Le décret du 20 décembre 2001 résulte de la transposition en droit français de la directive 98/83 qui elle-même reprenait la directive 80/778, la première concernant l'eau potable. Ce nouveau décret introduit une clarification dans les différentes définitions, exigences de qualité et obligations de surveillance et de contrôle. Explications.
Antoine Montiel, Directeur Qualité et Environnement de la SAGEP Franck Finance-Madureira, Mission Communication Externe SAGEP
Le décret 2001-1220 du 20 décembre 2001 correspond à la transposition dans la législation française de la directive Européenne 98/83 et remplace le décret 89-3 sur les eaux destinées à la consommation humaine. Les modifications du texte concernent :
- la définition de l'eau destinée à la consommation humaine,
- les exigences et qualités requises pour différents paramètres,
- l'obligation d’autosurveillance du distributeur d’eau,
- les non-conformités et les dérogations pouvant être apportées.
Modifications apportées au niveau des définitions
Définition de l'eau destinée à la consommation humaine
Une première différence apparaît dans l'article premier des deux décrets concernant le champ d’application de chacun d’eux. Le
Le décret 2001-1220 précise dans son article 1.1 qu'il concerne « toutes les eaux qui, soit en l'état, soit après traitement, sont destinées à la boisson, à la cuisson, à la préparation d'aliments ou à d'autres usages domestiques, qu'elles soient fournies par un réseau de distribution, à partir d'un camion-citerne ou d'un bateau-citerne, en bouteille ou en conteneur, y compris les eaux de source ». Le décret 89-3 ne stipulait que « les eaux livrées à la consommation, conditionnées ou non ». Cette différence n’est pas sans conséquence, puisque les autres usages domestiques de l'eau intègrent l'eau utilisée pour la toilette corporelle par exemple, ce qui introduit d'autres risques dus à l'eau, notamment :
- les risques dus au contact avec l'eau :
- physico-chimiques : allergies cutanées, passage de micropolluants organiques à travers la peau : THM, solvants chlorés...
- microbiologiques : Pseudomonas aeruginosa
- les risques dus à l'inhalation :
- physico-chimiques : produits volatils (THM, solvants chlorés)
- microbiologiques : légionelles
Le point de vérification de la qualité de l'eau
Antérieurement, l’eau devait satisfaire aux obligations de résultats à la mise à disposition de l'eau. Le nouveau décret précise que c'est au robinet normalement utilisé pour la consommation de l'eau que se vérifie désormais la qualité de l'eau (article 3-a). Toutes les analyses de contrôles sont effectuées dans le réseau de distribution et chez les consommateurs. Ceci implique la prise en compte de l'éventuelle dégradation de la qualité de l'eau dans le réseau intérieur des immeubles. L'eau chaude est donc aussi concernée par ce décret. Des paramètres spécifiques de dégradation de la qualité de l'eau à l'intérieur des immeubles sont à maîtriser :
- plomb, cuivre, nickel : pour les paramètres physico-chimiques ;
- légionelles : pour les paramètres microbiologiques.
Le paramètre légionelles ne figure pas en tant que tel dans les obligations de résultats, mais il est spécifié que l'eau ne doit pas contenir de pathogènes à un niveau tel qu'il y ait un risque inacceptable pour la santé des utilisateurs (article 2-1).
Une partie spécifique du décret du 20 décembre 2001 traite du plomb et des obligations associées (articles 35-36-37). Le distributeur doit retirer avant le mois de décembre 2013 tous les branchements en plomb. Pour les immeubles desservant de l'eau au public, cette obligation doit être garantie avant le mois de décembre 2003. Chaque année, il doit, dans le cadre de son rapport annuel, donner le nombre de branchements renouvelés et le nombre de branchements restants à renouveler.
De plus, il doit fournir dans l'année qui suit la parution du décret des informations sur le potentiel de corrosivité de l'eau vis-à-vis du plomb pour toutes les unités de distribution qu'il dessert (articles 30, 36 — 5-II-6).
Si la dégradation de la qualité n'est pas attribuable à l'eau mais au réseau privé de l’immeuble, il doit minimiser les risques de corrosivité de l'eau et informer les propriétaires pour les immeubles desservant de l'eau au public (articles 20, 30.1, 36). Pour les autres immeubles, il n'y a qu'une obligation d’information et de conseil (article 20) 30.11.
Le décret du 20 décembre 2001 impose également certaines règles techniques concernant les réseaux privés à l’intérieur des immeubles. Ces règles techniques prennent de l'importance puisque la qualité de l'eau se mesure au robinet du consommateur, et non comme par le passé à la mise à disposition de l'eau. L’article 29 rappelle par exemple que les règles d'hygiène doivent être respectées dans les réseaux à l'intérieur des immeubles. L’article 32 précise que les matériaux utilisés ne doivent pas être susceptibles d’altérer la qualité de l'eau. Les maté-
[Figure : Dérogations article 24.]Les matériaux doivent être agréés après avis de l’AFSSA. Les produits et procédés de traitement doivent, eux aussi, être agréés. Les réseaux intérieurs ne doivent pas pouvoir perturber le fonctionnement des réseaux auxquels ils sont raccordés (phénomènes de retours d’eau…). Un arrêté précisera les protections à mettre en place. De plus, si un traitement complémentaire de l’eau est effectué dans l’immeuble, il faut que le consommateur puisse disposer d’un robinet recevant de l’eau non traitée, et que les produits et procédés utilisés soient autorisés.
La définition du distributeur
Dans l’ancien décret, on utilisait le terme d’« exploitant » pour représenter le producteur et/ou le distributeur. Dans le nouveau décret, on précise que c’est « la personne publique ou privée responsable de la distribution de l’eau ». Cette définition est en accord avec le fait que les contrôles de la qualité de l'eau ne sont effectués qu’en distribution (articles 13, 14, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 30, 36, 38, 51, 52).
La turbidité de certaines eaux souterraines
Toutes les eaux souterraines dont la turbidité dépasse de façon épisodique 2 NTU sont dites : « eaux souterraines influencées par des eaux de surface », et doivent subir les mêmes traitements que ceux mis en œuvre pour des eaux de surface en fonction de leur classement (A1, A2, A3) (annexe 1.1 b - turbidité).
La date d’application du décret
Celui-ci s’applique à la date de parution au Journal Officiel du décret. Cependant, les annexes 1.1 et 1.2 ne sont applicables qu’au 24 décembre 2003 (article 4, 50-53-4). Jusqu’à cette date, c’est le décret 89-3 qui doit s’appliquer.
Définition des exigences de qualité requises
Exigence de qualité de l'eau destinée à la consommation humaine
L’ancien décret séparait les exigences de qualité en deux grandes parties : les exigences de qualité microbiologique et les exigences de qualité physico-chimiques. Ces dernières étant séparées en six groupes (annexe 1.1) :
- - les paramètres organoleptiques ;
- - les paramètres physico-chimiques ;
- - les paramètres concernant les substances indésirables ;
- - les paramètres concernant les substances toxiques ;
- - les pesticides et molécules apparentes ;
- - les paramètres concernant les eaux adoucies.
Une autre liste concernait des niveaux guide pour certains paramètres physico-chimiques (annexe 1.2). Le nouveau décret a certes
repris deux annexes, mais de manière tout à fait différente (article 2.1) : d'abord, les exigences de qualité sont désormais classées en deux catégories (annexe 1.1)
a) les paramètres microbiologiques indicateurs d'un risque microbiologique ; b) les substances chimiques toxiques.
Tous les paramètres de l'ancien décret qui n'avaient pas d’incidence sur la santé ont été supprimés. Par contre, certains des paramètres de la nouvelle directive de l'OMS (1994 et 1998) qui pouvaient induire un risque inacceptable pour la santé ont été introduits. Le choix pour les nouveaux paramètres a été de prendre de préférence ceux qui induisent un risque de cancer avec un facteur 10-6 (un cancer additionnel pour un million d’habitants) : exemple le benzène (OMS 10/Union européenne 1).
Au paramètre pesticides, ont été ajoutés les métabolites pertinents : produits de dégradation ou de réaction de ces molécules. Le décret a introduit, en plus de la Directive, des exigences de qualité de l’eau sur la turbidité à l'entrée dans le réseau de distribution pour les eaux traitées de surface ou influencées par des eaux de surface (annexe 1.1.1.2, article 53).
Pour certains paramètres, dont l’origine essentielle est due soit aux réactifs utilisés pour le traitement de l'eau, soit aux matériaux en contact avec l'eau, la vérification du paramètre ne se fait pas sur l'eau, mais sur les réactifs et les matériaux en contact avec l'eau. Cela concerne l’acrylamide, le chlorure de vinyle et l’épichlorhydrine (annexe 1.1).
Ensuite, les références de qualité concernent soit des paramètres bactériologiques, soit des paramètres physico-chimiques (article 2.11 – annexe 1.2). Ces paramètres sont des indicateurs d'efficacité de traitement ou de dégradation de la qualité de l’eau. L'objectif de qualité a été fixé pour la turbidité des eaux de surface ou influencées par des eaux de surface après filtration et pour toutes les eaux au robinet du consommateur (article 53). De même, un objectif de qualité a été fixé sur les chlorites (produit de réaction de bioxyde de chlore) afin d’être pris en compte.
Tableau 1 : Qualité des eaux destinées à la consommation humaine : limites de qualité
Paramètres | Décret 89-3 | Décret 2001-1220 |
---|---|---|
Acrylamide | — | 0,10 µg/l |
Antimoine | 10 µg/l | 10 µg/l |
Arsenic | 50 µg/l | 10 µg/l |
Baryum | — | 0,7 mg/l |
Benzène | — | 1 µg/l |
Benzo(a) pyrène | — | 0,010 µg/l |
Bore | — | 1,0 mg/l |
Bromates | — | 10 µg/l |
Cadmium | 5,0 µg/l | 5,0 µg/l |
Chrome | 50 µg/l | 50 µg/l |
Chlorure de vinyle | 0,50 µg/l | 0,50 µg/l |
Cuivre | 1,0 mg/l | 2,0 mg/l |
Cyanures totaux | 50 µg/l | 50 µg/l |
1,2 dichloroéthane | — | 3 µg/l |
Épichlorhydrine | — | 0,30 µg/l |
Fluorures | 1,5 mg/l | 1,5 mg/l |
HAP | 0,20 µg/l | 0,10 µg/l |
Mercure total | 1,0 µg/l | 1,0 µg/l |
Microcystine-LR | — | 1 µg/l |
Nickel | — | 20 µg/l |
Nitrates | 50 mg/l | 50 mg/l |
Nitrites | 0,10 mg/l | 0,50 mg/l |
Pesticides | 0,10 µg/l | 0,10 µg/l |
Total pesticides | 0,50 µg/l | 0,50 µg/l |
Plomb | 50 µg/l | 25 µg/l |
Sélénium | 10 µg/l | 10 µg/l |
Tétrachloroéthylène et trichloroéthylène | 10 µg/l | 10 µg/l |
Total THM | — | 100 µg/l |
Turbidité | — | 1 FNU |
homogène avec les autres traitements d'oxydation désinfection : chlore (THM) ; ozone (bromate).
Exigences de qualité des eaux brutes destinées à la production d'eau pour la consommation humaine
Les annexes I.3 et II du décret 89-3 ont été reprises pour tenir compte des modifications d'exigence de qualité pour certains paramètres et des trois types de traitement minimum (T1, T2, T3) exigés pour les eaux de qualité A1, A2, A3 ; certaines valeurs ont été modifiées : plomb, arsenic, pesticides... En effet, les traitements T1 ne sont constitués que d'une filtration et d'une désinfection. Ils ne sont donc pas aptes à retirer les micropolluants organiques et minéraux. Les traitements T2 (coagulation - floculation - séparation - filtration et désinfection ou clarification biologique et désinfection) ne sont pas aptes à retenir les micropolluants organiques.
Obligations d'autosurveillance
Comme dans l'ancien décret, l'obligation d'autosurveillance est bien spécifiée. L'article 18 précise que l'exploitant (personne publique ou privée) doit surveiller en permanence la qualité de son eau. Cette surveillance est bien mieux précisée que dans le décret 89.3. Elle comprend un examen régulier des installations, un programme de tests ou d'analyses effectués sur des points déterminés en fonction des risques identifiés que peuvent présenter les installations et la tenue d'un fichier sanitaire recueillant l'ensemble des informations collectées à ce titre. Pour les traitements de désinfection, on doit vérifier l'efficacité de cette étape et maintenir au plus bas les sous-produits formés, sans compromettre la désinfection. Cela concerne pour l'annexe I.1 les THM et les bromates. Les articles 4.1 et 50 et 53 précisent les dates à respecter pour la conformité à cette annexe de ces paramètres. Cela concerne pour l'annexe I.2 les chlorites. L'article 18.11 préconise, en plus de la mise en place d'une démarche qualité, la mise en place d'un système HACCP.
Dans le nouveau décret, il est précisé qu'un plan d'autosurveillance doit être remis au préfet en début de chaque année (article 18-I, III). Une réduction du contrôle officiel peut être acceptée par l'autorité sanitaire à condition (article 18-Ia, b) :
- - d'être en assurance qualité ;
- - d'avoir une démarche HACCP ;
- - que le laboratoire soit en assurance qualité vérifiée par un organisme extérieur ;
- - que les résultats d'autosurveillance soient fournis tous les mois au Préfet.
La réduction du contrôle ne peut pas concerner les exigences microbiologiques de la qualité de l'eau.
Non-conformité de la qualité de l'eau : dérogations, informations, conseils aux consommateurs
Contrairement aux dispositions du décret 89.3, des dérogations sont possibles pour des non-conformités concernant des paramètres de l'annexe I.1 (exigence de qualité) (articles 19, 20, 21, 22). Le décret définit très clairement toutes les exigences associées à la demande d'une dérogation (article 24), avec information systématique du public (articles 23-24.V). Dans les articles 19 à 24, une bonne clarification des responsabilités des différents responsables intervenant est faite : Préfet, personne publique ou privée responsable de la distribution publique, personne publique ou privée responsable de la distribution privée, propriétaires, où de l'eau est distribuée au public, autres propriétaires. Les figures 1, 2 et 3 définissent nettement les dérogations pouvant être données.
Conclusion
Le nouveau décret correspond au passage du droit français de la directive 98/83 qui elle-même reprenait la directive 80/778 qui était la première concernant l'eau potable. Compte tenu de l'expérience acquise tant en Europe qu'en France, une clarification des exigences a pu être introduite dans le nouveau décret au niveau des différentes définitions, des exigences de qualité, des obligations de surveillance et de contrôle. Le nouveau décret, comme la nouvelle directive, ont laissé la possibilité aux États pour la Directive, aux Préfets pour le décret, d'accorder des dérogations. En France, ces dérogations ne peuvent être prononcées qu'après accord du Ministre de la Santé et information des populations concernées avec éventuellement des restrictions d'usage. Le décret clarifie bien les domaines de compétence de l'AFSSA et du CSHPF (article 5.I et II) - article 6.1a, articles 7, 8, 10, 15, 16, 32, 34, 36, 40, 42, 43.