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Décharge... à bout portant

30 octobre 1992 Paru dans le N°158 à la page 65 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

L’ordure dure, jeu de mots pertinent ! Plus que cités, industries et civilisations, ce sont leurs déchets qui sont impérissables (D. Nordon, revue PLS n° 178, août 1992). Comme donnés en compensation (misérable) à notre fugace existence sur terre et à la précarité de nos institutions, nos restes seraient devenus immortels... ou presque. On arrive encore à lire les vieux journaux enfouis en liasses compactées dans les décharges profondes anaérobies d’ordures ménagères datant d’un demi-siècle. Pire, certains dépôts, comme les anciens crassiers de scories métalliques, ne sont guère moins stables que les filons des minerais dont ils sont issus, et certains déchets nucléaires transuraniens sont dotés de demies-vies qui les rendent éternels à nos yeux d’observateurs mortels. Nos décharges sont, quant à elles, centenaires.

D’ailleurs, c’est bien connu, la cinétique générale de la réduction de la pollution L obéit à une équation différentielle

dL/dT = –K·L

qui exprime que la vitesse de dégradation dL/dT est à tout moment proportionnelle à la charge restant à éliminer — L (K étant la constante de dégradation spécifique du polluant et du gradient thermique).

Autrement dit : Cₜ = C₀ e^(–k t), où Cₜ est la concentration du substrat au temps t et C₀ la concentration initiale au temps t₀, à l’origine. La DBO totale est la demande biochimique en oxygène des dégradations aérobies pour un temps quasi infini.

Décharges perturbatrices

L’impact de la décharge improvisée de déchets organiques et humides est effectivement désastreux sur l’environnement :

  • - nuisances atmosphériques, par les émanations nauséabondes d’hydrogène sulfuré et de mercaptans,
  • - risques d’incendie et d’explosion, par coups de grisou,
  • - instabilité du terrain remblayé,
  • - prolifération des rongeurs, insectes et oiseaux,
  • - nuisances esthétiques par les envols, et sonores par les convois de camions et les engins de terrassement,
  • - production d’un effluent liquide très pollué (appelé lixiviat ou percolat de décharge) issu du lessivage des déchets entreposés par les eaux de pluie, effluent susceptible de contaminer les eaux souterraines de recharge des nappes (métaux lourds, phénols, pesticides, PCB, haloformes, germes microbiens pathogènes...).

Autre raison de jeter l’anathème sur la décharge : son sous-produit gazeux, le méthane CH₄. L’estimation mondiale des gaz à effet de serre attribue une responsabilité globale de 50 % au CO₂, 17 % aux CFC mais 19 % au CH₄ (tableau 1). Aussi, la gestion des déchets est-elle aujourd’hui taxée d’une influence climatique non négligeable. Le rapport Martin sur l’effet de serre signale une contribution des déchets à ce phénomène correspondant à l’impact de la combustion annuelle de 57 Mt d’hydrocarbures (1).

Dans ces estimations, en partant du postulat que les rejets de CO₂ issus de déchets organiques putrescibles ne sont pas comptabilisables parce que réabsorbés par la biomasse photosynthétique en place, le mode de gestion par incinération se trouve privilégié vis-à-vis de celui de la décharge. Ainsi, la participation du méthane de digestion anaérobie au phénomène climatique serait de 56,2 % avec 99,6 kt eq. CO₂/an, en regard de celle des CFC estimée à 42,3 % avec 75 kt eq. CO₂/an, ce qui impliquerait finalement une responsabilité relative de 98,6 % à la décharge en tant que mode de traitement des déchets, contre 1,4 % seulement à l’incinération (M. Rostagnat, STPD, rapport Martin du Groupe interministériel sur l’effet de serre 29/10/1990) (2).

Cependant, les activités de l’agro-élevage français sont autrement plus polluantes en méthane que les activités qui concernent le...

(1) Consommation d’énergie primaire fossile en France : 130 Mt/an d’hydrocarbures, consommation de CFC voisine de 40 kt/an équivalente à la combustion de 60 Mt/an d’hydrocarbures.

(2) Les fluctuations climatiques redoutées ne sont d’ailleurs pas encore fermement établies. On procède seulement à la compilation des données relatives aux forces motrices susceptibles de produire des changements planétaires : radiations solaires, aérosols volcaniques, gaz en traces, déforestation, modes d’utilisation du sol... (S. I. Rasool, IGBP, revue LR n° 229-02/1991).

[Photo : Évolution chronologique du concept de la décharge (d’après H. Billard, ANRED-ADEME, Colloque de La Baule, septembre 1991).]

On relève l’impact méthanique des fermentations naturelles suivantes :

  • * fermentation entérique : 34,1 Mt éq. CO₂/an,
  • * fermentation des déjections animales : 3,1 Mt éq. CO₂/an,
  • * fermentation des rizières : 0,3 Mt éq. CO₂/an.

(C. Barthod, GREF, rapport Martin 29/10/1990).

D’autre part, ce constat de dégagement méthanique en décharge ne fait que souligner la gestion déplorable des centres d’enfouissement envers un sous-produit énergétique intéressant. La rareté des références françaises en matière de valorisation de biogaz de décharge (Crézin, Soignolles-en-Brie) alors que le gisement présente une disponibilité potentielle de 6 500 Tep/an, et les avatars de la filière de digestion des OM du type Valorga (dont GDF refuse d’accepter le biogaz) ne plaident pas en faveur d’une recherche d’optimisation des décharges organiques humides.

À cause de tout cela, l’antique et solennelle décharge a vécu, paraît-il (figure 1)… Des architectures futuristes tentent de lui donner meilleure allure en lui façonnant un profil audacieux, mieux adapté à la gestion du « déchet ultime » (figure 2).

Management du déchet ultime

Le déchet ultime apparaît comme le déchet pour lequel « la science de la valorisation actuelle ne peut plus rien », alors on le destine soit à l’enfouissement profond, soit à la décharge de classe 1, suivant les techniques évoquées ci-dessous.

L’enfouissement profond

L'habitude est prise, peut-être hâtivement, d’évacuer en stockage souterrain quand il s’agit par exemple de déchets toxiques très solubles comme les sels cyanurés de trempe. Le stockage contrôlé en mine de sel semble actuellement la seule filière retenue. Les industriels français concernés sont obligés d’exporter leurs déchets en Allemagne où des centres souterrains de stockage les entreposent depuis 1973 dans la mine en activité de Herfa-Neurode (Hesse) et depuis 1987 dans la mine de Heilbronn (Bade-Wurtemberg).

Cette filière onéreuse (tarif décuplé par rapport à l’enfouissement de surface), réservée aux déchets toxiques hydrosolubles non incinérables et non stabilisables, pourrait être implantée en France, dans la mine de Varangéville (près de Nancy) par exemple. La mine de Varangéville, produisant 300 Kt de sel chaque année, crée des vides occasionnant des capacités de stockage évaluées, selon l’ANRED, à 50 Kt/an de déchets conditionnés.

Les vides laissés par l’exploitation d'une mine de sel se présentent ordinairement sous forme de panneaux, constitués d’un entrecroisement de galeries, et reliés entre elles par un nombre d’accès limité : le quartier du Cauroy Sud de Varangéville (15 galeries N-S et 30 galeries E-O) est raccordé par seulement trois passages aisément obturables (B. Epron, Dr, Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est, colloque de La Baule, septembre 1991). La sécurité géologique du gîte d’un gisement de sel gemme paraît assurée pour effectuer le stockage de déchets toxiques hydrosolubles, car l’existence même du dépôt de sel gemme consti-

[Photo : Maquette]
  • (1) Déchets ultimes.
  • (2) Drainage de fond : niveau filtrant, drains, niveau drainant, géomembrane.
  • (3) Galerie technique (accessible à l'homme pour contrôler le drainage gravitaire).
  • (4) Couverture finale : filtre + terre végétale, niveau drainant (+ drains), géomembrane, argile compactée (1 m).
  • (5) Digue (limite d'alvéole).
  • (6) Alvéole terminée.
  • (7) Laboratoire de contrôle (prévu dès l'origine pour être reconverti en bâtiments à usage loisirs).
  • (8) Camion chargé de déchets.
  • (9) Hall de stabilisation – conditionnement des déchets (prévu dès l'origine pour être reconverti en bâtiment à usage loisirs).
  • (10) Camion vide vers la sortie.
  • (11) Aire d'attente (prévue dès l'origine pour être reconvertie en parking pour accès bâtiments loisirs).
  • (12) Bassin de contrôle des eaux.
  • (13-14) Bassins recueillant des eaux propres de ruissellement (prévu dès l'origine pour être reconvertis en plans d'eau d'agrément).
  • (15) Terrains de tennis.
  • (16) Belvédère.
  • (17) Parking pour accès des visiteurs et utilisateurs des aménagements sportifs.
  • (18) Sentier pédestre.

Tumulus et ateliers BTP

[Photo : Le tumulus « Lego »]

Le tumulus « Lego »

Les traitements d'inertage, après moulage-démoulage, délivreront des blocs de pierre de 2 m³ de volume unitaire. La structure géotechnique de la décharge, plateau, canal, prisme, protégée en cours d’érection par un parapluie provisoire (« totem sous parapluie »), s’élèverait progressivement par assemblage de ces blocs. Chaque centre (50 m de côté à la base pour une hauteur de 60 m) d'une capacité de stockage de 100 000 m³ de résidus ultimes serait pourvu de galeries desservant des entrepôts et des sécurités pour l'eau d'infiltration éventuelle. Il est intéressant, pour mieux contrôler l'impact d'un stockage sur son environnement, de le concevoir en surface comme un « caillebotis » constitué sur le sol, en quelque sorte sur une couche drainante.

[Photo : Piliers sous abri]

Piliers sous abri

Des déchets inertés ayant les mêmes caractéristiques que les matériaux traditionnellement utilisés dans les BTP pourraient recevoir « une attestation de qualité » et remplir des fonctions analogues à celles-ci, sous réserve d'être protégés de tout contact avec l'eau (à moins que ces techniques d'inertage n’apportent aussi à ces matériaux des propriétés hydrophobes).

Fig. 2 : Modèles de décharges futuristes (d’après H. Billard, ANRED, G. Didier et O. Malherbe, INSA, Lyon, B. Voinovitch, Colloque de La Baule, septembre 1991).

Constitue la preuve tangible de l’absence souterraine d'eau douce. Enfin, ces déchets, au sein du massif de sel gemme, seraient isolés par quatre barrières successives de confinement :

  • le conditionnement en fûts plus ou moins élaboré,
  • les cloisons qui séparent les alvéoles entre eux,
  • les barrages isolant les panneaux de stockage (7 à 10 m d’épaisseur),
  • l’obturation du puits en fin d’exploitation.

En revanche, l’admission en décharge de classe 1 suppose un conditionnement approprié résultant d’un traitement soit physico-chimique soit thermique.

L’Incinération

Des brûleurs sophistiqués, comme le sont les électrobrûleurs EDF, les oxybrûleurs de l’Air Liquide ou la torche à plasma de la Spie-Aérospatiale, garantissent des températures de flamme et de four supérieures respectivement à 1 800 °C et 1 000 °C, suffisantes pour détruire les polluants toxiques thermorésistants. De même, de nombreux incinérateurs de déchets industriels, bien exploités, évacuent leurs mâchefers à l’état vitreux ou vitrocéramique et peuvent être considérés comme des réacteurs de vitrification ou de céramisation.

Mais on ne peut empêcher la formation de composés volatils, tels que les chlorures métalliques, dont les points d’ébullition sont inférieurs à la température de combustion et qui s’échappent avec les fumées (ZnCl₂ : t° Éb 732 °C, PbCl₂ : t° Éb 950 °C, CdCl₂ : t° Éb 960 °C…). D’autre part, certains produits dangereux risquent de se reformer dans les zones de températures inférieures, comprises entre 450 °C et 250 °C. Il s’avère donc nécessaire de compléter le traitement thermique de vitrification-céramisation par un traitement physico-chimique.

On provoque un refroidissement des gaz d’incinération avant ou avec un réacteur de neutralisation puis on sépare les particules solides des fumées sur filtres à manches dès 250 °C. En définitive, la destruction thermique entraîne la formation de cinq types de sous-produits différents :

  • des mâchefers vitrifiés extraits du foyer de combustion, très peu lixiviables, qualifiés de déchets ultimes,
  • des scories constituées de particules solides lourdes qui sédimentent dans la chambre de post-combustion,
  • des cendres collectées sous la chaudière et dans la trémie de l’électrofiltre, faites de sels et oxydes métalliques solubles comme les scories,
  • des déchets d’épuration des fumées, les DEF, collectés par les réacteurs de neutralisation et sous les filtres à manches en tant que fines de dépoussiérage,
  • des boues des hydrolaveurs, liquides.

Tableau I

Estimation actuelle des incidences des différents gaz à effet de serre.

Formule chimique Nom Origine principale Contrib. à l'effet de serre Coefficient d'adsorption moléculaire
CO₂ gaz carbonique combustibles fossiles 50 % 1
CFC chlorofluorcarbones, fréons et halons aérosols, réfrigération, mousses synthétiques, lutte incendie 17 % 15 000
CH₄ méthane élevage intensif, rizières, fuites gaz naturel 19 % 25-32
N₂O protoxyde d'azote engrais azotés, combustibles fossiles 4 % 250
O₃ (troposph.) ozone réaction photochimique entre NOx et COV 8 %
H₂O eau (vapeur) évaporation des océans 2 %

Tableau II

Lixiviabilités des résidus d'épuration des fumées d'incinération de déchets industriels et d'ordures ménagères(après P. Pichat, ADT-Colloque EFE juin 1992)

Paramètres analytiques Moyenne des lixiviations brutes (mg/kg déchet) O.M. Moyenne des lixiviations brutes (mg/kg déchet) D.I. Lixiviations après solidification ECOFIX-ASHROCK (mg/kg déchet)
DCO 7 200 7 500 < 500
Phénols 0,9 0,8 < 0,2
Pb 145 45 < 0,1
Zn 28 25 < 0,1
Cd 0,5 0,6 < 0,2
Cr 6,5 5 < 0,1
Fe 24 20 < 0,1
Ni 1,2 2 < 0,2

saturés des différents laveurs utilisés (J.-L. Biros, Cerchimie-Engineering, colloque EFE, juin 1992).

La fixation

* Techniques séparatives

Ces techniques devenues classiques séparent les métaux par précipitation des hydroxydes insolubles et neutralisent les effluents liquides issus des laveurs :

A Meⁿ⁺ + Ca(OH)₂ → Me(OH)ₙ + A Ca

Les combinaisons stables sont retenues et extraites à l'aide de techniques séparatives comme les filtres-presses, délivrant un gâteau de filtration et un nouvel effluent, le filtrat. Bien homogénéisés, les gâteaux de filtres-presses opposent des résistances à la compression simple, sur cubes de 5 cm d'arête, comprises entre 80 et 180 kN/cm². Leur lixiviation conduit à des taux de quelques mg/kg pour la plupart des métaux précipités, mais la floculation par la chaux ou la soude entraîne inévitablement des relargages de sels calco-sodiques en quantités variables, ce qu'accuse une solubilité totale supérieure à 20 %.

* Techniques de solidification

La solidification finale par liants permet de limiter cette lixiviation des métaux à des teneurs inférieures au mg/kg pour tous les métaux et de réduire la solubilité totale à 10 % ou 5 % selon les performances exigées (tableau II).

La solidification du déchet ultime est atteinte par enrobage dans des liants organiques, bitumes, résines thermoplastiques et thermodurcissables, mais on reproche à ces liants leur tendance hydrophobe alors que la plupart des déchets soumis à la solidification contiennent de l'eau libre, ce qui provoquerait un relargage d'éléments par exsudation. À remarquer toutefois que la bakélisation des composés phénoliques résiduaires est un procédé de solidification performant exploité par SARPI (condensation en milieu acide à chaud avec l'aldéhyde formique en une résine filtrée et incinérée).

Les procédés utilisant des liants hydrauliques de l'industrie des BTP paraissent plus fiables puisqu'ils conduisent à des matériaux dont la résistance à la compression peut atteindre 100 MPa. On sait qu'au moment du gâchage les constituants anhydres du ciment donnent naissance à des silicates et à des aluminates de calcium hydratés, pratiquement insolubles dans l'eau, d'où le phénomène de prise. Mais la formation des cristaux d'hydrosilicate et d'hydroaluminate calciques peut se trouver contrariée ou inhibée par la qualité des eaux de gâchage et la salinité propre aux déchets à solidifier. Les procédés les plus usités sont :

• le procédé d'enrobage au ciment Portland utilisé seul, • le procédé Nukem, employant le ciment Portland et la chaux, • le procédé Soliroc, qui fait intervenir du charbon actif, des silicates, de la chaux et des liants hydrauliques, • le procédé Stablex, mobilisant ciment Portland et cendres volantes, • le procédé Petrifix, appliquant un laitier sidérurgique catalysé, • le procédé Ecosol, mélangeant ciment et bentonite, • le procédé Ecofix-Ashrock, construit sur le modèle de liant du « ciment Romain » à base de silicates hydratés ; le mélange obtenu durcit en quelques jours en un matériau ayant l'aspect d'un roc, de densité 1,8 environ, doté d'une résistance à la compression voisine de 200 kg/cm² (P. Pichat, ADT, Colloque EFE, juin 1992).

Ainsi, le plasma et la solidification du déchet facilitent la « rencontre avec une décharge du quatrième type », dans l'espérance d'un cinquième type, encore plus affranchi…

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