Your browser does not support JavaScript!

Critères de choix des matériaux filtrants dans les nouvelles filières de traitement de l'eau potable

30 octobre 1985 Paru dans le N°95 à la page 84 ( mots)
Rédigé par : Guy BABLON et Claire VENTRESQUE

Les filières classiques de traitement de l’eau potable ont été profondément modifiées au cours de ces dernières années ; de nouvelles phases de traitement ont été développées : processus biologiques et filtration sur charbon actif en grains ; d’autres ont été totalement remodelées : regroupement de la chloration en fin de filière et, inversement, répartition de l’ozonation en plusieurs points ; enfin, l’efficacité de certains procédés a été très accrue. Toutes ces modifications entraînent des répercussions sur les traitements classiques. La présente étude traite le cas de la filtration sur sable.

Conçue à l’origine dans un seul but, celui d’assurer en sortie une eau conforme à la norme de turbidité, l’intégration des filtres à sable dans les nouvelles filières modifie leurs caractéristiques de fonctionnement. La nature de l’eau à filtrer, les objectifs de la filtration et les paramètres de fonctionnement sont devenus différents.

Des modifications s’imposent quant aux caractéristiques du matériau filtrant en liaison avec les conditions hydrauliques de fonctionnement du filtre. En pratique, il faut redéfinir la méthodologie qui guide le choix du matériau filtrant en fonction des performances à obtenir.

Nous examinerons le cas des deux plus importantes usines du Syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les Eaux, celle de Choisy-le-Roi (800 000 m³/j) et celle de Neuilly-sur-Marne (600 000 m³/j), toutes deux conçues et gérées par la Compagnie Générale des Eaux.

NOUVEAUX OBJECTIFS POUR LA FILTRATION

La filtration rapide dans la masse est généralement la dernière étape de la séparation liquide-solide. Elle peut être suivie d’une seconde étape de « filtration », mais dans ce cas, ce sont les phénomènes d’adsorption et/ou de biodégradation qui sont mis en jeu. La tendance actuelle est de conférer plusieurs rôles à la filtration rapide :

— rôle d’affinage pour des eaux décantées faiblement chargées en matières en suspension (M.E.S.). Ce nouveau type d’eaux décantées est le résultat des améliorations permanentes dans les techniques de clarification : nouveaux coagulants et meilleurs procédés d’injection qui ont permis d’accroître l’efficacité de la coagulation ; la floculation a été améliorée par l’utilisation d’adjuvants ; les décanteurs sont plus performants. Ce rôle d’affinage est particulièrement important dans le cas où la filtration sur sable est suivie d’une filtration secondaire, par exemple sur charbon actif en grains. L’expérience montre que l’on a intérêt à produire pour la filtration secondaire une eau épurée de ses MES (de manière à filtrer sans perte de charge et donc à espacer au maximum les lavages) ;

— rôle de support biologique pour les bactéries nitrifiantes. En effet, on peut penser que le traitement en tête de filière au point de rupture sera progressivement abandonné (à l’exception peut-être du traitement des eaux faiblement minéralisées), compte tenu des problèmes qu’il pose (formation d’organochlorés, saveurs désagréables...) ;

— rôle de barrière pour les organismes vivants. Mieux une eau est clarifiée, plus les phénomènes de reviviscence bactérienne sont limités dans le réseau ; de même, le comportement des filtres en début de cycle est décisif quant à la pénétration de macro-invertébrés.

Par ailleurs, l’utilisation du sable comme support biologique entraîne la formation d’un biotope qui agit sur la qualité de l’eau par les maillons qui en constituent la chaîne alimentaire et par les métabolites formés. De plus, dans certains cas, la filtration rapide dans la masse devra résister convenablement aux variations de régime de production, souvent imposées par les fluctuations de la demande, conjuguées aux différences de tarification de l’électricité entre les heures de faible et de forte consommation.

La solution la plus simple pour satisfaire à ces nouveaux impératifs semblerait être une réduction de la granulométrie du média filtrant. Or, dans la plupart des cas, les problèmes hydrauliques qui en résultent ne permettent pas de modification radicale. Il est donc nécessaire d’optimiser de manière très fine le choix du matériau en faisant appel à des critères de choix nouveaux, ce qui a fait l’objet de l’étude présentée ci-après, qui a été menée en gardant à l’esprit que la méthodologie appliquée devait rester simple.

[Photo : Pilote pour la détermination de l’indice de filtrabilité de Ives.]

DESCRIPTION DES ESSAIS

Pour se placer dans les meilleures conditions, c’est-à-dire une efficacité de séparation maximale pour une perte de charge fixée, nous avons utilisé une cellule de filtration du type de celle de Ives (figure 1). Les caractéristiques granulométriques des sables testés sont reportées au tableau I.

TABLEAU I

Caractéristiques granulométriques des sables

Sables (*) TE (mm) (**) CU (***) Observations
A1 0,91 1,24
A2 0,86 1,66
A3 0,84 1,30
A4 0,78 1,22
B1 0,53 1,72
B2 0,51 1,57
B3 0,47 1,64
C1 0,31 1,74
C2 0,26 1,85

(*) Sables de rivière tamisés. (**) TE = d90 : diamètre à 90 % de refus. (***) CU = d60 / d10 : avec d40 diamètre à 40 % de refus.

Les essais ont été réalisés à partir d’une eau décantée dont les caractéristiques moyennes sont les suivantes :

  • turbidité : 0,3 à 1,0 NTU ;
  • nombre de particules de taille > 1 μm : 5 000 à 15 000 /ml ;
  • matières en suspension : 0,5 à 1,5 mg de matière sèche /l.

% de perte de charge initiale par rapport à la perte de charge disponible :

Δp disponible × 100  
Δp initial
[Photo : Influence de la granulométrie du sable sur la perte de charge à la filtration.]

Les résultats obtenus sont consignés sur les figures 2 et 3.

On peut admettre selon l’exploitation un ratio d’environ 20 % entre la perte de charge initiale et la perte de charge disponible (P.d.c. dans l’installation existante), ce qui ne pénalise pas la durée de filtration et, par conséquent, le volume d’eau destiné au lavage des filtres. Sur la figure 2 on constate qu’une taille effective (T.E.) inférieure à 0,6 mm génère dès le démarrage des P.d.c. prohibitives.

La figure 3 met en évidence qu’un abattement de 90 % (ce qui est pour le moins souhaitable) s’obtient pour des T.E. inférieures à 0,7 mm.

Dans le cas présent, il convenait donc de retenir un matériau présentant une T.E. comprise entre 0,6 et 0,7 mm pour la gamme des eaux décantées et des coefficients d’uniformité (C.U.) définis précédemment. Il restait encore à choisir la nature du sable ; cette

% efficacité : N – No × 100  
No
[Photo : Influence de la granulométrie sur l’abattement du nombre total de particules. No : nombre de particules de taille supérieure à 1 μm par ml d’eau décantée. N : nombre de particules de taille supérieure à 1 μm par ml d’eau filtrée.]

sélection a été faite à partir de l'indice de filtrabilité de Ives défini par la formule suivante :

F = (ΔH × C) / (C₀ × V × t)

dans laquelle on a :

ΔH : perte de charge (en m de C.E.) dans le média au bout du temps t ; C : qualité de l'eau filtrée (comptage de particules exprimé en nombre de particules par ml ou volume des particules exprimé en cm³/m³ d'eau) ; C₀ : qualité de l'eau décantée (comptage de particules exprimé en nombre de particules par ml ou volume des particules exprimé en cm³/m³ d'eau) ; V : vitesse de filtration (10 m/h) ; t : durée de la filtration exprimée en heures.

Il est reconnu que cet indice exprime la relation entre la suspension à filtrer et le média filtrant. La rétention des particules est d’autant meilleure que l'indice est plus faible.

Les essais entrepris avaient pour but d'évaluer l’indice de filtrabilité d'Ives de plusieurs sables présentant la même granulométrie (0,6 mm < T.E. < 0,7 mm, C.U. < 1,3) mais d’origine différente, et ceci pour plusieurs temps de filtration. Les résultats obtenus sont présentés sur la figure 4. Celle-ci démontre l’intérêt d’utiliser du silex broyé pour la rétention des matières en suspension, car il présente l'indice d'Ives le plus faible quelle que soit la durée de filtration. De plus, ce silex broyé a subi un blutage permettant ainsi d’obtenir un coefficient d'uniformité (C.U.) voisin de 1,1. Cet aspect est particulièrement important car il évite le classement des grains au lavage, ce qui pénalise, voire empêche la filtration dans la masse ; d’ailleurs, l’élimination biologique de l’ammoniaque, qui s’effectue préférentiellement dans les premiers centimètres du filtre à sable, viendra encore renforcer cet aspect négatif du classement.

[Figure : Indice de filtrabilité de Ives à différents temps de filtration.]

CONCLUSION

En dépit de la multiplicité des rôles demandés aujourd'hui à l’étape de filtration, il est possible, au moyen d’essais simples et peu coûteux, de redéfinir les caractéristiques optimales d’équipement et de fonctionnement des filtres de clarification, en particulier pour le choix de la granulométrie et de la nature du matériau filtrant.

Il s'agit d'un problème d'actualité au moment où la mise en conformité avec la directive européenne nécessite une révision des filières mises en place dans les années soixante.

BIBLIOGRAPHIE

K.J. Ives, A new concept of filtrability, Prog. Wat. Tech., 1978, vol. 10, n° 5/6, pp. 123-137.

K.J. Ives, University College of London, Fundamentals of filtration, Water Filtration Proceedings, Antwerp, 21-23 May 1982.

J.C-L. Colin, G. Bablon, Le comptage des particules appliqué au traitement des eaux de surface, La Tribune du Cebedeau, 1982, vol. 35, n° 459, pp. 57-70.

S. Vigneswaren, M. Al Alousi, R. Ben Aim, Laboratoire de génie chimique USTL, Filtration dans la masse : modèles et réalités. Communication présentée aux 3ᵉ Journées Européennes de la Filtration à Paris (15-17 octobre 1980).

[Publicité : Sté P. JOHANET ET SES FILS]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements