La qualité de l’eau potable est régie par des normes d’hygiène précises. En outre, la composition physico-chimique de l’eau utilisée par les industries alimentaires doit respecter des règles technologiques sévères ; en effet, l’excès (ou l’absence) de certains composants minéraux risquerait de compromettre le processus technologique de fabrication et nuirait à la qualité du produit fini.
Législation et agrément des résines
L’échange d’ions est certainement l’une des méthodes les plus efficaces et économiques pour corriger la composition d’une eau ; mais, lorsqu’il s’agit d’une eau potable, il est indispensable qu’aussi bien la composition de la résine échangeuse d’ions mise en œuvre que sa pureté soient conformes à la législation en vigueur. En partant du principe que tout ce qui n’est pas autorisé est interdit, les résines utilisées pour traiter l’eau potable ou les eaux de procédé des industries alimentaires doivent (du moins en France) obtenir l’agrément du ministère de la Santé. La procédure comprend, entre autres, un examen approfondi du produit par un laboratoire officiel (déterminations physico-chimiques, micropolluants, essais de cytotoxicité, etc.) et la production, par le fabricant, d’un dossier comprenant un très grand nombre d’informations, à commencer par la liste des substances entrant dans la composition de la résine. L’agrément n’est accordé qu’après l’examen, par le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, du dossier et du protocole expérimental portant sur toutes les phases de l’étude du laboratoire.
De plus, avant la mise en route d’un dispositif de traitement d’eau potable par échange d’ions, les résultats d’essais de relargage sur la résine livrée, ainsi que le spectre d’absorption infrarouge de cette dernière doivent être communiqués à la DDASS (Direction départementale de l’action sanitaire et sociale).
Tout ceci relève en fait de la responsabilité du fabricant de résine.
Le but de cet article est de faire le point de la situation actuelle en France et de passer en revue les différentes résines agréées pour le traitement des eaux destinées à la consommation humaine. Signalons que l’emploi des résines échangeuses d’ions pour les applications alimentaires et pour le traitement de l’eau potable est également réglementé en RFA et aux USA ; par ailleurs, une proposition de directive destinée à l’ensemble des pays membres de la CEE est en préparation au Conseil de l’Europe.
Décarbonatation
Il s’agit de la réduction de l’alcalinité, c’est-à-dire de la teneur en bicarbonates alcalins et alcalinoterreux de l’eau. Alors que la présence de bicarbonates alcalinoterreux provoque l’entartrage des chaudières et des conduites d’eau chaude, leur excès est nuisible au goût et à l’aspect de la bière, à la stabilité des jus de fruits et des produits laitiers, etc. C’est ainsi que certaines industries alimentaires décarbonatent depuis longtemps leurs eaux de procédé.
La méthode la plus ancienne utilise la chaux, qui précipite l’alcalinité sous forme de CaCO₃ insoluble ; son inconvénient est, d’une part, de nécessiter des installations volumineuses, moins faciles à contrôler que celles utilisant des échangeurs d’ions, et, d’autre part, de produire des quantités importantes de boues. En revanche, la décarbonatation à l’aide d’échangeurs de cations faiblement acides à groupements carboxyliques est certainement le meilleur procédé connu à ce jour.
Les réactions ci-après décrivent la fixation du Ca²⁺ et du Mg²⁺ associés à l’ion bicarbonate sur la résine, laquelle se laisse ensuite facilement régénérer avec un acide minéral.
Saturation : Ca²⁺(HCO₃⁻)₂ + 2 RCOOH ⇌ (RCOO⁻)₂Ca²⁺ + 2 H₂O + 2 CO₂ Régénération : (RCOO⁻)₂Ca²⁺ + 2 H⁺Cl⁻ ⇌ 2 RCOOH + Ca²⁺Cl₂
Ce procédé présente de nombreux avantages :
- — il réduit la dureté et diminue en outre la salinité totale ; il s’agit en fait d’une déminéralisation partielle ;
- — les résines carboxyliques absorbent l’acide régénérant à la manière d’un buvard et la consommation d’acide est pratiquement stœchiométrique ;
- — l’eau traitée ne contient pas, ou seulement très peu, d’acidité minérale ;
- — en même temps que la dureté carbonatée (et sans frais supplémentaires), on élimine les métaux lourds et on réduit la teneur éventuelle en chlore libre.
Tant qu’aucune résine carboxylique n’était agréée en France, ce procédé n’a pu être utilisé pour la décarbonatation de l’eau potable, et les utilisateurs français ont donc été amenés à employer des résines fortement acides sulfoniques, bien moins avantageuses.
Contrairement aux carboxyliques, ces dernières coupent les sels neutres et fixent la totalité des cations de l’eau brute. De plus, leur affinité vis-à-vis de l’ion H⁺ étant faible, elles nécessitent un gros excès d’acide pour leur régénération ; d’où leurs inconvénients :
- — consommation excessive de régénérant et donc nécessité de neutraliser les effluents ;
- — l’eau traitée contient de l’acidité minérale : il faut donc la couper avec de l’eau brute ; ces deux opérations nécessitent un contrôle du pH en continu ;
- — la capacité d’échange de la résine sulfonique est bien plus faible que celle de…
La carboxylique, ce qui nécessite un volume plus élevé de résine et une installation beaucoup plus importante.
À titre d'exemple, nous avons calculé les volumes de résines et de réactifs à mettre en œuvre pour produire 600 m³ d'eau décarbonatée à raison de 50 m³/h, et ce en partant d'une eau brute contenant 4,8 meq/l de TH et 4,0 meq/l de TAC.
Les figures 1, 2 et 3 sont des représentations graphiques des résultats de ce calcul et montrent l'avantage économique considérable des résines carboxyliques (COOH) par rapport aux sulfoniques (SO₃H).
Les valeurs obtenues tiennent compte du volume d'eau brute utilisé pour couper l'eau traitée sur résine sulfonique ; bien entendu, pour calculer les frais de fonctionnement de la résine sulfonique, il faudra également comptabiliser les quantités de chaux ou de soude nécessaires à la neutralisation des effluents de régénération.
En raison de l'intérêt considérable que peut présenter la décarbonatation de l'eau potable sur résines carboxyliques, nous avons développé le produit IMAC HP-332 dont la composition est conforme à la législation française et qui, venant d'obtenir l'agrément du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, pourra être utilisé pour décarbonater les eaux potables et les eaux de procédé des industries alimentaires.
Dans le cas fréquent des eaux bicarbonatées calciques, l'eau traitée contiendra une dureté résiduelle égale à TH-TAC. Pour éliminer celle-ci on fera suivre l'IMAC HP-332 travaillant sous forme H⁺ par la résine fortement acide IMAC HP-111 (également agréée pour le traitement de l'eau potable) régénérée au NaCl. Ces deux résines pourront éventuellement être régénérées successivement par un acide minéral suivi de chlorure de sodium.
Dénitratation
Ce procédé et le choix des résines ont déjà été évoqués par F. de Dardel dans cette même revue (1). Nous rappellerons simplement que les procédés par permutation d'ions présentent des avantages économiques et technologiques par rapport aux procédés biologiques. La concentration en nitrate n’étant le plus souvent qu'une faible partie de la salinité anionique de l'eau traitée, il était logique que les fabricants d’échangeurs d'ions aient cherché à mettre au point une résine fixant l'ion nitrate de préférence aux autres anions. Une telle résine a été développée et agréée par le CSHPF, sous la dénomination d'IMAC HP-555.
Dans le cas d’eaux contenant plus de sulfate que de nitrate (concentrations exprimées en eq/m³), ce produit présente plusieurs avantages par rapport aux échangeurs d’ions classiques, à savoir :
- — une capacité utile plus grande en fixation de nitrate ;
- — l'eau traitée contient moins de chlorure ;
- — la concentration en nitrate de l'eau traitée n’est jamais plus élevée que celle de l'eau brute.
(1) Résines échangeuses d'ions et eau potable (n° 112 de septembre 1987).
Ce dernier avantage, ainsi que la concentration moindre en chlorure sont illustrés en comparant la courbe de fuite de l'IMAC HP-555 à celle d'une résine de composition classique, IMAC HP-441. Après le percement de cette dernière, la fuite en nitrate s’élève au-dessus du niveau de la concentration à l'entrée, ce qui n'est pas le cas pour l'IMAC HP-555 (figures 4 et 5).
Ce détail est important du point de vue de la sécurité de fonctionnement des installations de dénitratation dont la fuite en nitrate n'est pas contrôlée systématiquement.
Quant à l'eau traitée, elle présente souvent une teneur élevée en chlorure, surtout en début de cycle. On peut réduire celle-ci en convertissant partiellement la résine sous forme bicarbonate, conversion qui est réalisée à l'aide d'une solution de NaHCO₃, après régénération à la saumure et déplacement. L'évolution de la qualité de l'eau traitée est portée sur les figures 6 et 7.
Un nouveau procédé permet la dénitratation et l'adoucissement simultanés de l'eau potable : pour ce faire, on utilise un mélange de résine cationique forte (IMAC HP-111) et de résine spécifique au nitrate (IMAC HP-555), le plus souvent dans des appareils type adoucisseur domestique. Les deux résines sont régénérées avec la même saumure, les ions Na⁺ régénérant la résine cationique et les ions Cl⁻ la résine anionique. On n'observe pas de consommation supplémentaire de réactif ; en effet, un adoucisseur courant n'utilisant que l'ion Na⁺ du sel régénérant, la totalité de l'ion Cl⁻ est perdue et passe dans l'effluent de régénération. Pour éviter la précipitation éventuelle de CaSO₄ au sein du lit de
Résine pendant la régénération, il est nécessaire de faire passer la solution régénérante (NaCl 8-10 %) à une vitesse d’au moins 6 l/h ; dans ces conditions, on observe la précipitation dans l’effluent et à l’extérieur de l’appareil.
Le rapport des volumes des deux résines sera fonction de leur capacité utile et du rapport TH/NO₃⁻ de l’eau à traiter. Il est recommandé de calculer le volume de la résine anionique au plus juste et de la saturer au-delà du percement de l’ion nitrate pour s’assurer qu’au moment de la régénération elle contienne le moins possible de sulfate.
Le procédé Carix
Ce procédé décrit précédemment (1), combine de manière originale la décarbonatation et la dénitratation. On utilise à cet effet le mélange de deux résines : IMAC HP-334 (carboxylique) et IMAC HP-494 (fortement basique). De par leur structure, toutes les deux peuvent être régénérées par le gaz carbonique sous pression. C’est ainsi que la résine carboxylique fonctionnera sous forme H⁺ et l’anionique sous forme HCO₃⁻.
L’avantage principal de ce procédé est qu’il est non polluant, car contrairement aux procédés classiques décrits plus haut, l’effluent de régénération ne contient que la salinité provenant de l’eau brute et fixée précédemment sur les résines. L’excédent du CO₂ régénérant est récupéré par dégazage et recyclé dans le système.
Un autre avantage important est le fait que, contrairement à la dénitratation sur résine anionique forme Cl⁻, la teneur en chlorure de l’eau traitée n’augmente pas, car les ions NO₃⁻ et SO₄²⁻ sont échangés contre l’ion bicarbonate.
Le procédé est très souple, car en faisant varier le rapport des deux résines, on peut mettre l’accent soit sur la dénitratation, soit sur la décarbonatation.
Les résines IMAC HP-334 et HP-494, déjà utilisées dans une importante installation en RFA, sont actuellement en cours d’agrément en France.
Conclusion
Pour chaque procédé évoqué ci-dessus, il existe actuellement des résines conformes à la réglementation en vigueur (sur le plan de la composition chimique et de la pureté), agréées ou en cours d’agrément en France :
- — résine anionique conventionnelle (IMAC HP-441) ou à sélectivité préférentielle pour la fixation de l’ion nitrate (IMAC HP-555),
- — résine carboxylique pour la décarbonatation pouvant être régénérée avec une quantité pratiquement stœchiométrique d’acide minéral (IMAC HP-332),
- — résine sulfonique d’adoucissement (IMAC HP-111),
- — résines acryliques spéciales pour régénération au gaz carbonique dans le cadre du procédé non polluant CARIX (IMAC HP-334 et HP-494).
Grâce aux progrès techniques incessants, l’échange d’ions est ainsi en mesure d’atteindre les nouveaux objectifs fixés par le législateur en matière d’eau potable.
En raison des inversions de légendes des figures illustrant l’article ci-dessus, paru dans notre dernier numéro, et compte tenu de son intérêt, notamment en ce qui concerne la nouvelle législation et les commentaires relatifs aux résines récemment homologuées, nous avons jugé utile de le publier à nouveau dans son intégralité.