La production de vapeur à partir de combustibles est à l’origine du développement industriel actuel, puisque ce fut la première force motrice substituée à la force humaine. Actuellement, la production de vapeur est toujours une activité de base de la plupart des industries, que ce soit pour la production d'électricité au moyen de turbines, pour chauffer des logements, des réacteurs chimiques, des conserveries, des sucreries, etc., les utilisations étant extrêmement nombreuses.
L'éventail des pressions de service s’étale de 5 à 190 bars, sous des températures atteignant 560 °C. En effet, l'évolution de l'élaboration des aciers spéciaux à haute résistance a permis la production de vapeur à très haute pression.
On distingue deux types de chaudières, le premier à tubes de fumées, où l'eau est chauffée par un faisceau de tubes dans lesquels circulent les gaz chauds de combustion (chaudières basse pression), et le second à tubes d’eau, où le système est inversé et dans lequel on chauffe un faisceau de tubes contenant l'eau (chaudières haute pression).
Un problème technique se posa très rapidement, celui de la qualité de l'eau utilisée dans les chaudières, en raison des éléments divers qu'elle contient, lesquels perturbent la production de vapeur.
Avant d’aborder les solutions utilisées pour résoudre ce problème, nous examinerons les perturbations entraînées dans le système de production de vapeur, auxquelles il convient de remédier et qui sont de trois sortes :
- • incrustations : l’eau contient des sels dissous qui se concentrent dans la chaudière quand on fabrique la vapeur (laquelle ne contient théoriquement aucun sel) ;
- • corrosion : l'eau contient de l'oxygène, du gaz carbonique et des bicarbonates qui se décomposent thermiquement en libérant du gaz carbonique ; ces composés sont la source de corrosion des métaux ;
- • formation de mousse dans les chaudières, entraînant des sels dans la vapeur.
Nous examinerons ci-après ces phénomènes.
Incrustations
La solubilité de tous les sels de l'eau diminue avec la température (figure 1) ; de plus, au contact des parois chaudes, il y a vaporisation préférentielle du film d'eau des bulles de vapeur, d'où sur-concentration locale de sels et cristallisation rapide.
On trouve ainsi déposés du carbonate de calcium, du sulfate de calcium, des sels de magnésium et de la silice (la silice peut se solubiliser dans la vapeur et, à ce titre, elle est dangereuse pour les turbines). On trouve également du fer et du cuivre qui proviennent d'une corrosion interne ou des retours de condensats, dépôts qui diminuent la conductibilité thermique (tableau 1), entraînant baisse de rendement et échauffement dangereux des aciers spéciaux, avec risque d’éclatement. La silice peut également réagir avec les sels de magnésium, de sodium ou de calcium, pour former des silicates très incrustants.
Corrosion
Elle peut se produire dans tout le circuit, les agents les plus dangereux étant l'oxygène et le dioxyde de carbone :
- • l'oxygène s’élimine par dégazage thermique, qui permet de ramener sa concentration autour de 10 ppm, ce qui n’est pas toujours suffisant, et de plus il peut se produire des entrées d’oxygène dans le circuit (au niveau des bâches de condensat, par exemple) ;
- • le dioxyde de carbone provient des sels dissous dans l'eau, par décomposition thermique ou mauvais traitement de l’eau brute, suivant les réactions ci-après :
Ca(HCO₃)₂ → CaCO₃ + H₂O + CO₂ 2 NaHCO₃ → Na₂CO₃ + H₂O + CO₂ Na₂CO₃ + H₂O → 2 NaOH + CO₂
Le problème principal est sa transformation en acide carbonique dans les condensats, ce qui entraîne une attaque des métaux importante en dessous de pH = 5 (figure 2), suivant la réaction en chaîne suivante :
2 Fe + 2 H₂CO₃ → 2 FeCO₃ + 2 H₂ 2 FeCO₃ + 5 H₂O + 1/2 O₂ → 2 Fe(OH)₃ + 2 H₂CO₃
S'il y a présence d’oxygène, le cycle de la corrosion est alors enclenché.
Rappelons que la forme normale du fer dans une chaudière en bon état est la magnétite (Fe₃O₄) sous la forme de film compact, adhérent, uniforme et protecteur de l’acier sous-jacent contre la corrosion.
Corrosion « on load » (sous contrainte)
Elle se produit dans les conditions suivantes :
- - tubes encrassés par eau polluée,
- - mauvaise circulation locale de l'eau,
- - échange thermique élevé,
- - température supérieure à 200 °C ou 300 °C (suivant les cas),
- - formation locale d’acidité.
Cette corrosion, difficile à détecter, se développe très rapidement. Elle concerne les chaudières à pression élevée ; le pH en est un facteur important, la plage 7-12 étant la moins dangereuse.
Exemples de corrosion :
- - MgCl₂ + H₂O → Mg(OH)₂ + HCl
- - 3 Na₃PO₄ + 5 CaCl₂ + H₂O → Ca₅(PO₄)₃OH + 9 NaCl + HCl
(Les phosphates peuvent provoquer des corrosions).
En présence d'oxydes métalliques :
3 FeCl₂ + 4 H₂O → Fe₃O₄ + 6 HCl + H₂.
Dans ce cas, l'hydrogène peut fragiliser l'acier.
Fragilité caustique
Il s'agit d'une félure intergranulaire qui se propage sans altérer la structure environnante du métal. Elle se produit lorsque trois conditions sont réunies :
a) chaleur élevée,
b) contrainte interne anormale du métal,
c) concentration de soude élevée (100 à 150 g/l) et localisée, ce qui n’est pas lié à la concentration en soude de l'eau, mais provient des phénomènes locaux (le traitement à la soude de l'eau, pour corriger le pH, favorise ce phénomène). Il ne se produit que si les conditions a) et b) sont d'abord réunies, favorisant la concentration locale de sels.
Tous ces phénomènes sont contrôlables, et le conditionnement de l'eau de chaudière est l'un des éléments de contrôle le plus important. Nous ne décrirons pas les différents systèmes de traitement de l'eau (dégazage thermique, adoucisseur, déminéralisation, purges, décarbonation, filtration), mais uniquement le conditionnement par additifs des eaux de chaudière.
Le conditionnement par additifs
Nous examinons les différentes possibilités offertes par le procédé.
Incrustations
Pour précipiter les sels dissous (formant des boues fluides), le premier produit utilisé fut le phosphate trisodique, qui présente des inconvénients :
- - les boues sont lourdes et s’accumulent en fond de chaudière, semblables à des incrustations ;
- - phénomène « Hide out » : surconcentration dans les parois des bulles de vapeur, alors que le phosphate n'est plus soluble au-delà de 300 °C (figure 3). Ce phénomène étant réversible à froid, on peut le vérifier par dosages dans la chaudière en fonctionnement et à l'arrêt ;
- - les phosphates moussent et peuvent polluer la vapeur.
On peut aussi utiliser des dérivés de lignine, d’alginates, de tanins, ou des polymères de synthèse, complexants et dispersants : les boues sont rendues fluides, non adhérentes et ne décantent pas. De plus, il est alors possible de redissoudre lentement les dépôts existants car, contrairement aux phosphates, on peut utiliser des concentrations élevées sans effet secondaire nocif.
L'emploi de stabilisants permet de former...
Tableau 1
Conductivité thermique (exprimée en calories transmises par mètre, mètre carré, en une heure et pour un écart de température de un degré) de différents types d’incrustation, comparée à la conductivité thermique du cuivre et de l’acier. (La silice constitue le dépôt le moins conducteur.)
Éléments | Conductivité thermique | Références |
---|---|---|
Cuivre | 330 | Gilbert |
Acier | 40 | Splittberger |
Carbonate de calcium | 6,3 | Splittberger |
Sulfate de calcium | 2,6 | Splittberger |
Silice | 0,2 | Splittberger |
Tableau II
Conditionnants chimiques subdivisés en fonction de leur objet
Action | But | Type |
---|---|---|
Correction du pH | Maintenir un pH qui minimise la nature corrosive du fluide sur le matériel en contact, dans les divers points du circuit. Créer des conditions appropriées pour que d’autres conditionnants exercent leurs fonctions.Neutraliser d’éventuelles pollutions acides.Corriger d’éventuels excès d’alcalinité. | Alcalinisants non volatils : formulés à base de phosphate, hydrate et carbonate sodiqueAlcalinisants volatils : formulés à base de composés ammoniacaux et aminiques non aromatiquesDésalcalinisants non volatils formulés à base de phosphates et sulfites à réaction acide |
Désoxygénation | Éliminer l’oxygène du circuit eau-vapeur (peut être substitutif ou complémentaire du dégazage thermophysique).Créer des conditions favorables à la formation et à la conservation de couches protectrices (magnétite et similaires) sur les surfaces métalliques. | Non volatils formulés à base de sulfitesVolatils : formulés à base d’hydrate d’hydrazine, dérivés hydraziniques ou amines réductrices non aromatiques |
Stabilisation de la dureté du fer et de la silice | Empêcher la formation de dépôts de sels insolubles adhérents sur les surfaces d’échange thermique en favorisant, au contraire, leur précipitation sous forme de boues incohérentes en dispersant le précipité microcristallin ou en empêchant leur insolubilisation. | Inorganiques précipitants : formulés à base de phosphatesOrganiques naturels ou de synthèse à activité de dispersion : formulés à base de tannins, lignites, polyacrylatesSéquestrants et complexants, formulés à base de phosphates chélatants (phosphonates, EDTA et similaires) |
Formation de films protecteurs spécifiques | Bloquer l’action agressive des fluides en formant à l’interface fluide-métal des pellicules monomoléculaires protectrices. | Organiques volatils : formulés à base de mono et polyamines aliphatiques |
mer des complexes solubles. On distingue :
• les chélatants, comme l’EDTA, mais celui-ci est sensible au pH, aux températures élevées et à l’oxygène (synergie corrosive) ;
• les séquestrants : phosphonates, polyacrylates, qui utilisent « l’effet seuil », lequel provoque une déformation cristalline des sels (d’où une consommation très faible) ; de plus, ils ne favorisent pas la fragilité caustique : ce sont des produits performants.
Corrosion
Il faut éliminer totalement l’oxygène et l’anhydride carbonique de l’eau pour éviter les corrosions. Les premiers produits utilisés furent le sulfite de sodium, puis l’hydrazine et ses dérivés. Toutefois, les sulfites augmentent la salinité de l’eau et n’agissent pas sur le CO₂ ; de son côté, l’hydrazine, bien que ne présentant pas cet inconvénient et que sa décomposition en ammoniaque garantisse également le circuit vapeur, ne protège pas les retours de condensats contre l’acide carbonique (de plus, l’ammoniaque attaque les cuivreux en présence de traces d’oxygène).
Dernier point : l’hydrazine est classée comme substance potentiellement cancérigène pour l’homme…
Actuellement, on peut utiliser des amines volatiles, alcalinisantes et désoxygénantes, qui présentent les caractéristiques suivantes :
• consommation très faible de produit (qui est dosable aisément) ;
• traitement eau + vapeur à concentration équivalente en additif possible ;
• neutralisation de l’acide carbonique dans les condensats (le coefficient de partage eau-vapeur de ces amines peut être réglé à volonté par un choix judicieux de mélanges d’amines en fonction du type de chaudière) ;
• obtention d’un pH optimum et stable de l’eau et de la vapeur, autour de 8,5 ;
• stabilité thermique remarquable (jusqu’à 540 °C) ;
• possibilité d’utiliser des amines filmogènes dans des cas particuliers, isolant le métal de l’eau (emploi réservé aux chaudières à basse pression, ou aux périodes d’arrêt avec conservation de l’eau dans la chaudière froide).
On contrôle la corrosion sur une chaudière en fonctionnement en dosant le fer dissous dans un prélèvement de l’eau de chaudière, par absorption atomique à 1-2 ppb près.
Production et entraînement de mousses
On doit éviter d’entraîner l’eau de la chaudière dans la vapeur, afin de ne pas la polluer, surtout dans les chaudières comportant surchauffeur et turbine. Nous avons vu que les phosphates provoquent facilement ce phénomène, aussi est-ce une raison pour éviter leur emploi dans ces usages. On utilise alors des produits organiques qui agissent sur la tension superficielle de l’eau, produits inclus dans les formulations anti-incrustantes et alcalinisantes, et qui ne sont donc pas employés isolément.
Ce résumé succinct des problèmes rencontrés dans les eaux de chaudière, et des solutions existantes, permet de mettre en évidence la complexité et la variété des problèmes rencontrés, ainsi que l’importance d’un conditionnement bien adapté à chaque installation (le tableau II résume les différentes solutions en présence).
Compte tenu de l’éventail des modèles de chaudières, des pressions d’utilisation, des traitements préalables de l’eau et du pourcentage de condensats réutilisés, une étude préalable est nécessaire, spécifique à chaque installation pour définir un conditionnement efficace et durable.