheureusement pas d’effet rapide sur la situation. Dans le Vimeux c’est la pollution industrielle qui a provoqué l’abandon des captages et des dépenses conséquentes : interconnexions de 10 à 20 km à 1 MF/km. Loire-Bretagne (11,6 millions d’habitants) compte 4 880 captages dont 79 % souterrains. Pour les 5 096 UDI cela correspond à 48 % d’eaux superficielles, 30 % souterraines et le reste mixte ; mais 91 % d’entre elles desservent moins de 5 000 habitants. La grande diversité du relief sur ce bassin interdit toute généralisation. Le problème des nitrates est majeur et la dégradation se poursuit : certaines eaux brutes ne sont plus potabilisables (abandon du captage), les durées de dépassement de la teneur de 50 mg/l s’allongent d’année en année. Les pesticides représentent également un gros problème, mais on se heurte à un problème de disponibilité de l’information en raison du coût d’analyse. En bactériologie le bassin est plutôt en progrès, mais il existe de forts contrastes.
Problèmes bactériologiques
Rhône-Méditerranée-Corse avec ses 12 650 captages et 9 700 UDI est confrontée essentiellement à des problèmes de qualité bactériologique des eaux. 5,8 % de la population (sur 13 millions d’habitants) consomment une eau régulièrement non conforme sur ce point, mais à 93 % ces problèmes interviennent sur des communes de moins de 500 habitants (3/4 des UDI desservent moins de 500 habitants) ; de plus on constate que ces non-conformités interviennent entre avril et novembre surtout sur les eaux non…
traitées. Autre facteur, le terrain : 40 % des UDI sont en milieu souterrain fissuré, avec des risques élevés de contamination lors d’épisodes orageux (turbidité).
Fin 99 l’Agence de l'eau RMC et la DRASS Rhône-Alpes ont organisé des journées sur la qualité bactériologique de l'eau distribuée en zone rurale. Il ressort des témoignages et des études que si ces problèmes interviennent, c'est en grande partie parce que l'idée que « l’eau de source est pure » est très ancrée dans les têtes et qu'une désinfection n'est pas nécessaire. De plus les habitants craignent le goût de chlore ; les maires ne veulent pas équiper leur commune (et les règles de financement ne les poussent pas). À notre époque ceci ne tient plus, d’autant moins que les activités de loisirs se développent. Le risque bactériologique entraîne des conséquences immédiates sur la santé, que les vacanciers n’apprécient pas.
L'exemple du Doubs, département rural et karstique, montre que des solutions existent. La DDASS a aidé les maires à résoudre ce problème en identifiant les causes des contaminations bactériennes et en proposant des solutions : mise en place de traitements adaptés (produits chlorés, UV, membranes), adhésion à un syndicat des eaux et raccordement. L’effort doit porter aussi sur l'entretien correct et régulier des installations, une mesure simple mais qui demande des financements : la bonne volonté des élus n'est pas suffisante. Dans les Alpes de Haute Provence, un SATEP (Service d’assistance technique à l'eau potable) a été créé fin 98 qui garantit la bonne exploitation et apporte une assistance ponctuelle aux communes. L'organisation est donc la première réponse à envisager pour améliorer la qualité de l'eau distribuée. Une étude inter-agences de l'eau réalisée par BRL Ingénierie montre que les habitudes doivent changer : il faut structurer l’assistance technique, organiser les moyens d'exploitation (regroupements) et recourir à la prestation de service. L’accroissement du prix de l'eau dans ces communes rurales est inéluctable et une certaine progressivité est possible par l'utilisation d’emplois-jeunes et des aides des agences de l'eau. Avant de se poser des problèmes techniques (les solutions existent) c'est bien d’organisation dont il faut parler.
Aucune illusion
On ne se fait plus d’illusions sur la dégradation inéluctable de la ressource dans un certain nombre de régions du fait de la lente percolation des polluants. La protection amont de la ressource et la gestion des prélèvements d’eau deviennent ainsi un paramètre d'action supplémentaire (mais également une complication) pour assurer la qualité finale de l'eau. Des expérimentations apparaissent comme sur le bassin de l'Horn (Finistère) où Lyonnaise des Eaux collabore avec les différents partenaires (Agence de l’Eau, DDA, monde agricole, associations) pour mieux gérer la ressource, endiguer sa dégradation. Daniel Villesot, directeur technique à la Lyonnaise se dit très intéressé par cette expérience : « L'objectif est de parvenir à une certaine gestion prévisionnelle de la ressource, et de pouvoir avertir les installations de production d’eau potable afin de gérer des variations de qualité ». Cette réflexion en amont touche aussi les eaux souterraines avec les modélisations d’aquifères utilisées depuis quelques années (nappe de la craie en Normandie, Ouest parisien, Aquitaine) pour optimiser les prélèvements dans ces nappes. La modélisation pourrait aussi se révéler utile pour suivre l’évolution de micropolluants, pesticides par exemple (réactions dans l’aquifère) ou pour les eaux de surface avec les proliférations algales (et d’éventuelles toxines).
Le congrès mondial de l'eau à Paris début juillet l’a montré : la grande préoccupation des producteurs d’eau aujourd’hui est le risque pathogène, même si les autres problèmes ne sont pas oubliés : éléments toxiques (plomb, arsenic, voir encadrés), micropolluants (pesticides et dérivés), odeurs et goûts, dureté excessive ou insuffisante. Les procédés d’élimination ou de correction sont connus, l'important aujourd’hui est de bien les maîtriser, de les perfectionner pour répondre aux exigences de la directive européenne qui entrera en vigueur d'ici fin 2000. Cette connaissance fine du procédé
de potabilisation est d’autant plus importante qu’un certain nombre de micropolluants sont générés dans le procédé lui-même (trihalométhane, dérivés de l’oxydation partielle des pesticides, bromates, composés odorants). Cette optimisation du procédé est déjà entamée, comme le souligne Marie-Marguerite Bourbigot de Vivendi Water : « La modélisation hydraulique des réservoirs permet de mieux maîtriser les temps de contact des réactifs, d’éviter les zones mortes ; nous revoyons aussi les techniques de transfert gaz-liquide. Pour l’ozone, les mélangeurs statiques en deux étapes (dissolution puis dilution) améliorent les conditions de réaction ». Tendance confirmée par Francis Luck d’Anjou Recherche qui souligne l’importance de « décortiquer » les mécanismes de formation de composés indésirables comme les bromates, les odeurs, pour éviter de les former. Ces connaissances transférées aux usines compliquent la conduite de l’usine, la rendent plus pointue. On est loin de l’époque où l’on pensait « qui peut le plus peut le moins » et où l’on forçait sur les doses de réactifs.
Faire évoluer les procédés
Un autre fait qui agit sur la conduite des procédés est la prise en compte de la variabilité saisonnière de la ressource (température, types de matières en suspension ou dissoutes notamment) et en relation avec les pratiques culturales (épandages). La performance des membranes est moindre à basse température, les coagulants se comportent différemment. De même les exploitants évitent les interventions sur les filtres à charbon actif au printemps et en été car les teneurs en pesticides s’accroissent à ces périodes.
Les recherches sur les charbons actifs se développent pour mieux estimer leurs domaines de fonctionnement et leurs performances, donc la durée de vie des filtres. Au-delà, des études essaient de prévoir l’adsorption d’un composé à partir de sa structure moléculaire et ses différentes propriétés. Mais là encore l’exploitation a une influence décisive sur les performances : comme le souligne Maria Prados de la direction technique de Générale des Eaux « la rétention sur charbon actif est un processus compétitif entre les différentes matières dissoutes (pesticides, matières organiques) ; un composé peut-être relargué si les conditions changent ».
Depuis quelques années, on ne cherche plus à oxyder les pesticides pour les éliminer (problème des sous-produits), mais à optimiser leur rétention sur les charbons actifs en jouant sur leur complémentarité : la poudre utilisée en tête de filière (utilisée en consommable) et les grains utilisés en fin de filière pour l’affinage (avec régénération possible). Stereau, avec son procédé Carboflux breveté en 1997, s’écarte de ce schéma en utilisant seulement du charbon en poudre dans un réacteur à lit fluidisé. L’objectif est de fiabiliser le système de potabilisation et d’encaisser des variations importantes de concentration de pesticides. La forte capacité de rétention est obtenue par la concentration élevée du charbon (3 à 5 g/l) et le temps de contact important (30 minutes).
Comme le résume Michel Riotte, directeur du développement de Stereau, « on a l’efficacité de la concentration en g/l et une consommation qui se compte en g/m³ ».
Deux installations sont en service à Beaumont (300 m³/h) et Andrézieux (400 m³/h) ; l’année 2000 est marquée par la mise en service d’une unité de 3 000 m³/h (retenue sur le Jaunay pour les Sables d’Olonne) et à Ploërmel (400 m³/h). En outre, précise M. Riotte, le Carboflux réagit très vite aux problèmes d’ammoniaque. Autre possibilité du charbon actif, son couplage avec les membranes d’ultrafiltration comme le fait le procédé Cristal de Lyonnaise des Eaux. Jean-Michel Lainé, de la Lyonnaise, indique que onze installations de ce type seront mises en service cette année, dont Lausanne avec
65 000 m³/j. La panoplie de procédés est donc large. Plus les études avancent, plus il est évident que la chasse à la turbidité est une priorité en raison de tout ce qui se trouve lié aux particules en suspension. La première étape de floculation a donc intérêt à être menée aussi soigneusement que possible, tous les traiteurs d’eau sont d’accord sur ce point. La variété des coagulants aujourd’hui disponibles offre de nouvelles possibilités. De plus il faut pousser au maximum l’élimination des matières organiques pour éviter la formation de sous-produits d’oxydation. La tâche des bureaux d’études est donc d’assurer la cohérence globale du procédé face à une ressource en eau particulière et pas seulement de mettre bout à bout des étages de traitement.
Les membranes
montent en puissance
Pourtant, devant la multiplicité des problèmes à traiter (pesticides, microbiologie, matière organique dissoute, matières en suspension, goûts), la tentation est forte de recourir aux membranes dans les cas délicats. D’autant plus que cette technologie est mûre même si les développements se poursuivent. Le professeur Ben Aim, de Toulouse, voit l’avenir dans les fibres immergées travaillant avec une faible perte de charge, donc dans leurs meilleures conditions. La baisse des prix favorisera ce mouvement bien réel : J.M. Lainé indique ainsi qu’un module ayant un prix de 100 en 1994 est à 30 en 2000 ! On voit apparaître des modules unitaires de 125 m² (Ultrazur 450), eux mêmes assemblés en rack standard : 3 000 m² de membranes en 24 modules pour une emprise au sol de 27 m² ! Les usines de grande capacité, plus de 150 000 m³/j ne font plus peur. « Il ne faut pas invoquer brutalement le coût d’investissement (1 500 à 2 500 F par m³/j de capacité), mais comparer effectivement deux filières complètes, y compris la notion de risque résiduel dans les deux cas » rappelle Kader Gaid d’OTV. Ce dernier paramètre (tendre vers le risque zéro) va prendre de l’importance à l’avenir. Pour l’instant il existe moins d’une cinquantaine d’installations pour l’eau potable en France, essentiellement des petites, sur des eaux karstiques, où elles ont démontré la souplesse de leur exploitation : de quelques pourcents de temps de fonctionnement jusqu’à l’utilisation continue. Les membranes peuvent aussi être utilisées en complément d’une installation existante pour accroître sa capacité (multiplication par deux ou trois). Leur gros avantage est qu’elles peuvent accepter des pointes de pollution très élevées sans que la qualité du perméat ne soit trop affectée ; c’est vrai sur la turbidité (ultrafiltration) et sur les matières dissoutes (nanofiltration) alors que des techniques comme le charbon actif risquent une saturation rapide. Par contre, et particulièrement sur les grosses usines, va se poser le problème du rejet (environ 15 % du volume soit 25 000 à 30 000 m³/j) : les membranes ne font que séparer, donc concentrer les matières indésirables. Peut-on vraiment les remettre dans le milieu lorsqu’il s’agit de composés toxiques ? C’est la question que s’est posée la société Eurodia à propos de l’électrodialyse pour l’élimination des nitrates (voir encadré). Cette technique est encore jugée trop chère par les grands traiteurs d’eau, pourtant il semble qu’il y ait un créneau.