Les ressources exploitées pour la production d'eau potable peuvent avoir deux origines : — les eaux superficielles, qui sont sensibles aux pollutions accidentelles. En général, le traitement des eaux de surface est complexe et onéreux tant en investissements qu’en exploitation (plusieurs réactifs à mettre en œuvre, variabilité dans le temps de la composition de l'eau impliquant soit un automatisme coûteux soit un personnel de surveillance accru) ; — les eaux souterraines, beaucoup plus abondantes que les eaux de surface et qui sont à l'abri dans l’aquifère ; leur composition est très stable et leur traitement (sauf cas spécifiques) est en général réduit, facile et peu onéreux. Cependant, les eaux de nappe présentent parfois des teneurs en fer et en manganèse à des concentrations supérieures à celles fixées dans les normes CEE pour l'eau de boisson (tableau).
Tableau
Éléments | Fer total | Manganèse |
---|---|---|
Nombres guides (en mg/l) | 0,05 | 0,02 |
Concentrations maximales admissibles (en mg/l) | 0,20 | 0,05 |
ORIGINE DU FER ET DU MANGANÈSE, UTILITÉ, INCONVÉNIENTS
Le fer et le manganèse présentent des propriétés chimiques semblables et sont presque toujours associés à l’état naturel.
Par ordre d'importance, le fer est, après l’aluminium, le deuxième métal que l'on rencontre dans la croûte terrestre, dont il représente 4,5 à 5 % en poids, le manganèse moins abondant, n'y entrant quant à lui, que pour 0,08 à 0,1 %.
Ces éléments ne sont pas toxiques aux doses habituelles rencontrées dans les eaux et sont même indispensables à la vie (le fer, par exemple, est un des constituants essentiels des globules rouges du sang et le manganèse fait partie des oligo-éléments nécessaires à notre équilibre alimentaire). Ils sont cependant indésirables lorsque leur concentration dépasse celles fixées par la norme, à la fois en raison des désordres qu’ils peuvent entraîner dans les réseaux et des inconvénients liés à leur présence dans l’eau distribuée aux abonnés (dépôts rouges ou noirâtres dans les réseaux ou dans les réservoirs, obstruction possible de la robinetterie ou des compteurs, goût et couleur désagréables, phénomène des « eaux rouges », gêne ou impossibilité d’utiliser l’eau dans certains procédés industriels, taches sur l'émail et le linge).
Malgré l'abondance des deux métaux dans le sous-sol, les exploitants ont pu constater très tôt que des captages proches pouvaient en contenir parfois des proportions très différentes.
Cette situation a plusieurs origines dans lesquelles les conditions physiques et hydrogéologiques sont certainement prépondérantes. C'est ainsi que les couches aquifères des terrains à forte perméabilité et qui permettent donc des échanges rapides avec l'eau des précipitations riches en oxygène (eaux de pluie ou de fonte des neiges) contiennent en général de l'eau très faiblement chargée en fer ; au contraire, les terrains à faible perméabilité, ou ceux situés sous des couches imperméables présentent en général des eaux pauvres en oxygène et contenant beaucoup de fer et de manganèse.
manganèse. La teneur en ces métaux peut changer dans de fortes proportions dans l’aquifère même sur quelques mètres.
La nature des roches en contact avec l'eau a une influence importante sur la composition chimique de celle-ci (par exemple sur sa teneur en fer s’il y a présence de pyrite ou de marcassite qui sont des sulfures de fer).
La concentration en fer de l'eau dépend aussi de sa teneur en oxygène. La solubilité du fer et du manganèse (et donc leur concentration dans l'eau) sont fonction également du potentiel Redox (Eh), en relation étroite avec la teneur en oxygène et du pH, comme l'indique le diagramme simplifié reproduit sur la figure 1.
Le fer peut être présent communément à deux stades d’oxydation : sous forme divalente (Fe²⁺ — fer ferreux — soluble) ou sous forme trivalente (Fe³⁺ — fer ferrique — peu soluble). Des réactions réversibles permettent de passer d'un degré d'oxydation à l'autre avec échange de protons (H⁺ qui détermine le pH) et d'électron (e⁻ qui détermine le potentiel d'oxydo-réduction). Voici par exemple une réaction type dans l'eau :
3 H₂O + Fe²⁺ ⇌ Fe³⁺ + 3 OH⁻ + e⁻ + 3 H⁺ précipité d’hydroxyde ferrique Fe(OH)₃
Le manganèse peut exister également à différents degrés d’oxydation et notamment sous forme divalente (Mn²⁺ — manganèse manganeux — soluble) ou sous forme tétravalente (Mn⁴⁺ — forme peu soluble). Une réaction possible en milieu aqueux est la suivante :
4 H₂O + Mn²⁺ ⇌ Mn⁴⁺ + 4 OH⁻ + 2 e⁻ + 4 H⁺ précipité noir de MnO(OH)₂, H₂O.
On voit sur le graphique que les deux métaux s’oxydent pour une même valeur de pH à des potentiels nettement différents. Ces valeurs de potentiels ne sont pas absolues et peuvent varier en fonction des autres constituants de l'eau.
LES BACTÉRIES DU FER ET DU MANGANÈSE
En fonction des caractéristiques physico-chimiques de l'eau (teneur en oxygène, pH, concentration en matières organiques et minérales, absence ou faible concentration en inhibiteur) il y aura une sélection naturelle et un développement préférentiel des bactéries les mieux adaptées au milieu ; les autres, sans disparaître, verront néanmoins leur croissance limitée (ou bien on observera une neutralisation de leur action ou de leur multiplication).
La présence de fer et de manganèse associés et des conditions favorables à leur développement permettent la croissance de bactéries. Celles-ci catalysent par la production d’enzymes spécifiques des réactions exothermiques d’oxydation capables d’alimenter leur métabolisme, et cela grâce à l'énergie libérée. Par exemple, en partant du fer et du manganèse à l’état d’oxydes divalents, l'oxydation s’opère suivant les réactions ci-après :
2 FeO + 1,5 O₂ + 3 H₂O → 2 Fe(OH)₃ + 1 057 joules 2 MnO + 0,5 O₂ + 2 H₂O → 2 MnO(OH)₂ + 167 joules
On voit que l’oxydation du fer libère six fois plus d’énergie que celle du manganèse, ce qui explique qu’il soit plus facile d’éliminer, par oxydation biologique, le fer plutôt que le manganèse.
Ces micro-organismes peuvent être soit autotrophes ou chimiolithotrophes (utilisant comme source de carbone le dioxyde de carbone ou les bicarbonates de l’eau ; c'est le cas principalement des bactéries du fer), soit hétérotrophes ou chimio-organotrophes (utilisant un carbone d'origine organique ; c’est plutôt le cas des bactéries du manganèse). Entre ces deux extrêmes, il existe toutes les nuances possibles.
De nombreuses bactéries participent à l’oxydation du fer et du manganèse et ont été recensées ; nous citerons les deux principales :
— du genre Gallionella ferruginea (aérobie, vraisemblablement autotrophe) : cette bactérie en forme de rein développe, à partir d'une particule du terrain, grain de sable par exemple, de longs pédoncules filamenteux, torsadés du fait de la rotation permanente de la bactérie elle-même. Les filaments ainsi formés fixeront les précipités d’hydroxyde ferrique sous forme d'un « chapelet » à l'intérieur de son organisme ; ils peuvent atteindre quelques millimètres de long. Le fer précipité est incorporé aux sécrétions produites par les ferrobactéries à l'extérieur des pédoncules. L’hydroxyde est beaucoup plus dense que celui obtenu avec les traitements physico-chimiques classiques et donc beaucoup moins colmatant. En outre, la texture de réseau spongieux, formée par les filaments bactériens, se développe principalement sur la périphérie des pores du terrain et n'affecte que peu la perméabilité de celui-ci. La grande surface offerte par les pédoncules permet en outre d'absorber du fer ferreux dissous, grâce aux forces de Van der Waals, ceci constituant vraisemblablement la première étape avant l'oxydation par les bactéries d'une partie du fer ainsi piégé.
— du genre Leptothrix (aérobie, hétérotrophe) : les bactéries se présentent sous forme soit de cellules isolées, soit de chaînes de cellules qui concentrent dans leur gaine le fer et l’oxyde de manganèse (MnO₂) précipités.
PRINCIPE DE LA DÉFERRISATION – DÉMANGANISATION BIOLOGIQUE IN SITU
Afin de provoquer l’oxydation, la précipitation et la rétention du fer et du manganèse, la méthode consiste à exploiter le phénomène naturel décrit ci-dessus. Dans le cas d'une eau souterraine chargée en fer et manganèse dissous, l’élément déficitaire est presque toujours l’oxygène. Le procédé consiste donc à injecter de l'eau enrichie en oxygène, et ne contenant ni fer ni manganèse, grâce à une couronne de petits forages disposés autour du puits à traiter. On crée et on entretient ainsi une zone à haut pouvoir d’oxydation qui favorise le développement des bactéries du fer et du manganèse potentiellement présentes dans la majorité des nappes.
L'eau contenant en solution le fer et le manganèse, drainée par pompage depuis la périphérie, traverse la ceinture enrichie en oxygène au sein de laquelle l'action de nombreuses bactéries provoque l’oxydation de ces métaux et leur rétention. On pourra donc extraire au niveau du puits central une eau déferrisée et démanganisée.
MODE D’ACTION DU PROCÉDÉ
Le schéma d'une coupe-type d'un puits traité est représenté sur la figure 2.
On rencontre quatre zones depuis la périphérie jusqu’au puits central :
- — la première, la plus éloignée de celui-ci et des forages d’injection où se situe la nappe d’origine, contient du fer et du manganèse réduits en solution, une teneur faible en oxygène, un potentiel redox de l’ordre de + 100 mV et peu de bactéries aérobies ;
- — la deuxième, située à l’intérieur de la première, correspond à l’enveloppe extérieure de la « sphère » d’eau aérée, créée par l’injection dans les forages périphériques ; là, le potentiel est supérieur à + 200 mV, les bactéries du fer sont en grand nombre, l’oxygène assez abondant ; c’est la zone de précipitation et de rétention du fer oxydé ;
- — la troisième, à l’intérieur de la deuxième, où la teneur en oxygène est forte, le potentiel de l’ordre de + 600 mV et où les bactéries du manganèse sont les plus nombreuses : c’est la zone de précipitation et de dépôt du manganèse oxydé où les bactéries utilisent la matière organique (pouvant provenir des bactéries mortes) comme source de carbone ;
- — enfin la quatrième, qui va jusqu’au puits central où l’eau est exempte de fer et de manganèse.
Au cours de l’exploitation, ces sphères vont diminuer de volume au fur et à mesure de la consommation d’oxygène par les bactéries, d’où la nécessité de procéder à des injections intermittentes.
DESCRIPTION DES INSTALLATIONS
Les installations-types où s’applique le procédé Vyredox sont équipées de la façon décrite ci-après.
Chaque puits de production est entouré généralement de 3 à 8 forages d’injection de petit diamètre, crépinés et gravillonnés sur la hauteur de l’aquifère exploitée.
De l’eau déferrisée et démanganisée, provenant soit d’un autre puits traité soit d’un réservoir, aérée grâce à un oxygénateur spécial, passe ensuite dans un bac de dégazage lequel permet d’éliminer l’air en excès ainsi qu’éventuellement d’autres gaz (H₂S, CO₂).
La pompe du puits de production que l’on doit traiter est arrêtée.
L’eau aérée sortant du bac est injectée soit gravitairement soit par pompage simultanément dans tous les forages d’injection (et parfois dans le puits central) à un débit proche du débit de production ; cette opération dure environ 20 heures et permet de constituer une sphère d’eau aérée continue autour du puits de production.
Un temps de contact de 4 heures est ensuite observé pour « fixer » la zone d’oxydation.
Ainsi traité, le puits est prêt à produire de l’eau déferrisée et démanganisée ; toutefois, après exploitation pendant une à plusieurs semaines, suivant la station, l’eau extraite montrera des traces croissantes de fer et de manganèse et, avant que les concentrations fixées par les normes de potabilité ne soient atteintes, on procédera à une nouvelle injection d’eau aérée.
L’efficacité du traitement de déferrisation et de démanganisation n’atteint ainsi sa pleine efficacité qu’après une période de démarrage pendant laquelle se développe et s’installe la population des bactéries dans la zone d’injection. Pendant cette période de montée en régime, le rendement (volume d’eau traitée produite divisé par volume d’eau aérée injecté) va croître puis se stabiliser. Habituellement, il évolue de 2 à 10 environ mais peut atteindre 20 dans certains cas au bout de 15 à 20 cycles « injection-production ». Il est possible d’automatiser complètement l’ensemble du traitement.
Il existe une nouvelle technique de traitement appelée Vyregard, développée par la société suédoise Vyrmetoder, qui est également basée sur le principe de l’oxydation biologique in situ, mais dont la technologie d’application est différente et originale. Cette technique permet de traiter un puits isolé sans faire appel pour l’injection à une source extérieure d’eau traitée.
Le puits de production est entouré de petits forages satellites comme dans le procédé Vyredox, leur nombre et leur emplacement étant toutefois adaptés pour cette application spécifique.
L’eau aérée produite grâce à un oxygénateur et à un bac de dégazage de plus petite dimension que dans le premier cas est injectée pendant de courtes périodes et à un débit plus faible que celui du puits central.
L’eau aérée est injectée simultanément par exemple dans deux forages d’injection, puis, après achèvement du temps fixé, les deux forages suivants de la couronne sont traités à leur tour.
Dans ce procédé, le puits de production n’est pas arrêté pendant l’injection et il est donc toujours disponible pour l’alimentation du réseau.
L’automatisation intégrale du procédé est également facilement réalisable.
CONCLUSION
La société SOBEA, qui exploite la licence de la société Vyrmetoder en France, a déjà installé plusieurs stations de déferrisation-démanganisation biologique in situ. La première en date est celle de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) qui a été équipée en 1977 et traite un débit de 200 m³/h ; la plus récente vient d’être construite en 1985 à Lattes (Hérault) pour un débit de 150 m³/h.
Il existe dans le monde à ce jour plus de cinquante stations réparties dans neuf pays, la plus ancienne ayant été construite en 1970 en Finlande.
Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, l’adoption du traitement biologique in situ, par rapport à une station classique, permet une économie qui peut atteindre 20 à 45 % des frais d’investissement et 15 à 25 % des dépenses d’exploitation, en fonction du débit traité.