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Déchets nucléaires TFA : la perplexité

30 octobre 1991 Paru dans le N°149 à la page 36 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

Deux récents colloques, celui de la Société Française de Radio-Protection qui interrogeait le CEA, EDF, la COGEMA, l'OCDE : « Comment gérer rationnellement les déchets dont la radioactivité est négligeable ? », et le 3° Congrès National d’Aérobiologie à l'Institut Pasteur de Paris apportaient leur contribution au know-how des déchets TFA, déchets à Très Faible Activité.

Nul n‘ignore plus que les radiations ionisantes émises par les corps radioactifs, même de faible intensité, peuvent déclencher des affections graves, leucémies, cancers du poumon, sarcomes ostéogéniques, malformations génétiques. Précocement, le danger encouru avec l’exposition exagérée aux rayonnements ionisants avait été constaté aux premiers temps de la radiologie et des recherches entreprises sur les radioéléments (leucémie de Marie Curie et de sa fille Irène par suite de manipulations sans précaution de radioéléments). Les premières normes de radioprotection étaient proposées en 1928 par la Commission Internationale de Protection contre les Rayonnements ionisants, et amendées à plusieurs reprises.

Aujourd’hui, un débat international s'est engagé sur la révision de ces normes appliquées aux faibles doses de radiation. On dispose de deux rapports des Académies des sciences de Paris (novembre 1989) et Washington (janvier 1990), rapports complémentaires sur certains points (critique des modèles d’investigation mathématique) mais divergents sur d'autres (risque cancérigène, seuil liminaire) (M. Tubiana, directeur de l‘Institut Gustave-Roussy, Bull. Cancer-Radiothérapie, février 1991). Le problème des petites doses à long terme est préoccupant. Hormis les accidents graves et exceptionnels concernant l'homme à son poste de travail dans l'industrie nucléaire ou sous l’emprise d'une perte de contrôle de réacteur), c'est la plupart du temps à de faibles doses de rayonnement, mais s’étalant sur de très longues périodes d’exposition, que l'homme anonyme sera soumis. La difficulté est justement d’évaluer correctement la dose acceptable de radiations pour l’espèce humaine. Et, question embarrassante, y en a-t-il une, seulement ?

Le radon d’Essonne

On a coutume de classer les « stériles » du minerai d’uranium, c'est-à-dire les gangues résiduaires d’extraction minière, comme des déchets d’activité négligeable. De récentes investigations sur un site de décharge du CEA, en région parisienne, allaient apporter une interprétation plus nuancée sur l'innocuité de pareils dépôts. Il s'agit en l'occurrence de la décharge de l’usine du Bouchet à Itteville dans l’Essonne (figure 1).

[Photo : Fig. 1 – Objectifs d’investigations des journalistes du Parisien et des écologistes sur les décharges de déchets TFA de l’Essonne 1990-1991]

Haut-lieu historique d’activités françaises de recherches sur l’énergie nucléaire (avec les grands noms de J. Langevin, L. Denivelle, F. Joliot, L. Kowarski, J. Guéron, P. Guillaumat, B. Goldschmidt, F. Perrin etc.), le CEA, créé en 1945, y installait en 1946 la première usine :

  • • de préparation du combustible nucléaire à base d’uranium-thorium (réacteur de la fameuse pile Zoé inauguré au Fort de Chatillon en décembre 1948),
  • • de récupération du plutonium à partir du combustible irradié pour objectifs militaires (le premier mg de plutonium français isolé en novembre 1949 en vue de la préparation de la bombe atomique de 1960) (B. Goldschmidt, La Recherche, mars 1982 et Y. Rocard, février 1983).

Fermée puis démantelée en 1971, l'usine — et ses annexes, bassin de décantation des eaux chimiques et dépôt de résidus recouvert de terre — était remise à la SNPE en 1979. En mai 1990, l'association « Les Amis de la Terre », alertant le quotidien de l’Essonne Le Parisien (figure 2), invitait la Commission Régionale d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRII-Rad) à effectuer des mesures de radon à proximité de cette décharge recélant 20 kt de déchets (1).

(1) La décharge est située dans un pôle industriel d’établissements soumis à la Directive Seveso : Centre de Recherche du Bouchet de la Défense Nationale, Société Nationale des Poudres et Explosifs, IRCHA, Et Rodanet, décharge industrielle de Brazeux... Son expertise, pour laquelle les journalistes TV de TF1 et FR3 ont enquêté, a permis à l'auteur de présenter au « petit écran » son ouvrage : La Maîtrise des Déchets Industriels, Éditions P. Johanet & Fils S.A., 1990.

Pourquoi le radon ?

Le radon est un gaz rare radioactif et cancérigène, à vie courte, issu de la décroissance des radioéléments, et donc significatif de leur présence. Le radon ordinaire (Rn) provient de la désintégration du radium 226 Ra (T = 1 620 ans) de la lignée de l'uranium 238 U (T = 4,5.10⁹ ans, très stable) :

226   222    4  
88 Ra → 86 Rn + 2 He

Il est lui-même, ce radon, un corps très instable, de courte période (T = 3,8 j), qui poursuit la chaîne de désintégration en produisant du polonium Po jusqu’au plomb 206 82 Pb :

222   218    4  
86 Rn → 84 Po + 2 He

(D’autres isotopes du radium appartenant aux lignées du thorium 232 Th et de l’uranium-actinium 235 U engendrent également des radons, respectivement 220 Rn et 219 Rn, ceux-ci sont alors dénommés thoron, T = 1 mn, et actinon, T = 4 s, bien qu’il s’agisse d’isotopes d’un seul et même gaz rare radioactif : le radon).

À Itteville, la CRI-Rad détectait des émanations de radon aux alentours de la décharge, aux taux de 10 000 à 14 000 Bq/m³ et 200 Bq/kg MS de sédiments déposés (figure 3). Le niveau moyen de concentration dans l’habitat français se situe entre 60 et 110 Bq/m³. Les recommandations de la Commission Européenne énonçaient la limite supérieure de 400 Bq/m³ pour les constructions anciennes et 200 Bq/m³ pour les neuves, alors que le National Radiological Protection Board impose la limite supérieure de 100 Bq/m³ exposant à environ 500 mRem/an, soit 5 mSv/an. Emotion dans Itteville et gros tirage du « Parisien » de l’Essonne ! En effet, la quasi-totalité du radium 226 Ra, élément le plus radiotoxique de la famille de l’uranium 238 U, se retrouve dans les « stériles » : chaque tonne de stériles, issus d’un minerai à 0,2 % d’uranium, contient au moins 0,3 g de radium et 0,03 mg de plutonium engendrant une radioactivité de 0,7 mCi, soit 26.10⁹ Bq (M. Gauvenet, CEA, revue RGE, février 1977), ce qui laisse entrevoir l’équivalence de 6 kg de 226 Ra rémanent dans cette décharge d’Itteville, à côté d’un stock d’uranium résiduel. C’est un minimum car on peut aussi supposer que la décharge ne recèle pas uniquement des stériles mais également les résidus associés de traitement de solubilisation après broyage (sables et fines désuranifères avec hydroxydes et sulfates métalliques insolubles) et, hypothèse plus alarmiste sans doute, certains déchets à haute activité provenant de la récupération du plutonium à partir du combustible irradié des premiers âges de l’ère atomique !

[Photo : Figure 2.]

(tableau 1). À l’heure actuelle, le rapport d’expertise du Pr Sergolle sur cette décharge d’Itteville (R. Lallement, CEA, Préventique, mars-avril 1991) mentionne que :

– les radioéléments n’étant pas lixiviables restent piégés in situ et ne présentent pas de danger réel pour la communauté (bien que les radionucléides présents soient reconnus plus disponibles et mobilisables une fois extraits du gisement uranifère),

– le taux d’émission de radon susceptible de diffuser et de se propager n’entraîne pas de risque particulier pour la population riveraine, ce flux pouvant être réduit par une couverture d’argile et de matériau végétal (bien que les aménagements actuels de ce stockage improvisé ne l’assimilent pas à une décharge efficacement contrôlée dans ses lixiviats, ses percolats profonds et ses rejets gazeux) (2).

(2) Le radon est toxique par sa désintégration et celle de ses descendants radioactifs piégés dans les poumons. Ainsi le taux annuel de cancers broncho-pulmonaires décelés chez les mineurs est directement corrélé à la concentration en radon et en ses produits de filiation, augmente linéairement avec la dose reçue et paraît même indépendant de la nature des minerais prospectés (mines d’uranium, de fer, de zinc et de spath fluor). Aux USA, la Floride, qui possède de vastes réserves de phosphates affectés de taux substantiels d’uranium 238, a vu ses nappes phréatiques contaminées entraînant des ratios de leucémie et leucémie myéloïde aiguë très supérieurs à la moyenne statistique. La Colombie Britannique a même décrété l’interdiction totale de prospecter l’uranium, à l’examen des statistiques d’épidémiologie du cancer laissant apparaître une nette recrudescence de néoplasmes autour des mines. L’EPA estime que sur 130 000 décès par cancer du poumon aux USA par an, 5 000 à 20 000 sont attribuables au seul radon. Les risques encourus pour 70 ans d’exposition, à 75 % du temps sont évalués à :

– 1,85 % mort-cancer pour 148 Bq/m³,

– 21 % mort-cancer pour 740 Bq/m³,

– 44 à 77 % mort-cancer pour 7 400 Bq/m³,

– et 14 à 42 % mort-cancer pour 7 400 Bq/m³ pour 10 ans d’exposition (R. Stoesser, CRI-Rad, 3e Congrès National d’Aérobiologie, juin 1991).

Si l’utilisation des stériles en tant que matériaux de construction pour locaux habités est rigoureusement exclue, la vente pour utilisation hors site est possible (J.-M. Lavie, A. Faussat, ANDRA, mai 1983). Ces stériles ont été malencontreusement utilisés comme remblai (une habitation de Saint-Sylvestre en Haute-Vienne recelait 2 500 Bq/m³ dans la salle de séjour, parce que construite sur un remblai de stériles). Toutefois, la phobie des radiations ne doit pas faire oublier la menace de risques cancérigènes plus sévères : ainsi condamne-t-on plus aisément les rayons X de la médecine que les expositions forcées au soleil qui sacrifient à la mode du bronzage et les fours à micro-ondes que la tabagie obsessionnelle ! (J. Crozemarie, président de l’ARC, CNRS, Fondamental, avril 1991).

Tableau I

Classification française des déchets nucléaires

(d’après J.-P. Schapira, CNRS, Les déchets nucléaires, La Documentation Française, janvier 1991, et I. Manca, La Technique moderne, janvier/février 1985)

Déchets dits FMA, de faible et moyenne activités (2)
– Émissions : β, γ
– Volume de l’ensemble : 95 % (800 000 m³)
– Radioactivité : 1 % ; teneurs : maximale 0,1 Ci/g/t, moyenne 0,01 Ci/g/t
– Conditionnement : stockage en surface (La Hague, Manche ; Soulaines, Aube)
Déchets dits α (3)
– Émissions : α
– Volume de l’ensemble : 4,5 % (80 000 m³)
– Radioactivité : inférieure à la période de durée géologique ; 41 % ; teneurs jusqu’à 10-2 Ci/g/t
– Conditionnement : enrobage bitume et béton ; stockage mi-profond à long terme
Déchets dits HA, haute activité (4)
– Émissions : β, γ, α
– Volume de l’ensemble : 0,5 % (3 000 m³)
– Radioactivité : supérieure à la période intermédiaire ; 98 % ; teneurs supérieures à 10-4 Ci/g/t
– Conditionnement : vitrification et stockage profond à long terme en sites (5) après entreposage

(1) On entend par déchets radioactifs : toute matière contenant des radionucléides, en concentration supérieure aux valeurs que les autorités compétentes considèrent comme admissibles dans les matériaux propres à une utilisation sans contrôle et pour laquelle aucun usage n’est prévu (OCDE-AEN 1986).

Pour les TFA, EDF admet la limite d’activités surfaciques de 3,7 Bq/cm² pour les émetteurs gamma, en dessous de laquelle un matériau ou un outillage sortant de zone contrôlée est réputé non contaminé et géré d’une manière classique (Guide pratique de radioprotection). Les produits de sablage, radioactifs naturellement, dont la spectrométrie gamma total (hors K) mettrait en évidence une activité supérieure à 0,8 Bq/g sont déclarés impropres au sablage des portiques des bâtiments. Une instruction EDF fixe le seuil d’activités volumiques de 3,7 Bq/l en gamma total au-dessous duquel un déchet d’activités nucléaires peut être considéré comme un déchet ordinaire (M. Boussard, EDF, revue Environnement, avril 1991).

Au plan national, la banalisation est prévue par le décret du 2 octobre 1986 pour les substances radioactives dont l’activité massique est inférieure à 100 Bq/g (soit 2,7 µCi/kg), cette limite étant portée à 500 Bq/g (soit 14 µCi/kg) pour les substances radioactives solides naturelles.

(2) Ils représentent la totalité des déchets technologiques des réacteurs et une partie de ceux provenant du retraitement du combustible irradié.

(3) Ils sont pour l’essentiel des déchets de procédés contenant des transuraniens et une partie des déchets de retraitement.

(4) Très exothermiques, ils contiennent les combustibles usés déchargés des réacteurs, avec les produits de fission, les actinides, les effluents de base et fines de dissolution.

(5) Sites du BRGM : schistes (du Segréen) de Bourg-d’Iré (Maine-et-Loire), sels (évaporites tertiaires) de Montrevel (Ain), granite (massif cristallin) de Neuvy-Bouin (Deux-Sèvres) et argiles (du nord du bassin parisien) de Sissonne (Aisne).

Mais tout stockage en terril ne devrait-il pas s’effectuer sur semelle parfaitement étanche (et non à même le sol vulnérable), cernée de fossés périphériques, collecteurs des eaux de lixiviation, conduisant à des stations d’épuration et de détoxication (et non dans le collecteur d’eaux pluviales), et ne devrait-il pas être contrôlé dans ses migrations profondes par piézomètres ?

Radioprotection

Les riverains sont-ils exposés ? Les limites réglementaires d’irradiation pour la population sont fixées à 5 mSv/an et, pour le personnel des installations nucléaires (dit DATR = directement affecté à des travaux sous rayonnements), à la dose maximale annuelle de 50 mSv/an. Est-ce suffisant ? Faut-il établir des normes plus sévères de radioprotection ? Sujet de perpétuelle polémique !

L’exposition aux rayonnements ionisants se traduit par des réponses physiologiques de nature et d’intensité très variables. Ce sont des réponses défavorables non stochastiques ou non aléatoires, et stochastiques ou aléatoires, en fonction de la dose reçue, ou bien encore des réponses d’hormésis à effets stimulants. On distingue aussi les effets somatiques qui se manifestent chez l’individu irradié, des effets génétiques qui apparaissent chez les descendants de l’individu irradié atteint dans son génome (niveau du code génétique) (H. Planel, Pr. Fac. de médecine Toulouse, Revue du Palais de la Découverte, 1986).

Effets non stochastiques

Au-delà d’un seuil d’irradiation, supérieur au fond permanent équivalent à 2 mSv/an, les réponses défavorables concernent tous les individus d’une même population, et les lésions s’accentuent avec l’intensité de la dose reçue : érythèmes, maladie des rayons, stérilité, cataracte, réduction de la longévité sont des réponses non stochastiques. Les doses-seuils annuelles, en irradiations fractionnées et prolongées, vont de 150 mSv (cataracte) à 2 000 mSv/an (stérilité féminine à 250 mSv, masculine à 2 000 mSv). À plus fortes doses, de 2 500 à 8 000 mSv/an, le diagnostic médical et le tableau clinique sont plus sombres (hémorragies, infections, dépilation, fièvre, diarrhées, ataxie, léthargie, coma, mort). Selon la loi de Bergonié et Tribondeau, la radiosensibilité d’un tissu est directement proportionnelle à sa capacité reproductrice et inversement proportionnelle à son degré de différenciation (fragilité des cellules de la peau et de la moelle osseuse). Dans la matière vivante, les radiations ionisantes vont s’attaquer en priorité aux molécules d’eau. L’irradiation provoque la dissociation de H₂O en radicaux libres et très actifs OH* et H*. Ceux-ci, redoutables, altèrent les macromolécules biochimiques et provoquent la nécrose du tissu assez rapidement ; de plus, divers poisons cytoplasmiques apparaissent : peroxydes, hydroperoxydes, époxydes et substances aldéhydiques, dont les puissants dialdéhydes, induisant tous des mutations létales dominantes.

Effets stochastiques

Les effets stochastiques se distinguent des non stochastiques d’abord par le fait qu’ils se manifestent indépendamment de la dose d’irradiation, alors que c’est la probabilité de réponse seule qui s’accroît avec cette dose reçue. Les effets stochastiques se distinguent aussi par leur révélation tardive, c’est-à-dire qu’ils vont se déclarer bien des années après la période d’exposition, ce qui explique les difficultés de recherche épidémiologique.

Actions somatiques

On a observé depuis longtemps qu’une exposition aux rayonnements ionisants pouvait induire l’apparition de cancers, aussi bien chez l’animal de laboratoire que chez l’homme (chez la souris, une irradiation de 0,5 Gy entraîne chez 4 % des animaux l’éclosion d’un cancer sanguin ou lymphome, cette fréquence dépassant 80 % pour une dose de 3 Gy). On conçoit que cette réponse pathologique à l’irradiation soit une constante du type « oui ou non » et non de gravité croissante dans le cas des néoplasmes (il n’existe pas de petits, de moyens ni de grands cancers). On sait aujourd’hui que ces effets cancérigènes résultent prin-

Domaine d’applicationDéfinitionUnitésÉquivalence
Radioactivité d’un produitMesure du nombre de désintégrations par secondecurie (Ci) ou becquerel (Bq)1 curie = 37 milliards de becquerels
Bioexposition d’un être vivantMesure de l’énergie reçue par unité de masserad (roentgen absorbed dose) ou gray (Gy)1 gray = 100 rads – 1 rad = 0,01 Gy
Dommages causés à l’organisme humainEffets des rayonnements sur l’hommerem (rad équivalent man) ou sievert (Sv)1 sievert = 100 rems – 1 rem = 0,01 Sv
RadioélémentsPériode radioactivePériode effective
Iode 1318 jours7,6 jours
Cobalt 605 ans10 jours
Tritium12,3 ans12 jours
Strontium 9028 ans16 ans
Césium 13730 ans100 jours
Carbone 145 700 ans10 jours
Plutonium 23924 000 ans200 ans
Potassium 401,3 milliard d’années30 jours

Schématiquement, on peut apparenter les définitions du becquerel, du gray et du sievert aux différentes valeurs prises par les projectiles quand un enfant lance des objets en direction d’un camarade : le nombre d’objets lancés s’exprime en becquerels (dangerosité, risque potentiel), le nombre d’objets reçus en grays (dose absorbée), le nombre d’impacts blessants par hématomes et lésions en sieverts (effets pathologiques produits).

On appelle période radioactive T, ou demi-vie, le temps que met un radioélément pour perdre, par désintégration permanente de ses noyaux instables, la moitié de sa radioactivité. La période effective tient compte, en cas de contamination, de l’élimination biologique du radioélément.

[Photo : Fig. 3 – Unités de mesure de la radioactivité d’après « Info Santé », CPES Fac. Pharmacie Châtenay-Malabry, janvier 1988.]

…cipalement de la transformation par les radiations ionisantes de certains gènes, ou proto-oncogènes, qui interviennent dans la régulation de la mitose, en oncogènes. Ceux-ci, en provoquant un dérèglement de cette activité mitotique qui devient anarchique, conduisent ainsi à l’apparition de tumeurs malignes.

Mais qu’en est-il en dessous de 0,5 Gy ? Rien ne permet d’affirmer qu’il existe un seuil d’irradiation sous lequel il n’existe plus de cancérisation ; au débit de dose expérimental de 1 mGy/mn, les transformations malignes sont limitées parce que les lésions sont réparables en partie (le fractionnement de la dose réduit plus efficacement le pouvoir cancérigène que l’irradiation à faible débit continu). Pour les populations survivantes d’Hiroshima et de Nagasaki, on observe indiscutablement une augmentation de fréquence des leucémies chez des individus ayant reçu de 300 à 2 500 mSv. Mais la dose-seuil est à réévaluer en fonction des erreurs commises en 1965 sur l’appréciation sous-estimée de l’irradiation gamma produite lors des explosions atomiques, de nombre de cancers tardifs de l’appareil digestif se déclarant chez les 90 000 survivants, et de l’extrapolation des données par modélisations mathématiques. Cette dose-seuil se situerait vers 200 mSv. L’évaluation officielle du pouvoir cancérigène des faibles doses reste controversée : le Pr J. Gofman soutient qu’il n’existe pas de seuil minimum au-dessous duquel les rayonnements deviendraient inoffensifs (3).

(3) L’enquête épidémiologique britannique réalisée autour de l’usine nucléaire de Sellafield, en Écosse (usine de retraitement et réacteur de Windscale, dont l’incendie de 1957 causa une recrudescence anormale de leucémies déclarées dans la descendance d’un père faiblement irradié) : le risque de leucémie ou de lymphome chez l’enfant serait 7 à 8 fois plus élevé lorsque le père a reçu au cumul 100 mSv avant la conception ou seulement 10 mSv dans les 6 mois qui l’ont précédée.

Actions génétiques

Avec la molécule H₂O, la cible privilégiée des radiations est bien la molécule d’ADN (formée, selon le modèle bien connu de Watson et Crick, de deux brins s’enroulant en double hélice l’un autour de l’autre, et porteuse d’un nombre considérable d’informations héréditaires sur les nucléotides). Deux cas de dérèglement du mécanisme d’expression génétique sont principalement évoqués. Ou bien l’altération par cassure des brins se traduira par la modification d’un caractère héréditaire, c’est-à-dire par l’apparition d’une mutation en général nuisible à l’organisme mutant. Ou bien la fragmentation, puis la recombinaison génétique, sera responsable d’aberrations chromosomiques pour la plupart incompatibles avec la vie cellulaire. Ces actions génotoxiques s’observent sur l’espèce humaine sous l’aspect de graves affections spontanées : mutation génique (anémie falciforme) et aberrations chromosomiques (mongolisme par trisomie 21, malformations létales par trisomies 13 et 18, arriération mentale, microcéphalie, hydrocéphalie...). Un processus de régulation naturelle vient restaurer l’ADN lésé et limite ainsi les dommages. Le Comité scientifique des Nations unies (UNSCEAR) suggère que le taux de doublement des maladies héréditaires se situerait vers 1 Sv, taux éloigné du fonds d’irradiation cumulé en 30 ans, soit 60 mSv.

Les autorités officielles répètent que des effets génétiques produits par irradiation n’ont jamais été observés sur l’homme (J. Theillac, haut-commissaire à l’Énergie atomique, Les déchets nucléaires, PUF, janvier 1988). Cependant les excès antérieurs d’examens radiologiques de femmes enceintes, et même les effets différés des irradiations de 0,1 à 10 Gy subies par les survivants d’Hiroshima (lésions mutationnelles du tissu hématopoïétique produisant des hématies à glycophorine) tendent à démontrer le contraire ; et peut-être aussi à faibles doses, inférieures à 200 mSv.

Pour tenter de lever ces incertitudes en radiobiologie (4), le rapport de l’Académie des sciences de Paris propose un meilleur suivi médical des populations exposées à différents niveaux d’irradiation naturelle (1 à 20 mSv/an) et des malades soumis aux séances de curiethérapie (doses répétées de 0,1 à 10 Sv). Déjà, la CIPR a baissé les limites de dose annuelle pour le personnel DATR de 50 à 20 mSv.

Information et radioactivité

Information et radioactivité... Deux mots qui semblent incompatibles. Jusqu’alors, la gestion des déchets nucléaires avait été considérée comme un problème purement technique, relevant de la seule compétence de…

(4) Autre contradiction à négocier : il semblerait que les irradiations chroniques à très faibles débits déterminent certains effets de stimulation bénéfique, appelés effets d’hormésis (activation de la multiplication cellulaire de protozoaires et algues, accentuation des processus de défense immunitaire chez la souris) (H. Planel, Pr Fac. médecine de Toulouse, 1986).

[Encart : Sur chaque brin sont enchaînées, le long d’un squelette de pentose-phosphate, des successions de quatre molécules fondamentales : adénine (A), guanine (G), cytosine (C) et thymine (T). Un nucléotide est composé d’une molécule d’acide phosphorique estérifiant une molécule de sucre pentose, le désoxyribose, liée par une liaison osidique avec une molécule de base purique, adénine et guanine ou pyrimidique, thymine et cytosine. Les bases de chaque brin sont tournées vers l’intérieur et forment entre elles des liaisons hydrogène. Chaque tour de la double hélice contient environ 10 nucléotides.]
[Photo : Structure en double hélice de la molécule d’ADN, ou acide désoxyribonucléique.]

spécialistes (CEA, COGEMA, SCSIN, SCPRI, IPSN, ANDRA, etc.) et qui devait donc être traité à huis-clos, hors profanes ! Dans la discrétion, voire la dissimulation et la désinformation. Les faits ont montré que c’était une erreur (C. Bataille, député PS, Vie Publique, février 1991). La commission Castaing, créée en 1981, avait déjà remis en cause le jeu institutionnel jugé trop fermé et élitiste dans le domaine nucléaire, reflétant l’aspiration à un certain contrôle social de la technologie (J.-P. Schapira, commission Castaing, La Recherche, avril 1984). Une autre décharge à TFA devait confirmer cette impression.

L'affaire de Saint-Aubin est la seconde décharge du CEA, avec celle d’Itteville, contestée par les écologistes. Dépotoir sans aménagements du centre de recherches de Saclay, le site avait fait l’objet en 1972 d’une campagne de presse critiquant la fissuration apparente des 500 fûts de déchets radioactifs entreposés, fûts évacués par la suite à La Hague. Mais en 1990, les journalistes du Parisien faisaient savoir qu’on y détectait 2.10³ Bq de Pu par kg de terre. La décharge en question était en fait utilisée par le CEA depuis 1948 pour le stockage de déchets conditionnés entre 1965 et 1976, des boues de circuit des eaux radioactives et des résidus de démantèlement des labos du CEA de Fontenay-aux-Roses, d’après l’enquête (5).

Mais la limite réglementaire française pour la teneur en émetteurs alpha dans les colis de déchets admissibles au stockage est de 10³ Bq/t de 2001, de densité 2, et la législation de 1966 tolère jusqu’à 10⁴ Bq/kg (R. Lallement, CEA, Préventique, mars/avril 1991). Ce qui explique la quiétude des administratifs. En fait, les principes de radioprotection contre les rayonnements ionisants ne s’appliquent qu’imparfaitement aux déchets de l‘industrie nucléaire. La vacuité réglementaire conduit à des situations anachroniques. Une telle situation ne saurait perdurer dans un pays doté d’un parc électronucléaire exceptionnel qui génère un certain nombre de déchets spécifiques en cours d’exploitation ou de démantèlement des centrales. Un inventaire des dépôts de TFA a été demandé à la commission Desgraupes depuis le début de l’année par le ministère de l’Industrie.

La réconciliation souhaitable de l'opinion publique avec le géant « nucléaire » semble différée. Il ne faudrait pas qu’une nouvelle bévue vienne encore hypothéquer la réussite d’une éventuelle reprise du dialogue, pourtant indispensable.

(5) La décharge d'ordures ménagères de Bailleau-Armenonville en Eure-et-Loire est créditée d’un transfert discret d’une partie des terres radioactives en provenance de la décharge de Saint-Aubin, d’après le journal La République du Centre.

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