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Déchetterie agro alimentaire : un garde manger prodigieux (2eme partie)

29 octobre 1993 Paru dans le N°167 à la page 34 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

Parmi les procédés de valorisation indirecte des déchets des IAA, la récupération énergétique vient en tête des préférences : incinération des déchets lignocellulosiques et graisseux, pyrolyse, méthanisation des effluents à forte DCO. Les compostage et l'épandage à des fins de valorisation agronomique, techniques moins lucratives, permettent l'élimination utilitaire en masse à l'état d'amendement sur des sols sans cesse appauvris. La toute nouvelle agrochimie du déchet, dit désormais " coproduit ", ne laisse plus de doute pour son implication imminente dans la chimie non polluante et biocompatible qui s'éveille.

Le salon Bioexpo (1), fidèle à lui-même, nous invite à reconsidérer d’urgence les biotechnologies comme indispensables à notre société, malgré un contexte dépressif de « moral en jachère » (2).

Il est désormais possible, à partir de substrats carbonés divers, de modifier ou d’induire des alignements moléculaires conduisant à des substances précieuses, allant de productions de masse avec les bio-carburants, à l’élaboration de molécules sophistiquées comme les arômes ou les parfums (Pr S. Kochman, Cavisa, juin 1993). Déjà, bien des résidus qui se trouvent répartis selon les régions et les périodes de production nationale (figure 1), pourraient être mieux valorisés. Examinons maintenant quelques filières indirectes de débouchés intéressants.

Incinération : « What if? What for? »

La biomasse apparaît comme un convertisseur commode en restitution de l'énergie solaire captée par les végétaux verts, qui offre d’intéressantes possibilités de valorisation énergétique. Dès que le pouvoir calorifique et l’humidité résiduelle du déchet se révèlent favorables, l’entreprise d’extraction ou de transformation envisage de réduire sa facture énergétique par la mise en service d’un équipement adéquat d’incinération (pour séchage de produits, chauffage des locaux, production d’eau chaude, de vapeur ou d’électricité) dont le temps de retour d’investissement serait si possible inférieur à trois ans. Nombreux sont les types de déchets répondant à cette attente.

La Coopérative Sica France-Riz incinère les balles de riz depuis 1974 (cellulose : 30 % des MS). La richesse particulière en silice des cendres (85-90 %), redoutée pour son abrasion lors de l'incinération, peut être mise à profit en récupération pour la fabrication de verre, de briques ou d’agrégats pour béton. Les anas de lin représentent aussi un bon combustible, alors que l'on exploite les fibres textiles de la tige, la farine aux vertus sédatives de la graine, l’huile siccative en peinture et le tourteau en alimentation du bétail (3). Tandis que les coques de noyaux de fruits, cassées et séchées, servent à l’alvéolage des produits réfractaires, au nettoyage et au sablage des pièces mécaniques, comme adjuvant de charge pour certaines résines, on incinère en huilerie les grignons d'olives, résidus du drupe après extraction de l’huile.

(3) Rappelons que l’un des tous premiers usages du carbone agricole à des fins industrielles fut un très célèbre revêtement de sol, mélange de jute, d'huile de lin et de liège, appelé Linoléum, dont Reims demeura longtemps l'un des hauts lieux de production.

* La première partie de cet article est parue dans notre numéro de septembre 1993.

(1) Bioexpo 93 : L’état de l’art des technologies de valorisation des biotechnologies, du 8 au 11 juin 1993 à la Porte de Versailles à Paris, salon hésitant entre agronomie, biochimie médicale et génie de l’environnement mais justifiant les trois thèmes.

(2) « Agriculture : le moral en jachère », S. Delangle, revue L’Express, 25 mai 1993.

[Photo : Production nationale des principaux déchets de récolte et de transformation (d'après RNED-DGER-ITEB-ANRED, « Les sous-produits en alimentation animale, Guide d'utilisation », septembre 1990). Répartition géographique.]

L'usine de Lagrave de la société Applitec à Moissac-sur-Tarn remplace le fioul nécessaire au séchage en tunnel par les coproduits du marc de raisin : rafles, pulpes, pépins creux et terreau résiduel. L'usine de Dieppe de la Sopad-Nestlé réalise de son côté une valorisation thermique appréciable de son marc de café, résidu de fabrication de poudres solubles de café et de chicorée, après dessiccation mécanique (humidité : 50 %, PCI : 2 100 kcal/kg), par combustion en lit fluidisé Fives-Cail et Babcock.

Pyrolyse-gazéification

La décomposition thermique en déficit d'oxygène conduit à la pyrolyse : c'est ainsi que la Coopérative Agricole Linière (CAL) du Plessis-Belleville, dans l'Oise, gazéifie ses anas de lin (humidité : 10 %, PCI : 3 850 kcal/kg) dans un gazogène Pillard. Celui-ci, qui entraîne un groupe moto-alternateur Duvant, pourvoit aux besoins en électricité de la coopérative. CAL récupère la chaleur du gazogène et des gaz d’échappement par un générateur de vapeur qui assure le chauffage des locaux et le séchage du lin.

Signalons que les établissements Duvant ont réalisé de nombreux gazogènes alimentés en déchets végétaux exotiques qui fournissent de l'énergie via un moteur à gaz : gazogène à bambou, à balles de riz, à déchets de bois, de coton et de noix de coco. Les déchets de tournesol sont appréciés en tant que coproduit d'une culture florissante (valorisation possible des tiges riches en cellulose : 49 % pour la fabrication de pâte à papier, des capitules riches en pentosanes : 14 % pour la production de furfural, les graines oléagineuses étant bien entendu exploitées en huilerie alimentaire comme produit principal). Les deux déchets de l’huilerie de tournesol restent les coques de décortication des graines (adjuvant de forage pétrolier, matériau pour les panneaux agglomérés, l'emballage alimentaire, l'isolation phonique, éventuellement) et les tourteaux d’extraction d'huile qui jouissent d’importants débouchés en aviculture (protéines : 34 %).

La Société des Huileries Bulhon à Lezoux, dans le Puy-de-Dôme, plutôt que l'incinération des coques aléatoire (PCI : 3 900 kcal/t avec 50 % de cellulose, mais une haute teneur en silice des cendres entraînant la rapide vitrification des tubes d’échangeurs) a opté définitivement pour la thermolyse (figure 2). L'installation couvre entièrement la demande de l'entreprise en vapeur et satisfait ses besoins en électricité par groupe moto-alternateur. Bien des stocks de coques de noyaux de fruits pourraient ainsi être valorisés…

Faut-il signaler que les procédés d'incinération et de pyrolyse ne sont pas réservés à la filière végétale, comme les exemples d'installation cités pourraient le laisser croire ? Les matières grasses animales, aussi. Si les établissements du Peignage d’Auchel dans le Pas-de-Calais de la Société Dewavrin brûlent les déchets de traitement de la laine avec récupération des calories, le Peignage Amédée de Roubaix a choisi la pyrolyse. Ainsi, l'unité EGCF-Pillard détruit en four rotatif le concentrat de lavage des laines (après récupération de la précieuse suintine, fournissant la lanoline, utilisée en cosmétologie, pharmacie, protection antirouille) et les déchets de battage de laine brute. L’unité dépollue et produit, via un turbo-alternateur, courant électrique et vapeur détendue ; en plus, elle récupère un pyrolysat qui, refroidi et granulé, est revendu comme engrais potassique (K₂O : 15-20 % provenant du suint salin de la laine). Ce type d'installation, en contrepartie, ne peut se concevoir que pour des unités de grande taille en raison de l'investissement élevé qu'il entraîne.

Sage compostage

L'appauvrissement des sols cultivés lié à la production intensive fait apparaître le compostage comme une filière de valorisation des résidus organiques (4). Potentiellement, ces résidus présentent une valeur agronomique certaine, monnayable ou non selon les lieux de production et la conjoncture. Plutôt que d’évacuer un rebut polluant et encombrant, résultant d’opérations extractives (figure 3), il est tout de même plus agréable de passer par une phase de déshydratation mécanique, du type presse à vis de Neyrtec, afin d’en obtenir un terreau, un humus, un compost.

L’usine Rhône-Poulenc Chimie Pharmaceutique (RPCP), de Saint-Aubin-les-Elbeuf en Seine-Maritime, fabrique entre autres produits chimiques la vitamine B₁₂ et la pénicilline par fermentation de milieux sucrés (mélasse de betteraves, saccharose) favorables au développement de…

(4) « Le compostage est-il encore une réponse au problème de l'élimination des déchets organiques », C. Faugeron, CGC, revue L'Eau, Industrie, les Nuisances, n° 153, mars 1992.

[Photo : Gazéification des coques de tournesol aux Huileries Bulhon à Lezoux (Puy-de-Dôme) (d’après « Valorisation énergétique des déchets de fabrication », AFME, 1981).]
[Photo : Dessication valorisante de déchets des IAA par presse Tasster de Neyrtec (d’après M. Pelletier, Neyrtec, Tribune de l’Eau, n° 559, octobre 1992).]

Quant aux boues calciques, leur valorisation agricole, en tant qu’amendement calcaire des terres acides, est assurée : comme les écumes de défécation de sucrerie, les boues de décarbonatation des eaux brutes d’usine (CaO : 50 %, MgO : 1 % de MS) de la Société Ato-Chimie d’Harfleur sont fournies gratuitement aux agriculteurs, ainsi que l’amendement organo-calcique issu de la fabrique de gélatine du Vaucluse (CaO : 60 %, MgO : 0,7 %, MO : 28 %).

Méthanisation

« Gas is beautiful », sans doute, et les effluents des industries agro-alimentaires possèdent des caractéristiques qui se prêtent à la méthanisation (DCO élevée de 5 à 60 g/l produisant 250 à 300 l de méthane/kg de DCO dégradée, concentration en Mès relativement faible de 0 à 3 g/l pour un extrait sec essentiellement composé de matières organiques dégradables, rapport métabolique C/N élevé, compatible avec les exigences nutritionnelles de la flore méthanogène). En France, c’est à partir de 1976 que des installations de méthanisation ont commencé à équiper les usines agro-alimentaires. Et c’est la conserverie de légumes Bonduelle, à Renescure dans le Nord, qui récupérera du méthane à partir des eaux de blancheur des petits pois et haricots verts et de pelage vapeur des carottes (0,43-0,54 m³ biogaz/kg DCO à 55-60 % en CH₄), grâce à une réalisation de Degrémont.

[Photo : Digesteur de Degrémont à la conserverie Bonduelle, de Renescure (Nord).]

Micro-organismes secrétant ces deux substances, RPCP a entrepris la valorisation en agriculture des milieux épuisés riches en éléments fertilisants (N, P, K). Après démonstration de l’absence de phytotoxicité, il s’agit du Biozan qui trouve un débouché en épandage agricole.

Bien des ateliers de compostage pourraient s’ouvrir, à l’exemple :

  • • de la SCEAC, Société Civile d’Exploitation Agricole de Coutancie en Dordogne, zone d’élevage de bovins limousins à l’engrais (broutards, génisses, taureaux, vaches de réforme) ; utilisant notamment du lactosérum brut de fromagerie, la SCEAC prépare un compost de lisier de bovins et d’écorces de résineux, mûri, criblé, ensaché avant d’être vendu,
  • • de la SFB, Société Fumure Biologique à Pont-d’Ain dans l’Ain, valorisant des déchets agro-alimentaires divers : boues d’épuration de la ville de Bourg-en-Bresse, fientes de volailles, compost résiduel des champignonnières et fumiers additionnés de tourbe (fiches établies par le service Déchets Organiques de l’ANRED, février 1982).
[Photo : Digesteur de SGN à l’usine sucrière Béghin-Say de Thumeries (Nord).]

La sucrerie d’Aulnoy-sous-Laon du Groupe de la Société Générale Sucrière, puis celle de Béghin-Say, l’un des groupes sucriers leader en Europe, pour son usine de Thumeries dans le Nord (figure 5), une réalisation SGN, allaient envoyer en digesteur les excédents d’eaux de lavage des betteraves à forte pollution carbonée. Les bilans énergétiques de ces trois installations font ressortir des gains nets, respectivement, de 720 Tep par année d’exploitation et de 600 Tep par campagne sucrière. Pour le GIE Revico de Cognac (Récupération des Vinasses de Cognac), l’ingénierie de SGN a fourni l’une des plus grosses unités mondiales de méthanisation : récupération de 1 200 Tep/an et économie de 3 000 Tep/an sur le procédé antérieur de concentration des vinasses. De son côté, la Société Bertin s’occupait de la méthanisation des déchets du monde animal et installait un fermenteur en porcherie à Lourenties, près de Pau, et un autre, de faible capacité également, pour l’abattoir de Mont-de-Marsan. Dans ces cas-ci, le biogaz est entièrement consommé en vue de la production d’eau chaude nécessaire aux établissements.

[Photo : Schéma général de valorisation des déchets des IAA (d’après J.-P. Delgenes, R. Moletta, Labo de Biotechnologie de l’Environnement de Narbonne, 1992).]

Agro-industrie moderne

En 1993, comment envisage-t-on l’ingénierie du déchet agro-alimentaire, compte tenu de nos technologies de pointe ? Le traitement des résidus et coproduits agro-industriels a comme premier objectif de les valoriser en récupérant directement leurs propriétés alimentaires à l’aide de techniques physico-

chimiques appropriées, puis de former par fermentation dirigée des molécules d’intérêt industriel de manière à ce que la matière résiduelle ne présente aucune activité néfaste ou nuisible pour l’environnement (figure 6). Cette nouvelle orientation tend à profondément bouleverser nos habitudes de travail. Ainsi, la séparation de tous les constituants des produits agricoles entraîne une déstructuration des filières classiques fondées sur la nature de la production agricole : blé, maïs, betterave, colza, lait… Celles-ci sont remplacées par des filières biochimiques rassemblant des familles de produits agricoles à propriétés fonctionnelles semblables : amidon, ligno-cellulose, sucres, protéines, lipides. Pour que la rentabilité soit assurée, l’enjeu nécessite que tous les coproduits soient valorisés, que les procédés de séparation et de fractionnement soient optimisés, que l’ensemble des propriétés soient mises en évidence et planifiées de façon que les débouchés soient les plus nombreux possibles. L’idéal serait que la valorisation de tous les coproduits conduise à la réalisation du fameux « zéro-déchet » (« Le craquage du blé », B. Godon, Recherches INRA, revue PLS, n° 177 juillet 1992).

Car la chimie fine tirée des substrats agricoles conduit à un grand nombre de composés capables de rivaliser avec ceux que nous procurent la carbochimie et la pétrochimie. Cette production de molécules d’intérêt industriel se trouve principalement orientée vers la fabrication d’alcools (employés comme solvants : éthanol, méthanol, butanol, glycérol, butanédiol), d’acides organiques (acides acétique, adipique, citrique, glutamique, propionique), de cétones et aldéhydes (acétone, dihydroxyacétone et acétaldéhyde, hydroxypropionaldéhyde) (A. Bories, INRA Narbonne, colloque « Biotechnologie et Développement », avril 1990), les substrats épuisés étant dépollués par digestion anaérobie pour la pollution carbonée, et par l’alternance nitrification-dénitrification pour la pollution azotée.

Cependant, le défi majeur, pour réaliser des applications technologiques de grande envergure, reste l’emploi de l’énorme masse des résidus cellulosiques renouvelée chaque année, en tant que source potentielle de glucose bioconvertible par l’industrie fermentaire en solvants, carburants (éthanol, butanol) et autres matières de base. Depuis la crise de l’énergie, deux produits de l’agriculture ont été mis en compétition : l’amidon de grain et la lignocellulose (« La dégradation de la cellulose par les micro-organismes », P. Béguin, J.-P. Aubert, CNRS, revue Annales de l’Institut Pasteur, 1992). Il faut bien avouer que si l’amidon coûte plus cher à obtenir que les résidus cellulosiques, omniprésents sur terre et de valeur quasi négative, il demeure aussi plus facile à hydrolyser que la cellulose, de sorte qu’au niveau faisabilité et prix de revient de l’éthanol final, l’amidon est actuellement en tête de l’ingénierie agro-alimentaire. Ainsi une société comme Roquette, qui transforme en glucose les produits de l’amidon à des fins industrielles, est aujourd’hui en pleine expansion et les grands groupes sucriers du type Beghin-Say, Ferruzzi, investissent copieusement dans la recherche de nouveaux débouchés (« Glucides : le possible et le désirable », G. Goma, P. Blanc, INSA Toulouse, revue Biofutur, juin 1992).

Mais comment évaluer leur développement à court et moyen termes ? Tous ces marchés de produits de masse à faible valeur ajoutée et à forte concurrence intersectorielle (biotechnologies versus carbo-pétrochimie) et intrasectorielle (amidon versus cellulose), restent très dépendants des options politiques et des fluctuations économiques mondiales. Malgré cette précarité, on accorde de plus en plus d’importance sur le marché au besoin de biocompatibilité, en alléguant cette continuité qui existe entre molécules de produits agricoles et molécules de notre organisme humain (D. Devienne, Conseil Économique et Social, novembre 1986). Ce souci de biocompatibilité, qui apparaît chaque jour plus nécessaire en cosmétologie, pharmacie et matériaux composites, pourrait aussi s’imposer dans l’industrie des pesticides, des détergents et plastiques biodégradables. Quels qu’en soient leurs coûts comparatifs, les produits carbonés des agro-ressources constitueront le gisement obligé de la chimie non polluante du monde de demain (Pr S. Kochman, Cavisa, salon Bioexpo, juin 1993).

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