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De nouveaux types de tuyaux de transport d'eau chaude

30 avril 1986 Paru dans le N°100 à la page 53 ( mots)
Rédigé par : L. LESSIRARD

Les Pouvoirs publics se préoccupent activement des problèmes d’économie d’énergie et s’intéressent dans ce contexte aux questions de récupération de calories, entre autres celles perdues dans les circuits de refroidissement des centrales électriques et installations analogues, pour utilisation en chauffage.

C’est ainsi que la ville de Pierrelatte et le Syndicat mixte d’aménagement rural de la Drôme (SMARD) ont conçu un projet de valorisation des rejets thermiques de l’usine d’enrichissement d’uranium Eurodif, située sur la commune de Pierrelatte.

Après études de faisabilité, le projet a finalement été exécuté en 1983 et 1984. Cette réalisation est destinée à assurer le chauffage d’une part d’un ensemble de serres horticoles, et d’autre part d’un ensemble d’immeubles collectifs à usage d’habitation ou de services, et cela avec de l’eau chauffée à 80-85 °C par des échangeurs placés sur le circuit de refroidissement principal de l’usine, comme indiqué sur le schéma de principe de la figure 1.

L’installation a été dimensionnée pour récupérer une puissance thermique de l’ordre de 150 MW, dont 15 MW pour le chauffage urbain. (Si l’on compte en outre les installations de récupération sur le site même de l’usine — déjà en service, en réalisation ou prévues — la puissance thermique récupérée globale est de l’ordre de 240 MW).

[Photo : Schéma de l’installation de valorisation des rejets thermiques de l’usine de Pierrelatte.]
[Photo : Vue générale du site de pose. Sur la droite le merlon qui recouvre la conduite, à l’arrière l’usine Eurodif. Remarquer le terrain gorgé d’eau.]

Suivant leur diamètre et leur situation sur ce réseau, différents types de tuyaux ont été utilisés :

— tuyaux d’acier pré-isolés (isolant PUR sous gaine plastique), principalement pour les petits diamètres ;

— tuyaux en fonte pré-isolés (isolant PUR avec peau d’étanchéité PUR), pour les diamètres moyens, comme la conduite de transport de chauffage urbain ;

— tuyaux Bonna « eaux chaudes » en béton armé avec âme en tôle (pré-isolés ou non) pour les conduites maîtresses et le réseau des serres.

Le réseau des conduites

« eaux chaudes » en béton armé

avec âme en tôle

Les deux premiers types de tuyaux — en acier et en fonte — énumérés ci-dessus sont déjà connus et nous n’en parlerons pas ici ; nous nous intéresserons dans la suite de ce texte au tuyau « eaux chaudes » en béton armé avec âme en tôle qui constitue un produit nouveau.

La portion de réseau réalisée à partir de ces conduites comprend une conduite isolée (pour l’aller) et des conduites non isolées (pour le retour). Les caractéristiques de ces conduites sont les suivantes :

— diamètre intérieur de la conduite isolée : Ø 700 mm ;

— longueur de conduite isolée : 450 m ;

  • — température de service (pour l’aller) : 80-85 °C, en régime continu ;
  • — perte de température estimée sur la conduite aller isolée : 0,08 °C/km au débit nominal de 0,8 m³/s (hors nappe) ;
  • — longueur de conduite non isolée (tous diamètres confondus entre Ø 400 et Ø 800) : 2 000 m ;
  • — pression maximale : 13,5 bars.

LE TUYAU BONNA « EAUX CHAUDES »

Ce tuyau est essentiellement composé :

  • — d’un caloporteur constitué par un tuyau en béton armé avec âme en tôle, dérivé du type de tuyau couramment utilisé depuis bientôt un siècle pour l’adduction et la distribution d’eau dans les villes ;
  • — d’une isolation — facultative — réalisée par des coquilles de polystyrène expansé (PSE) d’une qualité spéciale (fixées par cerclage sur le caloporteur). La figure 2 illustre la conception de ce tuyau.

Caloporteur

Dans le caloporteur la tôle assure l’étanchéité et participe à la résistance à la pression du tuyau. Le revêtement extérieur en béton armé protège extérieurement la tôle contre la corrosion par le phénomène de passivation, et assure la résistance mécanique de l’ensemble à la pression et aux charges ovalisantes. La protection contre la corrosion conférée par le béton n’est pas une simple protection du type « barrière physique » comme c’est le cas pour les peintures par exemple ; le béton – du fait de son pH élevé (12 à 13) – est chimiquement actif ; de ce fait tout élément en acier recouvert de béton se couvre en surface d’une couche particulière – continue, imperméable, adhérente – d’oxydes et d’hydroxydes, qui empêche toute corrosion ultérieure (comme la couche d’alumine sur l’aluminium dans les conditions atmosphériques normales) : c’est le phénomène de passivation. Cet effet heureux explique la bonne résistance à la corrosion des ouvrages enterrés souvent situés en terrain humide, voire en dessous de la nappe phréatique.

Sur le plan mécanique, la transposition du tuyau standard au tuyau en béton armé à âme en tôle pour transport d’eaux chaudes décrit ci-dessus n’a pas présenté de difficultés particulières.

D’un point de vue général, les modifications des caractéristiques du béton sont insignifiantes à cette température (elles ne deviennent sensibles qu’à partir de 300 ou 350 °C quand se produisent des changements dans la structure des cristaux d’hydrate correspondant aux constituants principaux du ciment, liés au départ de leur « eau de constitution »). Dans le cas particulier des bétons étuvés – qui est le cas de ces tuyaux – les modifications de caractéristiques sont nulles à ces températures. Par ailleurs, les modifications des caractéristiques des aciers du béton armé sont également insignifiantes à ces températures.

L’utilisation de ce type de tuyau pour les conduites de transport d’eaux chaudes suppose que l’on tienne compte, dans la conception et le calcul du tuyau, des effets du gradient thermique dans l’épaisseur de la paroi, et, éventuellement, des phénomènes de dilatation empêchée dans le sens longitudinal (du fait du frottement des remblais, par exemple), effets qui se superposent à ceux des sollicitations habituelles : pression, ovalisation, éventuellement flexion longitudinale.

Les phénomènes de dilatation empêchée, s’ils apparaissent, se traduisent par une compression longitudinale dans les tuyaux – ce qui ne pose aucun problème dans ce cas, le tuyau béton étant bien adapté, du fait de l’inertie de sa paroi, pour supporter cette sollicitation sans risque d’instabilité (flambage, cloquage…).

L’effet du gradient thermique se traduit par une distribution de contraintes* analogue – dans une section circulaire – à celle due à un moment d’ovalisation ordinaire, ce qui explique l’utilisation de l’expression « moment thermique » pour désigner cette sollicitation d’origine thermique. La résistance de la paroi du tuyau à cette sollicitation est assurée très simplement par une armature judicieusement positionnée et dimensionnée, d’une manière tout à fait comparable à ce qui est fait classiquement pour assurer la résistance aux moments d’ovalisation. En fait cette sollicitation est négligeable lorsque le tuyau est isolé et que la température de l’eau qui circule dans la conduite varie lentement ; elle ne devient appréciable que si la conduite n’est pas isolée ou – si elle l’est – lorsque la température de l’eau véhiculée varie rapidement (plus de 10 °C par heure).

Une méthode de calcul pour la détermination des contraintes d’origine thermique dans les tuyaux de ce type a été mise au point et vérifiée expérimentalement par une série d’essais sur tuyaux (sans isolation), l’eau à l’intérieur étant portée jusqu’à 125 °C. Le tuyau en béton armé s’avère donc tout à fait adapté au transport d’eaux chaudes.

(*) Compression sur la paroi intérieure (chaude) du tuyau et traction sur la paroi extérieure (froide).

[Photo : Croquis d’un tuyau Bonna de transport d’eaux chaudes traitées (P.S.E. = polystyrène expansé)]

Isolation

En matière d’isolation, le choix de la solution a été dicté par deux impératifs :

— permettre l’utilisation du tuyau quelles que soient les conditions d’humidité du sol (c’est-à-dire, à la limite, dans la nappe phréatique) ;

— ne pas nécessiter de revêtement d’étanchéité ; en effet les problèmes d’étanchéité sur isolation sont délicats et, à moins de solutions coûteuses, l’efficacité de cette étanchéité — donc la qualité de l’isolation — est souvent aléatoire.

Après étude des possibilités techniques actuelles, le choix du matériau isolant s’est porté sur le polystyrène expansé (PSE) ; ce matériau offre en effet l’avantage d’être compatible avec l’eau, du fait qu’il n’est pas chimiquement attaquable par l’eau, et qu’il est relativement étanche à l’eau (bien que très faible, l’absorption d’eau d’un PSE, même de qualité supérieure, n’est pas tout à fait nulle).

Les qualités de PSE disponibles dans le commerce n’étaient cependant pas convenables en l’état pour cette utilisation, et une mise au point — qui a duré plusieurs années — a été nécessaire pour en améliorer les résistances mécaniques et l’étanchéité à l’eau (en immersion).

[Photo : EVOLUTION DU COEFFICIENT Λ DE CONDUCTIVITÉ THERMIQUE DU PSE EN FONCTION DE SON ÉTAT IMMERGÉ OU NON (Θ intérieur 85 °C ‑ Θ extérieur 15 °C) — Figure 3.]

La qualité du PSE, de densité voisine de 50 kg/m³, retenue à l’issue de cette étude est caractérisée sur le plan de l’efficacité thermique par une valeur de conductivité pratique — λ — qui varie de 0,04 à 0,10 KCal/m·h·°C, suivant que l’isolant est placé en milieu sec ou complètement immergé (sans protection d’étanchéité). Cette variation est illustrée par la courbe du graphique de la figure 3 qui montre l’évolution du coefficient de l’isolant PSE d’un tuyau d’essai (de longueur 6 m — représentatif des tuyaux béton armé à âme en tôle prévus pour les conduites d’eaux chaudes — rempli d’eau maintenue à 80 °C). L’isolant PSE est nu, sans aucune protection, placé dans un bac qui était, par périodes, rempli d’eau ou vidé (périodes suffisamment longues pour s’assurer de la stabilisation du λ).

Il est remarquable qu’après une période d’immersion complète, le matériau retrouve son λ initial lorsqu’il est hors d’eau. Son comportement est parfaitement réversible : la faible quantité d’eau absorbée en phase immersion est rapidement restituée dès la mise hors d’eau. On constate par ailleurs que les caractéristiques mécaniques du PSE ne sont aucunement affectées par son contact — même prolongé — avec l’eau.

Des mesures de λ ont également été faites sur un tronçon d’essai installé dans un terrain en Normandie : le λ du PSE n’est jamais monté au-dessus de 0,045 KCal/m·h·°C, même en plein hiver alors que le sol est pourtant très humide du fait des pluies abondantes et fréquentes.

Ce n’est donc vraiment que lorsque la conduite se trouve complètement immergée dans la nappe phréatique et pendant plusieurs semaines que le λ atteint la valeur limite de 0,10 KCal/m·h·°C.

Les coquilles de PSE sont réalisées par moulage en éléments correspondant à un tiers de circonférence sur une longueur — suivant la génératrice du tuyau — d’environ 1 m ; l’épaisseur des coquilles pour réseau de Pierrelatte était de 50 mm, mais cette épaisseur peut être modifiée assez facilement pour adapter l’isolation aux conditions de déperdition thermique imposées. Les quatre tranches de la coquille sont munies de feuillures qui permettent l’emboîtement des coquilles au montage, de façon à rétablir la continuité de l’isolation et à interdire toute circulation d’eau à travers le joint entre coquilles, dans l’hypothèse où le tuyau serait immergé.

[Photo : Détail des feuillures sur une coquille en PSE.]

Les coquilles ainsi emboîtées les unes dans les autres sont maintenues plaquées sur le tuyau par cerclage avec un ruban de nylon. Le tuyau est ensuite

[Photo : Enroulement de la bande plastique sur les coquilles PSE.]

emballé sous bande plastique enroulée, d'une part pour l'esthétique, et d’autre part pour la protection mécanique du PSE contre les menues agressions (griffures,...) dues aux manutentions et au transport. Le montage des coquilles sur le tuyau se fait en principe en usine, comme dans le cas de Pierrelatte, mais pourrait sans difficulté être réalisé sur le chantier.

[Photo : Montage en usine des coquilles sur un tuyau. Remarquer les cerclages qui maintiennent les coquilles.]

Ce procédé d’isolation est une solution « rustique » — simple mais sûre — tout à fait compétitive sous l’angle prix-performance avec les solutions classiques dans son domaine de température (c’est-à-dire jusqu’à 85 °C en continu).

JOINTS ET ORGANES DE DILATATION

L'assemblage des tuyaux peut se faire soit par joint à bague élastomère, soit par soudure.

Dans la première solution, la dilatation de la conduite est reprise au niveau de chaque joint ; l'isolant suit les déformations du tuyau, en cisaillement, sans déplacement par rapport au sol. Cette solution fait l'objet d'essais en situation et sera prochainement opérationnelle.

Dans la seconde solution qui a été retenue pour Pierrelatte, la dilatation de la conduite est reprise par des compensateurs à ondes, principalement placés au niveau des coudes (de part et d’autre). Il est intéressant de remarquer que — pour des tronçons droits de grande longueur — la partie centrale du tronçon est bloquée dans le sol : seules les parties de tronçon à l’approche des compensateurs subissent les effets de la dilatation ; le déplacement des extrémités, qui conditionne le dimensionnement des compensateurs à ondes, est limité à une certaine valeur, indépendamment de la longueur du tronçon considéré.

[Photo : Tuyaux prêts à partir. Détail des abouts.]

LES ESSAIS

Des essais en situation sur un tronçon expérimental ont été réalisés pour vérifier le comportement global à la dilatation de conduites de ce type. Ils ont porté, entre autres, sur la détermination des conditions de glissement des extrémités de tronçon dans le cas de conduite à joints soudés, la vérification du comportement aux cycles de température et de pression, etc. Ils ont permis de confirmer la validité des modèles théoriques mis au point, et de s’assurer du bon comportement global du tuyau et de son isolation.

Quant à nos conduites « eaux chaudes » de Pierrelatte, elles sont en service depuis décembre 1983, sans incident.

D’autres solutions pour le transport d’eaux chaudes à des températures plus élevées sont en cours de développement.

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