Pour palier le déficit croissant des ressources en eaux souterraines, les eaux de surface sont aujourd'hui de plus en plus utilisées comme ressources destinées à la consommation humaine. Cependant, ces eaux posent souvent des problèmes de qualité : turbidité variable, micro polluants tels que les pesticides, germes microbiens, produits azotés... . Des traitements très complexes sont alors nécessaires pour satisfaire aux exigences de qualité des consommateurs. Ces problèmes ont ainsi favorisé le développement des procédés membranaires, tels que la micro filtration (MF), l'ultrafiltration (UF), la nanofiltration (NF) et l'osmose inverse (OI).
La qualité de la ressource peut cependant limiter dans certains cas l’utilisation des technologies membranaires. En effet, les procédés de NF et OI qui sont sensibles au colmatage restent principalement utilisés sur des eaux souterraines. Appliquées au traitement des eaux de surface, les combinaisons de procédés membranaires apparaissent aujourd’hui comme une alternative intéressante aux procédés conventionnels.
Les avantages de ce nouveau concept comprennent notamment :
- le principe de « multi-barrières » qui permet d’atteindre des objectifs de qualité au-delà des futures normes d’eau potable ;
- un procédé homogène qui repose uniquement sur des techniques physiques d’arrêt sélectif des composés ;
- des coûts d’investissement réduits par la compacité des procédés mis en œuvre et des structures de génie civil ;
- des coûts de fonctionnement qui ont considérablement diminué grâce au développement de nouvelles membranes.
Depuis 1994, le CIRSEE réalise des études pilotes sur l’évaluation des combinaisons de traitement membranaire appliquées aux eaux de surface. Les objectifs consistent à évaluer les performances hydrauliques des combinaisons de traitement afin de choisir le prétraitement le mieux adapté à la nanofiltration et à l'osmose inverse pour de forts taux de conversion (> 70 %). Leur efficacité pour la désinfection et l’élimination des polluants, tels que les précurseurs des sous-produits de désinfection et les pesticides, a été un des points essentiels de ces études.
Les procédés membranaires
Les membranes sont des matériaux poreux, perméables à l'eau. Elles retiennent toutes les espèces de taille supérieure aux dimensions des pores. Suivant le pouvoir de rétention obtenu (le seuil de coupure des membranes, défini comme étant la plus faible masse molaire d'une molécule rejetée à 90 %), différents procédés sont distingués :
La microfiltration (MF)
La microfiltration (MF) retient les particules de l’ordre de 0,1 µm. Ces membranes n'altèrent pas la composition ionique de l'eau. Seules les matières en suspension, colloïdes, bactéries et kystes de protozoaires sont rejetés ainsi que tous les éléments présents sous forme particulaire dans l’eau (fer, aluminium).
L'ultrafiltration (UF)
L'ultrafiltration (UF) retient les particules de l’ordre de 0,01 µm. De même, ces membranes n'altèrent pas la composition ionique de l'eau. Elles retiennent les colloïdes, le fer et le manganèse particulaire. Elles éliminent en outre les algues, les protozoaires (Giardia et Cryptosporidium), les bactéries et les virus.
La nanofiltration (NF)
La nanofiltration (NF), de l’ordre du nanomètre, 0,001 µm, présente des perméabilités sélectives pour les ions monovalents et divalents et permet aussi de séparer les ions des molécules organiques à faible poids moléculaire. Ce sont donc d'excellents outils pour déminéraliser partiellement l'eau (adoucissement) et pour séparer des molécules de faible taille.
L'osmose inverse (OI)
L'osmose inverse (OI), de l’ordre de 0,0001 µm (seuil de coupure d’environ 100 Daltons), est en général utilisée pour la désalinisation de l’eau saumâtre ou de l'eau de mer. C'est un procédé haute pression qui fonctionne entre 10 et 80 bars. Toutefois, de nouveaux produits, les membranes « thin film composite », permet-
Tableau 1 : Qualité de l'eau brute
pH | 7,8 (7,5 – 8,3) |
Indice de colmatage | > 2,5 |
Turbidité (ntu) | 3,8 (2,8 – 3,4) |
COT (mg/l) | 3,0 (2,5 – 3,6) |
NO3 (mg/l) | 0,087 (0,07 – 0,104) |
TAC (°F) | 18 (15 – 19) |
Mg²⁺ (mg/l) | 7 (3 – 8,5) |
Ca²⁺ (mg/l) | 7 (7,0 – 9,4) |
HCO3⁻ (mg/l) | 25 |
K (mg/l) | 3 (2,8 – 3,3) |
SO4²⁻ (mg/l) | 28 (28 – 33) |
NO2 (mg/l) | 1,6 (1,3 – 1,9) |
Coliformes totaux (cfu/100 ml) | 9 363 (1 200 – 40 000) |
Bactéries à 37 °C (cfu/ml) | 2 259 (100 – 4 400) |
Tableau 2 : Caractéristiques des membranes basse pression
Seuil de coupure | 0,2 µm (MF) / 0,01 µm (UF) |
Matériau | Polypropylène (MF) / Dérivé cellulosique (UF) |
pH de fonctionnement | 0,5 – 13,5 (MF) / 4 – 8,5 (UF) |
Membranes | Fibres creuses (MF et UF) |
Filtration | Frontale, Externe – Interne (MF) / Frontale ou Tangentielle*, Interne – Externe (UF) |
Pression de fonctionnement | 0,2 – 1,5 bar (MF) / 0,3 – 2 bar (UF) |
Mode de rétrolavage | Air (MF) / Perméat (UF) |
* selon la qualité de l'eau brute
Membranes basse pression
Paramètres | Traitement conventionnel | MF | UF |
---|---|---|---|
Turbidité (NTU) | 0,2 | <0,1 | <0,1 |
Indice de colmatage | 9,6 | 1,9 | 0,7 |
Nb particules >1,24 µm (/mL) | >200 | 40 | 2 |
COT (mgC/L) | 2 | 2,6 | 2,4 |
UVA254 | 0,042 | 0,062 | 0,063 |
Coliformes totaux (cfu) | ND | 0 | 0 |
Bactéries à 37 °C (cfu) | ND | 0 | 0 |
ND : non disponible
Tableau 3
types de modules : à plaques, spiraux, tubulaires et à fibres creuses (Figure 2). Les modules de type fibres creuses (membranes d’UF et de MF) et spi- raux (membranes de NF et OI) ont été utilisés dans cette étude. Ces configu- rations sont les plus répandues en trai- tement d’eau potable.
Les équipements industriels
Les études pilotes ont été réalisées sur la plate-forme d’essais de l’usine d’eau potable de Vigneux-sur-Seine (Esson- ne). Les principaux paramètres de qua- lité de l’eau de Seine mesurés pendant l’étude sont reportés Tableau 1. Les valeurs moyennes de turbidité et de carbone organique total (COT) de l’eau
[Figure : Schéma de principe du pilote de NF-OI]de Seine ont été respectivement de 3,8 NTU et 3,0 mg/L.
Trois prétraitements ont été mis en œuvre (Figure 3) : un prétraitement conventionnel, une unité de microfiltra- tion et une unité d’ultrafiltration (Photo 1). Les caractéristiques des membranes de MF et UF sont données en Tableau 2.
La Figure 4 présente le schéma de prin- cipe du pilote de NF-OI (Photo 2). Pour chacun des essais, l’eau d’alimentation du pilote de NF-OI a subi deux condi- tionnements : un ajustement du pH à 5,6 par ajout d’acide sulfurique et un ajout de séquestrant (hexaméthaphos- phate de sodium) pour une concentra- tion de 20 mg/L dans le concentrat. Ce pilote permet, par l’indépendance des lignes, de simuler l’hydraulique et la qualité d’eau traitée d’une unité indus- trielle à trois étages. Deux membranes de NF (NFA et NFB) et deux mem- branes d’OI (OIA et OIB) ont été éva- luées durant l’étude. Les membranes OIA et OIB se différencient par leur pression de fonctionnement respecti- vement de l’ordre de 9 bars et 14 bars.
Les résultats des essais pilotes
L’évaluation des prétraitements. L’étu- de a été réalisée en trois étapes suc- cessives au cours desquelles chaque prétraitement a alimenté le pilote de NF/OI. Pour ces essais, le pilote de NF/OI a fonctionné à un taux de conver- sion de 50 %, en simple passage et à pression constante (5 bars). La Figure 5 donne un exemple de l’évolution de la perméabilité de la membrane NFA rap- portée à sa perméabilité initiale pour chaque prétraitement testé. On consta- te que les prétraitements UF et MF pro- voquent respectivement une diminu- tion de perméabilité de 5 et 25 % après 30 jours de fonctionnement. Une bais-
Une réduction de plus de 70 % est observée avec le prétraitement conventionnel en moins de 20 jours de fonctionnement.
Les analyses de qualité d’eau des pré-traitements (Tableau 3) montrent que les procédés membranaires permettent de retenir les composés présents sous forme particulaire. Les membranes sont une barrière absolue vis-à-vis des matières particulaires. De plus, les variations de la qualité d’eau brute n’affectent pas leurs performances en matière de qualité d’eau produite. Le prétraitement conventionnel présente le meilleur rendement pour l’élimination de la matière organique (issue de l’étape de coagulation/floculation). Il ne permet pas en revanche de réduire l’indice de colmatage dans des proportions suffisantes pour répondre aux spécifications des fabricants (indice de colmatage < 5). Le procédé d’UF présente la plus petite densité de particules (2 particules/ml de taille > 1,24 µm) et le plus petit indice de colmatage (ID = 0,7), ce qui explique les meilleures performances de la combinaison UF/NF.
La qualité de l’eau traitée. Le Tableau 4 présente le pourcentage d’abattement de différents solutés obtenu avec la membrane NFA pour des taux de conversion de 55,6 %, 80 % et 90 %. Ces résultats ont permis de calculer la qualité d’eau équivalente d’une unité à trois étages fonctionnant à un taux de conversion global de 90 %. Les résultats montrent que :
• Le débit de sels est proportionnel au gradient de concentration à travers la membrane (proportionnel au taux de conversion). • Ce sont les ions fortement chargés qui sont le mieux retenus de par leurs fortes propriétés d’hydratation. L’ordre d’abattement observé est le suivant :
SO₄²⁻ > Mg²⁺ > Ca²⁺ > K⁺ > Na⁺ > NO₃⁻
Les sous-produits de désinfection (trihalométhanes – THM, haloacétonitriles – HAN et acides haloacétiques – HAA) ont été analysés sur l’eau d’alimentation et l’eau traitée du pilote de NF-OI. Les résultats (Tableau 5) montrent que la membrane NFA permet d’atteindre les limites de quantification basses pour chacun des composés analysés, même à fort taux de conversion (90 %).
Des dopages en nitrate, ammonium et pesticides (atrazine et isoproturon) ont été effectués pour caractériser les différentes membranes à un taux de conversion de 90 %. Les pourcentages d’élimination en NO₃⁻, NH₄⁺ et pesticides sont indiqués dans les Tableaux 6 et 7. Les membranes NFA et NFB présentent des taux d’abattement équivalents, mais en revanche faibles pour les nitrates et l’ammonium. Cependant, le taux de rétention des pesticides obtenu avec la membrane NFA est supérieur à celui de la membrane NFB d’environ 10 %.
Les membranes OIA et OIB (osmose inverse faible pression) se sont révélées être très efficaces pour l’élimination de tous les polluants, avec une rétention des pesticides supérieure à 98 %. Il est à noter que la rétention des NO₃⁻ est inférieure à celle des NH₄⁺.
* Eau d’alimentation du pilote conditionnée : [SO₄²⁻] = 183 mg/l
Tableau 4 : Qualité de l’eau brute et de l’eau traitée par NF – Membrane NFA
Paramètres | Eau brute (mg/l) | Rejet 55,6 % | Rejet 80 % | Rejet 90 % | Eau gage (mg/l) | Rejet |
---|---|---|---|---|---|---|
COT (mg C/l) | 3,01 | 91 % | 82 % | 81 % | 0,52 | 83 % |
UV 254 (cm⁻¹) | — | 97 % | 95 % | 91 % | 0,004 | 95 % |
TAC (°F) | 17 | 93 % | 92 % | 90 % | 5,2 | 92 % |
Mg²⁺ | 37 | 96 % | 95 % | 89 % | 0,27 | 93 % |
Ca²⁺ | 80 | 95 % | 93 % | 88 % | 6,5 | 92 % |
Na⁺ | 32 | 68 % | 45 % | 30 % | 59,5 | 51 % |
K⁺ | 36 | 66 % | 48 % | 39 % | 12,3 | 59 % |
SO₄²⁻ | 195 | 91 % | 94 % | 94 % | 58,5 | 89 % |
NO₃⁻ | 16 | 57 % | 34 % | 42 % | 110,6 | — |
Tableau 5 : Élimination des sous-produits de désinfection – Membrane NFA
Composé | Eau gage (µg/l) | Rejet 55,6 % | Rejet 80 % | Rejet 90 % |
---|---|---|---|---|
HAN* | 2 | < 0,5 | < 0,5 | < 0,5 |
HAA* | 18,8 | < 0,5 | < 0,5 | < 0,5 |
THM* | 39,3 | < 2 | < 2 | < 2 |
< indique la limite de quantification basse
* Temps de contact de 72 h et un résiduel cl2 de 0,2 à 0,5 mg/l de chlore libre
Abattement en %
Membrane | NO₃⁻ | NH₄⁺ |
---|---|---|
NFA | 16 % | 32 % |
NFB | 15 % | 33 % |
OIA | 68 % | 53 % |
OIB | 87 % | 64 % |
OIA : Membrane d’OI basse pression
Tableau 6 : Élimination des produits azotés
Abattement en %
Membrane | Atrazine | Isoproturon |
---|---|---|
NFA | 83 % | 70 % |
NFB | 69 % | 58 % |
OIA | 98 % | 98 % |
OIB | > 98 % | > 98 % |
OIA : Membrane d’OI basse pression
Tableau 8 : Élimination des pesticides
pour les membranes de NF et que cette tendance s’inverse pour les membranes d’OI.
Conclusion
Appliqués au traitement des eaux de surface, les procédés de NF et OI « thin film composite » nécessitent un prétraitement intensif. Cette étude a montré la supériorité des procédés membranaires par rapport aux traitements conventionnels pour le prétraitement des eaux de surface, en amont des procédés de NF et OI. Dans les conditions de fonctionnement étudiées, le procédé d’ultrafiltration apparaît être le prétraitement le plus efficace car il permet de produire une eau à très faible indice de colmatage (< 1).
En termes de qualité d’eau traitée, la NF élimine plus de 80 % du COT de l’eau et 100 % des sous-produits de désinfection. Cependant, cette technologie n’est pas destinée à traiter des eaux à forte teneur en nitrate. Dans ce cas, les membranes d’OI basse pression représentent une solution pour l’élimination des produits azotés. Le pourcentage d’élimination des pesticides par NF et OI est très élevé, voire total, pour les membranes d’OI. Cependant, il faut retenir que le couplage UF/charbon actif en poudre (procédé CRISTAL®) reste une option techniquement plus simple et économiquement plus avantageuse pour traiter des eaux dont la pollution est principalement due à la présence de micro-organismes et de micro-polluants (pesticides).
Selon la qualité de la ressource et l’objectif de qualité à atteindre, les combinaisons UF/NF ou UF/OI apparaissent aujourd’hui comme une véritable alternative aux traitements conventionnels.
Elles assurent en effet, en une seule étape, l’élimination quasi totale de la matière organique, des composés azotés (ammonium, nitrates), des micro-polluants. En outre, elles permettent d’adoucir et de désinfecter l’eau. Le concept multi-barrières des couplages membranaires doit être considéré comme une assurance de qualité.