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De la filtration lente à la nanofiltration : petites histoires de grands procédés

30 septembre 1996 Paru dans le N°194 à la page 47 ( mots)

« Il y a très longtemps qu’on a songé à imiter la nature pour purifier les eaux troubles ou contaminées. On s’est d’abord contenté de les clarifier en leur faisant traverser des masses de sable, ou des parois poreuses, puis on est devenu plus exigeant, au fur et à mesure que les progrès de la science découvraient de nouvelles impuretés, et on a eu recours à tous les procédés possibles d’amélioration : physiques, chimiques, mécaniques, biologiques, séparément ou conjointement. »

Ce texte est extrait d'une conférence prononcée... en 1907.

Il se référait à la technologie de la filtration lente et les progrès de la science évoqués n’étaient encore que les travaux de Pasteur sur l’hygiène publique.

Et pourtant, on n’écrirait sans doute pas autre chose aujourd’hui et il reste exact que la technologie progresse par sauts successifs, chacun de ces sauts étant provoqué par un événement scientifique ou socio-économique.

De la filtration lente...

La filtration lente a donc été la première de ces technologies de traitement de l'eau. Elle est née en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas au cours des dernières années du XIXᵉ siècle. Elle a été implantée en France en 1896, il y a tout juste cent ans.

Il est cependant remarquable que cette technologie soit restée, avec quelques améliorations, pratiquement la seule pendant un demi-siècle, si on excepte l’introduction de la chloration, deuxième événement majeur de l’histoire du traitement de l'eau et transfert technologique dû à la guerre mondiale de 1914-1918.

...À la filtration rapide

Ce n’est en effet qu’au cours de la deuxième moitié du XXᵉ siècle que la filtration rapide s’est imposée sous la double pression du développement démographique et d’une pollution eutrophisante que l’on commençait seulement à percevoir. La capacité de production de la filtration lente de l’époque était en effet par trop tributaire des crues des rivières et de la présence des algues. Cette technologie était aussi par trop consommatrice de place. Née dans les grandes usines de Stockholm et Chicago, la filtration rapide s’est développée en France à partir de 1960.

On a assez rapidement perçu que la technologie de filtration rapide, par ailleurs très séduisante, n’offrait pas vis-à-vis de la désinfection de l’eau la même sécurité que la filtration lente et dans de très nombreux pays l’ozonation est venue la compléter. L’ozonation vraie, c’est-à-dire virulicide avec un résiduel de 0,4 mg/l pendant quatre minutes, s’est imposée en France à cette époque, sous l’impulsion de Coin et Gomella. C’est la première apparition de la notion moderne de C x T pour caractériser l’efficacité d’une étape de désinfection.

Des ressources de plus en plus polluées

Si on veut caractériser par une seule phrase l’évolution du traitement de l'eau au cours des quelque 50 dernières années, il faudrait ne parler que du développement de la pollution des ressources. La prise de conscience n’en a été d’abord qu’indirecte, faute de moyens d’analyse.

La lente montée des teneurs en ammoniaque d’abord a amené le taux de chloration à la limite de l’insupportable ce qui a conduit à de nouvelles technologies de traitement, la filtration biologique, avec suppression de la chloration qui est apparue en 1970.

Mais au cours de cette même décennie 70, s’est produit un événement majeur dont la portée n’est pas apparue immédiatement : la banalisation de la chromatographie dans les laboratoires. On est devenu capable de lire la pollution organique alors que l’on était jusqu’alors aveugle à cet égard. On a pris en même temps conscience, grâce aux travaux de Rook, qu’une partie de la pollution naissait de l’effet du traitement lui-même, des oxydants en particulier, sur des matières organiques d’origine naturelle que l’on ne considérait pas jusqu’alors comme une pollution.

Coagulation, ozone et charbon actif

C’est le commencement de l’ère que nous vivons. En 25 ans, il va naître largement plus de technologies de traite-

ment qu’au cours des 75 années précédentes. Les défis sont en effet nombreux : comment éliminer la micropollution organique, jusqu'à quel point ; comment désinfecter l'eau sans créer de sous-produits ; quel niveau de sous-produits accepter pour ne pas compromettre la désinfection ? Le distributeur sort d’une époque de certitude pour entrer dans celle du « balancing the risks ».

On a appris d’abord à mieux utiliser, vis-à-vis de ces contraintes nouvelles, les trois technologies dont on disposait déjà : coagulation, ozone, charbon actif. On sait comment optimiser la coagulation pour réduire les teneurs en matières organiques d'origine naturelle, puis comment les réduire encore, avant une chloration finale par du charbon actif fréquemment régénéré ou par un couplage ozone-charbon actif fonctionnant en réacteur biologique (BAC). Cette dernière technologie très performante naît en Allemagne et en France en 1975.

La décennie des années 1980 voit naître quelques technologies nouvelles, l'impulsion étant alors donnée par la banalisation de la pollution d’origine agricole, nitrates et pesticides. De nombreux procédés de dénitratation sont mis au point mais aucun ne s’impose vraiment tant il apparaît clair que le problème doit être pris à la source.

Par contre, l’oxydation radicalaire qui peut être pratiquée de manière simple dans les milliers d’usines de traitement équipées d’ozone en ajoutant du peroxyde d’hydrogène s’avère un moyen de lutte efficace vis-à-vis des pesticides.

La désinfection : une science nouvelle

Nous vivons aujourd’hui la décennie 90. Elle est marquée par le renouveau de la priorité donnée à la lutte microbiologique, cent ans après la mort de Pasteur. Le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre des individus immuno-déprimés, la prise de conscience de nouveaux risques (Giardia, Cryptosporidium) en sont la cause. À ces risques aigus s’ajoutent ceux à long terme : on n’admet plus que l'eau soit à l’origine d’un cas supplémentaire de cancer sur 10⁵ ou 10⁶ personnes au cours d’une vie entière.

La désinfection, cent ans après Pasteur, devient une science nouvelle. On suit le devenir des bactéries et des parasites dans l’étape de coagulation et on parle de coagulation avancée en utilisant, pour ce traitement traditionnel, des notions nouvelles de logarith-

[Photo : La filtration lente, première technologie de traitement de l'eau, est restée pratiquement la seule, si on excepte la chloration, pendant plus d’un demi-siècle. Vue d’un sélecteur Sivade - appareil automatique destiné au nettoyage de filtres à sable de grande surface employé à l’usine de Choisy-le-Roi au début du siècle (doc. SEDIF).]

me d’abattement de bactéries ; on travaille l'hydraulique des cuves d’ozonation ou des bassins de contact de chlore. C’est-à-dire que l'on optimise nos traitements classiques de désinfection. On comprend, chaque jour davantage, les phénomènes complexes de reviviscence qui se produisent dans les réservoirs et le réseau de distribution.

Mais en même temps, on perfectionne la vieille filtration lente. C’est ce qui est le plus étonnant au cours de ces cent ans d’histoire de traitement de l’eau : jamais un procédé n’est devenu obsolète et n’a été abandonné. La notion de « latest technology » n’existe pas, une vieille technologie que l’on adapte aux nouveaux impératifs reste toujours jeune.

[Photo : Avec les membranes de nanofiltration on assiste dans la science du traitement de l'eau à une miniaturisation comparable à celle qui a eu lieu dans le domaine de l’électronique. Vue des batteries de membranes à l’usine de Méry-sur-Oise (doc. SEDIF).]

Les membranes

S'il fallait donc réserver à une seule technologie ce terme de « latest technology », c’est bien évidemment aux membranes qu’il faudrait l’appliquer.

Elles apportent dans le traitement de l'eau une notion de barrière ; en outre, comme les autres technologies séparatives, elles ne créent pas de sous-produits. Au cours de ces toutes dernières années, la microfiltration et l’ultrafiltration ont atteint l’âge de raison. Elles constituent un moyen séduisant de lutte contre le péril microbiologique. Le réseau de distribution doit toutefois rester protégé par une chloration, et l’élimination des matières organiques d’origine naturelle est toujours un impératif pour assurer à la fois la stabilité du chlore et l’absence de sous-produits d’oxydation. Dans le cas d’eaux chargées en matières organiques, la nanofiltration (fille de l’osmose inverse mais à un prix beaucoup plus accessible) semble être la bonne voie.

Dans beaucoup de pays — USA, Hollande, pays scandinaves, Angleterre, France — les technologies membranaires sont de plus en plus fréquemment utilisées.

Cette brève histoire des technologies du traitement de l’eau est directement transposable aux pays en développement, et d’une manière générale au développement durable, en effet :

  • les risques microbiologiques sont et resteront partout les risques essentiels,
  • la rareté des ressources conduit inéluctablement à la réutilisation de l'eau, volontaire ou non. Ce phénomène irréversible ne fait certainement qu’amplifier le risque microbiologique. Une politique de protection de la ressource reste certes utile, mais n’aura que des effets limités,
  • la dispersion de l’habitat conduit à des petits systèmes de traitement difficiles à entretenir et à contrôler.

Les technologies qui permettent de relever les défis existants

On sait réutiliser les eaux usées pour l’irrigation de manière sûre, que ce soit par des technologies simples mais consommatrices d’espace, comme l’infiltration dans le sol, ou par des technologies compactes combinant la filtration et la désinfection.

On sait aussi produire une eau potable saine à partir d’une ressource polluée

par les eaux usées, mais il ne faut pas classer les technologies en « vieilles » ou « modernes ». Il n’y a pas de différences fondamentales aux deux extrémités de l’échelle entre les performances d’une filtration lente et celles d’une membrane de microfiltration.

S’il est certainement plus facile d’entretenir sans compétences particulières un filtre lent, et s’il réclame moins d’énergie, on est en revanche plus certain d’obtenir, sans qu’une grande compétence ne soit non plus nécessaire, une capacité de production constante avec une membrane.

La chloration des eaux traitées, et surtout des réseaux de distribution, reste à l’évidence indispensable et elle ne doit pas être condamnée pour des raisons idéologiques ou écologiques. Mais par contre, il ne faut pas croire aveuglément aux vertus de la chloration et penser qu’elle nous protège dans tous les cas. Si on chlore de l’eau mal préparée pour recevoir le chlore, on court certes à long terme des risques avec les sous-produits de chloration, mais on court surtout des risques à court terme avec les microorganismes pathogènes résistants au chlore. Ils sont de plus en plus nombreux, et au fur et à mesure des progrès de l’hygiène et de la médecine, les populations y sont, paradoxalement, de plus en plus sensibles.

Si l’on veut se contenter pour caractériser une eau traitée avant mise en distribution de deux mesures simples, ce sera incontestablement la turbidité et le chlore qu’il conviendra de surveiller pour protéger au mieux la santé publique.

Prélèvements et analyses : des progrès considérables

Enfin, parmi les technologies modernes, il convient de ne pas oublier les capteurs et les moyens d’analyse qui ont fait au cours des dix dernières années des progrès considérables.

On trouvera là encore aux deux extrémités de l’échelle les capteurs en ligne sophistiqués et les méthodes d’analyse de terrain.

Pour en rester au domaine de la microbiologie, qui est certainement le plus important, il existe maintenant des moyens fiables, simples et peu onéreux de surveillance sur le terrain de la présence des germes-tests, Escherichia coli en particulier.

Leur utilisation est devenue indispensable au point de production pour les petits services, en réseau de distribution pour les grands services.

Il existe aussi des méthodes qui permettent de choisir les points de prélèvement en réseau de manière à assurer, par le contrôle d’un nombre de points limités, une sécurité globale aussi satisfaisante que possible.

Conclusion

En 1996, nous disposons sans doute d’un arsenal de technologies complet dans lequel chacun peut choisir. Il faudra peut-être le compléter cependant au cours des prochaines années vis-à-vis d’ennemis nouveaux, les toxines des algues par exemple. La pollution de plus en plus insidieuse des ressources, et l’eutrophisation qui en découle, ne manqueront pas de donner à l’avenir à ce thème de plus en plus d’importance.

Mais la technologie ne sera jamais performante si les hommes qui la conçoivent, l’installent, l’exploitent et la contrôlent, ne sont pas entraînés à le faire. L’éducation et la formation des hommes ne seront jamais remplacées par une technologie nouvelle.

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