Aujourd’hui indissociables d’une agriculture moderne et rentable, les produits phytosanitaires sont, dans certaines régions d’agriculture intensive, à l’origine d’une pollution du milieu naturel et d’une contamination des ressources en eau. Or la mise en évidence d’une telle contamination peut représenter pour une collectivité un enjeu technique et financier important.
Aussi, l’établissement d’un diagnostic fiable de la qualité de la ressource, fondé sur un échantillonnage raisonné, est-il le préalable indispensable à la mise en place de solutions, en termes de gestion des eaux ou de traitements de potabilisation.
Des méthodes de diagnostic adaptées
L’origine diffuse des polluants agricoles se traduit le plus souvent, pour les eaux de surface, par une variabilité temporelle très forte des concentrations, ce qui représente l’un des problèmes majeurs auquel est confronté l’exploitant des ressources en eau.
Pour l’atrazine, micropolluant aujourd’hui très fréquemment rencontré dans les eaux de surface, ce dernier peut se trouver confronté à la gestion d’un double phénomène :
- des concentrations moyennes en polluant correspondant à un “bruit de fond” dû au drainage des nappes contaminées du bassin versant par le cours d’eau (souvent encore compatibles avec les normes de potabilité) ;
- des épisodes de concentrations élevées, sous forme de pics erratiques dont la fréquence et la durée sont difficilement prévisibles (souvent liés aux précipitations survenues sur le bassin versant durant la période d’application du produit sur les cultures).
Afin d’établir un diagnostic, le suivi analytique doit donc rendre compte de cette variabilité des concentrations observées : c’est ainsi que pour l’atrazine, les efforts d’échantillonnage devront généralement être réalisés de mars à août. La mise en évidence de pics élevés de concentration nécessite un suivi analytique lourd, par exemple un dosage quotidien du polluant recherché lorsque des précipitations importantes surviennent sur le bassin versant durant les périodes de l’année les plus sensibles.
Une aide au diagnostic : la modélisation
Lorsqu’une telle approche est menée et que les tendances de l’évolution annuelle des concentrations de substances polluantes sont mises à jour, les informations de base pour réaliser un premier diagnostic sont réunies et l’exploitant peut alors se positionner par rapport aux besoins de la collectivité ou, le cas échéant, par rapport aux données produites par les organismes publics.
Approfondir le diagnostic peut cependant s’avérer nécessaire, par exemple s’il faut prévoir au jour le jour les concentrations de polluant à la prise d’eau, ou identifier d’éventuelles sources ponctuelles de polluants ; les questions de la variabilité spatiale des concentrations et donc des modalités de transfert des micropolluants dans le milieu naturel se trouvent alors posées.
Seule la modélisation permettra réellement à terme de comprendre ces transferts tout en réduisant l’échantillonnage, mais des approches plus légères, fondées sur la collecte et la gestion d’informations relatives aux sources potentielles de pollution sur le bassin versant, peuvent d’ores et déjà orienter les actions de terrain et le suivi analytique.
Les efforts à réaliser pour obtenir une meilleure maîtrise des pollutions d'origine agricole ne peuvent être appréhendés que par une démarche globale associant des approches préventives et curatives.
D’importants efforts de recherche
La Compagnie Générale des Eaux, associée à des partenaires industriels et à des centres de recherche au sein du programme Eureka-Ismap, mène aujourd’hui d’importants travaux dans trois directions complémentaires.
Il s’agit en premier lieu d’améliorer les techniques de dosage des micropolluants agricoles dans le milieu naturel, grâce au développement de méthodes analytiques fiables, et opérationnelles en routine. Il s’agit ensuite du développement de méthodes de traitement des eaux contaminées dans les filières de potabilisation, afin de pouvoir respecter les nouvelles normes européennes sur la qualité de l’eau potable. Enfin, la troisième direction de recherche est consacrée au développement d’un système d'information et d'aide à la décision, pour l’optimisation de l’usage des produits phytosanitaires et des pratiques agricoles au regard des contraintes d’environnement.
Un site test : le bassin versant du Grand Morin
Les outils et les méthodes qui sont actuellement en cours de développement sont testés et validés sur des sites expérimentaux, comme celui du bassin versant du Grand Morin en région parisienne. Ce site privilégié pour l’étude de la pollution diffuse a fait l'objet de travaux approfondis, avec le concours du Syndicat des Eaux d’Île-de-France et de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, notamment :
- • un suivi fin de la qualité des eaux a permis de mettre en évidence les principales caractéristiques du transfert de certains produits phytosanitaires dans le milieu naturel, et en particulier les relations existant entre l'évolution des concentrations dans les eaux de surface et l’hydrologie du bassin,
[Photo : La mise en évidence de la contamination des ressources en eau par les produits phytosanitaires représente un enjeu technique et financier important pour une collectivité.]
- • des méthodes de définition des zones vulnérables du bassin vis-à-vis de la contamination des ressources en eau par l’atrazine ont été élaborées, en s’appuyant sur la télédétection et sur un système d’information géographique,
[Photo : Le système modulaire d'information et d’aide à la décision du programme est transposable sur n’importe quel site. Lors de son adaptation à une zone géographique donnée, il est nourri des données locales permettant le calage de l'ensemble des modèles : vue du bassin versant du Grand-Morin.]
- • des enquêtes portant sur les pratiques agricoles ont été réalisées auprès d’un échantillon représentatif d’agriculteurs du bassin, afin de connaître précisément la nature des produits phytosanitaires utilisés et leurs conditions d’application sur les cultures,
- • l'étude du cycle de l’eau à l’échelle de l’ensemble du bassin est actuellement en cours grâce à une modélisation détaillée, permettant notamment de décrire les mécanismes d’écoulements superficiels et d’alimentation des nappes souterraines. Les transferts des polluants (atrazine et isoproturon) peuvent aujourd’hui faire l'objet de simulation afin, dans certaines conditions, de prévoir l’apparition des pics de concentration dans les eaux de surface.
L’avancement des travaux sur ce site, comme sur d’autres sites du programme, permettra d’établir les outils nécessaires à une politique de prévention vis-à-vis de la pollution diffuse d'origine agricole.
De telles politiques de prévention sont fondées sur une évolution des pratiques culturales permettant une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires par rapport au milieu environnant, ainsi que par la réalisation d’aménagements de détail des zones cultivées visant à limiter les phénomènes de ruissellement et donc les transferts de matières actives dans les eaux de surface.
Le contexte créé par la loi sur l’eau de 1992 ou les dispositions prévues par la directive « nitrates » actuellement en cours d’application, nécessitent dès aujourd’hui la mise en place de collaborations nouvelles entre les acteurs concernés par le cycle de l'eau : fabricants de produits phytosanitaires, profession agricole, et producteurs d’eau potable. L’ambition du programme est de fournir les moyens d'une telle collaboration.
Références bibliographiques
Eureka-Ismap. Eau et agriculture. Agir ensemble. Point, Sciences et Techniques, vol. 2, n° 3, octobre 1991, 35 p.
Fauchon (N.), Mailloux-Jaskulke (E.), Vandevelde (T.), Usseglio-Polatera (J.-M.). Diffused pollution of agricultural origin : towards better protection of water resources. Water Supply, vol. 12, n° 1/2, 1994, pp. SS9-8/12.
Vandevelde (T.). Prévention et traitement des pollutions d’origine agricole : le projet ISMAP. Systèmes et services intégrés pour la maîtrise des pollutions liées à l’activité agricole. Perspectives agricoles, n° 7, 1992, pp. 53-55.
Ismap Informations, n° 3, juin 1994, 4 p. (publication des partenaires Ismap : Compagnie Générale des Eaux, Laboratoire d’Hydraulique de France, Société chimique de la Grande Paroisse du groupe Elf-Aquitaine, Rhône-Poulenc Agrochimie, Ciba Geigy, Cemagref, ITCF, société AITEC (groupe Ferruzi) et General Utilities).