Les microprocesseurs utilisent des mémoires vives (appelées R.A.M. = Random Access Memory) dont la capacité était de 1 024 bits ou 1 K en 1970, 4 K en 1974, 16 K en 1980, 64 K en 1983 et certains affirment avoir mis au point une mémoire de 256 K. L’accumulation de si nombreuses informations sur une plaquette de silicium de quelques dizaines de millimètres carrés impose l’amélioration constante des circuits, et donc une gravure de plus en plus fine. Elle était de 6 µm pour les circuits des mémoires de 16 K, elle est de 3 µm pour les 64 K, elle devra être de 1,5 µm pour les 256 K (1). Il est clair, dans ces conditions, que tout l’environnement de ces circuits intégrés, pendant leur fabrication, ne doit pas amener d’impuretés susceptibles de créer un défaut dont la taille serait du même ordre de grandeur que celle de la gravure.
L’eau utilisée à divers stades de rinçage fait partie de cet environnement et doit donc être conforme à des spécifications de plus en plus dures ; et même si l’incidence de ses diverses caractéristiques physico-chimiques sur le rendement de la fabrication des composants électroniques n’est pas forcément quantifiable, l’eau fournie aux ateliers en zone blanche doit répondre aux critères sévères mentionnés dans le tableau 1 [(2) et (3)].
TABLEAU 1
Caractéristiques physicochimiques de l’eau distribuée en salles blanches
Résistivité électrique : | > 14 à 18 MΩ·cm à 25 °C |
Résidu d’évaporation : | < 0,3 à 1 mg/l |
SiO₂ dissous : | < 0,01 à 0,02 mg/l |
Nombre de bactéries : | < 10/ml |
Nombre de particules comprises entre 2 et 5 µm* : | < 2 000/l |
Nombre de particules supérieures à 5 µm* : | < 200/l |
*La taille maximale autorisée pour ces particules risque d’être abaissée, étant donné l’apparition de gravures de plus en plus fines.
Cette eau ultrapure doit être élaborée à partir de l’eau brute disponible dont la nature et la quantité d’impuretés vont déterminer les technologies à mettre en œuvre et le dimensionnement des installations.
IMPURETÉS CONTENUES DANS UNE EAU BRUTE STANDARD
Nous supposons qu’il s’agit déjà d’une eau de qualité potable. Les impuretés sont caractérisées par plusieurs critères :
- – leur finesse, qui détermine leur état de dispersion (figure 1),
- – leur nature biologique : organismes vivants (bactéries, algues…) ou matériaux inertes,
- – leur nature chimique, qui peut être soit minérale (sels, gaz), soit organique (organismes vivants et résultats de leur dégradation, polluants synthétiques),
- – leur concentration, qui s’exprime en diverses unités selon leur nature : mg/l, méq/l, Ω·cm, mg d’oxygène du KMnO₄, DBO, DCO, COT, Fouling index.
Les impuretés les plus couramment rencontrées sont celles figurant au tableau 2.
PROCÉDÉS DE TRAITEMENT DES EAUX
Connaissant la nature et la quantité des impuretés à éliminer, on choisira les procédés adaptés dans la panoplie ci-dessous et dans l’ordre d’utilisation éventuelle :
TABLEAU 2
Principales catégories d'impuretés d'une eau brute
Type d'impureté | Analyse | Unités | Ordre de grandeur |
---|---|---|---|
Matières en suspension (M.E.S.) | Détermination des M.E.S. (4) | mg/l | 1 à 10 |
Turbidité (5) | gouttes mastic | 5 à 15 | |
NTU | 0,1 à 2 | ||
Colloïdes | Indice de colmatage (Fouling index) (6) | 2 à 5 | |
Matières organiques en solution | O₂ du KMnO₄ | mg O₂/l | 1 à 5 |
Absorption U.V. (E, 5 cm, 260 nm) | 0,5 à 5 | ||
Gaz | Chimique : oxydo-réduction, acido-basique | mg/l | 5 à 100 |
Sels | Chimique : TH, TAC, TA, TAF, Cl, SO₄, Na, K… | méq/l | 1 à 20 |
- coagulation, associée ou non à une décarbonatation à la chaux et à une chloration ou à une ozonation ; cette floculation a pour but de rendre filtrables certaines matières en suspension, ou des colloïdes difficiles à séparer sans un tel traitement ;
- décantation des matières floculées, en cas de teneurs importantes ;
- filtration sur sable ou sur filtres à double couche hydro-anthrasit / sable ;
- adsorption de substances organiques sur charbon actif ou sur résine adsorbante (Scavenger) ;
- osmose inverse et/ou échange d’ions ;
- filtration ultime : filtres à cartouche, filtre à pré-couche, ultra-filtre à membranes…
Notre propos sera volontairement limité aux procédés d’échange d’ions.
L'ÉCHANGE D'IONS
Les performances actuelles des processus d'échange d'ions sont le résultat, non seulement de l'amélioration continuelle de la qualité des produits, mais aussi du développement de procédés permettant d’exploiter au mieux leurs propriétés physico-chimiques.
Les échangeurs d'ions utilisés dans le traitement des eaux
Il s'agit pour la plupart de produits connus depuis longtemps ; mises à part certaines résines anioniques acryliques (7), les échangeurs d’ions n’ont pas connu de changement révolutionnaire depuis le grand pas franchi lors de la mise au point de la structure macroporeuse (8) il y a déjà plus de 25 ans. Leur évolution se caractérise plutôt par de perpétuelles améliorations au niveau de la production afin d’augmenter sa régularité, la pureté des résines et leur stabilité. Notons également un important effort de recherche dans le domaine des résines adsorbantes.
Les procédés de mise en œuvre des échangeurs d'ions
Un examen critique de l’histoire des échangeurs d'ions nous amène à constater que les procédés d’exploitation de ces produits n’ont pratiquement pas progressé jusque vers les années 60. Les efforts des producteurs portaient alors sur l’amélioration de la qualité de leurs produits et les constructeurs ne disposaient pas toujours de moyens leur permettant d’investir dans la recherche de procédés plus performants. Mis à part le système du lit mélangé (9), les échangeurs d’ions étaient utilisés dans des filtres à lits séparés, et régénérés exclusivement à co-courant.
Mais à partir de cette époque, la recherche de nouveaux procédés s’est développée aussi bien de la part de certains utilisateurs [procédés Asahi (10), I.F. (11), Himsley (12)] que de la part de constructeurs [contre-courant/contre-pression de Steinmüller (13), procédé Higgins (14), E.C.I. de Degrémont (15), procédé Ammonex (16) de Cochrane] et de la part des fabricants d’échangeurs d’ions [Stratabed de Rohm and Haas (17), Lewatit-Schwebebett (18), Lewatit-Lifbett (19) et Lewatit-Rinsebett (20) de Bayer par exemple]. Les axes de recherche concernaient :
- soit l'amélioration de procédés existants (régénération externe des lits mélangés, lit mélangé à trois composants, remis récemment au goût du jour par Duolite International (21)) ;
- soit la mise au point de procédés continus dans lesquels la discontinuité inévitable des opérations d’épuisement/ régénération-rinçage est compensée par la circulation rapide de la masse de résine dans les diverses parties de l’unité ;
- soit le développement de nouveaux procédés de régénération à contre-courant, déjà cités plus haut, visant à un meilleur rendement chimique, une meilleure qualité d’eau et à une disponibilité accrue de l’installation par réduction de la durée de la régénération (actuellement 1 h 30 à 2 h 30 pour les procédés Bayer).
Le résultat de tous ces efforts est la mise à la disposition de l’industrie de matériels nettement plus rentables que les anciennes installations à co-courant.
PERFORMANCES ACTUELLES DES PROCÉDÉS D’ÉCHANGE D’IONS
La mise en œuvre des meilleurs échangeurs d’ions dans les procédés modernes d’exploitation permet de répondre sans difficulté aux trois premières spécifications citées dans le tableau 1 (résistivité, résidu d’évaporation et silice résiduelle).
L’utilisation de techniques complémentaires (filtration, voire ultrafiltration, traitements bactéricides…) ainsi qu’un contrôle permanent de la qualité des réactifs de régénération et de l’état des composants de l’installation conduisent à la production d’eau répondant aux autres critères de pureté cités dans ce tableau (à savoir nombre de particules en suspension et état bactériologique).
Du seul point de vue de la sécurité, une installation de production d’eau ultrapure se doit en 1984 de comporter les éléments suivants :
- — une pré-épuration physicochimique délivrant une eau de qualité potable au minimum,
- — une installation de déminéralisation primaire,
- — une chaîne de finition,
- — une filtration de sécurité.
Les résines utilisées dans les filtres échangeurs d’ions doivent présenter une structure macroporeuse dont les propriétés adsorptives à l’égard des substances organiques en solution (22) sont complétées par une très grande stabilité mécanique et chimique. Cette structure très stable apporte non seulement un élément de fiabilité, mais réduit également la maintenance par diminution de la fréquence des lavages à contre-courant et soulage la filtration installée en aval grâce à une moindre attrition des résines.
Déminéralisation primaire
Sa définition précise est dictée par l’analyse de l’eau brute, les critères d’environnement, la facilité d’exploitation et les considérations économiques. Le traiteur d’eau se trouvera alors confronté à deux choix d’importance :
- — régénération à co- ou contre-courant ? cette dernière s’impose à notre époque par tous ses avantages ;
- — dégazage atmosphérique ou non ?
Les tours de dégazage fréquemment intégrées dans les chaînes de déminéralisation constituent des sources de pollution (bactérienne en particulier) de l’eau décationnée. Il peut donc être raisonnable d’y renoncer, quitte à utiliser plus de résine anionique fortement basique, et à consommer plus de soude. L’eau sortant d’une telle installation comporte généralement une résistivité supérieure à 1 MΩ·cm, un résidu sec inférieur à 1 mg/l et une teneur en SiO₂ inférieure à 0,02 mg/l.
Chaîne de finition
L’implantation des techniques modernes dans la conception des chaînes primaires est maintenant un fait acquis ; par contre, les chaînes de polissage restent encore très classiques. Même si elles ont fait l’objet de certaines améliorations (23), elles n’en restent pas moins cantonnées aux lits mélangés.
Ceux-ci présentent des avantages certains : bonne pureté de l’eau traitée, construction compacte, donc d’investissement réduit… ; mais aussi des inconvénients notoires : rendement déplorable avec fortes consommations de régénérants et d’eau de service, régénération longue et délicate, automatisation malaisée, risque permanent de pollutions réciproques des deux résines l’une par l’autre et/ou de l’une par le réactif de l’autre.
La recherche d’amélioration des techniques d’obtention d’eau ultrapure devrait donc se localiser ces prochaines années sur la conception des chaînes de finition.
Certains résultats industriels (24) permettent déjà d’envisager d’autres conceptions que celle du filtre à lit mélangé. Le système échangeur de cations (C) – échangeur d’anions (A), tous deux régénérés à co-courant, est connu depuis très longtemps et ne permet pas d’assurer une résistivité supérieure à 10 MΩ·cm ; par contre, les installations évoquées précédemment…
TABLEAU 3
Teneur résiduelle en aval de montage de filtres à lits séparés
(valeurs extraites de la littérature)
Système | Régénération | Conductivité (µS/cm) | Teneur résiduelle (ppb) |
---|---|---|---|
——— | ————————— | ————————————— | ——————————————— |
C-A | co | 0,15 – 0,2 | Na : 4-5 Cl : — SO₄ : 7 |
C-A | WS | 0,09 | Na : 0,6-2 Cl : 0,3 SO₄ : 0,2 |
C-A-C | WS | 0,06 | Na : 0,3 Cl : 0,1 SO₄ : 0,15 |
C-A-C | Tripol *) | — | Na : 0,6-1 Cl : 0,5-1 SO₄ : 0,5-1 |
co = régénération à co-courant ; WS = procédés ascendants Lewatit ; *) = C sous forme NH₄.
ment (25) permettent d’envisager des chaînes C-A, régénérées à contre-courant, en tant que de besoin ou en série avec la chaîne primaire.
De telles unités délivrent une eau d'une résistivité supérieure à 15 MΩ·cm ; toutefois, le rinçage final de l’échangeur d’anions peut être assez long lorsque ce dernier est régénéré à chaque fois en série avec l'échangeur d’anions de la chaîne primaire, et qu’il reçoit alors un énorme excès de soude. Mais il ne faut pas oublier que cette régénération en série (chaîne de finition → chaîne primaire) offre des avantages importants :
- — effet bactériostatique, voire bactéricide, des régénérants sur la chaîne de finition,
- — automatisation très facile,
- — économie du poste de régénération spécifique à la chaîne de polissage,
- — consommation nulle de réactifs et d'eau de rinçage.
La difficulté de rinçage de l'échangeur d’anions final disparaît en ajoutant un dernier filtre cationique tampon qui est régénéré avec les deux autres (tableau 3).
La chaîne de finition optimale que nous recommandons aujourd'hui est donc la suivante : C (WS) — A (WS) — C (WS) régénérée et rincée à contre-courant (WS) et en série avec la chaîne primaire. Elle permet d'obtenir l'eau de la plus haute qualité, avec une consommation nulle de réactifs et d’eau de service, et en fonctionnement totalement automatique.
Cette chaîne de finition peut être conçue soit en filtres séparés — elle représente alors un investissement supérieur à celui d'un filtre à lits mélangés — soit dans une seule colonne « Lewatit-Multistep » ; elle devient alors compétitive par rapport aux lits mélangés, et présente des avantages d’exploitation incomparables.
La figure 1 représente le principe de fonctionnement du procédé Lewatit-Multistep, la figure 2 indique les principales applications auxquelles nous avons pensé jusqu’à présent.
Les premiers résultats industriels obtenus dans le traitement des condensats (figure 3) démontrent que ce système peut devenir la chaîne de finition de l'avenir en délivrant une eau dont les caractéristiques répondent parfaitement aux spécifications chimiques mentionnées dans le tableau 1.
BIBLIOGRAPHIE
- (1) « Les Echos » du 6 mars 1984 : Les neurones de l'électronique en ébullition.
- (2) K. Marquadt : Kontakt und Studium, tome 72, p. 50.
- (3) F. Schweve : Kontakt und Studium, tome 72, p. 116.
- (4) Norme Afnor T 90105.
- (5) Degrémont : Mémento technique de l'eau, p. 600.
- (6) Degrémont : Mémento technique de l'eau, p. 955-956.
- (7) F. Martinola : « Un nouveau type d’échangeur anionique fortement basique ». Publication Bayer France, novembre 1981.
- (8) Brevets Bayer : DT 1045102, 1957 ; DT 1113570, 1957. Brevets Rohm and Haas : GB 932125, 1959 ; GB 932126, 1959.
- (9) H.R. Brost et F. Martinola : VGB Kraftwerkstechnik 60, cahier 1, janvier 1980, p. 53-62.
- (10) Brevet Asahi Chemical Industry : DAS 1717009, 1961.
- (11) W. Erbschwendner : Chem. Ing. Tech. 47, p. 607 (1975).
- (12) Himsley A., Paper TP 18, 7th Am. Mtg. Canadian mineral processors, Ottawa, Canada, janvier 1975.
- (13) Brevet de Steinmueller GmbH., Gumersbach : DAS 2156426, 1971.
- (14) J.R. Higgins, ORNL 1907, USA EC. 1955, Ind. Eng. Chem. 53, 635 (1961).
- (15) Brochure Rohm and Haas : « Amberlite IRA 93 Amberlite IRA 402 stratified bed of anionic exchange resins », février 1967.
- (16) C. Kennedy u.a., Combustion 39 (9), 19-30 (1968).
- (17) Degrémont : Mémento technique de l'eau, p. 333-337.
- (18) Brevet Bayer AG, Leverkusen : DE-PA 1.442689, 1963.
- (19) Brevet Bayer AG, Leverkusen : EU-PA 0.030.697, 1979.
- (20) Brevet Bayer AG, Leverkusen : DE-PA 2221561, 1972.
- (21) Sadler M.A., Bates J.C. and Mills G.R. : « The application of triple resin condensate polishing plant system at Fawley power station, including operation in the ammonium form », VGB Conference Essen, octobre 1980.
- (22) F. Martinola, A. Richter, « Vom Wasser », tome XXXVII, 197. F. Martinola, G. Siegers, VGB Conference, 55 an, cahier 1, janvier 1975, p. 40-47.
- (23) W. Oschmann, A. Schiffers, V. Trümper, VGB Kraftwerkstechnik 62, cahier, janvier 1982.
- (24) Rapport interne EDF, 1981.
- (25) H.R. Brost, F. Martinola : « Processus d’échange d'ions dans les filtres à lits mélangés ». Publication Bayer France, juin 1982.