Cet article vise à apporter des informations sur les conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification aval des eaux usées par biofiltration. Plus précisément, il aborde la question de la gestion des apports en substrat carboné. Nos résultats ont montré que les nitrites apparaissent lorsque l'on applique un ratio C/N compris entre 2 et 3, avec un pic de concentration observé à 2,4-2,5. Dans cette situation de sous-dosage en méthanol, l'apport de carbone est suffisant pour être à l'origine d'une production de nitrites dans les couches basses des massifs filtrants mais insuffisant pour permettre leur élimination totale dans la partie supérieure des massifs. Le ratio optimal qui permet l'élimination totale des nitrates sans apparition de nitrites et sans augmentation significative de la DBO résiduelle est de l'ordre de 3-3,2. Cette étude a également souligné la nécessité d'injecter le méthanol de manière à maintenir un rapport C/N constant au sein du biofiltre ; la fluctuation de ce ratio pouvant être à l'origine de l'apparition des nitrites. Or, le mode de régulation du méthanol sous consigne, régulièrement employé sur les installations, ne permet pas de stabiliser le ratio C/N lorsque la concentration en nitrates de l'effluent accepté sur les ouvrages varie significativement.
En introduction de ce dossier (Rocher et al., 2011a), le caractère sensible de la problématique « nitrites » a été souligné. L’accroissement des volumes d’eaux usées post-dénitrifiées à l’échelle du bassin-versant parisien a conduit à une augmentation significative des concentrations en nitrites en Seine et le contrôle de l'apparition de cette espèce au cours de l’étape de post-dénitrification des eaux usées est devenu un enjeu environnemental majeur.
Ainsi, la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP a mené de nombreuses expérimentations sur les ouvrages de dénitrification de ses usines pour cer-
Mots-clés : Biofiltration, dénitrification, eau usée, exploitation, nitrites, station d'épuration
…ner l'influence de la charge appliquée, du dosage du substrat carboné et des apports en phosphore sur la production de nitrites. Cette synthèse est consacrée à l'étude de l'influence des apports en substrat carboné sur l'apparition de nitrites. L'objectif est d'apporter aux exploitants des usines des informations précises qui leur permettent de réguler leurs injections de méthanol, principale source de carbone utilisée en traitement des eaux usées, de manière à maintenir une concentration en nitrites nulle ou très faible dans les eaux de rejet. Cet article est scindé en deux parties respectivement consacrées à la description des moyens techniques mis en œuvre dans le cadre de cette étude et à la présentation des principaux résultats et principales conclusions obtenus.
Matériel et méthodes
Expérimentations en laboratoire
La Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP a initié en 2005 des travaux de recherche sur l'influence de la source de carbone sur les processus de dénitrification des eaux usées. Cette relation entre la nature du substrat carboné et le processus de dénitrification a été étudiée dans le cas des deux grands types de dénitrification : les dénitrifications amont et aval. Les expérimentations, menées à l'échelle de réacteurs séquentiels (figure 1), visaient à évaluer l'efficacité de la dénitrification biologique en présence de différentes sources de carbone endogènes (eaux brutes/eaux décantées/eaux partiellement décantées) et exogènes (alcools, glucides, acides organiques).
Le principe du protocole, détaillé par Sonthonnax (2006) et Gaumard (2007), consiste à alimenter une biomasse épuratrice en substrat carboné et azote nitrique et à suivre l'évolution des concentrations en NO₃⁻ et NO₂⁻ dans le réacteur ; ce suivi permettant d'évaluer les cinétiques de disparition des nitrates et d'apparition des nitrites. Les nutriments ont été ajoutés dans le milieu réactionnel de manière à maintenir un rapport C/N optimal (DBO₅/N-NO₃⁻ > 4-5) et à placer la biomasse épuratrice dans des conditions de carence nutritionnelle (rapport substrat/biomasse < 0,2 g DCO₅/g MVS), conditions favorables à l'obtention de constantes cinétiques représentatives de la biomasse initiale et proches de celles obtenues sur des stations d'épuration où le substrat est généralement le facteur limitant (Chudoba et al., 1985 ; Grady et al., 1996 ; Spérandio, 1998).
La biomasse épuratrice utilisée dans le cadre de ces expérimentations a été prélevée dans les bassins biologiques d'une station d'épuration fonctionnant en aération prolongée (station Seine Amont – 600 000 m³·j⁻¹). Ce choix a été motivé par le fait que les biomasses de ces bassins, composées de populations bactériennes diversifiées, ne présentent pas d'adaptation préférentielle à un substrat carboné donné.
Expérimentations sur site industriel
Présentation du site d'étude
Les expérimentations ont été menées sur la station Seine Centre du SIAAP. Cette usine, située à Colombes (Hauts-de-Seine), épure chaque jour les eaux usées générées par près de 800 000 équivalents-habitants, soit un volume d'environ 240 000 m³·j⁻¹. La filière de traitement des eaux de cette station est présentée par la figure 2. Schématiquement, les eaux brutes alimen–
Les eaux de la station sont tout d’abord prétraitées (dégrillage/dessablage-déshuilage) avant de subir un traitement physico-chimique. Ce traitement, qui consiste en une décantation lamellaire favorisée par l’ajout de réactifs chimiques coagulants-floculants (chlorure ferrique/polymère anionique), permet de retenir une part importante des matières en suspension et du phosphore. Ce traitement physico-chimique est suivi d’une filtration biologique effectuée sur trois étages de biofiltres.
L’étage 1 est constitué de 24 filtres biologiques de type Biofor® (104 m³/biofiltre – matériau granulaire : biolite®). Cet étage, aéré par un dispositif placé à la base du matériau filtrant, est principalement destiné au traitement de la pollution carbonée.
L’étage 2 comprend 29 filtres biologiques de type Biostyr® (111 m³/biofiltre – matériau granulaire : biostyrène®). Cet étage, également aéré par un dispositif placé à la base du matériau filtrant, est le siège du processus de nitrification.
Le dernier étage, étudié dans le cadre de cette étude, est composé de 12 filtres biologiques de type Biofor® alimentés par l’eau nitrifiée. Du méthanol est injecté dans les canaux d’alimentation de ces biofiltres pour satisfaire les besoins de la biomasse dénitrifiante.
Présentation des dispositifs techniques
Le fonctionnement des biofiltres dénitrifiants de la station Seine Centre a été étudié sur une période de plusieurs mois. Le suivi des biofiltres a été assuré en installant des préleveurs automatiques en amont et en aval des unités et en introduisant une canne de prélèvement au sein même des massifs filtrants. Outre ces systèmes de prélèvement, un dispositif prototype de mesure en continu des NO₃/NO₂, développé en partenariat avec l’Université Technologique de Compiègne (Pham et al., 2010), a été installé en sortie de l’unité de dénitrification. L’ensemble des dispositifs techniques utilisés dans le cadre de cette étude est décrit dans la suite de ce paragraphe.
Suivi de la qualité des effluents en entrée et sortie d’ouvrage
Le suivi de la qualité des eaux entrant et sortant des ouvrages de dénitrification a été assuré par des préleveurs automatiques multi-flacons réfrigérés installés en amont et en aval des unités de dénitrification (figure 3). Sur les échantillons moyens 24 h prélevés quotidiennement, l’ensemble des paramètres classiques a été analysé par le laboratoire de la Direction du Développement et de la Prospective du SLAAP (Laboratoire accrédité COFRAC – 2003). Parmi ces paramètres, on compte : les matières en suspension (MES), les demandes chimique et biochimique en oxygène (DCO, DBO), l’azote Kjeldahl (NK), l’azote ammoniacal (NH₄⁺), les formes oxydées de l’azote (NO₃, NO₂), les ortho-phosphates (PO₄³⁻) et le phosphore total (Pt).
Un analyseur UV permettant l’analyse en continu des NO₃ et NO₂ a également été installé en sortie de l’étape de dénitrification. Ce spectrophotomètre, de marque Secomam, est composé de quatre modules interconnectés : 1) module de filtration tangentielle, 2) module de dilution/rinçage, 3) module de mesure optique, 4) module électronique de traitement du signal.
L’eau à analyser est filtrée par un filtre tangentiel avant la mesure. Physiquement, une pompe immergée recircule en continu 300 l·h⁻¹ d’eau au travers d’un filtre en ligne de 100 µm (ModuSize, Applitek SA, Nazareth, Belgique) ; environ 100 ml d’eau filtrée sont prélevés toutes les demi-heures par l’analyseur en ligne. Ce spectrophotomètre est couplé au logiciel UV-Pro qui traite le signal en utilisant une méthode d’identification qui s’apparente à une PCR (Principal Component Regression). Les détails concernant le fonctionnement de ce dispositif prototype et le traitement du signal sont apportés par Pham et al. (2010).
Suivi de l’évolution des polluants dans le massif filtrant
Le suivi de l’évolution des polluants au sein du biofiltre a été réalisé en introduisant dans le massif filtrant des…
Cannes de prélèvement multi-points.
Ces cannes soutiennent un faisceau de tubes de faible diamètre qui permettent le prélèvement d’eau interstitielle à différentes hauteurs du massif filtrant. De manière générale, les cannes sont conçues de manière à permettre le prélèvement d’eau tous les 50 centimètres depuis le plancher jusqu'à la lame d'eau superficielle (figure 4).
Sur les échantillons prélevés ponctuellement grâce à ce dispositif, l'ensemble des paramètres classiques cités précédemment a été analysé. L'analyse de la plupart des polluants a été réalisée in situ par méthodes rapides dans la mesure où les eaux prélevées au cœur du massif sont très instables (présence de méthanol, d’azote oxydé et de bactéries épuratrices) et ne peuvent pas être conservées en vue d'une analyse en laboratoire. De récentes expérimentations visant à estimer les vitesses d’évolution des nutriments azotés en fonction de la nature des eaux prélevées et des conditions de conservation ont été menées par les équipes du SIAAP (Joab, 2010). Ces expérimentations ont, en effet, montré que, dans le cas d'une eau prélevée au sein du massif dénitrifiant, les nitrates et les nitrites disparaissent respectivement à des vitesses de 0,4 et 0,1 mg N·L⁻¹·h⁻¹ (température de 20 °C).
Résultats et discussion
Ce paragraphe, consacré à la présentation et à la discussion des résultats, est scindé en deux parties traitant successivement de l'influence de la nature du substrat carboné et de l’influence du dosage du carbone sur la production de nitrites lors de la dénitrification.
Influence de la nature du substrat carboné
Les expérimentations menées en réacteur ont permis d’évaluer les vitesses de disparition des nitrates et d’apparition des nitrites dans le cas de biomasses épuratrices alimentées avec différentes sources de carbone.
Cette étude montre clairement que la vitesse de dénitrification dépend de la source de carbone utilisée par la biomasse épuratrice ; ces vitesses fluctuant entre 0,8 et 4,5 mg N·g MVS⁻¹·h⁻¹ selon le substrat organique consommé. Ces différences peuvent être expliquées en considérant les mécanismes biochimiques impliqués dans la production d’énergie. Les molécules organiques peuvent être classées en trois familles : les glucides, les lipides et les protéines. Les molécules appartenant à ces trois familles peuvent servir de substrat carboné pour la production d’énergie. Cependant, les mécanismes biochimiques impliqués sont différents et plus ou moins rapides. De manière très schématique, la création d’énergie à partir de molécules complexes se déroule en 3 étapes. La 1ʳᵉ étape consiste en une fragmentation des grosses molécules complexes en unités plus simples ou en monomères. Ainsi, les protéines sont hydrolysées en acides aminés, les polysaccharides en oses simples et les lipides en glycérol et acides gras. Ces molécules plus simples sont ensuite dégradées en unités acétyle de l'acétyl-Coenzyme A directement utilisables pour la production d’énergie. La 3ᵉ étape, productrice d’énergie, consiste en une oxydation complète des unités acétyle lors du cycle de Krebs suivie d’une phosphorylation oxydative. Quel que soit le type de molécules énergétiques utilisées, les mécanismes de production d’énergie mis en jeu sont identiques. En revanche, les étapes préalables (hydrolyse et dégradation des molécules complexes en unités acétyle) sont spécifiques à chaque molécule ; ces transformations pouvant être plus ou moins complexes et plus ou moins rapides. Ainsi, par exemple, on observe que les acides organiques, tels que l’acétate ou le propionate, qui sont quasi directement utilisables pour la production d’énergie, constituent des substrats efficaces qui permettent une dénitrification rapide (3,5-4,5 mg N·g MVS⁻¹·h⁻¹). Les glucides, tels que l'amidon ou le glucose, dont l'utilisation pour la production d’énergie va nécessiter des étapes préalables d’hydrolyse, sont des substrats légèrement moins efficaces qui ne permettent pas une dénitrification aussi rapide (1,5-2,5 mg N·g MVS⁻¹·h⁻¹). Les cinétiques de dénitrification obtenues avec les alcools sont du même ordre de grandeur que celles obtenues avec les glucides (1,5-2,5 mg N·g MVS⁻¹·h⁻¹). Parmi les deux alcools testés, on note que les cinétiques de dénitrification sont deux fois plus rapides avec l’éthanol qu’avec le méthanol. Cette différence, déjà rapportée par de nombreux auteurs (Christensson et al., 1994 ; Nyberg et al., 1996), peut être expliquée en considérant les réactions biochimiques de métabolisation de ces deux substrats. La conversion de ces deux alcools en acétyl-CoA, nécessaire à leur intégration dans le cycle de Krebs, ne s’effectue pas à la même vitesse. Cette conversion est plus rapide pour l’éthanol, dont la chaîne carbonée est composée de deux atomes de carbone, que pour le méthanol, molécule à un seul carbone, pour lequel une étape supplémentaire de condensation est nécessaire.
La figure 5 montre également que la disparition des nitrates s’accompagne systématiquement d'une accumulation de nitrites dans le réacteur. Il convient de rappeler que l’accumulation de cette espèce intermédiaire dans le milieu réactionnel est observée alors que les conditions maintenues dans le réacteur biologique sont idéales (température optimale, excès en carbone). Si cette accumulation de nitrites est observée quelle que soit la source de carbone employée, il semble en revanche que la cinétique d’accumulation soit dépendante du type de substrat carboné utilisé. Ainsi, l’accumulation de nitrites dans le milieu atteint 0,2-0,3 g N-NO₂/g N-NO₃ éliminé pour la plupart des glucides et acides organiques testés alors qu'elle n’est que de 0,05-0,1 g N-NO₂/g N-NO₃ éliminé pour les deux alcools testés.
Influence du dosage du substrat carboné
Importance du rapport « carbone/azote »
Le contrôle du rapport carbone/azote dans le réacteur biologique, assuré en modulant les injections de méthanol, joue un rôle majeur dans les phénomènes d’apparition des nitrites. Ce paragraphe vise donc à caractériser finement la relation existant entre l’apparition des nitrites et le ratio C/N. Cette relation est étudiée en s'appuyant successivement sur des jeux de données acquis grâce au suivi de la qualité des eaux sortant des ouvrages de dénitrification et grâce aux mesures faites au cœur des massifs filtrants via la canne de prélèvement multi-points.
Suivi de la qualité des eaux de rejet.
La figure 6 permet d’apprécier l’évolution des concentrations en NO₃, NO₂ et DBO dans les eaux dénitrifiées en fonction du rapport DBO injecté/N-NO₃ appliqué. Il convient de préciser que ce graphique a été tracé en sélectionnant les jours où les conditions de fonctionnement des biofiltres étaient optimales. Les phases transitoires de redémarrage et les périodes durant lesquelles la biomasse était carencée en phosphore ou que les charges appliquées en azote étaient trop élevées ont été évincées. Ce « nettoyage » du jeu de données a été réalisé dans le but de se focaliser sur l'influence du ratio C/N sur l’apparition des nitrites ; les questions de l’optimisation des charges appliquées en azote et de l'alimentation en phosphore des ouvrages de dénitrification étant abordées dans les autres articles de ce dossier (Rocher et al., 2011d ; Rocher et al., 2011b).
La figure 6a montre que, logiquement, le rapport C/N constitue un facteur de contrôle de la concentration en nitrates dans les eaux traitées. L'augmentation du rapport C/N s’accompagne d’une diminution des concentrations en nitrates dans le rejet. Les concentrations sont comprises entre 5 et 20 mg N·l⁻¹ pour un C/N de 0,5-2 (sous-dosage marqué), entre 1 et 5 mg N·l⁻¹ pour un C/N de 2-2,5 (sous-dosage modéré) et elles sont minimes, voire nulles, lorsque le C/N atteint ou dépasse la valeur de 3 (dosage optimal/sur-dosage).
La figure 6b montre que l'augmentation du ratio C/N s'accompagne également d’une évolution des concentrations en nitrites dans les eaux traitées. Lorsque le sous-dosage est marqué (C/N < 2), les eaux traitées sont concentrées en nitrates mais ne contiennent pas de nitrites. Cette absence est liée au fait que la forte carence en carbone ralentit fortement le processus biologique et, par conséquent, la production des espèces intermédiaires de la dénitrification. Les nitrites apparaissent dans les eaux traitées lorsque le C/N est compris entre 2 et 3, c’est-à-dire lorsque la biomasse épuratrice est légèrement carencée en carbone. Dans cette situation de sous-dosage modéré, les concentrations en nitrites dans les eaux de rejet peuvent atteindre 5 mg N·l⁻¹.
L’analyse plus fine du profil de concentrations en nitrites montre même que ce pic de concentration en nitrites résiduels est atteint lorsque le C/N est de l’ordre de 2,3-2,4. La présence de nitrites résiduels est liée au fait que, dans ces conditions de sous-dosage modéré, l’apport de carbone est suffisant pour permettre l’installation d’une dénitrification intense mais insuffisant pour assurer l’élimination des nitrites inévitablement produits au cours de la dénitrification. Ces dynamiques complexes d’apparition/disparition des nitrites au cœur des massifs filtrants sont détaillées et expliquées au sein du paragraphe suivant. Les nitrites résiduels, observés dans les situations de sous-dosage, disparaissent lorsque l’on accroît l’apport de carbone. Au regard des figures 6a et 6b, il semble que le ratio C/N qui permet une élimination complète des nitrates sans apparition de nitrites résiduels est de l’ordre de 3-3,2. Cette valeur empirique, issue de l’expérience acquise sur le site Seine Centre, peut probablement varier très légèrement d’un site à l’autre. Ce ratio C/N optimal peut, en particulier, varier en fonction de la concentration en nitrates des eaux alimentant l’ouvrage de dénitrification ; ce ratio étant légèrement plus important dans le cas d’ouvrages alimentés par des eaux très faiblement concentrées. Cette différence est liée au fait que la part du méthanol consommée via les processus aérobies, résultant de la présence d’oxygène résiduel dans les eaux nitrifiées (7 mg O2 environ), est d’autant plus importante que la concentration en azote est faible en entrée. À titre d’illustration, la part de méthanol dégradée par voie aérobie est d’environ 20 % lorsque la concentration en nitrates dans l’eau à dénitrifier est de 10 mg N l-1 et seulement de 8 % lorsque cette concentration atteint 30 mg N l-1.
La figure 6c montre que l’augmentation du ratio C/N s’accompagne également d’un accroissement de la DBO résiduelle en sortie d’ouvrage. En condition de sous-dosage marqué, cette DBO résiduelle est inférieure à 5 mg O2 l-1 alors qu’elle est comprise entre 5 et 10 mg O2 l-1 lorsqu’un ratio C/N optimal est appliqué. Une augmentation du ratio C/N au-delà de ce ratio optimal n’impactera pas le traitement de l’azote mais induira, en revanche, un accroissement de cette DBO résiduelle.
Suivi de l’évolution des polluants dans le massif filtrant.
Parallèlement au suivi de la qualité des eaux de sortie, des campagnes de prélèvement des eaux au sein des massifs filtrants ont été menées en utilisant la canne de prélèvement multi-points décrite ci-avant. Ces campagnes nous ont permis d’établir les profils de concentrations en NO3-, NO2- et DCO le long des massifs filtrants et de montrer qu’il existait au sein des biofiltres une véritable stratification de l’activité biologique. De manière schématique, la partie basse du massif filtrant (0-1,5 m) est le siège d’un processus de dénitrification intense où l’on observe une décroissance rapide des concentrations en nitrates et une accumulation de nitrites, et la partie haute du massif filtrant (1,5-3 m), qualifiée de zone tampon, est une zone dans laquelle on observe une décroissance plus lente des concentrations en nitrates mais aussi une disparition des nitrites formés dans la couche basse (Azimi et al., 2010). Cette stratification est illustrée par la figure 7 qui présente les profils de concentrations obtenus lors de trois campagnes réalisées alors que les conditions d’exploitation des biofiltres dénitrifiants étaient différentes. Plus précisément, ces profils de concentrations ont été établis alors que les biofiltres traitaient des charges azotées proches mais dans des conditions de dosage du méthanol sensiblement différentes ; d’un dosage optimal (figure 7a) à des sous-dosages modérés (figure 7b et 7c).
Les trois profils présentés confirment que la disparition rapide des nitrates dans la couche basse du massif s’accompagne
d'une accumulation de nitrites. Cependant, si l'accumulation de nitrites est inévitable, il semble en revanche que l'intensité du processus dépend du ratio C/N. Ainsi, le pic de concentrations en nitrites mesuré au cœur du massif est seulement de 2 mg N·l⁻¹ pour un dosage optimal du méthanol (Figure 7a - C/N = 2,9) alors qu'il atteint 6 mg N·l⁻¹ dans le cas d’un sous-dosage (Figure 7c - C/N = 2,4). La relation entre la cinétique d’accumulation des NO₂ dans la partie inférieure du massif filtrant et le dosage du méthanol est parfaitement illustrée par la figure 8. Ce diagramme « accumulation en NO₂ versus ratio DBO injectée/N-NOx appliqué » montre clairement que la diminution des apports de carbone s'accompagne d'une intensification de la production de nitrites.
En situation de sous-dosage (C/N ≈ 2,3), la disparition d’un gramme de N-NO₃⁻ s'accompagne de l'apparition de 0,2 à 0,4 gramme de N-NO₂ alors que, en condition de dosage quasi-optimal (C/N ≈ 2,8), seul 0,1 gramme de N-NO₂ est accumulé par gramme de N-NO₃ éliminé. Il est intéressant de noter que ces résultats obtenus à l’échelle industrielle sont cohérents avec ceux obtenus lors des expérimentations menées en laboratoire. En effet, les cinétiques réalisées en réacteurs ont montré qu’en présence de méthanol et dans des conditions optimisées, la vitesse d’accumulation des nitrites dans le milieu est de 0,05 g N-NO₂/g N-NO₃ éliminé (cf. paragraphe influence de la nature du substrat carboné).
Les trois profils présentés par la figure 7 confirment également que la partie supérieure du massif est responsable de l’élimination des nitrites formés dans la partie inférieure du massif. Mais, là encore, l’efficacité de la zone tampon dans l’élimination des nitrites dépend du ratio C/N. Dans le cas d'un dosage optimal en méthanol (figure 7a), la concentration en carbone dans la partie haute du massif reste suffisante pour permettre une élimination totale des nitrites alors que, en condition de sous-dosage (figure 7b et 7c), la zone tampon est carencée en carbone et les nitrites ne peuvent être éliminés totalement par la biomasse épuratrice. Dans ces conditions de sous-dosage, les concentrations en nitrites résiduels peuvent atteindre 5-6 mg N·l⁻¹.
Synthèse sur l'importance du rapport C/N.
Le couplage du suivi de la qualité des eaux en sortie d’ouvrage dénitrifiant et des expérimentations menées à l’échelle du massif filtrant a permis de comprendre les mécanismes de production de nitrites et de caractériser finement la relation existant entre le rapport C/N et la concentration en nitrites résiduels dans les eaux traitées. Les nitrites apparaissent lorsque l'on applique un ratio C/N compris entre 2 et 3, avec un pic de concentration observé à 2,3-2,4. Dans cette situation de sous-dosage modéré, l’apport de carbone est suffisant pour être à l’origine d’une production de nitrites dans les couches basses des massifs filtrants mais insuffisant pour permettre leur élimination totale dans la partie supérieure des massifs. Le ratio optimal qui permet l’élimination totale des nitrates sans apparition de nitrites et sans augmentation significative de la DBO résiduelle est de l’ordre de 3-3,2.
Importance du mode de régulation du méthanol
Le précédent paragraphe a montré que le ratio DBO injectée/N-NOx appliqué constituait un facteur de contrôle déterminant de l’apparition de nitrites ; le maintien d'un rapport d’environ 3 dans le réacteur biologique permettant d’éviter leur présence dans les eaux de rejet. Assurer un rejet sans nitrite suppose donc que l'exploitant soit capable de maintenir, en toutes circonstances, ce ratio dans les réacteurs biologiques, et cela malgré la fluctuation des conditions d’alimentation des ouvrages dénitrifiants (variations des débits et des concentrations). Cette capacité à stabiliser le rapport C/N dans le réacteur biologique dépend essentiellement du mode de régulation des injections de méthanol appliqué sur l'installation. Dans la suite de ce paragraphe, la pertinence de la régulation sous consigne, dans laquelle une concentration résiduelle en nitrates dans le rejet est fixée, est discutée au regard de la problématique « nitrites ».
Principe de la régulation sous consigne de concentrations en nitrates.
Les injections de méthanol constituent un levier souvent activé pour réguler les performances des unités de dénitrification. Cette modulation des performances est opérée pour atteindre des objectifs d’efficacité fixés en fonction des critères réglementaires (respect d’un niveau de concentration en azote dans les eaux traitées et/ou atteinte d'un taux d’élimination de l’azote sur l’usine) et des contraintes économiques (optimisation de la consommation de méthanol). De manière schématique, les modes de régulation consistent à évaluer, en temps réel, le flux d’azote accepté sur les unités de dénitrification ; ce flux étant estimé à partir de mesures en continu des débits et des concentrations en azote dans les eaux acceptées sur l’ouvrage. Le flux d’azote à éliminer est alors généralement déterminé en fixant une valeur de consigne en nitrates à respecter dans les eaux de rejet. La quantité de méthanol à injecter est ensuite calculée en multipliant le flux d’azote à éliminer par un coefficient d’exploitation (CE). Ce coefficient d’exploitation, généralement de l’ordre de 3, correspond au rapport entre la quantité de matière organique biodégradable consommée et la quantité de nitrates éliminée au cours de la dénitrification.
Injecter le méthanol en fonction d’une quantité d’azote à éliminer et non en fonc
L’injection d’une quantité d’azote entrant sur l’ouvrage a plusieurs conséquences. Tout d’abord, le ratio C/N réellement maintenu au sein du réacteur biologique sera toujours plus faible que le coefficient d’exploitation fixé par l’exploitant. À titre d’exemple, dans le cas d’un biofiltre alimenté avec une eau nitrifiée à 25 mg N·L⁻¹, l’application d’un coefficient d’exploitation de 3 maintiendra un C/N réel de 2,4 dans le réacteur biologique si une valeur de consigne de 5 mg N·L⁻¹ est fixée en sortie. Cet écart entre C/N réel et coefficient d’exploitation ne serait pas problématique s’il était constant ; une simple adaptation du coefficient d’exploitation permettant, dans ce cas, de prendre en considération ce delta. Le principal problème engendré par ce mode de régulation réside dans le fait que l’écart entre le C/N réel et le coefficient d’exploitation peut fluctuer significativement au cours du temps, en fonction des conditions d’alimentation en eaux des biofiltres. Pour apprécier cette fluctuation, le graphique théorique présentant l’évolution du C/N réel en fonction de la concentration en azote dans l’effluent entrant sur l’ouvrage a été tracé. Ce graphique a été tracé en appliquant une formule dans laquelle le coefficient d’exploitation a été fixé à 3 et où la valeur de consigne à respecter en sortie d’ouvrage a été fixée à 5 mg N-NO₃·L⁻¹.
L’allure du graphique montre clairement que l’écart entre le coefficient d’exploitation et le C/N réel est étroitement lié à la concentration en azote de l’effluent alimentant l’ouvrage. Pour les fortes concentrations, l’écart est relativement faible alors qu’il est important lorsque les concentrations en azote deviennent plus faibles. Ces différences traduisent simplement une évolution du poids de la consigne de sortie en azote. Plus la concentration en azote nitrique en entrée est importante, plus le poids de la consigne de sortie est faible, et plus le rendement d’élimination visé est important. L’écart le plus important est donc observé lorsque les biofiltres sont alimentés avec une eau nitrifiée faiblement concentrée. Dans ce cas, le poids de la consigne est important et les rendements visés sont faibles. À titre d’illustration, un coefficient d’exploitation fixé à 3 permet de maintenir un ratio C/N de 2,5 dans le réacteur lorsque les concentrations dans l’effluent sont de 30 mg N-NO₃·L⁻¹ et seulement de 1,5 lorsque les concentrations sont de 10 mg N-NO₃·L⁻¹.
Ce mode de régulation, basé sur une valeur de consigne en nitrates à respecter, ne permet donc pas de s’assurer de la stabilité du milieu réactionnel dans lequel baigne la biomasse épuratrice. Pour un coefficient d’exploitation fixe, le ratio C/N réel maintenu dans le réacteur biologique peut fluctuer dans des proportions importantes si le niveau de concentration de l’effluent alimentant l’ouvrage est fluctuant. Cette instabilité du milieu réactionnel perturbe le fonctionnement de la biomasse épuratrice dont les besoins en carbone, azote et phosphore doivent, en toutes circonstances, être satisfaits pour assurer un traitement complet de l’azote nitrique.
Conséquence de la régulation sous consigne sur les rejets en nitrites.
Dans les réseaux d’assainissement unitaires, les volumes et la nature des eaux résiduaires transitant dans les collecteurs fluctuent au cours de la journée. En début et fin de journée, les activités domestiques induisent une augmentation du flux de polluants organiques et azotés introduits dans les réseaux d’assainissement alors que ces flux diminuent significativement durant la nuit et, dans une moindre mesure, en milieu de journée lorsque les activités domestiques sont plus limitées. La fluctuation cyclique des flux de polluants introduits dans les collecteurs engendre logiquement une fluctuation des concentrations en carbone et azote dans les eaux usées acceptées sur les stations d’épuration.
[Photo : Figure 10 : suivi en continu et pendant 72 heures (a) de la qualité des eaux entrant sur les biofiltres dénitrifiants ([NO₃] et C/N) et (b) de la qualité des eaux sortant des biofiltres dénitrifiants ([NO₃]).]La distribution temporelle de cette fluctuation est étroitement liée aux caractéristiques du bassin-versant (taille du réseau d’assainissement/type d’activité). Dans le cas de la station Seine Centre, les concentrations en azote Kjeldahl varient au cours de la journée approximativement entre 40 et 60 mg N·l⁻¹. Le pic de concentration est généralement observé en début de soirée (18-20 h) et le creux en fin de matinée (11-13 h). Cette variation est logiquement observée sur la filière de traitement des eaux et, en particulier, en entrée de dénitrification. La figure 10a (tracé noir) montre en effet que la qualité de l’eau alimentant l’étape de dénitrification varie de manière significative au cours de la journée. Les concentrations en nitrates atteignent 30-35 mg N·l⁻¹ dans la soirée (18-00 h) et diminuent jusqu’à un seuil de 25 mg N·l⁻¹ dans l’après-midi (12-18 h).
Ces fluctuations horaires des concentrations en nitrates de l’eau nitrifiée induisent une fluctuation des ratios C/N maintenus dans le réacteur biologique. Ces variations, induites par un mode de régulation du méthanol sous consigne (voir paragraphe précédent), sont significatives puisque le rapport C/N fluctue entre 2,4 et 2,7 au cours de la journée (figure 10a – tracé rouge). Cela signifie qu’en fonction de l’horaire, les équilibres nutritionnels maintenus dans le réacteur biologique seront différents, satisfaisant ou non les besoins des biomasses épuratrices.
La modification des équilibres nutritionnels peut avoir des conséquences sur le fonctionnement du réacteur biologique et notamment sur la présence de nitrites. La figure 10b (losanges rouges) montre, en effet, que la dynamique d’apparition/disparition des nitrites dans les eaux de rejet est cyclique et symétrique aux variations des NOx en entrée de dénitrification. Ainsi, les concentrations en nitrites dans le rejet sont faibles en soirée lorsque la concentration élevée en NOx permet le maintien d’un C/N d’environ 2,7. En revanche, les concentrations en nitrites sont élevées dans l’après-midi lorsque les faibles concentrations en NOx induisent mécaniquement une baisse du ratio C/N.
Synthèse sur l’importance du mode de régulation du méthanol.
Le retour d’expérience tiré du fonctionnement de la station Seine Centre montre que l’application d’un mode de régulation du méthanol sous consigne peut être à l’origine de l’apparition de nitrites. En fonction des conditions d’alimentation, le milieu pourra être carencé en méthanol, induisant un rejet de nitrites, ou, au contraire, en excès de méthanol, induisant le rejet d’un résiduel de DBO. Deux solutions peuvent alors être envisagées :
(1) La première solution consiste à appliquer le coefficient d’exploitation sur un flux d’azote entrant et non sur un flux d’azote à éliminer et ainsi viser une dénitrification totale sur les ouvrages de dénitrification. Viser l’élimination de la totalité des nitrates introduits dans les ouvrages dénitrifiant est d’ailleurs indispensable pour assurer l’absence de nitrites dans le rejet. L’application d’un coefficient d’exploitation plus faible, décidée dans le but d’obtenir un rendement d’élimination plus faible (80 % d’élimination des nitrates, par exemple), ne provoquerait pas d’instabilité du rapport C/N dans le réacteur mais induirait, en revanche, une situation de sous-dosage génératrice de nitrites (cf. paragraphe « importance du rapport carbone/azote »). Par conséquent, la modulation des performances globales de la dénitrification biologique s’opérera plutôt en bypassant une partie de l’eau nitrifiée qu’en baissant le coefficient d’exploitation.
(2) La seconde solution consiste à compléter le mode de régulation sous consigne par un système de rétrocontrôle piloté par un analyseur en ligne nitrates/nitrites. Le principe serait de maintenir la régulation sous consigne mais de corriger le coefficient d’exploitation en fonction de mesures de nitrites réalisées en continu dans les eaux dénitrifiées ; le coefficient d’exploitation étant augmenté dans le cas d’une apparition de nitrites résiduels dans le rejet.
Il convient cependant de souligner que cette solution est techniquement complexe à mettre en œuvre et suppose que les autres facteurs contrôlant l’apparition des nitrites (charges appliquées en azote, en particulier) ne soient pas à l’origine de leur apparition.
Conclusion
Les expérimentations menées à l’échelle du laboratoire et le suivi fin du fonctionnement de nos installations industrielles ont permis d’apporter des informations précises sur les relations existant entre les apports en substrats carbonés et l’apparition de nitrites résiduels dans les eaux dénitrifiées.
Premièrement, nos résultats ont montré que les nitrites apparaissent lorsque l’on applique un ratio C/N compris entre 2 et 3, avec un pic de concentration observé à 2,3-2,4. Dans cette situation de sous-dosage en méthanol, l’apport de carbone est suffisant pour être à l’origine d’une production de nitrites dans les couches basses des massifs filtrants mais insuffisant pour permettre leur élimination totale dans les parties supérieures des massifs. Le ratio optimal qui permet l’élimination totale des nitrates sans apparition de nitrites et sans augmentation significative de la DBO résiduelle est de l’ordre de 3-3,2.
Deuxièmement, cette étude a souligné la nécessité d’injecter le méthanol de manière à maintenir un rapport C/N constant au sein du biofiltre ; la fluctuation de ce ratio pouvant être à l’origine de l’apparition des nitrites. Or, le mode de régulation du méthanol sous consigne, régulièrement employé sur les installations, ne permet pas de stabiliser le ratio C/N lorsque la concentration en nitrates de l’effluent accepté sur les ouvrages varie significativement au cours de la journée.