L'emploi du charbon actif dans le traitement des eaux s'est très largement développé ces trente dernières années, avec le charbon en poudre puis avec le charbon en grains.
Dans le cadre de cet article, nous évoquerons essentiellement l'utilisation du charbon en poudre dans la lutte contre la micropollution d'origine accidentelle ; auparavant, nous rappellerons rapidement ce qu’est le charbon actif.
Le charbon actif
Le Conseil européen des fédérations de l'industrie chimique (dit « CEFIC ») donne des charbons actifs la définition suivante : « ce sont des produits carbonés dotés d’une structure poreuse présentant une très grande surface de contact interne. Ces matériaux issus d’un procédé industriel peuvent adsorber une large variété de substances, c’est-à-dire qu’ils sont capables de fixer des molécules sur une surface interne ; ils sont en conséquence appelés adsorbants ». Ce taux de fixation dépend de la température. C’est ainsi qu’on définit un isotherme d’adsorption qui, à une température donnée, pour un adsorbant défini, exprime en fonction de la concentration d'une molécule donnée la quantité fixée sur la surface du charbon.
Dans l’eau, pour un corps déterminé, on définit ainsi une équation empirique appelée isotherme de Freundlich qui s’exprime de la manière suivante :
X = K C^{1/n}
dans laquelle
- X_m = quantité de produit fixé pour une masse m d’adsorbant.
- C = concentration du corps à fixer à l'équilibre.
- K = constante.
- n = exposant de l’ordre de 2 à 10.
Élimination des produits micropolluants dans les eaux superficielles*
Des essais ont été effectués en utilisant de l'eau de Seine contenant les composés habituels de ce type d’eau, c’est-à-dire une teneur en carbone organique total d’environ 2 mg l⁻¹. Bien entendu, ce carbone organique total joue un effet perturbateur et c’est pourquoi les lois habituelles de l’adsorption ne sont pas applicables.
Quatre polluants ont été retenus pour cet essai :
- — le fluoranthène, représentatif des hydrocarbures aromatiques polycycliques ;
- — le lindane, représentatif des pesticides organo-chlorés ;
- — le lauryl sulfonate, représentatif des détergents biodégradables ;
- — le pentachlorophénol, représentatif des phénols aromatiques substitués.
Celui-ci doit être adsorbé par le charbon actif dans de moins bonnes conditions que les HCH (Hexachlorocyclohexanes) et que les PCB, dans lesquels la présence de plusieurs noyaux aromatiques accolés constitue un facteur éminemment favorable pour l'adsorption sur charbon actif.
Nous rappelons que selon la directive européenne, les eaux destinées à la consommation sont divisées en trois catégories :
- A1 : eau nécessitant un traitement physique simple et une désinfection.
- A2 : eau nécessitant un traitement plus complet, par exemple préchloration, coagulation, floculation, décantation, filtration, désinfection.
- A3 : eau nécessitant un traitement poussé identique à celui décrit en classe A2 mais avec un affinage en plus (le plus souvent un traitement sur charbon actif).
Cas des aromatiques polycycliques
Pour qu’une eau soit classée dans les catégories A1 et A2, la directive européenne fixe sa concentration maximale en hydrocarbures aromatiques polycycliques (avant traitement) à 200 nanogrammes l⁻¹ ; cette concentration est portée à 1 000 nanogrammes l⁻¹ pour la classe A3.
Les essais de traitement sur charbon actif ont été réalisés à des concentrations qui représentent 20 fois la concentration maximale en classe A3, c’est-à-dire à 20 000 nanogrammes l⁻¹ de fluoranthène, avec les résultats suivants :
- — traitement à 10 ppm de CA : 95,2 % d’élimination, soit une concentration de 960 ng l⁻¹ ;
- — traitement à 20 ppm de CA : 98,5 % d’élimination, soit une concentration de 300 ng l⁻¹ ;
- — traitement à 50 ppm de CA : 99,8 % d’élimination, soit une concentration de 40 ng l⁻¹.
Même avec des teneurs représentant 20 fois la quantité d’hydrocarbures aromatiques polycycliques autorisée, un traitement avec 50 ppm de CA permet donc de rendre l’eau conforme aux standards les plus sévères de la directive européenne. On peut ainsi faire largement face à des pollutions accidentelles très graves avec le charbon actif en poudre, même à des concentrations aussi élevées que ci-dessus.
Cas des pesticides
La norme européenne prévoit que l’on place les eaux présentant une teneur maximale en pesticides totaux de 1 µg l⁻¹ en classe A1, de 2,5 µg l⁻¹ en classe A2 et de 5 µg l⁻¹ en classe A3. Nous avons choisi de réaliser les tests à une teneur inférieure à la norme (0,1 µg l⁻¹) car, dans la pratique, c'est le taux de pollution qui est le plus souvent observé.
Dans ces conditions, nous avons obtenu de bons résultats :
- — traitement à 10 ppm de CA : 81,1 % d’élimination, soit une concentration de 20 ng l⁻¹ ;
- — traitement à 20 ppm de CA : 95 % d’élimination, soit une concentration de 5 ng l⁻¹ ;
- — traitement à 50 ppm de CA : 95 % d’élimination, soit une concentration de 5 ng l⁻¹.
Même pour des pollutions 10 fois plus faibles que la norme A1, on arrive à éliminer 80 % de la pollution en pesticides avec 10 ppm de CA. Compte tenu de l’allure des courbes, le taux d’élimination à des teneurs 10 fois plus élevées devrait être encore supérieur en pourcentage.
Cas du pentachlorophénol
Le pentachlorophénol est un phénol chlorosubstitué très représentatif des dérivés chlorophénolés. Les dérivés plus lourds et plus substitués tels que les PCB seront a fortiori mieux adsorbés. Les normes concernant les pesticides (le HCH étant l’un des principaux) sont pour la classe A1 une concentration maximale de 1 microgramme par litre. En classe A2 et A3 les chiffres correspondants sont de 5 microgrammes par litre dans les deux cas. On a obtenu les résultats suivants :
— traitement à 10 ppm de CA : 80 % d’élimination, soit une concentration de 20 000 ng/l ;
— traitement à 20 ppm de CA : 99 % d’élimination, soit une concentration de 1 000 ng/l ;
— traitement à 50 ppm de CA : 99 % d’élimination, soit une concentration de 1 000 ng/l.
L’élimination avec une teneur représentant 50 fois la pollution maximale autorisée permet d’éliminer par un traitement à 20 ppm de CA, 99 % de la pollution initiale, soit une teneur conforme à la classe A3.
Détergents
Pour qu'une eau soit classée en catégorie A1 ou A2, la norme européenne prévoit une teneur maximale en lauryl sulfonate de 0,2 mg/l. Elle est de 0,5 mg/l pour la classe A3. L’étude a été effectuée à une teneur en lauryl sulfonate de 0,5 mg/l. Les résultats suivants ont été observés :
— traitement à 10 ppm : 20 % d’élimination, soit une concentration de 0,4 mg/l ;
— traitement à 20 ppm : 20 % d’élimination, soit une concentration de 0,4 mg/l ;
— traitement à 50 ppm : 60 % d’élimination, soit une concentration de 0,2 mg/l.
En cas de pollution plus importante (jusqu’à 1 mg/l) les teneurs résiduelles sont respectivement après des traitements à 10, 20, 50 ppm de 0,8 mg/l, de 0,4 mg/l et de 0,15 mg/l.
Le charbon actif constitue un moyen médiocre d’éliminer les détergents biodégradables tels que le lauryl-sulfonate ; malgré tout, un traitement avec 50 ppm de CA permet de faire passer une eau de la catégorie A3 en catégorie A1. Il faut noter par ailleurs que la généralisation des détergents biodégradables a fait diminuer de manière importante ce type de pollution.
Élimination des mauvais goûts
Deux types d’essais ont été effectués :
— avec une eau de Seine ;
— avec une eau « artificielle », c’est-à-dire une eau de minéralisation identique à celle que l’on désire traiter, additionnée d’un produit donnant très mauvais goût. Dans ces essais on a choisi le classique acétate d’amyle et le trichloro-anisole.
Le principe des essais est le suivant : on mesure le nombre de dilutions que doit subir une eau pour ne plus présenter de goût notable. La dilution est aussi effectuée avec une eau dont la minéralisation est voisine de l’eau traitée.
Cas de l’eau de Seine
Le nombre de dilutions à effectuer pour que l’eau de Seine n’ait plus de mauvais goût (de moisi) est de 12 dans les conditions des essais, c’est-à-dire après avoir effectué une floculation sur l’eau de Seine brute. Après traitement avec 10 ppm de CAP, le nombre de dilutions nécessaires pour obtenir une eau sans goût est tombé entre 5 et 7. Après traitement avec 20 ppm de charbon actif, ce chiffre était réduit à 5, et à 2 après un traitement avec 50 ppm de charbon actif.
Cas des eaux artificielles
* acétate d’amyle
La teneur en acétate d’amyle incorporé à l’eau d’Évian a été telle qu’il fallait diluer 50 fois pour enlever le mauvais goût ; un traitement avec 20 ppm de charbon actif a permis de réduire ce nombre à 5 ; un traitement à 40 ppm a fait tomber à 1,5 le nombre de dilutions.
* cas du trichloroanisole
La teneur de trichloroanisole incorporé à l’eau d’Évian a été telle qu’il fallait diluer 30 fois pour enlever son mauvais goût ; un traitement avec 20 ppm de charbon actif a ramené ce nombre à 4. Un autre à 40 ppm a fait tomber ce chiffre à 2.
Le charbon actif en poudre constitue donc un bon moyen d’élimination des mauvais goûts : même à des teneurs aussi faibles qu’à 10 ou 20 ppm, on obtient déjà des résultats très substantiels.
Autres effets bénéfiques du charbon actif
Lorsqu’il est utilisé à d’aussi faibles doses que 5 ppm, le charbon actif facilite la décantation des flocs produits lors de l’opération de floculation en provoquant un effet de « plombage » tout à fait bénéfique.
Il permet en outre de réduire la pollution continue en atrazine et en autres dérivés de type pesticides qui contaminent souvent les eaux superficielles ou de forage. C’est ainsi que, sur une eau de Seine renfermant entre 100 et 500 nanogrammes d’atrazine et 2 mg/l de DCO, un traitement avec 10 ppm de charbon actif permet d’en éliminer plus de 50 %. Dans les mêmes conditions, on élimine 70 % des solvants chlorés présents initialement à la concentration de 17 microgrammes par litre. Signalons aussi que les eaux de forage ont de plus en plus tendance à être polluées par des quantités faibles mais significatives de dérivés de type solvants organochlorés (trichloréthylène par exemple). Là encore, un traitement sur charbon actif améliore leur qualité de manière significative.
Conclusion
Le charbon actif en poudre est un élément de flexibilité considérable mis à la disposition du traiteur d’eau. Utilisé de manière constante, il permet d’améliorer le goût de l’eau (surtout dans le cas d’eaux superficielles), de favoriser une bonne décantation après la floculation et d’éliminer une proportion non négligeable de la pollution « continue » en particulier dans le cas des eaux de forage. Par ailleurs, il permet de faire face à de nombreuses pollutions accidentelles. Celles-ci peuvent être de deux types :
— micropollutions d’origine chimique ou industrielle diverses : déversements d’hydrocarbures, de pesticides, de solvants chlorés, etc. ;
— pollutions d’origine climatique dues, en période de sécheresse, au développement de certaines algues libérant des produits à goût de moisi prononcé tels que la géosmine.
Un traitement sur charbon actif permettra de livrer une eau de goût acceptable et d’une qualité beaucoup plus constante.
« Tous les essais mentionnés dans cet article ont été effectués au laboratoire des eaux de la ville de Paris avec un charbon actif de la société CECA (qualité ACTICARBONE 25K). »