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Congo : une passerelle d'éxécution orignale

30 mai 1984 Paru dans le N°83 à la page 62 ( mots)
Rédigé par : Fabrice BONNEAU

Dans notre précédent numéro, nos lecteurs ont fait connaissance avec les difficultés auxquelles se trouvent aux prises nos « Ingénieurs sans frontières » dans les pays du tiers monde.

Dans l'exposé qui suit, M. rend compte des problèmes qu'il a dû surmonter au Congo pour lancer avec les « moyens du bord » une passerelle près de Brazzaville. On pourra ainsi constater que le fameux « système D » français est toujours en usage !

Au mois de novembre 1982, un étudiant congolais, M. M..., a pris contact avec notre association pour recevoir quelques conseils au sujet d'un projet sur lequel il travaillait depuis trois ans. Lui et quelques amis avaient en 1979 fait l'acquisition d'une île d'un hectare environ, située sur le fleuve Djoué tout à côté de Brazzaville. Leur intention était de s’installer sur l'île (ce qui représentait une dizaine de familles) afin de créer plusieurs activités telles qu'une petite scierie, un dispensaire, etc. Compte tenu du fait que de telles initiatives sont assez rares dans un pays comme le Congo, nous avons répondu à sa demande et nous lui avons même proposé d’organiser une mission dès l'été 83 afin de construire une passerelle piétonnière pour relier l'île à la berge.

Il a donc été décidé que deux membres de l'association, Maxime Boniteau et moi-même, étudieraient à Paris un projet de construction de la passerelle et partiraient en juillet pour en assurer la réalisation. Un dossier a donc été constitué, mais les notes de calcul n’étaient pas suffisamment précises, car il nous manquait presque toutes les données (cotes, nature du sol, matériaux que l’on pouvait utiliser...) et elles ont dû être affinées sur place.

[Photo : Mise en place des poteaux : une échelle aurait été bien utile.]
[Photo : Promenade sous le câble pas très rassurante !]

Dès notre arrivée à Brazzaville, le 7 juillet, nous sommes allés sur les lieux pour décider de l'endroit précis où construire le pont et nous nous sommes rendus compte que l’estimation faite par les personnes sur place aux mois de mai-juin était incorrecte, et qu’au lieu de 25 m initialement prévus, la portée du pont dépasserait les 45 m. De plus, M. M... était la seule personne directement intéressée présente à Brazzaville, ses amis n’ayant pas eu les moyens financiers de venir de France. Il faut bien reconnaître que les choses ne se présentaient pas très bien, d’autant plus que nous ne disposions d’aucun moyen de transport, excepté le stop et le taxi.

Néanmoins, grâce aux nombreux contacts pris à Paris avec des sociétés implantées à Brazzaville, nous avons pu obtenir très rapidement une aide efficace, notamment de la SGE Construction qui, non seulement nous a prêté du petit matériel (pelles, pioches, poste à souder, groupe électrogène...) mais nous a aussi permis d’utiliser son atelier ainsi qu’un pick-up et un camion quand le besoin s’en faisait sentir.

Durant la première semaine, nous avons défriché et exécuté tout le travail de fondation nécessaire avec l'aide de quelques jeunes amis de M. M... Le travail sur la berge a été extrêmement difficile car le sol était très dur et nous n’avions évidemment pas de marteau piqueur ; il fallut donc creuser au

[Photo : Vissage des serre-câbles sur l'île.]
[Photo : Lancement des bastaings côté terre.]
[Photo : Le pont enfin terminé.]

burin et au marteau. Une fois les fondations achevées, nous avons effectué le ferraillage (la majeure partie étant constituée de châssis de camions de récupération) puis le bétonnage d’environ une douzaine de m³ au total. L’énorme difficulté a été de transporter châssis, ciment et agrégats (environ 4 m³) sur l'île, car nous ne disposions que d’une chambre à air ; ceci nous a pris une dizaine de jours environ.

La chance nous a servi pour régler un problème, il faut bien le reconnaître, assez inattendu. Il s’avérait impossible de trouver à Brazzaville des poteaux en bois de 25 cm x 25 cm x 3,50 m, alors que le Congo est l'un des plus importants exploitants de bois en Afrique. Or, la Compagnie Industrielle du Bois disposait de tels poteaux suite à une commande datant de trois mois. Sans cela, il aurait fallu les faire venir de brousse, ce qui aurait nécessité plusieurs semaines. M. M... et ses amis avaient pu, avec beaucoup de patience, récupérer des câbles d’acier en bon état et de longueur suffisante, ce qui nous a permis de monter les poteaux, de les haubaner et de passer les câbles en une semaine à peine. Il ne nous restait donc plus que le tablier à monter.

M. M... avait récupéré, deux ans auparavant, une grume d'acajou sur le Congo et l'avait découpée en plusieurs pièces de 4,50 m x 0,70 m x 0,10 m. Nous avons achevé la coupe à la menuiserie de la SGE, ce qui représentait un travail assez long, le matériel n’étant pas très adapté pour couper un bois si dur et de section si importante.

Nous avons coupé les suspentes aux longueurs convenables (des câbles de diamètre 13 mm pour les plus longues suspentes, de la chaîne de 8 mm pour les plus courtes), percé les bastaings et soudé les tiges filetées destinées à assurer la liaison tablier-suspente, puis nous avons lancé chaque bastaing (long d’environ 4 m), Maxime étant accroché au câble par un harnais pour les boulonner entre eux.

Ce travail s'est avéré épuisant et surtout dangereux, le Djoué étant à cet endroit très tumultueux. Nous avons ensuite coupé les planches transverses (280 de 2 m x 16 cm x 4 cm) et le pont avait donc sa forme presque définitive le 18 août. Pour rigidifier le pont et le protéger d’un vent trop violent, nous avons décidé de tendre quatre câbles « en croix » et nous avons enfin procédé à la mise en place du garde-fou. Un essai de charge avec des sacs de sable nous a assuré qu’une cinquantaine de personnes ne risquaient rien en traversant le pont, celui-ci n’ayant absolument pas bougé. Nous étions heureux !

Si cette mission a été pour chacun de nous une expérience très enrichissante, elle profitera aussi et surtout à l’Association qui essaiera d’éviter à l'avenir les erreurs d'organisation commises (absence de moyen de locomotion, manque de main-d'œuvre) et qui se tiendra prête à affronter des conditions de travail très différentes de ce qu’elles sont en France (un exemple : nous avons fait sept magasins pour trouver un marteau et nous l’avons payé 7 000 CFA, soit 140 FF).

Ce voyage nous a aussi permis d’entrer en contact avec la mission française de coopération ainsi qu’avec le gouvernement congolais. Un projet pour l'année 84 (pont, piste, adduction d'eau) et sans doute pour les années suivantes est en cours d’étude ; deux membres d’ISF sont actuellement sur place pour y effectuer les relevés nécessaires et organiser ces futures missions.

Fabrice BONNEAU.

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