Your browser does not support JavaScript!

Conditionnement chimique des boues en vue de leur épaississement et de leur déshydratation

30 octobre 2012 Paru dans le N°355 à la page 67 ( mots)
Rédigé par : Pascal GINISTY et Marie-andré SIRVAIN

La valorisation et l'élimination des boues de station d'épuration utilisent toujours un traitement pour la concentration de la matière sèche par épaississement et/ou déshydratation mécanique. Quelle que soit la destination finale des boues, la filière de traitement fait intervenir l'enchaînement d'opérations : conditionnement chimique/épaississement/déshydratation qu'il convient d'optimiser. L?IFTS a développé des outils et méthodes, proposés à la normalisation française et européenne, pour évaluer chacune de ces opérations à travers des grandeurs caractéristiques que sont l'indice d'égouttage et la siccité limite.

Le problème posé par le devenir des boues résiduaires urbaines et industrielles est primordial pour l’ensemble des intervenants des métiers de l’assainissement. Les difficultés générées par les boues devraient aller en s’accentuant, du fait d’une part de l’augmentation prévisible des quantités produites et d’autre part des restrictions d’utilisation des filières d’élimination actuelles. L’évolution récente du cadre réglementaire de la valorisation des boues d’épuration impose à leur producteur d’une part d’en réduire leur volume et d’autre part de choisir la filière la plus fiable et la plus économique de leur élimination. Quelle que soit la filière utilisée : valorisation agricole, compostage, incinération en solo ou avec les ordures ménagères ou d’autres déchets industriels, sa mise en œuvre est d’autant plus facile que la boue est riche en solides, donc mieux déshydratée : meilleur PCI, valeur agronomique accrue, moindres nuisances et coût de transport et de stockage réduits. Il est indispensable de pousser au maximum la déshydratation, quelle que soit la technologie utilisée (table d’égouttage, filtre à bandes presseuses, décanteuse centrifuge à vis, filtre-presse, presse à vis). Le conditionnement physico-chimique des boues est une étape clé pour tout processus de concentration des solides. Il consiste à ajouter des réactifs chimiques dans la boue afin d’assembler les particules colloïdales dispersées en flocs plus gros, ce qui facilite d’autant la séparation solide-liquide pour

[Photo : Figure 1. Schéma et photo du BooTest. 1 - Cellules de floculation agitées (pales réglables) ; 2 - Choix des vitesses d’agitation ; 3 - Choix des temps d’agitation ; 4 - Entonnoirs de transfert ; 5 - Cellules d’égouttage ; 6 - Pesées du filtrat.]

Avoir à la fois un bon taux de capture des solides dans les flocs, faciliter l’expulsion de l’eau et atteindre une siccité élevée de la boue finale. La complexité des processus de floculation et la diversité et la variabilité des boues à traiter expliquent qu’il n’existe pas de traitement, ni de produit de conditionnement miracle. Des essais de faisabilité et d’optimisation sont donc toujours nécessaires pour trouver la nature du ou des produits à utiliser parmi ceux disponibles sur le marché puis leur dose optimale en fonction de la technique d’épaississement et de déshydratation. LIFTS (Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives), Centre de Recherche Collective créé en 1981, mène des recherches depuis plusieurs années pour mettre au point des outils et méthodes de référence pour qualifier les opérations de conditionnement chimique, d’épaississement et de déshydratation. Ces outils et méthodes ont été proposés à la normalisation française (Afnor/P16P : Caractérisation des Boues) et européenne (CEN TC 308 : Caractérisation des Boues) et sont présentés dans cet article.

Discussions

Le choix du produit de conditionnement et de sa dose repose sur des essais d’optimisation au laboratoire. Si les processus chimiques sont importants (nature du réactif, dose…), le protocole (type d’agitation, vitesse, mode d’addition du polymère…) selon lequel le réactif est mélangé à la boue est également déterminant. Effectivement, la taille des flocs va être modifiée avec la variation de la durée et de l’énergie de mélange.

De nombreux travaux de recherche ont été publiés et autant d’études ont été menées sur la floculation des eaux qui ont permis de développer des outils (jar-test) et des protocoles universellement utilisés pour son optimisation. Ils ne peuvent être appliqués au conditionnement de boue de concentration supérieure à 1 % en raison de la viscosité de la suspension floculée et de cinétiques de mélange beaucoup plus rapides.

Relativement peu de données quantitatives sont disponibles sur le conditionnement des boues en raison de leur complexité et de leur variabilité et seules des méthodes d’optimisation manuelles, intuitives et propres à chaque spécialiste étaient mises en œuvre. Il y avait un besoin pour les professionnels de disposer d’un appareillage et d’une procédure opératoire qui permettent de floculer la boue au laboratoire en conditions quantifiées et répétables, indépendantes du savoir-faire de l’opérateur.

Pour ces raisons, nous avons développé un outil innovant de laboratoire entièrement automatisé (BooTest) pour optimiser le conditionnement chimique des boues. Le BooTest permet de floculer, à l’échelle du laboratoire, des suspensions ou des boues dans des conditions rigoureusement contrôlées, quantifiées et répétables. Il est le prolongement du JarTest qui, lui, se trouve d’application limitée pour tester les boues trop chargées, trop visqueuses.

Le BooTest comprend deux postes en parallèle, fonctionnant ensemble mais indépendamment. Il permet le traitement simultané de plusieurs échantillons de boues en variant la nature et/ou la dose d’un ou plusieurs produits de conditionnement (coagulant, floculant), d’évaluer l’aptitude des flocs à leur épaississement et à produire de manière répétable des boues floculées homogènes épaissies pour des essais complémentaires de déshydratation.

Le BooTest (figure 1) contient :

  • • un floculateur,
  • • un dispositif de transfert automatique de la boue conditionnée au poste inférieur,
  • • une cellule d’égouttage avec sa toile fil-
[Photo : Exemples de flocs obtenus avec le BooTest (boues activées, digérées, eau potable).]

[Figure : Figure 2 – Masse de filtrat écoulée (normée par la masse initiale de boue floculée) en fonction du temps pour différentes valeurs de l’indice d’égouttage (correspondant à différentes conditions de floculation).]

  • trame standard,
  • une pesée du filtrat écoulé en fonction du temps,
  • un enregistrement et un traitement instantané des données.

Une méthodologie de floculation des boues au laboratoire a été mise au point au terme d'une étude fondamentale des conditions de floculation des boues sur les différentes familles de machines utilisées pour le traitement des boues : tables d'égouttage, décanteurs épaississeurs, filtres à bandes, filtres-presses et centrifugeuses et a permis de quantifier l’influence des paramètres hydrodynamiques de la floculation (temps, vitesse, volume, forme et position du mobile d’agitation, vitesse d’injection du polymère) qui sont devenus les paramètres opératoires du BooTest. Une norme européenne (prEN 14742) proposant cet appareillage et cette méthodologie est en cours de validation.

La bonne répétabilité des résultats obtenus dans des conditions identiques de floculation permet d’appréhender l'influence de la variabilité de la boue sur son aptitude à la floculation dans des conditions définies. Le BooTest permet d’optimiser la floculation en vue d'un épaississement par filtration gravitaire. Pour une table d’égouttage, un conditionnement optimal permet de former un floc qui libère le maximum d'eau pendant les 30 premières secondes avec une perte minimale de solides dans le filtrat et un solide le plus sec possible en sortie machine. La norme européenne EN 14701-4 fixe les conditions d'un essai d’égouttage et les paramètres à suivre : relevé détaillé de la production de filtrat sur les premières secondes (forte production) et jusqu’à plusieurs minutes (palier de siccité), siccité des boues égouttées et matières en suspension dans le filtrat. Pour faciliter les comparaisons des produits de conditionnement, nous avons défini un indice d’égouttage Eg qui regroupe ces différentes grandeurs.

Les paramètres cinétiques et de clarification sont normés respectivement par un temps caractéristique d’égouttage (temps nécessaire pour atteindre 90 % du palier d'égouttage) acceptable pour une machine industrielle (60 secondes) et par la charge initiale en solides de la boue. L'indice d’égouttage a été défini par l’exploitation d’une centaine d’essais d’égouttages réalisés sur différents types de boues floculées sous différentes conditions.

La figure 2 illustre une correspondance entre cinétique d’égouttage et indice d’égouttage pour différentes qualités de flocs. Un indice d’égouttage supérieur à 2 est acceptable et un indice d’égouttage entre 6 et 10 est considéré comme très satisfaisant pour une table d’égouttage industrielle.

La boue épaissie est généralement déshydratée par filtration-compression (filtre à bandes, filtre-presse, presse à vis) ou par centrifugation (décanteuse centrifuge à vis). Nous avons défini une méthodologie (E.C.O.FLOC) pour optimiser la floculation en fonction des contraintes qu’elles vont subir dans l’équipement par des tests laboratoires spécifiques à chaque équipement : essais de filtration sous 0,5 à 15 bar et de compression sous 7 à 30 bar pour caractériser les gâteaux (résistances spécifiques — EN 14701-2, compressibilité — EN 14701-3, coefficients de consolidation, siccité finale) et les filtrats, essais pour déterminer l’évolution de la siccité des culots et les qualités des centrats selon l’accélération centrifuge et la durée de séparation, suivre la résistance mécanique des flocs en mesurant l’évolution du TSC, temps de succion capillaire — EN 14701-1 en fonction de la durée de cisaillement.

Les résultats des essais en laboratoire sont utilisés pour prédimensionner des unités, ou pour préconiser les meilleures conditions de fonctionnement : choix raisonné de la floculation (réactifs et doses), sélection des pressions à appliquer, du débit d’alimentation et de la toile filtrante pour une table d’égouttage ou un filtre à bandes presseuses ou à plateaux selon la géométrie de l'équipement en service en particulier de l’épaisseur du gâteau, sélection de l’accélération centrifuge et de la durée pour une décanteuse. Ces conditions seront ensuite directement validées dans des essais industriels sur l'unité du site.

Pour faciliter les échanges entre équipementiers et utilisateurs d’équipement, une notion « absolue » de déshydratation a été définie, indépendamment de l’équipement par la notion de « siccité limite ». Elle représente la siccité maximale que l'on peut obtenir théoriquement par des moyens mécaniques pour une boue donnée et une pression donnée. Cette grandeur est utile pour comparer l’aptitude à la déshydratation de boues de diverses origines ou conditionnées de manière différente et permet de préjuger de limites techniques par déshydratation mécanique.

Elle ne renseigne pas sur les performances de déshydratation des machines industrielles même s'il existe généralement une bonne corrélation entre les siccités limites et les siccités machine et que les équipementiers s’appuient souvent sur cette grandeur avec un coefficient de sécurité adapté pour fixer le niveau de performance de leur matériel. Cette grandeur est déterminée par un essai de filtration-compression en appliquant la pression par un piston. Un groupe de travail a été constitué à l’AFNOR pour travailler sur le texte de la norme prFD T 97-001-1 et fixer les conditions d’es-

[Photo : Figure 3 : Comparaison des siccités limites de différents types de boues aux siccités de décanteuses centrifuges à vis dans leurs conditions optimales de fonctionnement.]

(temps d’essai, pression, épaisseur de gâteau…). Il est également important de bien maîtriser les conditions de floculation en amont (d’où l’intérêt du Bootest) car elles ont une incidence sur la valeur de la siccité limite.

À titre d’exemple, la figure 3 compare les valeurs des siccités limites de différents types de boues aux valeurs des siccités de décanteuses centrifuges réglées dans leurs conditions optimales de fonctionnement.

Pour les boues étudiées et floculées avec le même polymère et la même dose, la siccité machine représente 90 % environ de la siccité limite.

Conclusions

La maîtrise de la floculation est une étape essentielle pour fiabiliser l'épaississement et la déshydratation des boues. Le choix du polymère et de la dose est généralement réalisé à l'échelle laboratoire avant les tests sur le terrain et le Bootest améliore grandement la qualité des résultats d’essais de floculation de suspensions chargées ou de boues en laboratoire. Leur aptitude à l’épaississement et à la déshydratation peut être qualifiée par 2 grandeurs : indice d’égouttage et siccité limite.

Cette méthodologie, validée lors d'une étude comparée laboratoire/site industriel, peut être utilisée aujourd’hui pour vérifier, sinon corriger, la dose d'emploi d’un coagulant ou d'un floculant pour maximiser la siccité finale de la boue en sortie de la filière de traitement des boues sans nécessiter d’essais à l’échelle industrielle, tester d'autres réactifs pour augmenter la siccité finale des boues déshydratées ou en réduire la consommation, appréhender la variabilité de la boue selon leur aptitude à la floculation dans des conditions définies. Le développement de normes sur la mesure de ces paramètres facilitera à terme les échanges entre équipementiers et utilisateurs des matériels.

[Publicité : COLAS Environnement]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements