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Culture des microalgues sur le digestat et leurs utilisations comme substrat de la digestion anaérobie

31 octobre 2014 Paru dans le N°375 à la page 103 ( mots)
Rédigé par : Faten SAIDANE-BCHIR, Hana GANOUN et Moktar HAMDI

Avec l'augmentation actuelle de la taille de la population mondiale et la course acharnée vers la recherche de la technologie et le confort, la demande et l'utilisation globale des carburants, surtout d'origine fossile n?a cessé d'augmenter. Ces carburants sont caractérisés par un coût d'exploitation relativement faible. Cependant, l'épuisement imminent des plus grandes sources mondiales ainsi que la détérioration attestée de l'environnement ont détourné l'attention vers la recherche de nouvelles sources d'énergie renouvelables et non polluantes

Le développement de bioénergies d'origine végétale a permis de trouver une alternative à cette course acharnée vers la production d’énergie. Cependant, plusieurs problèmes ont freiné cet apogée. D’une part, le problème environnemental dû à l’utilisation massive des pesticides et d’autre part, la crise alimentaire et la flambée des prix, conséquence flagrante de la compétition pour les terrains agricoles.

Les cinq dernières années, la recherche s'est focalisée sur la production de biodiesel à partir des microalgues. Cependant, les coûts de revient élevés, 4–20 €/kg, et les problèmes techniques rencontrés ont limité le développement de cette technologie (Rawat et al., 2013).

La digestion anaérobie représente une alternative prometteuse pour la production de bioénergie. Ce procédé est rendu d’autant plus intéressant par l’apparition du système à deux étages constitué d'une digestion anaérobie couplée à la culture de cellules algales (figure 1).

Une limitation technico-économique s’impose pour ce type de couplage et qui se manifeste au niveau de la culture et de la bio-méthanisation des microalgues (Ras et al., 2011). Nos travaux sont focalisés sur la sélection des souches de microalgues qui peuvent se développer sur le digestat dans le but de les recycler pour améliorer les rendements de biogaz.

Matériel et méthodes

L’optimisation de la culture de la souche de l'espèce Spongiochloris sp a été réalisée par addition des minéraux au digestat. Cette partie comporte deux principales étapes : une pondération des éléments ayant une importance pour la culture via le plan d’Hadamard suivie d’une optimisation de la concentration des facteurs influents en utilisant le plan factoriel fractionnel 2^4. L’estimation des MES, du nombre de cellules/ml et la production de chlorophylle a, pigment majoritaire de la photosynthèse, ont été décrites par Saidane-Bchir et al., en 2011. Les cultures ont été réalisées pendant 20 jours en conditions statiques, non stériles et à une température de l’ordre de 18-20 °C.

L’analyse de la composition du digestat en minéraux après culture des microalgues a été réalisée par spectrophotométrie d’absorption atomique.

Résultats et discussion

L’isolement de microalgues a été réalisé directement sur le digestat d’abattoir après exposition à la lumière. La culture sur milieu BBM solide a permis de purifier et d’isoler la souche obtenue. La caractérisation morphologique et l'utilisation des clés d'identification ont permis d’identifier la souche comme étant une Spongiochloris sp.

Le plan d’Hadamard comporte 11 facteurs (KH₂PO₄, K₂HPO₄, CaCl₂, MgSO₄, NaNO₃, Na₂EDTA, FeSO₄, H₃BO₃, ZnSO₄, MnCl₂ et NaHCO₃) et 12 expériences ont montré que l’addition de FeSO₄ et de NaHCO₃ (source de carbone) semble avoir une forte influence sur les trois réponses étudiées, suivis du MgSO₄ (le Mg étant l’atome

[Photo : Couplage de la digestion anaérobie et la culture de microalgues.]

central de la molécule de chlorophylle a) et du Na₂EDTA (chélateur du fer). Le MnCl₂, le NaNO₃ et le K₂HPO₄ présentent des coefficients globalement positifs mais de moindre importance que les précédents. Les facteurs retenus avec la matrice d’Hadamard : NaHCO₃, K₂HPO₄, MgSO₄, NaNO₃, Na₂EDTA, FeSO₄ et MnCl₂ ont pu être optimisés en utilisant le plan 2⁴.

La production de biomasse et la synthèse de chlorophylle ont également augmenté. Le plan factoriel 2⁴ a donc permis de mettre en évidence l’importance d’utiliser une teneur en FeSO₄ aux alentours de 5 mg/L. Par la suite, la variation de la teneur en fer entre 5 et 8 mg/L a permis d'améliorer ces résultats en atteignant 53·10⁶ cellules par mL, 1850 mg/L de biomasse et jusqu’à 65 mg/L de chlorophylle avec 6,5 mg/L de FeSO₄, c’est-à-dire qu’on a pratiquement doublé les rendements en optimisant la teneur en fer.

L’analyse des minéraux du digestat d’abattoir avant et après culture a montré que le minimum a été obtenu pour le zinc avec seulement 28,68 % d’élimination. Pour les autres éléments analysés, les taux d’élimination ont été assez intéressants puisqu’ils ont varié entre 69,2 % (pour le calcium) et 98,59 % (pour le potassium). Ceci indique donc qu'il y a eu une épuration chimique importante dans le digestat d’abattoir. Le processus d’absorption est dû en fait à un échange d'ions à travers les polysaccharides de la paroi cellulaire (Hammouda et al., 1995).

Après culture des microalgues, le rejet a aussi subi une décoloration. Ceci a donc permis non seulement la culture de microorganismes à haute valeur ajoutée mais aussi d’épurer le digestat d’abattoir. Cette épuration est due à la consommation par les microalgues des nutriments (minéraux, phosphore, azote…) qui étaient présents dans le milieu.

La culture de microalgues sur le digestat d’abattoir a permis, non seulement d’épurer cet effluent, mais aussi de trouver une alternative peu chère pour la culture de ces microorganismes à haute valeur ajoutée, même si on est obligé d’ajouter quelques minéraux pour améliorer les rendements. En effet, ces cellules étant riches en chlorophylle et en carbohydrates (60-80 % par rapport à la matière sèche) ont aussi été utilisées avec succès pour la production de bioéthanol, ce qui augmente encore plus leur valeur et nous pousse à optimiser et à améliorer leur culture.

Le couplage entre culture de microalgues et digestion anaérobie est très important dans la mesure où l’on a une amélioration du rendement et/ou de la composition du biogaz (Sialve et al., 2009) et qui est surtout due à l'augmentation du rapport C/N (Ehimen et al., 2011). Ce procédé présente aussi un impact positif sur l'environnement où le digestat collecté du premier étage sera épuré de manière biologique avec émission de très faible pollution liquide et/ou gazeuse. La culture de ces microalgues a été possible et performante en conditions non stériles, donc pas de nécessité de coûts supplémentaires pour le traitement thermique du digestat. Cette complémentarité algue-bactérie est surtout due à l’échange gazeux O₂/CO₂ entre les deux microorganismes, ce qui aide les bactéries à minéraliser la pollution organique résiduelle et favorise la croissance des microalgues (McGriff and McKinney, 1972). De plus, un effet bactéricide de certaines espèces de microalgues a été rapporté dans plusieurs travaux (Oswald, 2003 ; Schumacher et al., 2003), ce qui représente un avantage supplémentaire très recherché pour l’épuration microbiologique des effluents liquides.

L’addition de certains minéraux en faibles quantités de l’ordre de quelques milligrammes par litre (Saidane-Bchir et al., 2011) a permis de multiplier la production de microalgues par 4 après optimisation de la concentration en carbone, fer et magnésium dans le digestat d’abattoir.

En plus de la production de biomasse, les microalgues sont connues pour leur absorption des minéraux, ce qui permet l'épuration chimique du digestat. Plusieurs publications scientifiques ont montré cet effet où les taux d’absorption ont dépassé les 90 % pour plusieurs minéraux tels que le fer, le cuivre, le manganèse, le sodium et le potassium (Hammouda et al., 1995 ; Saidane-Bchir et al., 2011).

La valorisation de la biomasse obtenue permet de mettre en avant encore plus l'utilité de ce couplage. En effet, des microalgues riches en lipides, surtout les acides gras saturés, peuvent permettre la production de biodiesel de haute qualité avec récupération et digestion anaérobie des résidus cellulaires (Ehimen et al., 2011).

De plus, des souches riches en carbohydrates ont été découvertes et utilisées pour la production de bioéthanol avec des rendements qui dépassent 40 % par rapport à la matière sèche. Ces souches sont aussi caractérisées par un rendement C/N élevé,

d'où leur grand intérêt pour la méthanisation, ce qui permet d’augmenter les rendements en biogaz et/ou en CH₄ dans le biogaz (Ward et al., 2014). Les microalgues riches en protéines présentent des limitations pour la méthanisation à cause de la faible teneur en C/N (Sialve et al., 2009).

Le couplage entre microalgues et digestion anaérobie représente une solution fiable pour un traitement total (chimique et microbiologique) des effluents liquides avec double valorisation par la production de biogaz et de biomasse à haute valeur ajoutée. Ces deux dernières années, nos recherches se sont focalisées pour développer ce procédé afin de trouver la meilleure configuration technologique et d’optimiser les conditions opératoires.

[Encart : Références bibliographiques • Saïdane Bchir, F., Gannoun, H., El Herry, S., Hamdi, M. 2011. Optimization of Spongitos sp. biomass production in the abattoir digestate. Bioresource Technology, 102, 4, 3869-3876. • Ehimen, E.A., Sun, Z.F., Carrington, C.G., Birch, E.J., Eaton-Rye, J.J. 2011. Anaerobic digestion of microalgae residues resulting from the biodiesel production process. Applied Energy 88, 3454-3463. • Hamdi, M. 2010. Oxygen regulator element to reduce the climate change: the oxygen users must pay those who produce it. Rev Environ Sci Biotechnol. 9, 3, 187-192. • Hammouda, O., Gaber, A., Abdel-Raouf, N. 1995. Microalgae and wastewater treatment. Ecotox. Environ. Safety 31, 205-210. • McGiff Jr., E.C., McKinney, R.E. 1972. The removal of nutrients and organics by activated algae. Water Res. 6, 1155-1164. • Oswald, W.J. 2003. My sixty years in applied algology. J. Appl. Phycol. 15, 99-106. • Ras, M., Lardon, L., Bruno, S., Bernet, N., Steyer, J.P. 2011. Experimental study on a coupled process of production and anaerobic digestion of Chlorella vulgaris. Bioresour. Technol. 102, 200-206. • Rawat, I., Ranith Kumar, R., Mutanda, T., Bux, F. 2013. Biodiesel from microalgae: a critical evaluation from laboratory to large scale production. Appl. Energy 103, 444-467. • Schumacher, G., Blume, T., Sekoulov, I. 2003. Bacterial reduction and nutrient removal in small wastewater treatment plants by an algal biofilm. Water Sci. Technol. 47, 195-202. • Sialve, B., Bernet, N., Bernard, O. 2009. Anaerobic digestion of microalgae as a necessary step to make microalgal biodiesel sustainable. Biotechnology Advances 27, 409-416. • Uggetti, C., Sialve, B., Latrille, E., Steyer, J.P. 2014. Anaerobic digestate as substrate for microalgae culture: The role of ammonium concentration on the microalgae productivity. Bioresour. Technol. 152, 437-443. • Ward, A.J., Lewis, D.M., Green, F.B. 2014. Anaerobic digestion of algal biomass: a review. Algal Res. http://dx.doi.org/10.1016/j.algal.2014.02.001]
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